Marxisme et féminisme, une dissonance épistémologique

On le sait, marxisme et féminisme se sont souvent affrontés dans le milieu militant. La prétention marxienne de considérer que l’histoire « se résume à l’histoire de lutte de classes » a semblé contradictoire avec les matériaux nouveaux qu’apportait la recherche féministe ainsi qu’avec les exigences portées par le mouvement. Ici, Abigail Bakan délimite certaines raisons à ce conflit : il s’agit en premier lieu de la résistance d’un marxisme arc-bouté sur une notion éthérée des classes, sur une lecture unilinéaire de l’histoire, ainsi que sur des routines militantes virilistes et anti-intellectualistes. Au-delà des grandes questions théoriques qui font débat, les analyses marxistes devront rompre avec les obstacles épistémologiques qui ont empêché l’émergence d’un marxisme authentiquement féministe.

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Introduction : identifier et nommer le problème.

Le rapport analytique entre le marxisme et le féminisme – ce dernier étant parfois désigné dans ses premières occurrences sous le terme de « la question des femmes » – a suscité une grande diversité de pratiques sociales et de recherches critiques au sein de la gauche dès l’époque des contributions fondatrices de Marx et Engels. La Femme et le socialisme d’Auguste Bebel (1891 [1883]) et L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État d’Engels (2012 [1884]) continuent à être considérés comme des classiques au sein du marxisme. Cette discussion s’est avérée d’une considérable longévité, et ce pour une bonne raison. Les féministes révolutionnaires (socialists) ont profondément nourri le marxisme contemporain, en développant des concepts clefs et certaines questions essentielles. On peut notamment évoquer la notion de « reproduction sociale » (Benston, 1969; Hensman, 2011), le rapport entre les sphères publiques et privées (Young, 1990), la nature de la classe ouvrière (Armstrong et Armstrong, 2010 [1993]) ou encore le rôle du genre et de la sexualité dans la formation de l’hégémonie et des appareils idéologiques d’État.

Cependant, certains courants de la théorie marxiste, et certaines franges de la gauche dont les pratiques s’inspirent ou sont supposées s’inspirer des analyses marxistes, persistent à se montrer résistants vis-à-vis des contributions féministes. La question qui anime cet article est de se demander  quelle est la nature de cette résistance et, corrélativement, comment se fait-il que l’expérience nous ait tant montré qu’elle était si difficile à déjouer. Cette résistance prend diverses formes, d’appels à la prudence jusqu’à une hostilité plus ouvertes. Au sein des cercles militants et dans les milieux progressistes, ce type de réactions est très répandu, mais aussi très bien documenté. Sheila Rowbotham, dans Woman’s Consciousness, Man’s World, écrit en 1973, fait état de ce type d’expériences dans le contexte de la gauche britannique : « Les hommes admettront souvent que les autres femmes sont opprimées, mais que ce n’est pas ton cas. Peut-être que c’était vrai par le passé, mais plus aujourd’hui ; peut-être le sont-elles à Liverpool, mais pas à Londres et certainement pas là où tu habites. » (Rowbotham, 1973: 38). La pertinence durable de l’analyse de Rowbotham est confirmée par les conclusions que tirent, dans leurs travaux récents, Lara Montesinos Coleman et Serena A. Bassi, « Deconstructing Militant Manhood ». Soulignant la perspicacité des premiers travaux de Rowbotham, elles tâchent d’identifier les manières dont se manifestent les hiérarchies de genre à travers des études de cas au sein du mouvement social contemporain en Grande-Bretagne (Coleman and Bassi, 2011: 211). Des théoriciennes féministes ont pu identifier des modèles similaires dans d’autres configurations régionales – néanmoins, le contexte varie et les enjeux s’articulent de manière différente (Conway, 2011).

La résistance du marxisme à l’égard du féminisme peut également s’exprimer sous des formes plus théoriques  là encore, de diverses façons et plus ou moins explicitement. Cette résistance peut notamment consister en un simple rejet ou un manque de volontarisme. Une telle « épistémologie de l’ignorance » est perceptible à travers la mise à l’écart de contributions d’universitaires of colour et de programmes de recherche antiracistes (Mills, 1997; Sullivan and Tuana, 2007). Cette résistance se manifeste aussi par une reconnaissance sélective, par le refus de prendre en compte les contributions féministes de théoriciennes marxistes. Prenons pour exemple Rosa Luxemburg : alors que l’on considère le plus souvent sa contribution sur des enjeux tels que sur « la grève de masse » et sur son opposition aux pratiques réformistes de la gauche allemande au début des années 1900, il est rarement fait mention de son apport au féminisme marxiste et de de sa proche collaboration avec Clara Zetkin (Rich, 1991; Dunayevskaya, 1991). Ce type de manœuvre peut être également envisagé dans l’autre sens, comme lorsque des marxistes sont identifiées comme féministes mais qu’on néglige leurs travaux en économie politique ou sur d’autres terrains théoriques. Si Rosa Luxemburg a été lue en tant que marxiste et non pas en tant que féministe, la contribution de Clara Zetkin à la théorie marxiste, par exemple, a communément été lue comme exclusivement portée sur « la question des femmes ». Les travaux fondateurs de Zetkin sur les concepts de classe ouvrière, de front unique ou d’internationalisme sont souvent ignorés (pour y remédier, lire John Riddell, 2010). D’autres théorisations marxistes hostiles au féminisme peuvent se montrer plus explicites. Pour exemple, Tony Cliff, dans son Class Struggle and Women’s Liberation (1984), nous offre une formulation particulièrement claire :

Pour le féminisme, la division fondamentale de la société est celle entre les hommes et les femmes […] Pour le marxisme, par contraste, l’antagonisme social le plus important se situe entre les classes et non entre les sexes […] Il n’y a pas de réconciliation possible entre ces deux positions, même si ces dernières années des « féministes socialist » ont tenté de les rapprocher (Cliff, 1984: 7).

Comment expliquer cette intransigeance obstinée au sein de la gauche, et en particulier la gauche marxiste, à l’égard de la critique féministe, malgré la pénétration indéniable de ses avancées au sein de la recherche critique et les enseignements précieux qu’elles offrent pour la pratique militante révolutionnaire ? Dans cet article, j’avance que cette résistance prend racine dans un cadre épistémologique défaillant, fruit d’une dichotomie entre un « marxisme » étroit et un « féminisme » pas moins étriqué. J’appelle cette résistance une dissonance épistémologique, une friction résultant de la rencontre entre des méthodes de connaissance perçues comme concurrentes et discordantes – un certain marxisme envisage la théorie féministe de cette façon. Ces épistémologies sont remises en cause par une série d’approches alternatives qui reconnaissent l’utilité des féminismes au développement de théories et pratiques marxistes. Ces perspectives marxistes – qui font l’effort d’unifier théoriquement une vision du capitalisme comme un système d’oppression et d’exploitation – ne sont cependant pas centrales à notre contribution. De telles approches « unitaires » ne sont pertinentes pour nous qu’à titre de contre-exemples – pour souligner a contrario une interprétation du marxisme spécifique (mais visiblement répandue) qui manifeste une dissonance épistémologique avec le féminisme.

Dissonance épistémologique

Déterminer les raisons épistémologiques pour rendre compte de la dissonance entre les féminismes et un certain marxisme permet de voir au-delà des débats théoriques qui ont marqué les dernières décennies. Aux yeux de ce marxisme « résistant au féminisme », les innovations théoriques de ces débats n’ont pas suscité un grand intérêt. Bien que les coordonnées de ces positions épistémologiques soient difficiles à définir avec précision, une telle démarche permet non seulement d’éclairer certaines « idées » tenaces, mais aussi des « sentiments » partagés et des logiques d’exclusion. La dissonance épistémologique n’est donc pas uniquement une position intellectuelle, c’est aussi un positionnement affectif (Ahmed, 2004). La féministe marxiste Dorothy Smith décrit l’expérience de la gauche canadienne :

[…][D]evenir une marxiste consistait à découvrir et essayer de comprendre les rapports objectifs, sociaux, économiques et politiques qui fondent et déterminent l’oppression des femmes dans ce type de société […]

Mais essayer de s’investir politiquement d’une autre manière au sein de la « gauche » et en lien avec des marxistes a été extrêmement douloureux et s’est révélé être une expérience difficile.

[…]La manière dont les marxistes, tout comme les sociaux-démocrates ou les marxistes-léninistes, s’en prennent à nous en tant que féministes ne diffère pas de la manière dont nous traite la classe dirigeante – ceux d’ « en-haut » (Smith, 2005: 226-7).

La question n’est, dès lors, pas vraiment un enjeu d’analyse théorique, mais bien une question de modèles d’organisation qui ont des conséquences néfastes sur l’émergence d’une alternative efficace, radicale et révolutionnaire au capital et à l’empire. Un exemple extrême de cette défaillance à faire échec aux pratiques sexistes se retrouve dans les cas d’agressions sexuelles au cours des Forums sociaux mondiaux (Freudenshuss, 2007 ; Roskos & Willis, 2007). Ces exemples sont suffisamment importants pour qu’une littérature émerge à leur propos (Conway, 2011 : 226).

Je propose une typologie des éléments distincts, ou de dimensions, qui décrivent la dissonance épistémologique d’un courant du marxisme vis-à-vis de la critique féministe. Pris ensemble, ces éléments s’autorenforcent, et constituent le cadre épistémologique d’un marxisme qui considère le féminisme en extériorité. Pour ce type de marxisme, le féminisme n’est pas seulement insondable, mais suggère également des pistes de recherche dont les questions ne peuvent elles-mêmes être posées.

Éléments de dissonance épistémologique

I. Temporalité

La tradition marxiste est étroitement associée à des moments historiques spécifiques, souvent scandés par les écrits de théoriciens ou par des événements. Cette temporalité déterminée est à la fois nostalgique et anticipatrice. Sur le versant nostalgique, on peut citer les textes et contributions de Karl Marx, Friedrich Engels et Vladimir Lénine. La révolution russe de 1917 est un moment fondateur, celui où la critique encore à l’état théorique du capitalisme de Marx et Engels a rejoint la pratique – et a imprimé sa marque sur la politique de masse à l’échelle locale et mondiale. Le marxisme fut dès lors une méthode reconnue et adaptée à la transformation révolutionnaire d’un grand pays par la classe ouvrière. Le conflit aigu entre Léon Trotsky et Joseph Staline qui succéda à la révolution divisa le mouvement communiste international et la « tradition » en différentes écoles dès la fin des années 1920. L’Internationale communiste fut aussi un point de référence – pour celles et ceux qui s’inscrivaient dans l’héritage émancipateur de Trotsky, les quatre premiers congrès seulement (Riddell, 2012). Le sentiment qui accompagne ces élans nostalgiques est que le passé est davantage porteur de moments victorieux et féconds du point de vue de la théorie et de la pratique révolutionnaires. Cette nostalgie peut s’attacher à des périodes plus proches de nous dans le temps et l’espace, comme l’Europe des années 1930 ou les États-Unis des années 1960.

La mémoire historique est ainsi forgée par une idée de durée et un désir de répétition. C’est ici que l’élément nostalgique et l’élément anticipateur se combinent. Il y a en effet un désir de voir l’histoire idéalisée se répéter dans le moment à venir. Les épisodes révolutionnaires de l’histoire contemporaine sont par exemple le plus souvent associés au passage possible d’un « Février » (le renversement démocratique d’un régime autocratique similaire à la révolution antitsariste de Février 1917) à un « Octobre », c’est-à-dire à la répétition de la victoire bolchévique. Le « moment » n’a pas ici seulement un sens temporel, mais correspond aussi à un lieu géographique. Les spécificités de la situation russe sont le plus souvent occultées au profit d’une universalisation de « la Révolution russe » comme exemple de transformation radicale à appliquer abstraitement à n’importe quel pays ou région à l’échelle mondiale. Dans le même esprit, sous l’angle épistémologique, d’autres spécificités géopolitiques peuvent être effacées du champ de recherche. Par exemple, le contexte colonial du capitalisme étatsunien – une dimension centrale des analyses féministes antiracistes et des études féministes socialist – disparaît sous ces hypothèses qui se nourrissent de l’analogie avec un passé universalisé et le plus souvent européen (Razack, Smith et Thobani, 2010 ; Altamirano-Jiménez, 2010).

D’autres phases de la politique d’émancipation qui n’entrent pas dans ce modèle sont, simultanément, minimisés. Cela contraste avec ce que l’on peut considérer comme un point de vue féministe sur l’histoire qui, de manière générale, n’est pas marqué par les travaux d’individu•e•s ni par des événements singuliers, mais par l’action collective qui constitue des « vagues ». Cette métaphore est associée avec le récit de l’histoire et des développements du mouvement féministe. C’est aussi le sujet de critiques importantes de la part « de nombreuses universitaires féministes, particulièrement depuis une quinzaine d’années » qui ont remis en cause « les effets réducteurs que cela engendre quand on fait la chronique de l’histoire du mouvement féministe » – mais cela s’est cependant « inscrit dans le lexique féministe » (Henry, 2012 : 102). Cela s’avère également problématique puisque cela laisse entendre que le féminisme antiraciste et intersectionnel ne serait venu s’ajouter que récemment au mouvement féministe, minimisant ainsi le rôle pionnier de figures telles que Sojourner Truth et Harriet Tubman, les femmes indigènes, etc. (Painter, 1996; Mohanty, 2003).

Cette représentation sous forme de « vagues du féminisme » (dont on attribue parfois la parenté à Julia Kristeva, dans un essai de 1979, « Le Temps des femmes ») contribue néanmoins à donner une idée du changement des mouvements émancipateurs à travers leur histoire. En ce sens, la temporalité ici consacrée est tout à fait distincte du registre nostalgique/anticipant des approches marxistes. En particulier, la périodisation en vagues, avec toutes ses limites, permet de représenter un espace de débat dans lequel ce qui paraît radical dans un contexte historique et géographique peut s’avérer conservateur et nécessiter d’être combattu dans d’autres contextes (Mann et Huffman, 2005 ; Brown et al., 2011). Cette périodisation du mouvement des femmes comprend, grossièrement : une première vague définie par la revendication de droits politiques libéraux-démocratiques, de la moitié des années 1840 en Europe jusqu’au suffrage universel féminin (autour de 1920 [l’autrice écrit dans un contexte nord-américain et anglophone NDT]) ; une seconde vague du mouvement marquée par les droits reproductifs des femmes et l’égalité d’opportunité en termes d’éducation et d’emploi, en particulier aux États-Unis pour la période de 1968 et jusque dans les années 1970 (Lear, 1968); et une troisième vague qu’on associe avec l’intersectionnalité, qui comporte une plus large compréhension des identités genrées en regard de la race, la classe, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap et le positionnement national, vague souvent également associée à une remise en question générationnelle par la jeunesse féministe radicale de l’héritage problématique de la deuxième vague (Walker, 1992; Henry, 2012: 102-105; Gillis et al., 2007).

Le fait marquant de la métaphore des vagues – dans le cadre de l’analyse d’une dissonance épistémologique d’une certaine frange du marxisme vis-à-vis du féminisme – réside donc dans le fait qu’il s’agisse d’un cadre temporel basé ni sur les écrits attribués à de grandes figures, ni sur des événements ou des institutions reconnus universellement. En outre, le registre temporel de la vague reconfigure le présent, en cela qu’il est le fruit de luttes passées sans pour autant considérer avec romantisme ce passé. Son intérêt réside précisément dans son absence de limites définies. Cela comprend à la fois une célébration de la « contemporanéité » de la troisième vague, tout comme une reconnaissance du backlash, en s’autorisant à se remémorer des périodes de luttes plus grisantes. Comme le fait remarquer Astrid Henry, la métaphore des vagues s’avère intrinsèquement paradoxale (Henry, 2012: 114). Elle suggère en effet que cela ouvre des possibilités tout en les limitant dans le même temps, dans la mesure où un récit sur ne serait-ce qu’une seule vague :

complexifie la tâche de définir d’autres pionnières militantes et intellectuelles – et d’autres zones d’influences à l’ère contemporaine –, ses développements, notamment le mouvement des droits civiques et des critical race studies, le mouvement gay et lesbien et les études queer, et les nombreuses traditions académiques qui ont forgé la multidisciplinarité des études de genre (Henry, 2012 : 113).

Indépendamment de ces limites, cependant, cette métaphore a une utilité théorique considérable, précisément dans ce qu’elle implique comme flexibilité. Ednie Kaeh Garrison suggère, par exemple, que l’idée de vague peut être considérée comme dépassant la notion « océanographique » de flux et reflux en bord de plage pour rejoindre plutôt l’idée d’ondes électromagnétiques, ou d’ondes radio, qui varient de manière cyclique (Garrison, 2005: 239; cited in Henry, 2012: 115).

La question du cadre temporel – dans la démarche de transmission d’une histoire vers le temps présent – a évidemment été traitée par des universitaires marxistes (Bensaïd, 2002; Tomba, 2009; Murphy, 2007). Malgré tout, la métaphore de la vague peut être considérée comme emblématique des avancées spécifiques du féminisme sur le terrain des théorisations de l’histoire, de la mémoire historique, et des phases de transformation sociale, qu’une tenace nostalgie marxiste, combinée à l’envie de répéter des moments historiques dans le futur, vient heurter en dissonance épistémologique.

II. Masculinités idéalisées

Une dimension distincte mais non sans lien avec cette dissonance épistémologique se fait jour dans la manière dont une certaine frange du marxisme idéalise certains individus, leur confère certains attributs avec ou sans similarité aucune avec des figures historiques ayant réellement existé. Dans les années 1970, quand il était d’usage que les militants étudiants portent des badges, l’un des slogans qu’on arborait communément était assez révélateur : « Tout ira bien entre nous tant que tu sais que je suis Lénine ». Dans une veine plus contemporaine et bien plus sophistiquée, Coleman et Bassi relèvent certains types de personnalités virilisées (masculinized), portées comme des modèles de haute stature et d’autorité dans les cercles de la gauche militante, à partir de deux cas d’étude au Royaume-Uni. Coleman et Bassi proposent deux idéaux-types en particulier : le « mec qui sait quoi penser » (Man with Analysis) et l’ « Action Man anarchiste » (Anarchist Action Man).

Le premier cas est étudié au sein d’une organisation de solidarité avec l’Amérique latine. La structure hégémonique est commune, elle est l’expression d’un certain type de performance de masculinité « caractérisée par des résonnements manichéens sur des faits objectifs, qui ne laisse ni place au doute ni au trouble de l’émotion. » Le débat est envisagé comme une compétition où seule ne vaut que l’objection d’un autre « mec qui sait quoi penser » présent sur le ring. Coleman et Bassi montrent comment la masculinité hégémonique du « mec qui sait quoi penser » conduit à l’exclusion d’autres formes de savoir, y compris de celles et ceux qui ont pourtant une expérience en Amérique latine, que ce soient des femmes ou des hommes dotés d’une masculinité alternative qui ne préfèrent pas se mettre en concurrence avec « les mâles alpha » (Coleman and Bassi, 2011: 213).

La seconde figure virilisée, l’ « Action Man anarchiste », s’avère assez différente de celle du « mec qui sait quoi penser ». La finalité qui consiste à produire un cadre d’exclusion sur la base du genre est, cependant, similaire. Le cas d’étude est ici la préparation d’une action dans le cadre d’une mobilisation contre la mondialisation.

C’est assez chaotique, voire informel, avec des personnes assises sur des canapés de récup’ autour d’une table bancale, dans une pièce colorée couverte de flyers arborant des slogans de révolte […] Cependant, l’impression de chaos est seulement une apparence […] Les personnes en présence sont toutes semblables les unes aux autres. Il s’agit essentiellement d’hommes blancs de moins de 40 ans […] Les hommes, tout comme certaines femmes qui endossent une performance de genre plus masculine, portent tous et toutes des vêtements pratiques, dits de plein-air, parfois militaires mais pour l’essentiel de couleur noire (Coleman and Bassi, 2011: 215).

C’est au sein de cet espace que l’ « Action Man anarchiste » est l’objet d’une reconnaissance particulière, a contrario d’autres formes d’ « action » qui s’avèrent plus inclusives. La force d’une telle culture est telle que « pendant le processus de préparation de l’action, on se raconte que ces corps masculins, forts et valides, seront à même de former une chaîne, à eux-seuls capable de bloquer une usine » (Coleman and Bassi, 2011: 217).

Tandis que le « mec qui sait quoi penser » est plus typique des cercles marxistes que l’« Action Man anarchiste », une variante, particulièrement répandue dans tous les cercles militants, pourrait également être envisagé sous le terme d’« homme pressé communiste ». La nostalgie pour les épisodes historiques de confrontations de masse va de pair avec un sentiment d’extrême urgence lorsque des conflits potentiels peuvent subvenir dans la situation présente. L’« homme pressé communiste » est systématiquement impatient. Ce personnage fait souvent preuve de peu d’intérêt pour les processus collectifs, là où des problématiques et des enjeux qui ne sont pas universellement évidents pourraient être discutés. Certains débats sont considérés comme faisant perdre un temps bien trop précieux, détournant l’attention des tâches que l’« homme pressé communiste » juge primordiales. En fait, ceux et celles qui ne partagent pas cette unique priorité, ou ce sentiment d’urgence quant à cette tâche, sont considéré•es comme faisant potentiellement obstruction. L’« homme pressé communiste » comprend mieux que personne le moment politique, ainsi que les conséquences désastreuses qu’engendrerait le fait de rater cette opportunité, même si les autres échouent à percevoir l’urgence de la situation et les ouvertures qu’elle offre.

Le « mec qui sait quoi penser », l’« Action Man anarchiste » et l’« homme pressé communiste » sont ici envisagés comme des figures genrées plutôt que comme des personnalités incarnées ; des femmes peuvent aussi adopter ces postures, et parfois plus vigoureusement encore que leurs homologues masculins. De plus, envisagées comme des figures et non pas comme des personnes, le même individu peut passer d’une posture à l’autre. Le « mec qui sait quoi penser » peut endosser le rôle d’« homme pressé communiste », bien que la transition ne soit pas forcément claire pour un observateur extérieur. De même, le « mec qui sait quoi penser » peut se métamorphoser en « Action Man anarchiste », passant de l’emphase sur le discours et l’argument au « temps pour l’action » où le débat passe pour inutile. Tandis que l’« Action Man anarchiste » et l’« homme pressé communiste » se considèrent souvent en contradiction et méfiants à l’égard de l’un et l’autre, ces deux figures peuvent devenir étrangement similaires dans des contextes spécifiques où une étape ou une action à venir est traitée avec une rare impatience. Cependant, toutes ces figures tendent à être empreintes d’un sentiment de légitimité propre à des personnes le plus souvent blanches, hétéronormées, et motivées par l’esprit de compétition. À l’inverse, ceux et celles qui sont le plus marginalisé•es par les rapports socio-économiques capitalistes incarnent avec moins d’aisance les figures du « mec qui sait quoi penser », de l’« Action Man anarchiste » ou de l’« homme pressé communiste ».

Au creux de tous ces idéaux-types, la dissonance épistémologique imprègne les formes d’organisation dans lesquelles les masculinités hégémoniques sont entendues comme allant de soi (naturalized). Dans des cadres marxistes – où ces idéaux-types virilisés peuvent exister (et le plus souvent existent bel et bien) –, les enjeux féministes peuvent être tolérés, mais dans les moments d’urgence extrême, il y a évidemment peu de place pour la réflexion ou les changements de cap. Et dans le cadre de débats individualisés et souvent concurrentiels, il y a également peu d’espace pour les processus collectifs et la mise en place de stratégies communes. La compression du temps et les urgences imposées artificiellement, combinées à des discussions posées en des termes incantatoires, tendent à décourager de nouveaux rapports de confiance qui sont, pourtant, à développer. Ceux et celles qui se sentent le moins sûr•es d’eux/elles et les moins en sécurité se retirent souvent de toute participation, autant sur le plan organisationnel que sur les activités spécifiques. Les efforts des féministes pour essayer de briser la non-inclusivité des discussions ou les camarades qui promeuvent des masculinités alternatives qui réprouvent les modèles individualistes ou compétitifs sont soit sont ouvertement rejetés, soit tolérés à la marge.

III. Classe, race, genre et totalité

Les franges du marxisme qui sont en dissonance (épistémologique) avec le féminisme envisagent communément la « classe » comme la catégorie la plus totalisante. En effet, une « analyse de classe » est souvent opposée à l’ « analyse féministe », ou présentée comme son complément nécessaire. Le féminisme peut se voir rejeté ou à peine toléré sur la base qu’il ne fournirait qu’un cadre étroit alors que la classe est considérée comme le synonyme de la totalité, venant non seulement embrasser nombre de distinctions mais se structurant en plus en rapport direct avec le processus productif.

Différents éléments viennent nourrir ce récit. La dissonance, au moins en partie, découle d’une certaine idée de la temporalité, comme évoqué plus haut, qui verse dans la nostalgie où élites comme classes subalternes sont considérées comme étant plus ou moins similaires à aujourd’hui quel que soit le temps ou l’espace. L’analyse des mécanismes de la classe capitaliste, par exemple, à l’ère de la mondialisation du XXIe siècle, est comparé à des périodes qui vont jusqu’à inclure la Russie tsariste de du XIXe siècle et du début du XXe, ou aux États-Unis des années 1930 ou 1960, sans s’embarrasser de quoique ce soit. C’est la similarité de ces périodes, et particulièrement dans les structures de classe de ces contextes très différents, qu’on tâche de mettre en avant, plutôt que s’attacher aux distinctions.

La « classe » est dès lors entendue comme une catégorie totalisante à la fois en termes de classe dominante et de classe ouvrière, en tout temps et en tout lieu1. Quelques contributions au débat « classe versus race » (Bakan, 2007) posent en parallèle ce cadre épistémologique, où la race, de la même manière que le genre, est envisagée comme une catégorie étroite et limitée, alors que la classe est considérée comme une approche globale. Au sein de cette frange du marxisme, les enjeux de différenciation au sein du prolétariat du fait de la fracture raciale ou de genre (tout comme toute différenciation), et les questions de privilège de race ou de genre, d’identité ou encore de savoir situé ne sont pas considérés comme étant le cœur du projet émancipateur. De tels enjeux sont ou bien ouvertement rejetés au prétexte qu’ils diviseraient, ou bien tolérés à la marge en tant que thématiques spécifiques. Cette épistémologie de la classe peut donner de l’importance aux femmes et aux non-Blancs en tant que travailleurs et travailleuses – mais ce n’est alors que leur rôle de main d’œuvre salariée inscrite dans des contextes spécifiques qui est pris en compte. Pour cette frange du marxisme, il y aurait d’un côté l’historiographie marxiste et sa conception universalisante du temps et de l’espace et de l’autre, l’histoire spécifique de la race et du genre qui n’aurait de valeur que dans des conditions très particulières. C’est ainsi que la construction du genre et la racialisation ne sont pas entendues comme des catégories d’analyse à partir desquelles on peut comprendre les mécanismes du capitalisme et de l’impérialisme. L’idée d’adopter la race et le genre comme outils méthodologiques et pas seulement descriptifs entre en dissonance épistémologique avec cette frange du marxisme.

Il est utile d’analyser cet élément précis au travers des contributions féministes antiracistes qui ne sont pas intégrées par cette conception particulière de la « classe » puisqu’elles sont considérées comme contrefactuelles. À ce titre, on peut évoquer un texte classique évoqué plus haut, L’Origine de la famille, de la propriété et de l’État de Friedrich Engels. Le sous-titre de l’ouvrage en indique l’objet : « à la lumière des recherches de Lewis H. Morgan ». Morgan est l’auteur d’une étude majeure sur la vie et l’organisation des Iroquois du nord de l’État de New York en 1877 intitulé La Société archaïque (1985). Considéré comme le fondateur de l’anthropologie moderne, Morgan propose une étude originale et détaillée de la population indigène rédigée en direction des colons d’Amérique du Nord et d’Europe. Contre la vague de morale victorienne, Morgan fit notamment remarquer que les femmes iroquoises n’étaient pas soumises par l’oppression patriarcale.

On compte, bien sûr, un grand nombre d’ouvrages qui discutent les contributions de Morgan et Engels au sein de la théorie féministe marxiste (Vogel, 1983; Bezanson and Luxton, 2006). Il n’est pas ici nécessaire de s’attarder sur ce corpus. Ce qui est toutefois saillant ici c’est qu’un autre large éventail d’ouvrages rédigés par des féministes indigènes est considéré comme ne relevant pas du cadre épistémologique du canon marxiste institué. Alors que ces théoriciennes s’inscrivent dans une longue tradition de luttes contre le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme, et que certaines d’entre elles s’identifient explicitement au matérialisme historique, la quasi-absence de ces contributions au sein de ce qu’on veut bien considérer comme la théorie marxiste mainstream est sidérante.

Dans States of Race, par exemple, les coordinatrices de l’ouvrage proposent une critique profonde du capitalisme en s’attachant aux expériences des femmes racialisées, migrantes et indigènes (2010). Comme elles le font remarquer :

La tradition intellectuelle féministe et antiraciste dans laquelle s’inscrivent les coordinatrices de cette anthologie est le fruit d’une longue histoire. Les femmes indigènes furent les premières à porter une puissante critique contre la société blanche colonialiste au Canada et à analyser la persistance des pratiques coloniales […] Le colonialisme a toujours opéré à travers le genre […] De nos jours, avec la « disparition » de centaines de femmes indigènes – des femmes présumées assassinées –, nous sommes quotidiennement confronté•es à ce que les chercheuses indigènes entendent quand elles écrivent que c’est par la violence sexuelle qu’on pratique le colonialisme (Razack, Smith and Thobani, 2010: 1-2).

Les féministes aborigènes confirment les premières observations des travaux de Morgan (à l’exclusion de ses accents racialisants et eurocentriques). Pour exemple, Verna St. Denis évoque la question dans l’ouvrage collectif de Joyce Green, Making Space for Indigenous Feminism : « Les femmes aborigènes affirment que les cultures aborigènes ne sont pas marquées par une histoire de rapports de genre inégalitaires. En fait, […] les femmes aborigènes ont occupé des positions de pouvoir, de haut rang et en toute autonomie au sein de leurs communautés » (St. Denis, 2007: 37).

Un autre exemple est fourni par les travaux de Leith Mulling sur la race et le genre dans la formation de la classe ouvrière étatsunienne (Mulling, 1997). En tant qu’anthropologue féministe et antiraciste, elle axe son travail sur des enjeux qui concernent la participation des femmes dans la production déjà identifiée par Engels dans son Origine de la famille, de l’État et de la propriété. Elle s’inscrit dans la lignée des travaux de Leacock (1981) et de Sacks (1979), toutes deux ayant poursuivi le travail pionnier d’Engels en anthropologie féministe en se basant, pour leur part, sur les résultats de la recherche contemporaine. La série d’études de Mulling sur la classe ouvrière étatsunienne met en évidence le rôle fondateur du racisme et du sexisme dans le processus de l’accumulation capitaliste. Elle analyse comment le racisme, après l’abolition de l’esclavage, a fait que les hommes africains-américains n’étaient pas en mesure de gagner suffisamment leur vie pour pourvoir aux besoins élémentaires de la famille (« family wage »), obligeant dès lors les femmes africaines-américaines mariées à gonfler les rangs du travail salarié en bien plus grande proportion que les femmes mariées euro-américaine ou blanches (Mullings, 1997: 45). Mulling appartient à une tradition du féminisme antiraciste – qui compte dans ses rangs des figures comme Angela Davis ou encore bell hooks – qui a remis en cause la prétention du féminisme blanc de classe moyenne à universaliser un point de vue limité sur la famille américaine de classe ouvrière, en termes de race et de genre, de sorte que les expériences noires et minoritaires en étaient exclues (Davis, 1983; Guy-Sheftell, 1995). La manière dont Mulling appréhende la race et le genre en tant que méthodologie inhérente à l’analyse de classe implique une approche intersectionnelle qui entre pourtant en dissonance épistémologique avec certaines lectures marxistes hégémoniques (voir German, 1994: VII).

Un autre facteur qui vient corroborer cette idée d’une dissonance épistémologique réside dans la manière dont une certaine frange du marxisme tend à confondre le concept totalisant de la classe avec une certaine appréhension de la notion de « travail ».

C’est en cela que la production des théoriciennes féministes socialist est particulièrement dissonante avec un certain marxisme. Il existe toute une littérature féministe socialist qui s’est penché sur le rôle du travail domestique et de la reproduction sociale, jusqu’à proposer une refonte de l’analyse du capitalisme faite par Marx (Benston, 1969; Vogel, 1983; Floyd, 2009). Cette conception de la classe ouvrière, qui dépasse le simple lieu de travail, ne concerne cependant pas uniquement la large part de travail que prennent majoritairement en charge les femmes au sein du foyer. Cela concerne également le rôle que joue la classe dominante dans la régulation de cette sphère, tout autant que les relations personnelles et émotionnelles parmi et entre les individu•es. Comme le suggère Rosemary Hennessy, si on considère le « désir comme une pratique de classe » (Hennessy, 2000: 175), le concept de « classe » lui-même doit alors être l’objet d’une reformulation. Une telle reformulation est, toutefois, source de dissonance épistémologique avec un marxisme ancré dans une analyse très différente de la totalité dans son rapport à la classe, à la race et au genre.

IV. Militantisme et monde universitaire

Le dernier élément constitutif de cette dissonance épistémologique relève du rapport entre militantisme et monde universitaire. Le marxisme a généralement émergé en dehors de la vie intellectuelle mainstream des sociétés capitalistes, à la marge des institutions bourgeoises qui financent la recherche. Toutefois, la New Left des années 1960 et 1970 était profondément enracinée dans les luttes politiques des étudiants, et a remis en question les frontières qui délimitaient l’idée d’une élite dans « sa tour d’ivoire ». La deuxième vague du féminisme, qui a émergé pendant cette période de radicalisation, s’est également engagée dans un rapport ambivalent avec le monde universitaire. On bénéficie aujourd’hui d’une expérience substantielle en la matière, accompagnée d’un large corpus, autour du statut des études féminines ou de genre vis-à-vis des différentes « vagues » de la lutte féministe.

Cependant, les études féminines ou de genre et les courants qui se considèrent comme marxistes évoluent dans des espaces parallèles de la fragmentation universitaire. Un des éléments qui explique sans doute cette distance réside dans la résistance épistémologique d’une certaine frange du marxisme vis-à-vis de l’analyse féministe. Tandis que les programmes de recherche des études féminines ou de genre n’abritent pas souvent des théoriciennes féministes socialist, certaines franges de la théorisation marxiste abordent les études féministes au sein de l’université avec une extrême suspicion. Pour sûr, la figure du « mec qui sait quoi penser » se sent tout à fait à l’aise dans l’enceinte des universités aussi bien que dans les cercles militants, mais il est rare de le trouver dans les bureaux ou les salles de cours des départements d’études féminines ou de genre. En outre, alors que les universités ont été le lieu de batailles autour d’enjeux politiques féministes, il n’est pas rare que des professeurs qui s’envisagent comme des marxistes se montrent, à l’égard de ces débats, résistants voire carrément antagoniques. Cette dimension de la dissonance épistémologique est remarquable, pas uniquement au sens de l’articulation d’une posture défensive à l’égard du discours et de la pratique de la politique anti-oppression au sein de l’université en tant que lieu de travail, mais également si l’on veut faire progresser la discussion parmi les militants universitaires en regard de projets plus vastes. Alors que le marxisme et le féminisme devraient de fait être envisagés comme des alliés naturels au sein d’une université en proie aux attaques néolibérales et aux manœuvres corporatistes – menées par des intérêts à la fois étatiques, privés, administratifs et conservateurs –, dans la réalité la dissonance épistémologique éprouvée par les universitaires marxistes quand il s’agit d’être confronté à des mobilisations féministes peut s’avérer extrême.

L’enjeu du backlash antiféministe est significatif en regard du fait que l’université est désormais sous l’emprise du capitalisme néolibéral (Faludi, 1991). Cela est en partie dû au fait que les départements d’études féminines et de genre ont particulièrement subi les coupes budgétaires, et défendre des programmes ou des cycles féministes à l’université nécessite encore d’importantes luttes organisées. De plus, les universités se sont généralement montrées réticentes à l’idée d’accueillir des universitaires femmes et issu•es des minorités en tant que personnel titulaire, et ce même sous le prétexte de la doxa libérale de « l’égalité des chances ».

Les attaques contre les acquis obtenus par les femmes et les minorités visibles dans l’accès à l’éducation et à l’emploi dont ils et elles ont été historiquement exclu•es ont été le plus souvent le fait de l’État et de la droite. Les attaques des conservateurs contre l’action positive se sont, par exemple, multipliées (Faludi, 1991; Bakan and Kobayashi, 2004.)

Malheureusement, la gauche n’est pas une alliée fiable sur ce front. Des recherches ont montré comment le Nouveau parti démocratique d’Ontario (Ontario New Democratic Party), alors dirigé par Bob Rae2, a paralysé la mise en œuvre de politiques d’équité en matière d’emploi pendant les cinq années de son mandat gouvernemental (1990-1995) (Bakan and Kobayashi, 2007). Une offensive ouverte contre l’équité en matière d’emploi s’en est suivie pour finalement devenir le cheval de bataille du gouvernement conservateur de Mike Harris (Bakan and Kobayashi, 2000). Malgré une alliance des féministes, des antiracistes et des syndicalistes uni•es pour l’occasion autour de la défense des intérêts des groupes discriminés en Ontario, le rôle des marxistes au sein du mouvement s’est avéré très inégal. Une partie des franges marxistes et progressistes est soit restée muette sur la question, ou a soit milité contre les principes même d’équité en matière d’emploi (see Whitaker, 2002: 7-8).

Une manière de comprendre cet élément dans le cadre d’une dissonance épistémologique consiste à envisager le potentiel qu’une approche alternative pourrait apporter. Le marxisme a, sans aucun doute, encore à analyser la tension inhérente aux rapports entre militantisme et milieu académique. Herbert Marcuse – qui a su pointer du doigt cette tension – nous a mis en garde contre ce qu’il considérait comme « l’anti-intellectualisme rampant » du radicalisme de la New Left, et qui résidait pour lui dans la posture de la critique de l’« académisation » (Marcuse, 2007: 176). D’autres, toujours au sein de la tradition marxiste, ont cependant rejeté l’avancée limitée post-années 1960 des études marxistes (Marxist studies) dans les programmes universitaires, arguant du fait que ce « marxisme académique » s’avérait dangereusement contraignant (Rees, 1998). Le concept gramscien d’« intellectuel organique », bien que souvent cité, reste mal restitué une fois envisagé depuis l’université moderne et au sein des démocraties libérales (see McKay, 2000). Le concept s’est vu adapté par Edward Said qui a mis en lumière la responsabilité spécifique de l’ « intellectuel public » en pointant les liens entre les programmes de bourses universitaires et l’organisation sociale (Said, 1996) – mais la théorisation de ce concept ne va pas en général beaucoup plus loin. En ce sens, la trajectoire d’Isaac Deutscher est à l’image de ce retrait de l’intellectuel marxiste de tout cadre institutionnel, celui-ci reprenant à son compte la métaphore utilisée par Trotsky lors de sa dernière « longue nuit en enfer3 » (hell-black night) à la veille de son assassinat de la main d’un agent envoyé par Staline. Trotsky, dans son refus de porter un gilet pare-balles, soulignait que cet accessoire « était plus digne d’être porté par une sentinelle en fonction sur sa tour de guet (watch tower) » (Deutscher, 1970: 401 notre traduction). Dans un autre contexte, Deutscher a décrit son retrait de la vie politique comme un repli vers la « tour de guet », « pour observer avec détachement et inquiétude le flot chaotique du monde. » (Deutscher, 1984: 57).

Les théorisations féministes sur les rapports entre programmes universitaires et militantisme ont, sans nul doute, quelque chose d’utile à apporter aux marxistes à cet égard. Alison Piepmeter met, par exemple, en jeu la construction d’un récit de la « cité assiégée » dans les cursus d’études féminines et de genre. Elle décrit une fronde générationnelle, au sein des études féministes, autour d’arguments théoriques visant à écarter les plus jeunes chercheurs et chercheuses et à accueillir les travaux novateurs dans leur champ avec la plus grande défiance (Piepmeier, 2012: 127-8). Martha McCaughey, pour sa part, pointe la mythologisation de la « communauté » dans les études féminines et de genre, et tente d’expliquer ses significations variées au sein et au-delà de l’enceinte de université (McCaughey, 2012). Il ne s’agit pas ici d’implorer pour la mise en place d’un dialogue serein entre universitaires marxistes et féministes mais plutôt d’attirer l’attention sur la dissonance épistémologique qui rend ce dialogue fructueux presque inimaginable. L’enjeu qui consisterait à seulement trouver un point d’entrée commun aux espaces militants et universitaires – probablement révélateur de rapports conflictuels comparables à ceux évoqués dans cet article – repose sur la dissonance épistémologique dans laquelle s’établit la rencontre entre le féministe et un certain « type » de marxisme. Pour le dire autrement, le « mec qui sait quoi penser » n’a que peu d’intérêt pour les programmes en études de genre ou pour le discours et les analyses féministes ; de même pour l’« homme pressé communiste ».

Conclusion : revendiquer le marxisme et le féminisme

Le but du développement de cet article reste très modeste : il s’agit simplement de désigner et de nommer une résistance palpable au féminisme qu’on retrouve de façon récurrente au sein de la théorie et de la pratique marxiste de manière profondément ancrée, au point d’en déduire des paramètres épistémologiques. La dissonance épistémologique est apparemment fort répandue – au sein de la gauche anglophone en tout cas – et a eu tendance à se reproduire par delà les espaces géographiques, idéologiques et générationnels. Il ne s’agit pas de dire, cependant, que l’enjeu est simplement ou uniquement épistémologique, tant il y a, pour sûr, divers degrés – politiques, incarnées par des personnes – à cette résistance. En effet, un certain nombre d’entre nous a eu à vivre avec ces rapports ambivalents entre marxisme et féminisme de longue date. Si je propose de désigner cela sous le terme de dissonance épistémologique, c’est parce qu’il ne s’agit pas là d’un enjeu réductible à des positions théoriques particulières ou à des pratiques de groupes ; il n’est pas seulement question de « débats ». La dissonance épistémologique est plutôt là pour exprimer intellectuellement et affectivement la forme à donner aux enjeux historiques, présents et futures de l’analyse féministes – ce qui peut ou ne peut pas être considéré comme prioritaire pour les recherches académiques ou stratégiques.

Il est, d’autre part, important de souligner que cette discussion ne concerne pas le marxisme en tant que tel mais uniquement une frange spécifique, certes mal définie, du marxisme – un marxisme qui a oublié jusqu’à sa propre identité. Cette dissonance épistémologique a un coût. En effet, les féministes indigènes fournissent, sans nul doute, la voie la plus durable pour une alternative à cet oubli, en commençant par les analyses intersectionnelles qui prennent en charge le féminisme, l’antiracisme comme le matérialisme historique. Ces mêmes femmes, hommes et enfants indigènes qui furent les objets d’étude de Lewis Henry Morgan, partant de Marx et d’Engels, revendiquent aujourd’hui une place de sujets de leur propre histoire, comme de leur présent et de leur futur (Mann, 2011).

Les faits indiquent que la résistance épistémologique d’une certaine frange de la théorie et de la pratique marxiste a souvent fait bon ménage avec d’autres franges radicales influencées par le féminisme (et souvent aussi par le marxisme). Cette dissonance représente donc peut-être aussi un conflit fécond et une dialectique orientée vers la construction d’un monde meilleur. Dans ce cas, peut-être qu’une autre gauche est possible.

Source : Socialist Studies Review / Revue d’études socialistes 8 (2), Autumn 2012

Traduit de l’anglais par Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem avec l’aimable autorisation de l’autrice.

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1 Ce résumé de l’analyse marxiste de la classe est certes un peu raide et incomplet. Cependant, une discussion plus nuancée, où il s’agirait de débattre de la catégorie de classe moyenne, par exemple, nous entraînerait bien au-delà du champ que cet article souhaite balayer.

2 Ce même Bob Rae qui occupe en 2012 les fonctions de dirigeant du Federal Liberal Party.

3 NdT : La « longue nuit en enfer » est une métaphore empruntée par Deutscher à Trotsky pour décrire les deux années qui ont précédé sa mort, années d’exil au cours desquelles le dirigeant révolutionnaire a résisté à la tentation de se couper du monde pour rester en sécurité : selon les termes de Trotsky, il devait subir pleinement cette « longue nuit en enfer » jusqu’à son terme.

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  1. Ce résumé de l’analyse marxiste de la classe est certes un peu raide et incomplet. Cependant, une discussion plus nuancée, où il s’agirait de débattre de la catégorie de classe moyenne, par exemple, nous entraînerait bien au-delà du champ que cet article souhaite balayer. []
  2. Ce même Bob Rae qui occupe en 2012 les fonctions de dirigeant du Federal Liberal Party. []
  3. NdT : La « longue nuit en enfer » est une métaphore empruntée par Deutscher à Trotsky pour décrire les deux années qui ont précédé sa mort, années d’exil au cours desquelles le dirigeant révolutionnaire a résisté à la tentation de se couper du monde pour rester en sécurité : selon les termes de Trotsky, il devait subir pleinement cette « longue nuit en enfer » jusqu’à son terme. []
Abigail Bakan