Le concept de fétichisme dans la pensée de Marx (Éléments pour une théorie marxiste générale de la religion)

Marx est encore trop souvent rangé parmi ces théoriciens qui ne voient dans la religion qu’une illusion ou un instrument de domination idéologique. Parcourant l’ensemble du corpus marxien, Enrique Dussel s’oppose à cette idée reçue et identifie chez l’auteur du Capital une distinction entre l’essence utopique de la religion et ses manifestations fétichisées. Comme tout phénomène social, la religion apparaît ainsi comme un phénomène contradictoire que les luttes d’émancipation se doivent de politiser.

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Du 20 au 25 août 1984, j’ai organisé un séminaire à Kerala (Inde) sur l’invitation de M. P. Joseph (Social Action Groups) et E. Deenadayalan (The Delhi Forum) dont le sujet était : « Relire Marx depuis la perspective du militantisme politique en Amérique latine ». Parmi les 38 participants, étaient présents Joseph Kottukapally de Pune et Yohan Devananda du Sri Lanka. Je leur dédie ce travail en souvenir des belles journées passées sur la montagne paradisiaque de Charal (Mar Thoma Church’s Conference Centre), la terre de l’ancien royaume de Kerala, la région des « épices » où les Syriens chrétiens arrivèrent au cours des premiers siècles du christianisme, à côté de Cochin, où Grecs, Arabes, Hollandais et Britanniques pratiquaient le commerce. Terre d’engagement des croyants, maintenant mobilisées par les « agitations » des « pêcheurs », prélude de plus grandes espérances. Là, nous avons lu les textes de Marx page par page, ligne par ligne, en commençant par le tome I des Œuvres complètes. Cette pratique textuelle nous a de nouveau convaincus de la validité de l’hypothèse d’une telle « relecture » depuis la perspective politique de beaucoup de croyants latino-américains – récemment confirmée par la révolution sandiniste mais qui fut établie beaucoup plus tôt par beaucoup d’entre nous1.
Prenons pour hypothèse fondamentale de ce travail la citation qui apparaît dans le Livre 1, Chapitre 2 du Capital, l’ouvrage de référence de Marx : « Ils ont tous un même dessein et ils donneront à la bête leur force et leur puissance » (Apocalypse, XVII, 13) « Et que personne ne puisse ni acheter, ni vendre, que celui qui aura le caractère ou le nom de la bête, ou le nombre de son nom » (Apocalypse, XIII, 17)2.

Nous utiliserons ici une méthode similaire à celle que nous avons utilisée dans un autre travail consacré dédié à la technologie dans la pensée de Marx3.

Dans cet article, nous essaierons de localiser les « lieux » où le sujet de la religion apparaît dans les écrits de Marx (de 1835 à 1883), puisque le thème de la religion, comme peu d’autres sujets, traverse toute la vie de Marx, et donc toute son œuvre, ce qui atteste déjà de son importance. Dans un autre article, systématiquement – et suivant la méthode que Marx lui-même nous a enseigné – « de l’abstrait au concret », nous parcourrons les différents moments de son discours, et les différents contenus du concept. Ainsi, nous expliciterons ce que les textes peuvent contenir d’implicite. Nous estimons que sans une lecture précise des Grundrisse cette « relecture » aurait été impossible4.

1. LA PLACE DU SUJET DE LA RELIGION DANS L’ENSEMBLE DE L’ŒUVRE DE MARX
Puisque nous avons déjà traité ce thème dans un autre article5, au moins jusqu’en 1849, nous allons en partie répéter ce que nous avons déjà dit, mais nous insisterons sur de nouveaux aspects compte tenu de l’hypothèse de base que nous voulons tester ici.

1.1 Du croyant luthérien au critique universitaire (1835-1841)

Karl naît dans une famille de rabbins côté maternel et paternel. Il est baptisé luthérien à l’âge de six ans en 1824. Né juif, il est éduqué dans la tradition sémitique dès ses plus jeunes années. Comme le confirme son arbre généalogique, qui peut être vu dans sa maison à Trier (aujourd’hui un musée), sa famille paternelle appelée Marx-Levi descend d’une longue tradition rabbinique. Depuis la moitié du XIVème siècle il y a des rabbins Marx-Levi (son grand-père et un oncle étaient les rabbins de la ville de Trier où Marx vécu jusqu’en 1835). Il grandit dans une profonde croyance personnelle en l’existence des prophètes d’Israël, lesquels sont très présents dans les écrits de toutes les époques de sa vie, comme nous pourrons le constater. Ses premiers écrits – si anti-kantien que nous pouvons lire par exemple que « la vertu n’est pas […] le produit d’une doctrine sévère de droits6 » ou que « le plus heureux des hommes est celui qui a appris à faire le bonheur des autres7 » – indiquent un eudémonisme optimiste, et nous pouvons déjà y trouver un « fil conducteur » dans sa pensée sur la religion :

La religion elle-même nous enseigne que l’idéal auquel nous aspirons tous est celui de s’offrir en sacrifice (geopfert)8 pour l’intérêt de l’humanité […]. Celui qui choisit la position dans la vie dans laquelle il peut travailler au bien de toute l’humanité ne pliera sous aucune charge, puisque celles-ci ne seront autre chose que des sacrifices (Opfer) assumés pour le bénéfice de tous9 […] nous tournons notre cœur simultanément vers nos frères qu’Il (le Christ) a uni à nous et pour qui il s’est sacrifié (geopfert) […] cet amour du Christ nous amène également à être fidèle à ses commandements en nous sacrifiant (aufopfern) les uns pour les autres, en étant vertueux, mais vertueux par amour de Lui seulement (Jean, XV:9, 10, 12, 13, 14)10.

Pour l’étudiant Marx, l’horizon obligatoire de la religion est la vie, la vie de Dieu dans la vie des hommes :

Le jeune homme qui débute sa carrière dans la vie […] ce que nous voulons être dans la vie […] Pour une place dans la vie […] Ce que la vie peut nous offrir de plus haut […] La trajectoire de la vie […] Nous ne pouvons pas toujours choisir dans la vie […] Les plus beaux faits de la vie […] Au lieu de s’entrelacer avec la vie, ils se nourrissent de vérités abstraites […] Si nous sommes capables de sacrifier la vie (das Leben… zu opfern)11 […] Il aimerait aussi les autres branches parce qu’un jardiner prend soin d’elles et une racine leur donne de la force. C’est pour cela que l’union avec le Christ, depuis la plus profonde et la plus vive communauté (lebendigste Gemeinschaft) avec lui, tient dans le fait que nous l’ayons présent dans nos cœurs12.

Il est étonnant que dans ce texte, qui expose la « fondation, l’essence (Grundwesen) […] de l’union des croyants avec le Christ » – titre de l’examen donné par le professeur luthérien de religion du lycée de Trier ; il n’y avait que sept luthériens contre 24 catholiques dans le cours – Marx anticipe sous forme d’intuitions (non de concepts) ses hypothèses fondamentales postérieures : l’essence objective et réelle de la religion relève de la circulation de la vie (symbolisée chez les prophètes d’Israël par le « sang »13, d’une relation d’offrande sacrificielle à la divinité.

Il convient d’indiquer que dès ses premiers textes, Marx fait référence au Dieu qui « a amené l’homme à exister à partir de rien (aus dem nichts)14 », indiquant un clair penchant créationniste.

Dans la lettre du 10 novembre 1837, alors que débute son intérêt pour Hegel, nous pouvons lire :

Il est des moments dans la vie qui, semblables à des bornes frontières, se dressent au terme d’un temps écoulé, mais désignent en même temps, avec précision, une direction nouvelle15.

Il y a donc un niveau essentiel, nécessaire et un autre niveau de manifestations, d’apparence, de phénomènes, si bien que :

Un rideau était tombé, mon saint des saints déchiré, et il fallait y installer de nouveaux dieux16 […] dévoré par la rage de me trouver dans l’obligation de faire mon idole d’une pensée que je haïssais17.

S’accumulent ainsi, certains thèmes qui seront répétés ad infinitum : l’autel du sacrifice aux idoles.

Mais plus important encore est ce que Marx confie à son père :

Voyageur alerte, je m’attaquais à l’œuvre même, une analyse philosophico-dialectique de la divinité, telle qu’elle se manifeste comme concept en soi, comme religion, comme nature, comme histoire18.

Nous verrons comment il développe dialectiquement le concept à partir de 1857 et au cours des années suivantes.

La thèse de doctorat de 1841 mérite un article séparé, mais nous voulons seulement rappeler une phrase :

Les preuves pour l’existence de Dieu […] ne sont rien que des tautologies vides […] L’antique Moloch n’a-t-il pas régné ? L’Apollon de Delphes n’était-il pas une puissance réelle dans la vie des Grecs ?19

Ainsi apparaît pour la première fois Moloch, le dieu des Ammonites, à qui étaient sacrifiés en holocauste principalement des enfants20, ce que Marx savait très bien, comme en atteste le passage suivant :

Il est connu que les seigneurs de Tyre et Carthage n’apaisaient pas la colère des dieux en se sacrifiant eux-mêmes mais en achetant des enfants aux pauvres pour les jeter dans les charbons ardents de Moloch21 […] Le pauvre enfant [Marx se réfère à son propre fils, Henrick Guido, mort avant d’avoir atteint l’âge d’un an dans un appartement de deux pièces misérable à Londres] a été sacrifié à la misère bourgeoise22.

En d’autres termes, Marx considère que son propre enfant a été sacrifié au dieu Moloch : la société bourgeoise dans son ensemble. Marx n’a pas confondu les « noms » que la tradition juive donne aux idoles : Moloch est l’objet de sacrifice des enfants par le feu. Mammon, de son côté, est identifié par Jésus (inconnu de l’Ancien Testament) à l’argent, l’or.

Le jeune étudiant, sous l’influence de la personnalité de Bruno Bauer, commence alors une critique de la religion hégélienne, menée du point de vue de la « conscience de soi » bauerienne – qui sera plus tard considérée comme idéaliste et donc encore hégélienne.

1.2 La critique de la Chrétienté et l’origine de la question du fétichisme (1842-Octobre 1843)

Marx, pas encore socialiste, petit-bourgeois démocrate radical, défend la liberté en général et la liberté de la presse en particulier vis-à-vis de l’État autoritaire et policier qui s’avère être un « État chrétien », d’une chrétienté luthérienne et prussienne23. Avant d’entrer dans le thème, et déjà dans l’article sur la censure, on lit :

Il est d’usage pour le libéralisme apparent, lorsqu’il est contraint à des concessions, de sacrifier les personnes (Personen hinzuopfern) […] pour préserver la chose même (die Sache) […]. L’amertume de la chose (sachliche) elle-même va contre les personnes. Par un simple changement de personnes, on croit modifier la chose. L’attention est déviée de la censure pour être orientée vers quelques censeurs24 […] le point de départ est une conception totalement pervertie (verkehrten) et abstraite de la vérité elle-même25.

Marx s’emploie alors à localiser le problème de la religion ; dans la mesure où « la religion est le fondement de l’État »26, la critique de l’État prend la forme d’une critique de son fondement : la religion. Pour cela, Marx distingue les « principes généraux de la religion27 » en tant qu’ « essence» (Wesen) de leur « manifestation (Erscheinung) » en tant que détermination particulière et concrète. Le christianisme, comme religion positive, serait une des « manifestations » de la religion en général. Marx n’attaque pas la religion chrétienne en général, il attaque la Chrétienté comme confusion entre l’État policier et la religion chrétienne :

La confusion du principe politique et du principe religieux-chrétien est en effet devenu une doctrine officielle […]. Mais vous voulez un Etat chrétien […] vous voulez fonder l’État sur la foi, la religion […] vous entendez par religion le culte de votre propre pouvoir absolu et votre sagesse de gouvernement28.

Et Marx commente, en accord avec la tradition chrétienne prophétique, la tradition critique de libération :

N’était-ce pas le christianisme qui, le premier, a séparé l’église et l’État ? Lisez De Civitate Dei de Saint-Augustin, étudiez les Pères de l’Eglise et l’esprit du christianisme, et après revenez et dites-nous ce qu’est « l’État chrétien »29.

Marx critique ici sévèrement la Chrétienté, depuis « l’État théocratique juif » – associé aux prophètes d’Israël – jusqu’à « l’État byzantin », aux origines de la Chrétienté, critiquée au même moment par Kierkegaard au Danemark. Mais une rapide transition se produit vers un thème encore plus important pour Marx : de l’État à l’argent.

Ou peut-être que, lorsque vous dites devoir rendre à César ce qui appartient à César ou à Dieu ce qui appartient à Dieu, ne considérez-vous pas comme roi ou empereur de ce monde, non seulement Mammon de l’argent30 mais aussi […] la libre pensée31 ?

Avec Moloch apparaît maintenant l’autre nom de l’idole : Mammon, nommé pour la première fois. Marx adopte la position des prophètes d’Israël et ce explicitement, puisqu’il se compare à eux comme journaliste, se présentant comme un « mammouth pour la Judée et une larve de termite pour Israël » – se référant au texte Osée 5:12, en changeant Ephraïm par Judée et Judée par Israël (on pourrait croire que Marx cite de mémoire et se trompe).

La province a le droit de créer ces dieux, mais une fois qu’elle les a crée, elle doit oublier, comme l’adorateur de fétiches, qu’il s’agit de dieux faits de ses propres mains32.

C’est la première fois qu’il mentionne le sujet et il ne l’abandonnera plus jusqu’à la fin de ses jours. Si Moloch est celui à qui les vies sont offertes en sacrifice, Mammon est l’argent, et le Fétiche est l’œuvre et le produit des mains de l’homme lui-même, visant en lui son propre pouvoir :

L’imagination émergeant du désir trompe l’adorateur du fétiche en lui faisant croire qu’un « objet intime » délaissera son caractère naturel pour se conformer à ses désirs33.

Des nombreux textes de la Bible que Marx a dû connaître sur le sujet, il ne pouvait manquer de s’inspirer du Psaume 115, qui profère une défense d’Israël contre des fétiches étrangers :

Leurs idoles sont l’argent et l’or, le travail des mains de l’homme, elles ont des bouches mais ne parlent pas, des yeux mais ne voient pas, des oreilles mais n’entendent pas34.

Le sujet prend tout son sens dans le magnifique article consacré aux « Débats sur la loi relative au vol de bois », où Marx établit une analogie entre le bois de chauffage, propriété privée des puissances, et le sacrifice des paysans :

[…] subsiste pour quelques jeunes arbres la possibilité de mauvais traitements, ce qui se passe de commentaire ! Les idoles de bois l’emportent et l’on immole les victimes humaines35 !

Marx ne pouvait pas éviter de penser au texte de Ésaïe 44:15 :

Cela sert de bois de chauffage aux gens; ils les prennent pour se chauffer et aussi pour allumer le feu pour cuire du pain ; mais lui en fait un dieu et le vénère, il sculpte une image et se prosterne devant elle.

Charles De Brosses suggère le thème du fétiche – du portugais fetiço : fait par les mains de l’homme – dans Du culte des dieux fétiches (edit. de Berlin, 1785)36. Marx en conservera le mot dans son discours théorique essentiel postérieur, pour rendre adéquat le concept de fétiche à un double processus : être le fruit du travail de l’homme, objectivation de sa vie et constitution de cette objectivation en une puissance étrangère. Ainsi, Marx est passé d’une critique politique de l’État chrétien à une critique sociale du fétichisme.
1.3 L’origine de la critique anti-fétichiste de l’économie politique (Octobre 1843-1844)

Il semblerait que Marx ait écrit l’Introduction à la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel et au moins la première partie de Sur la Question juive à Kreuznach, juste avant de s’exiler à Paris. Ce sont des travaux présocialistes (pré-communistes) qui appartiennent à la période démocrate radicale de Marx – un point essentiel à prendre en compte puisque le socialisme n’est pas encore son cadre de référence, de sorte que s’y exprime une position bourgeoise réformiste en matière de religion.
C’est ainsi que Marx écrit de Kreuznach à Arnold Ruge que « le communisme est une abstraction dogmatique » et « la religion, d’une part, la politique, d’autre part, sont des objets qui constituent le principal intérêt de l’Allemagne actuelle37 ».

Les thèmes de l’Introduction, peut-être les plus utilisés en matière de religion par les marxistes postérieurs (étant des textes présocialistes) continuent d’être politiques (à l’exception de la dernière page qui correspondrait à la période parisienne) :

En ce qui concerne l’Allemagne, la critique de la religion est pour l’essentiel terminée, et la critique de la religion est la présupposition (Voraussetzung) de toute critique. […] Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion […] conscience inversée du monde […]. La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. […] Elle est l’opium du peuple. […]. La critique de la théologie [se transforme] en critique de la politique 38.

Évidemment, Feuerbach était derrière plus d’une de ces expressions :

La critique de la religion aboutit à cet enseignement que l’homme est pour l’homme l’être suprême 39.

S’il est entendu que toute cette critique est érigée contre la religion telle que la conçoit Hegel, contre la religion de domination, la Chrétienté, le croyant chrétien critique ou de libération n’aura rien à y objecter ; mieux, il sera fondamentalement d’accord avec les formulations explicites de Marx.

Dans Sur la Question juive, le thème continue d’être celui de « l’État chrétien40 » mais l’exigence d’« abolition de la religion en général41 » à la fois du christianisme et du judaïsme comme manifestations concrètes de l’essence abstraite, nous permettra d’initier une distinction de différents plans – que nous traiterons plus précisément dans la seconde partie théorique systématique de cet essai.

Différentes niveaux de l’essence et ses manifestations,

abstrait et concret, profond et superficiel

Niveau I Essence abstraite générale de la religion (implicite chez Marx)
Niveau II (essences concrètes ou manifestations fondamentales)

A. Essences de la religion en tant que libération (implicite chez Marx)

B. Essence de la religion comme domination (Chrétienté, fétichisme)

Niveau III (manifestations concrètes ou fondées)

A.1 Plan profond

A.2 Plan superficiel

B.1 Plan profond

B.2 Plan superficiel

Quand Marx fait référence à « l’abolition de la religion en général », dans le concret – compte tenu de la critique feuerbachienne de Hegel et de la critique anti-hégélienne du christianisme ou du judaïsme – il traite d’une religion dans son essence générale « comme domination », comme justification de l’État. Marx se situe toujours au niveau II.B du schéma ci-dessus, mais ne voit pas (même si, comme nous le verrons, certaines indications positives prouvent le contraire) et, partant, ne refuse ni l’essence absolument abstraite de la religion (niveau I) (en tant que relation abstraite de la personne humaine à l’absolu, quel qu’il soit) ni sa possible manifestation concrète : l’essence générale de la religion comme libération (niveau II.A.). Nous aborderons ce sujet plus tard. Contentons-nous d’indiquer ici que l’abolition de la religion dans Sur la Question juive est l’abolition d’une détermination, d’une essence générale concrète, d’un phénomène que l’on exposera plus tard en tant que religion à son niveau essentiel plus abstrait encore. Marx fait ainsi sa première déclaration d’athéisme : la négation du dieu d’une telle religion de domination, puisque dans le cas d’une telle religion (de même que dans l’État athée), l’homme « ne se reconnaît lui-même que par un détour, que par un moyen42. » La proclamation « d’athéisme» sans l’affirmation et la réalisation d’une humanité réellement libre, n’est pas suffisante. Suffisant est « l’État politique achevé », qui, par son essence, est « la vie générique de l’homme43 », – position par laquelle Marx fait toujours preuve d’un certain hégélianisme, certes critique, car marqué par Bauer et Feuerbach, mais n’en partageant pas moins les limites.

Arrivé à Paris en Octobre, il noue des liens avec la classe ouvrière industrielle ; la lecture de l’article d’Engels, Esquisse d’une critique de l’économie politique 44 provoque une véritable rupture – le mot est ici de Marx et non d’Althusser – fin 1843 et début 1844 :

Nous tentons de rompre (zu brechen) avec la formulation théologique du problème. La question de l’aptitude du juif à l’émancipation se transforme pour nous en la question de savoir quel est l’élément social particulier à dépasser pour abolir le judaïsme45.

Très vite, Marx opère un renversement complet : d’une critique théologique bauerienne de la religion positive en faveur de l’État comme expression de l’homme générique conçue de manière feuerbachienne, il passe à une critique économique de la religion pratique fétichiste en faveur du prolétariat :

Ne cherchons pas le secret du juif dans sa religion, mais cherchons le secret de la religion dans le juif réel. […] Quel est le culte profane du juif ? L’agiotage. Quel est son dieu profane ? L’argent 46.

Contrairement à ce qui est dit dans la première partie de Sur la question juive, il n’est plus ici nécessaire d’abolir la religion pour instituer un État libre ; il est dorénavant nécessaire d’« abolir l’essence empirique47 » de la religion pour dépasser le judaïsme comme religion de domination. Et cela parce que :

L’argent est l’essence aliénée du travail et de l’existence de l’homme, et cette essence étrangère le domine, et il lui adresse ses prières48.

S’annonce ici la catégorie de « fétichisme » dans son sens économique définitif, quoique non développé. Marx est ici soutenu par, et, partant, situé dans, la tradition de Thomas Münzer mais aussi de Luther, dont il reconnaîtra la perspicacité sur la question de l’argent, du prêt à intérêt, etc.

Paradoxalement, Marx rend « religieuse » l’économie politique qu’il vient de découvrir et qu’il critique avec des catégories intrinsèquement religieuses (« l’argent est le Dieu jaloux d’Israël »).

Et par conséquent, il ne s’agit plus de la question de l’État libre (selon la position petite-bourgeoise radicale de la première partie de Sur la Question juive), mais d’articuler ce que peut réellement être « la réappropriation totale de l’homme : le prolétariat», conformément à la dernière page, probablement ajoutée à Paris, de l’Introduction à la critique de la philosophie du droit de Hegel à Paris49. L’extrait précédemment cité de Sur la Question juive est un bon résumé anticipé et explicite du thème central des cahiers parisiens du jeune Marx, et notamment des Manuscrits économico-philosophiques de 1844. Le fétichisme sera l’essence aliénée de l’homme :

Ce n’est plus la domination de la personne sur la personne, c’est désormais la domination universelle de l’objet sur la personne50.

[…]

C’est sous la forme de l’échange et du commerce que l’économie politique conçoit la communauté des hommes ou leur humanité en acte, leur intégration réciproque pour une existence dans la solidarité, pour une vie vraiment humaine51.

[…]

Mon travail serait une expression vitale libre, une jouissance de la vie. Sous la condition de la propriété privée, le travail est aliénation de la vie […]. Mon travail n’est pas ma vie52.

Dès ses premières études économiques, Marx découvre l’essence aliénée du travail comme mort du travailleur et production par ses propres mains de son opposé, son ennemi, le fétiche :

Le capital mort (tote) marche toujours du même pas et demeure indifférent à l’égard de l’activité individuelle réelle. […]Le travailleur souffre dans son existence, tandis que le capitaliste souffre dans le profit de son Mammon mort (toten Mammons)53.

[…]

La hausse du salaire du travail excite chez le travailleur la soif d’enrichissement propre au capitaliste, qu’il ne peut cependant satisfaire qu’un prix du sacrifice (Aufopferung) de son esprit et de son corps54.

[…]

L’objet que le travail produit, son produit vient lui faire face comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s’est fixé dans un objet, qui s’est fait chose55.

Marx résume cela de la manière suivante :

Relativement au travailleur qui s’approprie la nature par le travail, l’appropriation apparaît comme aliénation, l’autoactivité comme activité pour un autre et comme activité d’un autre, la vitalité comme sacrifice (Aufopferung) de la vie, la production de l’objet comme perte de l’objet au profit d’une puissance étrangère56.

Dans la perspective d’une religion de domination, la doctrine de la création est une réaffirmation de cette perte, de cette dépendance, de sorte que Marx la rejette ici57. La négation d’un tel « dieu » est la question de l’athéisme :

L’athéisme, comme négation de cette inessentialité, n’a plus de sens, car l’athéisme est une négation de dieu et il pose, par l’intermédiaire de cette négation, l’existence de l’homme ; mais le socialisme en tant que socialisme n’a plus besoin d’une telle médiation ; […] il est la conscience de soi positive de l’homme qui n’est plus médiatisée par la suppression de la religion58.

C’est la position définitive de Marx sur la question, qui n’acceptera dorénavant plus l’athéisme militant –, ce sur quoi Bakounine l’attaquera en son temps :

Le communisme est la figure nécessaire et le principe énergétique du futur proche, mais le communisme n’est pas en tant que tel le but du développement humain, – la figure de la société humaine59.

Le communisme comme horizon requis par une situation fétichisée est une limite, un horizon contrefactuel, un concept utopique ; ce n’est pas un moment de l’histoire. Contre cette utopie, se lève le fétiche Mammon, l’argent :

L’argent est le lien qui me relie à la vie humaine, qui me lie la société […] Il est la divinité visible […] Il est la putain universelle […] la force divine de l’argent gît dans son essence en tant qu’essence générique de l’homme aliénée […] Il est le pouvoir de l’humanité aliénée60.

Or, tout cela, l’économie politique « ne nous l’explique pas61. » Au demeurant, la religion apparaît dans les Manuscrits de 44 dans son essence négative, comme fétichisme et il faudra attendre les Grundrisse et Le Capital pour que soit étudié le « développement » du concept de religion, sous la forme d’une critique religieuse du fétichisme, du capital, de l’économie politique.

1.4 Critique matérialiste de l’idéalisme religieux (1844-1846)

Eu égard à l’étape définitive de la pensée de Marx sur la religion, cet argent qui se transforme plus tard en fondement théorique de la religion comme idéologie n’a pas beaucoup d’importance. Il s’agit en réalité d’une autocritique de la période bauerienne de Marx. La religion de domination, de la Chrétienté prussienne ou de la théologie bauerienne, pose un faux problème. Le problème réel est le fétichisme (parce que c’est une religion pratico-effective, moment fondateur du capitalisme) ou la praxis opérée dans le monde matériel (des produits, des nécessités de la vie humaine). Depuis cet horizon nous trouvons, cependant, quelques éléments utiles :

Pour pouvoir métamorphoser l’amour en un « Moloch », en un diable de chair et d’os, M. Edgar commence par en faire un dieu. Devenu dieu, c’est-à-dire objet de théologie, il relève naturellement de la Critique de la théologie, et tout le monde sait d’ailleurs qu’il n’y a pas loin de dieu au diable62.

Il est également intéressant de considérer, pour nos objectifs, l’attaque que lance Marx contre le « matérialisme naïf », matérialisme qui qui s’imposera durant la période stalinienne, à partir de 1930 :

Le travailleur ne peut rien engendrer sans la nature, sans le monde extérieur sensible. Ce dernier est le matériau à même lequel son travail se réalise, dans lequel son travail est actif, à partir duquel et au moyen duquel il produit63.

Cette matière a un sens productif (objet de travail) et ne s’oppose pas à une conscience contemplative (comme chez Politzer ou Konstantinov) :

Le principal défaut de tout matérialisme jusqu’ici […] est que l’objet extérieur, la réalité, le sensible ne sont saisis que sous la forme d’objet ou d’intuition, mais non en tant qu’activité humaine sensible, en tant que pratique, de façon subjective64.

Aujourd’hui encore, de nombreux marxistes demandent : qu’est-ce qui vient en premier, la « conscience» ou la « matière» ? Ainsi posée, la relation entre les deux termes relève de la connaissance et est d’ordre contemplatif et passif. Elle appartient donc à un matérialisme naïf et non « subjectif ». Dans ce dernier cas, la matière peut être constituée comme « matière» par le sujet laborieux (actif ou producteur) ou par la pratique (révolutionnaire ou historique). Rien n’est plus éloigné de Marx que le matérialisme cosmologique ou naïf-contemplatif qui fait de la subjectivité quelque chose d’absolument déterminé :

La doctrine matérialiste de la transformation des circonstances et de l’éducation oublie qu’il faut les hommes pour transformer les circonstances et que l’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué65.

C’est la personne qui change les circonstances en dernière instance. C’est pour cela que Marx n’est pas intéressé par le « matérialisme naïf » :

Au demeurant, cette nature qui précède l’histoire des hommes n’est pas du tout la nature dans laquelle vit Feuerbach ; cette nature, de nos jours, n’existe plus nulle part, sauf peut-être dans quelques atolls australiens de formation récente, et elle n’existe donc pas non plus pour Feuerbach66.

Marx ne pense pas la matière à la manière des positivistes du XIXe siècle – lesquels exerceront une influence décisive sur Lénine – mais la matière de la production, la nature relativement à la « production de la vie » : « le premier fait historique est […] la production de la vie matérielle elle-même et c’est même là un fait historique, la condition fondamentale de toute histoire67 » et donc de toute religion. La religion de domination justifiera la domination ; mais une religion de libération justifiera la libération, dans un sens strictement historico-matérialiste, question que Marx ne pouvait envisager.
Il ne saurait être question d’opposer une « matière inerte » cosmologique à « la conscience », car s’il est vrai que « la vie détermine la conscience », il ne faut pas oublier que cette vie est celle de « l’individu réel vivant et qui considère cette conscience uniquement comme sa conscience »68.

1.5 Critique du socialisme chrétien comme utopie (1846-1849)

Après l’autocritique de sa période bauerienne, Marx amorce une phase franchement politique et, philosophiquement, pas encore anti-idéaliste. Il ne considère alors pas la religion comme une idéologie de domination, mais comme un fondement possible des déviations de la politique révolutionnaire.

Au cours de ces années, Marx aborde trois fois, et toujours dans le même esprit, la question de la religion :

Il est évident que le bavardage de Krieg sur l’amour et son refus de l’égoïsme ne sont rien de plus que les révélations enflées d’un esprit totalement noyé dans la religion [qui] cherche à imposer toutes les infamies sous l’emblème du communisme […].Au nom de cette religion d’amour, on exige que soient nourris ceux qui ont faim, désaltérés ceux qui ont soifs, vêtus ceux qui n’ont pas d’habit. Une revendication qui a été réitérée ad nauseam depuis environ 1800 ans, sans le moindre succès69.

Marx se soulève violemment contre la religion de la résignation (résignation si critiquée aujourd’hui par la religion de libération) :

Une telle doctrine qui prêche la joie de la servilité et le mépris de soi peut convenir aux moines vaillants, mais d’aucune manière à l’homme d’action et encore moins en temps de lutte70.

Comme le fondateur du christianisme, Marx exige la justice immédiate, la satisfaction des revendications des pauvres dans l’ici-bas et non dans un au-delà qui mystifie l’histoire. Pour le fondateur du christianisme, le Royaume de Dieu est en toi, ici et maintenant, et doit être construit sans délai.

De la même manière – et avec les mêmes mots – Marx rejette le clientélisme des chrétiens qui se souviennent subitement qu’il y a un problème social et se réunissent le plus souvent en organisations réformistes anti-révolutionnaires qui s’inspirent des « principes sociaux du christianisme ». Cependant, ce sujet doit être traité avec attention, car le l’évangile social était un mouvement social qui a beaucoup à apprendre au « socialisme chrétien » du XXe siècle :

Les principes sociaux du christianisme justifient l’esclavage […] glorifient le servage […] et sont capables de défendre l’oppression du prolétariat […] situent dans le paradis la compensation de toutes les infamies […] justifient tous les actes vils des oppresseurs contre les opprimés au nom du péché originel et d’autres péchés71.

S’exprime ici une critique précise – et totalement pertinente dans la perspective d’un christianisme de la libération – de la « religion de résignation », de domination et fétichiste. Dans la troisième partie du Manifeste du parti communiste, Marx synthétise ses critiques à l’endroit de l’opportunisme réformiste de certains socialistes chrétiens de l’époque, lesquels sont aux yeux de Marx extrêmement dangereux :

De la même manière que le curé et le seigneur féodal ont toujours marché main dans la main, le socialisme clérical marche unit avec le socialisme féodal. Le socialisme chrétien est l’eau bénite avec laquelle les prêtres consacrent le dépit de l’aristocratie […] Par conséquent, ils rejettent toute action politique et en particulier toute action révolutionnaire ; ils espèrent atteindre leurs fins par des moyens pacifiques, essayant d’ouvrir le chemin d’un nouvel évangile social par la force de l’exemple, par de petites expériences, d’avance vouées à l’échec72.

Il ne faudra pas oublier – dans son aspect positif – que Marx, d’autre part, eut également une grande appréciation pour le christianisme primitif où se trouve la « porte ouverte» à la compréhension contemporaine, dans le Tiers-monde, d’une religion de libération. Dans tous les cas, les critiques de Marx sont extrêmement utiles et vont en faveur d’une religion de libération (qu’elle soit chrétienne, musulmane, hindoue ou bouddhiste).

1.6 Transition théorico-créative (1849-1856)

Les années de luttes, de difficultés familiales et politiques que connut Marx lors de son exil londonien ne nous ont pas laissé d’avancées théoriques importantes, mais, d’un autre côté, ce fut une période d’incubation – dont les « Cahiers londoniens » de 1851-1853 portent le témoignage partiel. En 1842 à Brunswick, G.F. Daumer publie son œuvre sur Le culte du feu et du Moloch chez les anciens Hébreux. Examinant son œuvre La religion de l’ère nouvelle (Hambourg, 1850), Marx le critique sévèrement pour ne pas avoir su comment « dégager le processus pratique » qui conditionne la religion, concluant ironiquement :

M. Daumer ne sait pas quelles luttes des classes inférieures contre les classes supérieures furent nécessaires, même pour produire un degré de culture à la Nuremberg et pour rendre possible la naissance d’un combattant contre Moloch à la Daumer73.

Daumer produit donc le type d’œuvres religieuses qui en restent au niveau idéologique et ne savent pas étudier le niveau pratico-matériel de la production de la vie sociale humaine et historique dans sa réalité concrète. En outre, Marx critique l’usage populiste de la religion. Dans La lutte des classes en France (1848-1850), il indique :

Bonaparte n’avait plus besoin du Pape pour devenir le président des paysans mais il devait garder le Pape pour conserver les paysans du président. La crédulité des paysans l’avait élevé à la présidence. Avec la foi ils perdaient la crédulité et avec le Pape ils perdaient la foi. Il devait restaurer le pouvoir qui sanctifie les rois […] Le parti de l’ordre proclamait […] la conversation des conditions de vie de sa domination, de la propriété, de la famille, de la religion, de l’ordre74.

Le « bonapartisme » était un nouveau projet d’État chrétien, une nouvelle chrétienté au service du populisme – si connu aujourd’hui en Amérique latine et en Inde, où il prend la forme d’une revendication d’un État hindou et de la manipulation intelligente du « communautarisme » ou de la lutte inter-religieuse. La religion apparaît maintenant comme une idéologie de domination de classe, aspect qui n’avait pas été indiqué précédemment :

Dans son programme électoral, le parti de l’ordre proclama directement la domination de la classe bourgeoise, c’est-à-dire le maintien des conditions d’existence de sa domination, de la propriété, de la famille, de la religion, de l’ordre! Il présentait naturellement sa domination de classe et les conditions de sa domination de classe comme la domination de la civilisation et comme les conditions nécessaires de la production matérielle, ainsi que des rapports sociaux qui en découlent75.

C’est à cette époque qu’Engels – que, méthodiquement, nous n’avons pas inclus dans ce travail – écrit La Guerre des paysans en Allemagne (1850), où nous pouvons lire :

Avec sa traduction de la Bible, Luther avait donné au mouvement plébéien une arme puissante. Dans la Bible, il avait opposé au christianisme féodalisé de l’époque l’humble christianisme des premiers siècles ; […] Les paysans avaient utilisé cet outil en tous sens contre les princes, la noblesse et le clergé [comme aujourd’hui au Nicaragua, au Salvador et en Amérique latine en général]. Maintenant, Luther le retournait contre eux et tirait de la Bible un véritable hymne aux autorités établies par Dieu, tel que n’en composa jamais aucun lèche-bottes de la monarchie absolue76.

C’est un parfait exemple du contenu du « concept » de religion, dont nous « développerons » théoriquement plus tard la riche contradiction dialectique interne. Pour Münzer, explique Engels :

Le ciel n’est pas quelque chose de l’au-delà, c’est dans cette vie même qu’il faut le chercher ; et la vocation des croyants est précisément d’établir ce ciel, le royaume de Dieu, sur la terre77.

Un christianisme de libération affirme exactement la même chose – ajoutant que le royaume commence maintenant mais qu’il ne saurait être totalement réalisé dans l’histoire.

Dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852-1854) et Sur la révolution espagnole, Marx revient sur quelques idées déjà exposées dans La lutte des classes en France. Dans Le mouvement anticlérical. Une manifestation à Hyde Park (1855), nous lisons que « telle est l’oligarchie anglaise ; telle est l’église, sa sœur jumelle78 ».
De cette période d’étude silencieuse au British Museum, on peut retenir que le concept de religion est développé en rapport avec la lutte de classes, une question fondamentale que nous devrons prendre en compte dans la seconde partie de ce travail.

1.7 La religion dans les premiers écrits théoriques définitifs (1857-1864)

Il semble qu’il ne soit guère question de religion que dans les écrits allant des Grundrisse (1857-1858) aux Manuscrits de 63-65 en passant par la Contribution à la critique de l’économie politique (1859) et les Manuscrits de 61-63. Néanmoins, c’est pendant cette période que le discours scientifique de Marx se développe pour la première fois sous la forme spécifique d’une critique de l’économie politique, de sorte que c’est aussi pour la première fois que la question de la religion comme critique anti-fétichiste du capital commence à prendre sa forme définitive.

Dans les Grundrisse, les références à notre sujet sont nombreuses ; il suffit de signaler la place théorique que la religion occupe dorénavant dans le discours sur le « capital en général » :

La religion chrétienne n’a été capable d’aider à comprendre objectivement les mythologies antérieures qu’après avoir achevé jusqu’à un certain degré, pour ainsi dire virtuellement, sa propre critique79. […] s’accroît le pouvoir de l’argent, c’est-à-dire que le rapport d’échange se fixe en tant que tant que pouvoir extérieur aux producteurs et indépendant d’eux. Ce qui, à l’origine, apparaissait comme un moyen de favoriser la production se mue en rapport étranger au producteur80.

Comme l’on pouvait s’y attendre, la question du fétichisme commence ici avec celle de l’argent. Marx en développe explicitement le concept :

Dans la valeur d’échange, la relation sociale des personnes est transformée en un comportement social des choses ; le pouvoir de la personne s’est transformée en pouvoir des choses. […] Chaque individu possède le pouvoir social sous la forme d’une chose81.

Ici Marx parle de trois niveaux : le niveau primitif de dépendance personnelle communautaire ; le niveau capitaliste « d’indépendance personnelle fondée sur une dépendance objective (sachliche) » (fétichisme) ; et troisièmement, le niveau de « l’individualité fondée sur le développement universel des individus et la subordination de leur productivité collective sociale82 ». Nous voyons donc que pour Marx la question du fétichisme doit être expliquée dès le début – ici dès l’étude de l’argent, dans le Capital dès celle de la marchandise et dans l’horizon de l’utopie comme cadre de référence nécessaire à la compréhension.

Marx identifie alors les mécanismes idéologiques qui accompagnent ces rapports objectifs de dépendance :

Du point de vue idéologique, […] cette domination des rapports […] apparaît comme une domination des idées, et […] la croyance en l’éternité de ces idées, c.-à-d. de ces rapports objectifs de dépendance, est, évidemment, consolidée, nourrie, inculquée de toutes les façons possibles par les classes dominantes83.

Peu après, s’appuyant sans doute sur ses cahiers parisiens de 1844, Marx revient sur le thème du fétichisme :

L’argent [est] le bourreau de toute chose, le Moloch à qui il faut tout sacrifier. […] L’argent apparaît effectivement comme le Moloch à qui l’on sacrifie la richesse réelle84.

Ces lignes peuvent être lues comme l’application de la question du fétichisme à l’argent, et non à la marchandise, parce que dans les Grundrisse la question du fétichisme n’a pas encore révélé l’ordre définitif des catégories :

[L’argent] quitte le rôle de valet qui est le sien quand il n’est que moyen de circulation, pour devenir soudain le souverain et le Dieu du monde des marchandises. Il représente l’existence céleste des marchandises85.

Quelques pages plus loin, Marx copie les textes de l’Apocalypse 17:13 et 13:1786 où la Bête, l’Antéchrist marque son peuple sur le front (comme les esclaves dans l’empire romain). Marx évoque fréquemment ce geste de la bête, Satan, qui « marque » ses victimes. Même l’argent possède ce signe ou marque :

L’or [est] donc indépréciable nominalement […] parce qu’ [il] exprime sa propre déterminité quantitative, porte inscrit sur le front un quantum déterminé de sa propre matière87.

C’est un fait connu que pour les hébreux, toute image était idolâtre parce qu’afin de ne pas sombrer dans le totémisme, l’idolâtrie ou le fétichisme, il leur était interdit de représenter quelle que chose que ce soit (légume, animal ou personne). Par conséquent, Jésus demande une pièce frappée de l’image de César – car porter une figure humaine est un signe d’idolâtrie : « Montrez-moi un denier; de qui a-t-il l’image et l’inscription ? ils lui répondirent : de César. Et il leur dit : rendez donc à César les choses qui sont à César ; et à Dieu les choses qui sont à Dieu. » (Luc 20:24-25) – non pas qu’il approuvât leur paiement du tribut, mais pour les inciter à se libérer de cet objet idolâtre. L’argent, comme l’esclave, porte « sur son front » le signe de son seigneur : ils lui sont soumis. La Bête est le capital, le pouvoir autonome qui s’affirme comme sujet.

Le capital apparaît par conséquent comme sujet de plus en plus dominant et comme propriétaire du travail d’autrui ; son rapport est donc un rapport d’une contradiction aussi parfaite que celle du rapport du travail salarié88.

Dans la Contribution à la critique de l’économie politique (1859), nous pouvons voir que le thème du fétichisme intervient très vite dans le chapitre 1, dans le but d’expliquer le « caractère social » (dans son sens négatif) du travail individuel sous le capitalisme :

Ce qui, enfin, caractérise le travail qui pose de la valeur c’est que la relation sociale entre personnes se présente pour ainsi dire de manière inversée, puisqu’elle se présente comme un rapport social entre choses. […] S’il est donc exact de dire que la valeur d’échange est un rapport entre personnes, il faut cependant ajouter : un rapport caché sous une enveloppe chosale89.

Dans les pages dont est issu cet extrait, le fétichisme apparaît sous des expressions telles que « mystification » ou « illusions ». Il se situe déjà à sa place « systématique » définitive : la marchandise.

Dans le chapitre II sur l’argent, le thème apparaît de nouveau mais, là encore, sans être explicitement nommé :

Les possesseurs de marchandises ont fait leur entrée dans le procès de circulation en tant que simples gardiens de marchandises. À l’intérieur de ce processus, ils se dressent face à face sous les formes opposées d’acheteur et de vendeur, qui pain de sucre personnifié, qui or personnifié. […] Ils sont la présentation nécessaire de l’individualité sur la base fondamentale d’un stade déterminé du procès social de production90.

C’est ici la monnaie qui se trouve fétichisée conformément au degré de développement – le second niveau des Grundrisse – isolé mais socialisé dans la relation abstraite mercantile du capitalisme. C’est donc la deuxième place systématique : après le fétichisme de la marchandise vient celui de l’argent.

Si l’on se tourne maintenant vers le chapitre III des Manuscrits de 1861-1863 (dont les chapitres I et II constituent la Contribution), il convient d’insister particulièrement sur deux passages importants, dans lesquels Marx donne sans doute pour la première fois un nom au type de rapport inversé caractéristique du système capitaliste :

La forme du revenu et les sources de celui-ci expriment les rapports de la production capitaliste sous la forme la plus fétichisée. C’est leur existence, telle qu’elle apparaît à la surface, séparée de toutes leurs connexions cachées et des chaînons intermédiaires qui en constituent les médiations. C’est ainsi qu’on fait de la terre la source de la rente foncière, du capital la source du profit et du travail, la source du salaire. La forme faussée sous laquelle s’exprime ce renversement réel est reproduite naturellement dans les représentations des agents du mode de production. C’est là un mode de fiction dépourvu d’imagination, une religion du vulgaire. […] Cependant, de toutes ces formes, c’est le capital porteur d’intérêt qui est le fétiche le plus parfait. […] La terre ou la nature en tant que source de la rente foncière, c’est-à-dire de la propriété foncière, voilà qui a déjà un caractère suffisamment fétichiste. […] Dans le capital porteur d’intérêt, ce fétichisme automatique est parachevé91.

Avec ces quelques pages – peut-être les plus importantes sur le sujet, puisqu’il y est question du capital total, du procès de production et de circulation, du capital industriel et commercial ainsi que du taux d’intérêt comme formes fétichisées – le « fétichisme » reçoit un développement théorique suffisant. Citons un autre passage sans plus de commentaires :

Le capital en tant que « compound interest » bearing [rapportant des « intérêts composés »] constitue la réification, l’inversion jusqu’à l’absurdité la plus totale du capital porteur d’intérêts […] il apparaît comme le Moloch qui exige qu’on lui sacrifie le monde entier […]92. Ainsi, c’est l’intérêt […] qui apparaît comme la création de valeur de valeur […]. Dans cette forme, toute médiation est effacée. La forme fétichisée du capital est achevée tout comme l’est l’idée du capital-fétiche 93.

C’est le chapitre 24 du Livre III du Capital qui est ici anticipé. Mais, à poursuivre la lecture, on a la surprise de découvrir que le concept de fétichisme est appliqué au niveau productif :

Étant donné que, par l’échange entre le capital et le travailleur, le travail vivant est incorporé au capital et apparaît comme une activité qui lui appartient […] toutes les forces productives du travail social se présentent comme forces productives du capital […]. Comme figures ainsi autonomisées, [les conditions de travail matérielles] sont personnifiées, face au travail vivant, dans le capitaliste. Nous retrouvons là l’inversion du rapport que nous avons déjà rencontrée en étudiant l’argent et désignée par le terme de fétichisme 94.

En d’autres termes, le travailleur lui-même considère le travail objectivé, le travail passé accumulé en capital comme quelque chose d’étranger, comme valeur du capital. En outre, le travailleur se considère lui-même comme du capital, comme une ressource, comme un moment du capital, ayant déjà été vendu : « personnification de la chose et chosification de la personne95 ». Nous reviendrons sur ces questions dans la seconde partie de ce travail, mais l’on peut déjà conclure que c’est durant les années 1861-1863, ainsi qu’en attestent les manuscrits de cette période que nous venons de citer, que Marx s’élève à une vision claire de la « forme fétiche » (qu’il n’appelle pas encore le « caractère fétiche ») de tout capital. Nous étudierons les textes du Capital sur le fétichisme dans la seconde partie.

1.8 Quelques thèmes sur la religion dans la période définitive (1865-)

De nombreux marxistes contemporains feraient bien de prêter attention au fait que Bakounine se soit « violemment attaqué à l’Internationale – que Marx dirigeait – parce qu’elle niait l’athéisme96 ». La position de Marx sur l’athéisme était en effet tout à fait claire. Il l’explicite dans une lettre concernant l’Internationale adressée de Londres à Fredrick Bolte et datée du 23 novembre 1871, alors qu’il avait déjà publié le Livre I du Capital et travaillait sur les manuscrits des Livres II et III. Dans cette lettre, il traite notamment du problème des « sectes » : non seulement l’Internationale n’est-elle pas une secte, mais elle doit en outre se montrer « fort suspicieuse à l’endroit de l’amateurisme, de la superficialité et de la philanthropie bourgeoise de certaines sectes semi-socialistes »97. Marx rappelle à cette occasion à Bolte qu’en 1868, Bakounine avait rejoint l’Internationale dans le but d’y fonder une seconde Internationale sous le nom « d’Alliance de la démocratie socialiste » dont il devait être le chef :

Son programme était un mic-mac superficiellement formé de rafles à droite et à gauche — égalité des classes (!), abolition du droit d’héritage comme point de départ du mouvement social (absurdité saint-simonienne), athéisme imposé comme dogme aux associés, etc. et, comme dogme principal (proudhonien), abstention du mouvement politique 98.

Il attire ainsi l’attention sur le fait que, parmi les « sottises (Blödsinn) » bakouniniennes, on trouve l’« athéisme comme dogme (Atheismus als Dogma) », qu’il identifie à un « conte pour enfant (Kinderfabel) ».

En réalité cette position était déjà pour Marx une conclusion importante au sein de l’Internationale. C’est ainsi que dans Les prétendues scissions dans l’Internationale, un texte écrit entre janvier et février 1872 publié en français à Genève peu de temps après, Marx explique, rappelant le précédant des sociétés ouvrières chrétiennes anglaises (Young mens’ Christian Association) – il est intéressant de noter que les YMCA demandèrent à être membre de l’Internationale – que la « section des athées socialistes » ne sauraient non plus en faire partie, au motif que « l’Internationale ne reconnaît pas de sections théologiques »99.

Il est donc clair que, pour Marx, une « section athée» était une institution théologique qui devait être exclue. Dans un article du 4 août 1878 – cinq ans avant sa mort – consacré à l’histoire de l’Internationale écrite par George Howell, il renvoie en effet à nouveau à l’exemple de Bakounine et de sa « section des athées socialistes » ainsi qu’à celui des YMCA100.

Pour Marx, l’athéisme était une question théologique et ne devait pas être introduite comme facteur de contradiction dans la classe ouvrière. Il y a donc une grande distance entre cette position politique de Marx et la position dogmatique du marxisme ultérieur qui, sur ce point, déforma la claire décision de la première Internationale.

Nous avons cité quelques textes du jeune Marx sur l’athéisme. De tous ces textes, il ressort que l’athéisme n’est pas pour Marx un moment essentiel du socialisme. Dès 1844, il le considère même comme dépassé et, quelques années avant sa mort, il s’y oppose comme à une erreur politique. Que dirait-il aujourd’hui aux populations du Tiers-monde qui, en Asie, en Afrique ou en Amérique latine, font preuve d’une religiosité ancestrale profonde ? Il leur adresserait assurément un discours bien plus politiques que beaucoup de ses disciples soi-disant révolutionnaires.

À de nombreuses occasions et en de multiples endroits de son œuvre, il désigne le capital d’un terme issu du Nouveau Testament :

Il est admirable qu’ils osent une attaque contre la forteresse d’une armée de quarante mille homme […] pendant que les fils de Mammon dansaient, chantaient et festoyaient au milieu du sang et des larmes de la nation humiliée et martyrisée101.

Tandis que le semi-barbare s’accrochait au principe de la morale, le civilisé lui opposait le principe du Mammon102.

[Les] inspecteurs britanniques [des fabriques] ont pris en charge la protection des masses opprimées […] avec une indéfectible énergie et une supériorité spirituelle, qui, en ce temps d’adoration de Mammon, ne trouvent guère de parallèles103.

Je concède volontiers les droits de traduction, sauf pour cette terre de Mammon appelée Angleterre104.

Marx se réfère également au capital sous d’autres noms :

La bourse britannique offerte aux français, les apôtres de la spéculation financière se félicitèrent entre eux et se serrèrent la main, convaincus que le veau d’or avait enfin été élevé au rang de Dieu tout-puissant et qu’Aron était le nouvel autocrate français105.

A peine les valeurs françaises commencèrent-elles à descendre que la foule alla au temple de Baal pour se débarrasser de ses actions et obligations d’État106.

[…] l’industrie anglaise qui, semblable au vampire [une figure utilisée dans Le Capital], ne pouvait vivre que de sang, et du sang des enfants, par-dessus le marché. Jadis, le meurtre d’un enfant était un rite mystérieux de la religion de Moloch, mais on ne le pratiquait qu’en des occasions très solennelles, une fois par an peut-être, et encore Moloch n’avait-il pas de penchant exclusif pour les enfants du pauvre107.

Traduction de l’anglais par Noémie Losada

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  1. Voir mon article « Atheism of the prophets and of Marx » (1970) in Method for a Philosophy of Liberation, Salamanque, Sigueme, 1974, p. 244-245 ; et « Religion as Superstructure and Infrastructure » in Religion, Mexico, Edicol, 1977, p. 15-66. []
  2. Karl Marx, Le Capital, Livre I, trad. J.-P. Lefebvre et alii, Paris, PUF, 1993, p. 99. Dans le texte de Marx, la citation latine provient de la Vulgate. Il l’avait déjà copiée dans les Grundrisse. Voir Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », trad. J-P. Lefebvre et alii, Paris, Éditions sociales, 2011, p. 199. Il convient de souligner que des années plus tard, Engels fait référence au sujet dans Das Buch der Offenbarung (1883) où il écrit que « Cette crise est le grande final entre Dieu et l’Antéchrist, comme d’autres l’ont appelé. Les chapitres décisifs sont les 13 et 17 ». Engels cite alors le même texte que Marx dans Le Capital et commente : « Le christianisme, comme tout grand mouvement révolutionnaire, a été établi par les masses ». Friedrich Engels, « Das Buch der Offenbarung » in Karl Marx, Friedrich Engels, Werke, Band 21, Berlin, Dietz Verlag, 1962, p. 11 et 10. (Désormais cité MEW, suivi du numéro de tome puis du numéro de page). []
  3. Voir mon introduction au Historic Technological Notebook of Marx in London (1851) qui sera publié par l’Université de Puebla ; et dans Philosophy of Production, Bogota, Nueva America, 1984. []
  4. Voir Enrique Dussel, La production théorique de Marx. Un commentaire des « Grundrisse », trad. M. Van der Vennet, Paris, L’Harmattan, 2009. []
  5. Voir mon article « Marx, atheist ? Religion in the young Marx (1835-1849) », in Los universitarios (university students), Mexico, 205, 1982, p. 29-31. []
  6. Karl Marx, « Die Vereinigung der Gläubigen mit Christo nach Joh. 15,1-14, in ihrem Grund und Wesen, in ihrer unbedingten Notwendigkeit und in ihren Wirkungen dargestellt [Abiturientenarbeit – Religionsaufsatz] », MEW, 40, 600. []
  7. Karl Marx, « Betrachtung eines Jünglings bei der Wahl eines Berufes [Abiturientenarbeit – Deutscher Aufsatz] », MEW, 40, 594. []
  8. Ici le mot « se sacrifier » n’est pas utilisé dans son sens subjectif (pour faire pénitence, pour produire de la douleur), mais dans son sens objectif : l’adoration, effectuer un rituel. Opfer : offrir en holocauste. []
  9. Karl Marx, « Betrachtung eines Jünglings bei der Wahl eines Berufes [Abiturientenarbeit – Deutscher Aufsatz] », MEW, 40, 594. []
  10. Karl Marx, « Die Vereinigung der Gläubigen mit Christo nach Joh. 15,1-14, in ihrem Grund und Wesen, in ihrer unbedingten Notwendigkeit und in ihren Wirkungen dargestellt [Abiturientenarbeit – Religionsaufsatz] », MEW, 40, 600. []
  11. Karl Marx, « Betrachtung eines Jünglings bei der Wahl eines Berufes [Abiturientenarbeit – Deutscher Aufsatz] », MEW, 40, 591-594. []
  12. Karl Marx, « Die Vereinigung der Gläubigen mit Christo nach Joh. 15,1-14, in ihrem Grund und Wesen, in ihrer unbedingten Notwendigkeit und in ihren Wirkungen dargestellt [Abiturientenarbeit – Religionsaufsatz] », MEW, 40, 600. []
  13. Sur le concept de « sang » dans l’Ancien Testament, de nombreux dictionnaires bibliques peuvent être consultés dans lesquels la relation est établie entre la vie (nefesh) et le sang (sans sang, les animaux vivants meurent), 2 Samuel 23:17. Voir l’article « haima » dans le Theol-Woert Neue Tastament de Kittel of Behm, Volume 1, pp. 171-176 (le sujet de basar vadama : « chair et sang dans Jérémie 19:54 ; Matthieu 16:17 ; Hébreux 2:14 »). Nous avons abordé le sujet dans Semitic humanism, Buenos Aires, EUDEBA, 1969, p.27. Plus tard Marx écrira : « L’État est dans l’obligation de voir dans l’auteur d’une infraction forestière un homme, un membre vivant dont les veines transportent son propre sang ». Karl Marx, « Débat sur la loi relative au vol de bois » in Daniel Bensaïd, Les dépossédés. Karl Marx, les voleurs de bois et le droit des pauvres, Paris, La Fabrique, 2007, p. 107. Pour l’hébreu et pour le chrétien, le « sang » est la vie. La vie du Christ – dans les examens du lycéen Marx – est communiquée à la communauté (par la suite, dans la question du « fétichisme » Marx met toujours en relation la fétichisation avec le travail comme rapport social, par opposition au travail communautaire). Dans les Grundrisse, il compare la circulation marchande avec la circulation sanguine (Blutzirkulation), voir Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858dits « Grundrisse », op. cit., p. 121. []
  14. Karl Marx, « Die Vereinigung der Gläubigen mit Christo nach Joh. 15,1-14, in ihrem Grund und Wesen, in ihrer unbedingten Notwendigkeit und in ihren Wirkungen dargestellt [Abiturientenarbeit – Religionsaufsatz] », MEW, 40, 598. []
  15. Karl Marx, « Lettre de Marx à son père (1837) » in Œuvres III, Philosophie, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1982, p. 1370. Dans cette lettre, Marx utilise le mot technique hégélien « zur Erscheining eines wesentlich ». La « manifestation » de « l’essence » sera son cadre de référence philosophique définitif (jusqu’à aux derniers manuscrits du Capital en 1878). []
  16. Ibid, p. 1373. Dans Le Capital, Livre I, Chapitre 24, Marx parlera encore des « vieilles idoles de l’Europe ». Karl Marx, Le Capital, Livre I, op. cit., p. 847. []
  17. Karl Marx, « Lettre de Marx à son père (1837) », op. cit., p. 1374. []
  18. Ibid., p. 1373. À souligner, l’expression « le concept », qu’il s’agit de « développer dialectiquement ». []
  19. Karl Marx, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure, trad. J. Ponnier, Bordeaux, éditions Ducros, 1970, p. 286. Dans ce texte sur Moloch, Marx barre les mots suivants : « à qui les hommes sont offerts en holocauste (menschenopfer). » []
  20. On trouve des références à Moloch dans les Grundrisse (voir par exemple, Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », op. cit., p. 159), et fréquemment dans le Capital – comme nous le verrons. Voir dans l’Ancien Testament Lévitique 18:21 : « Tu ne livreras aucun de tes enfants pour le faire passer à Moloch, et tu ne profaneras point le nom de ton Dieu. Je suis l’Éternel. » De même dans Samuel 12:30; Jérémie 32:35; Sophonie 1:5; et dans le Nouveau Testament : Luc 20:2-5; il apparaît sous le nom de 1 Rois 16:31; Osée 2:15; etc. []
  21. Karl Marx, « Agitation gegen Preußen – Ein Fasttag », MEW, 11, 132-133. []
  22. Lettre à Engels du 23 novembre 1850. []
  23. Voir Karl Lowith, Von Hegel to Nietzsche, Kohlhammer, Stuttgart, 1964, p. 350-415.  Sur la chrétienté, voir mon « Introduction » à la General History of the Church in Latin America, Salamanca, Sigueme, I/1, 1983, p.76 et sq. []
  24. Karl Marx, « Bemerkungen über die neueste preußische Zensurinstruktion.Von einem Rheinländer », MEW, 1, 4. On trouve encore des formules proches dans la sous-section du Capital consacrée au fétichisme : « rapports impersonnels entre des personne, et rapports sociaux entre des choses impersonnelles. » Karl Marx, Le Capital, Livre I, op. cit., p. 84. []
  25. Karl Marx, « Bemerkungen über die neueste preußische Zensurinstruktion.Von einem Rheinländer », MEW, 1, 7. []
  26. L’expression apparaît chez Hegel dans Vorlesungen uber die Philosophie der Religion 1, chap. III (Werke, Francfort, Suhrkamp, XVI, 1969, pp. 236-237). Marx la cite dans Karl Marx « L’Éditorial du n° 179 de la “Gazette de Cologne” » in Karl Marx et Friedrich Engels, Sur la religion, textes choisis, traduits et annotés par G. Badia, P. Bange et É. Bottigelli, Paris, Éditions sociales, 1960, p. 35. []
  27. Karl Marx, « Bemerkungen über die neueste preußische Zensurinstruktion.Von einem Rheinländer », MEW, 1, 23 : « die allgemeinen Grundsatze der Religion, auf irh wesen […] Erscheinung der Wesen. » []
  28. Ibid., 11-12. []
  29. Karl Marx « L’Éditorial du n° 179 de la “Gazette de Cologne” », op. cit., p. 45-48. []
  30. À partir du Nouveau Testament (Luc 16:9, 11 & 13 ; Matthieu 6:24) : « Tu ne peux pas servir Dieu et Mammon. » Mammon signifie l’or et l’argent. []
  31. Karl Marx, « Die Verhandlungen des 6. rheinischen Landtags. Von einem Rheinländer. Erster Artikel: Debatten über Preßfreiheit und Publikation der Landständischen Verhandlungen » MEW, I, 40. []
  32. Ibid.,. 42. []
  33. Karl Marx « L’Éditorial du n° 179 de la “Gazette de Cologne” », op. cit., p. 46. []
  34. Cf. Ésaïe 40:18-29 ; 44:9-20; etc.; notamment Exode 32:31 []
  35. Karl Marx, « Débat sur la loi relative au vol de bois », op. cit., p. 94. []
  36. Voir le « cahier de Bonn » (1842) dans Marx-Engels Gesamtausgabe (MEGA 1), I/2, 115. Marx a en outre annoté le texte de Bartolomé de las Casas sur « l’argent comme un fétiche à Cuba », comme on le voit dans Karl Marx, « Débat sur la loi relative au vol de bois », op. cit., p. 119. L’ensemble du « cahier de Bonn » traite de la religion : General Historical Criticism of Religions de C. Meiners où il étudie différents types de sacrifices faits aux dieux ; Moral Treatise of Church Fathers de J. Barbeyrac, Ideas About Artistic Mythologies de C. Bottigor, etc. []
  37. Karl Marx, « Une correspondance de 1843 » in Œuvres, III « Philosophie », op. cit., p. 343 et 344. []
  38. Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction, in Critique du droit politique hégélien, trad. A. Baraquin, Paris, Éditions sociales, 1975, p. 197-198, trad. mod. []
  39. Ibid., p. 205. []
  40. Karl Marx, Sur la question juive, trad. J.-F. Poirier, Paris, La Fabrique, 2006, p. 31. []
  41. Ibid., p. 64. []
  42. Ibid., p. 40. []
  43. Ibid., p. 42, trad. mod. []
  44. Voir Friedrich Engels, Esquisse d’une critique de l’économie politique, trad. K. Papaioannou, Paris, Éditions Allia, 1998 []
  45. Karl Marx, Sur la question juive, op. cit., p. 65-66. []
  46. Ibid., p. 66. []
  47. Ibid., p. 72. []
  48. Ibid., p. 69. []
  49. Cette page, que nous pensons avoir été ajoutée à Paris en 1844, commence avec cette question : « Où réside donc la possibilité positive de l’émancipation allemande ? » Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction, op. cit., p. 211. Marx reviendra à cette « possibilité positive (positiv) » source de la négation de la négation, le moment analectique par excellence, la contradiction totale dans la pauvreté profondément enracinée du prolétariat avant qu’il existe en tant que tel. []
  50. Karl Marx, « notes de lecture » in Œuvres, « Économie », II, trad. M. Rubel et alii, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, p. 28. []
  51. Ibid., p. 23-24. []
  52. Ibid., p. 34. []
  53. Karl Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844, trad. F. Fischbach, Paris, Vrin, 2007, p. 79, trad. mod. []
  54. Ibid., p. 80. []
  55. Ibid., p. 118. []
  56. Ibid., p. 128-129. []
  57. Voir Ibid., p. 155. []
  58. Ibid., p. 155-156. []
  59. Ibid., p. 156. []
  60. Ibid., p. 196, trad. mod. []
  61. Ibid., p. 116. []
  62. Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille, trad. E. Cognot, Paris, Éditions sociales, 1969, p. 29. []
  63. Karl Marx, Manuscrits économico-philosophiques de 1844, op. cit., p. 119. []
  64. Karl Marx, « Thèse sur Feuerbach (I) » in Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, trad. G. Badia et alii, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 1. []
  65. Karl Marx, « Thèse sur Feuerbach (III) » in Ibid., p. 2. []
  66. Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, op. cit., p. 26. []
  67. Ibid., p. 26-27. []
  68. Ibid., p. 21. []
  69. Karl Marx et Friedrich Engels, « Zirkular gegen Kriege », MEW, 4, 12. []
  70. MEW, 4, 15. []
  71. Karl Marx, « Der Kommunismus des „Rheinischen Beobachters » », MEW, 4, 200. []
  72. Karl Marx et Friedrich Engels, Manifeste du parti communiste, Paris, Éditions sociales, 1967, p. 74 et 88-89. []
  73. Karl Marx et Friedrich Engels, « Rezensionen aus der „Neuen Rheinischen Zeitung. Politisch-ökonomische Revue ». Zweites Heft, Februar 1850 », MEW, 7, 200. []
  74. Karl Marx, Les luttes de classe en France (1848-1850), Paris, Éditions sociales, 1968, p. 63. []
  75. Ibid., p. 66. []
  76. Friedrich Engels, La guerre des paysans en Allemagne, trad. E. Bottigelli, Paris, Éditions sociales, 1974, p. 52. []
  77. Ibid., p. 74. Engels cite le texte de Münzer où celui-ci incite à détruire « les prêtres de Baal » (un autre nom hébreu d’idole). Marx, de même, parle de Baal dans une lettre du 11 janvier 1859 : « Et tu ne montreras pas de pitié aux idolâtres (texte de Deutéronome 7:5) pleure Münzer » et cite Engels (ibid., p. 54). Et Engels continue de commenter : « Münzer utilise le seul langage qu’ils (les gens) peuvent comprendre : celui de la prophétie religieuse ». Commentaire important pour l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie actuellement. []
  78. Karl Marx, « Le mouvement anticlérical. Une manifestation à Hyde Park » in Karl Marx et Friedrich Engels, Sr la religion, op. cit., p. 119. []
  79. Karl Marx « Introduction de 1857 » in Manuscrits de 1857-1856 dits « Grundrisse », op. cit., p. 62. []
  80. Karl Marx Manuscrits de 1857-1856 dits « Grundrisse », op. cit., p. 103. []
  81. Ibid., p. 115. Marx a explicité ce thème dans un travail non publié (Das Vollendete Golsystem, 1851, p. 41). À la page 34, il écrit « Tant que le pouvoir de l’argent n’est pas le lien entre les choses et les personnes, les rapports sociaux doivent être organisées sur des bases religieuses, politiques ». []
  82. Ibid., p. 115-116. Voir le même thème dans Ibid., p. 120-121. []
  83. Ibid., p. 123. []
  84. Ibid., p. 159. []
  85. Ibid., p. 182. []
  86. Ibid., p. 199. []
  87. Ibid., p. 90. []
  88. Ibid., p. 432. []
  89. Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, trad. G. Fondu et J. Quetier, Paris, Éditions sociales, 2014, p. 77. []
  90. Ibid., p. 132-133. []
  91. Karl Marx, Théorie sur la plus-value, tome III, trad. G. Badia et alii, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 535-538. []
  92. Ibid., p. 540, trad. mod. []
  93. Ibid., p. 546. []
  94. Karl Marx, Théories sur la plus-value, tome I, trad. G. Badia et alii, Paris, Éditions sociales, 1974, p. 456. []
  95. Ibid., p. 457. []
  96. « Lettre d’Engels à Liebknecht du 15 février 1872 ». []
  97. « Lettre de Marx à Bolte du 23 Novembre 1871 ». []
  98. Ibidem. []
  99. Karl Marx, « Les prétendues scissions dans l’Internationale » in Karl Marx et Friedrich Engels, Textes sur l’organisation, Paris, Spartacus, 1970. []
  100. Voir Karl Marx, « Herrn George Howells Geschichte der Internationalen Arbeiterassoziation », MEW, 19, 144. []
  101. Karl Marx, « Das Attentat auf Franz Joseph », MEW, 8, 527. []
  102. Karl Marx, « L’histoire du commerce de l’opium », in Karl Marx et Friedrich Engels, La Chine, trad. R. Dangeville, Paris, 10/18, p. 235. []
  103. « Lettre du 15 mars 1859 ». []
  104. « Lettre de Marx à Sorge du 19 octobre 1877 ». []
  105. « Lettre du 31 mars 1859 ». []
  106. Karl Marx, « Agitation gegen Preußen – Ein Fasttag », MEW, 11, 132 et sq. []
  107. Karl Marx, « Adresse inaugurale et status de l’Association Internationale des Travailleurs » in Karl Marx, Œuvres, « Économie », I, trad. M. Rubel et alii, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1963, p. 465-466. Les enfants travaillaient dans les fabriques ; ils étaient « subsumés » sous le capital d’une manière très particulière – le taux de survaleur était plus grand que celui obtenu avec des adultes. []
Enrique Dussel