Sorel, les Juifs et l’antisémitisme

Les rapport de Georges Sorel à l’antisémitisme sont complexes et paradoxaux. Théoricien du syndicalisme révolutionnaire et dreyfusard convaincu à l’origine, il évolua progressivement vers un socialisme conservateur aux accents ouvertement antisémites, le plus souvent difficilement identifiable d’un point de vue politique. Dans cet article, l’historien des idées Shlomo Sand se propose de revenir sur le parcours de Sorel, d’en reconstituer la logique contradictoire avec pour ligne directrice ses rapports à la « question juive ». L’occasion surtout de faire retour sur un moment singulier de l’histoire du mouvement ouvrier européen, celui du passage du XIXe siècle au XXe siècle, qui s’impose comme matriciel du point de vue d’un certain nombre de débats.

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Le lecteur contemporain des Réflexions sur la violence, l’ouvrage de Sorel le plus connu, ne manquera pas d’être déconcerté par une étrange réflexion. Le troisième appendice à cet essai, rédigé en 1919, sous le titre « Pour Lénine », comporte, en effet, une remarque anti-juive particulièrement virulente : « Il semble que ce sont des Juifs entrés dans le mouvement révolutionnaire qui soient surtout responsables des ordres terroristes reprochés aux bolcheviks. Cette hypothèse me paraît d’autant plus vraisemblable que l’intervention des Juifs dans la république hongroise des soviets n’a pas été heureuse »1. Une telle condamnation portée à rencontre des Juifs et de l’esprit révolutionnaire, moins inattendue de la part de Marcel Sembat ou de Clemenceau, dans l’atmosphère antibolchévique de la fin de la Première Guerre mondiale2, revêt un aspect d’autant plus pervers chez Sorel que celui-ci ne fait pas mystère: du soutien qu’il porte à la Révolution soviétique.

Dans la préface écrite en 1907 pour ce même ouvrage, Sorel avait pourtant placé la phrase suivante : «… la légende du Juif-Errant est le symbole des plus hautes aspirations de l’humanité condamnée à toujours marcher sans connaître le repos »3, qui, à maints égards, constitue une espèce de concentré de sa philosophie sociale. Toujours dans ce même ouvrage, le chapitre intitulé « La morale des producteurs » comprend une intéressante comparaison entre le rôle dévolu par Sorel à la classe ouvrière moderne et l’action du judaïsme antique face au paganisme oriental : « La rénovation se ferait par une classe qui travaille souterrainement et qui se sépare du monde moderne comme le judaïsme se séparait du monde antique »4. Mis à part l’usage de la formule « banquiers juifs »5, les références aux Juifs dans les Réflexions sur la violence, loin d’apparaître comme hostiles revêtaient le plus souvent un caractère positif (notamment pour ce qui a trait à la morale juive de la famille)6.

L’absence de cohérence et la versatilité passent pour l’une des marques de la pensée sociale et politique de Sorel. Les variations dans l’appréciation portée sur les Juifs, dans les Réflexions, puis dans l’appendice consacré à Lénine sont-elles uniquement imputables aux différences de périodes ? La réponse à cette question n’est ni simple ni unique. Il ne fait guère de doute qu’à partir de 1906, alors qu’il achève la rédaction des Réflexions, Sorel témoigne, notamment dans sa correspondance, à rencontre des Juifs, d’une hostilité croissante, qui atteindra son paroxysme vers les années 1911 et 1912 où il participe à la rédaction de la revue conservatrice L’Indépendance. De plus, l’aspect du « judaïsme » qui fait l’objet d’une appréciation positive dans les Réflexions, n’est pas le même que celui qui est dénigré dans l’appendice.

En 1953 l’historien Edmund Silberner avait, au terme d’une recherche sérieuse et exhaustive, attiré l’attention sur les composantes antisémites relevées chez les penseurs socialistes : de Fourier et Proudhon à Marx et Bakounine ; il avait également signalé, à ce propos, les écrits tardifs de Sorel7. Les biographes de Sorel n’ont guère insisté sur ce phénomène dans la mesure où il n’apparaît que de façon marginale dans ses œuvres maîtresses8. Il n’en demeure pas moins que ces expressions anti-juives reviennent avec une relative constance dans certains articles, et surtout dans sa correspondance. Mais un examen attentif de ses écrits révèle la complexité de sa représentation des Juifs et du judaïsme.

Sorel a fait référence aux Juifs et à l’antisémitisme, dans certains de ses écrits, dès les années 1890. En 1893, il se considère comme un socialiste et se joint à la rédaction de L’Ère nouvelle : la première revue théorique marxiste apparue en France ; puis en 1895, il participe également au Devenir social qui a pris la suite de L’Ère nouvelle. Parallèlement, il collabore activement à une autre revue du « socialisme scientifique » : La Jeunesse socialiste, créée à Toulouse par le jeune Lagardelle. C’est précisément dans les pages de cette revue qu’est paru en 1895, sous la signature «G », un article de Sorel intitulé : « Sémites et cléricaux »9(intercalé entre un essai de Plekhanov et un extrait du Livre III du Capital).

L’article en question ne se réfère guère à Marx mais à Renan, et son contenu peut difficilement être qualifié de « marxiste ». Sorel, à en juger par la conclusion, s’est senti incité à aborder la question de l’antisémitisme à cause de la confusion régnant, selon lui, sur ce sujet, parmi les socialistes. Il convient de rappeler, à ce propos, qu’en 1895 la gauche politique ne s’est pas encore mobilisée en faveur du capitaine Dreyfus condamné quelques mois auparavant. La presse socialiste est parsemée d’allusions anti-juives. A. Régnard avait publié cinq ans plus tôt son livre Aryens et sémites, un recueil d’articles parus antérieurement dans la Revue socialiste. En 1894, était paru un livre de Bernard-Lazare consacré à l’antisémitisme caractérisé par un mélange de judéophilie et de judéophobie. En février 1895 une recrudescence d’actes antisémites s’était produite en Algérie, et Viviani avait cru devoir vilipender, à la Chambre des députés, la « tyrannie juive » régnant dans la colonie française. En avril, Jaurès rapporte de cette contrée, où l’antisémitisme bat son plein, un lot d’impressions peu favorables sur les Juifs là-bas. Il ne fait donc guère de doute que le mouvement socialiste, toutes tendances confondues, a subi l’influence de l’antisémitisme moderne qui connaît un nouvel avatar à partir des années 188010.

Dans son article « Sémites et cléricaux », Sorel souhaite montrer aux socialistes quelles sont les sources de l’antisémitisme. « Tous les bons jeunes incapables de gagner leur vie par le travail, n’ayant pour toute marchandise à offrir que des épithètes redondantes, sont des ennemis de la culture scientifique : c’est là un fait qu’il est essentiel de noter, car il joue un rôle considérable dans l’antisémitisme »11. Ainsi, présente-t-il l’antisémitisme comme le fruit de la rancœur chez des « ratés », comme une ineptie antiscientifique. La jeunesse mystique et religieuse est le principal véhicule de cette idéologie caractéristique d’une dégénérescence intellectuelle. L’atmosphère d’extrémisme patriotique régnant un peu partout, et notamment dans l’université et le monde catholique constitue, selon Sorel, un bouillon de culture pour de telles idées.

« Ces bons jeunes gens », estime Sorel, sont, en fait, incapables de s’imposer, à armes égales, dans le monde scientifique, aussi vont-ils voir dans le Juif un ennemi qui les empêcherait d’occuper la place qui leur revient. Les groupes cléricaux, et notamment les jésuites, poussent dans cette voie. Tout ce monde accuse les Juifs de se constituer en société fermée afin de préserver des privilèges, alors qu’en réalité ce sont précisément les groupes en question qui s’emploient à conserver un monopole d’influence sur l’enseignement, dans l’armée et l’administration. Ainsi Sorel ne dissimule aucunement son profond mépris à l’égard du cléricalisme et de l’antisémitisme. L’image du Juif qui ressort de ces pages est tout aussi intéressante : le Sémite, le Juif, l’Israélite, l’Hébreu n’est pas une figure neutre ; ses traits de caractère en font, au contraire, l’antithèse positive de l’antisémite. Selon Sorel, le Juif

croit que la science et le travail opéré scientifiquement sont les grands leviers de tout progrès; il a cultivé de bonne heure la science et, dès le Moyen-âge, il s’est servi de ses connaissances pour défendre sa race menacée. ” “Le Juif est l’homme le moins théologien du monde ”. “ Le Juif est cosmopolite par les nécessités de son existence traditionnelle”. “Il empêche de danser en rond », “Il ne peut comprendre un idéal irréalisable ; il cherche à démêler les forces qui sont en jeu et ce qu’il forme comme son idée est ce que sa raison lui montre comme devant se produire; on pourrait dire que son idéal ne perd jamais соrps et reste matérialiste.

Et Sorel d’ajouter à cette description du réalisme juif une citation de Renan : « L’Israélite puise dans sa tradition spéciale une conception révolutionnaire de la justice »12. Voilà pourquoi la présence des Juifs effraie et dérange les antisémites.

Sorel invite par conséquent les socialistes à tirer de cela une conclusion diamétralement opposée et à se garder de toute tentation de récupération par l’antisémitisme. Lecteur de Proudhon et de Renan, converti au marxisme, Sorel affirme sans ambages : « Pour nous autres socialistes, nous devons considérer l’Israélite comme un auxiliaire des plus précieux ; grâce à lui, aucune réaction durable ne pourra s’établir en Europe et l’esprit révolutionnaire ne faillira jamais. Il faut être bien naïf pour voir dans le mouvement antisémitique un auxiliaire du socialisme ; ce mouvement ne tend qu’à donner le champ libre à la hiérarchie ecclésiastique et à rendre impossible toute liberté de penser »13.

Cet article de Sorel n’échappe pas cependant à l’attitude superficielle, caractéristique de la pensée socialiste face à la « question juive ». D’une certaine façon, comme le feront beaucoup d’autres après lui, Sorel élargit ici à l’échelle de l’humanité la conception du Juif comme citoyen abstrait qui trouve son origine dans l’émancipation des Juifs par la Révolution française et la transformation de leur condition au XIXe siècle. Il peut ainsi identifier les Juifs avec des éléments constitutifs, selon lui, d’une conscience socialiste : approche scientifique des problèmes, matérialisme, pensée révolutionnaire, anticléricalisme. Dans un autre essai, « La fin du paganisme »14, Sorel se révèle, à la même époque, non seulement anticlérical mais aussi antichrétien car il perçoit le christianisme comme un spiritualisme individualiste, égoïste et à l’influence délétère. D’où, semble-t-il, cette perception du Juif, issu d’une tradition différente et qui a vécu en marge du monde chrétien, comme l’allié naturel du socialisme « collectiviste ».

Jusqu’à la fin de 1897, l’anticléricalisme constitue l’essentiel de l’intérêt de Sorel pour la politique (au moins, d’après ses écrits), mais celle-ci n’occupe qu’une place négligeable par rapport aux problèmes de méthodologie, dans le domaine de la sociologie et de la philosophie, auxquels il consacre alors la plupart de ses travaux. Une approche plus insistante des phénomènes politiques n’apparaîtra chez Sorel qu’après sa rupture avec le « marxisme officiel »15.

Le 13 janvier 1898 paraît le « J’accuse » d’Emile Zola, à partir duquel l’affaire Dreyfus devient l’« Affaire » plongeant la France politique et intellectuelle en un rude affrontement. Sorel adopte d’emblée une position sans équivoque qui transparaît dans une lettre adressée le 10 février à son ami, l’historien Guglielmo Ferrero : « Pour qui connaît l’immortalité profonde de l’armée, la rage de cet homme (Mercier…), la fureur, l’entreprise diabolique dont parle Zola n’ont rien que de naturel… Le peuple français a été surchauffé depuis 1871 avec le patriotisme… Le patriotisme est le soutien noble des Imbéciles »16. Dans cette même lettre, il exprime également son appréciation radicalement critique sur les faiblesses coupables du socialisme politique : « Les Socialistes, dans tout cela, jouent un rôle assez grotesque… les élections sont prochaines ; tous sont hypnotisés par la peur de n’être pas réélus, s’ils ne flattent pas la sottise »17.

Contrairement à une idée reçue, les guesdistes ne sont pas les seuls, parmi les courants socialistes, à opter pour un profil bas en 1898 : la grande majorité du groupe socialiste modéré se montre peu encline à une confrontation sur l’Affaire Dreyfus. La lutte sera engagée dans toutes les familles politiques, par les non-conformistes ; pour la gauche socialiste, et anarchiste, on trouvera, avant tout, Bernard-Lazare18et, bien entendu, Jaurès à qui cela vaudra de perdre, cette même année, son siège de député19, mais également Sébastien Faure et son journal anarchiste Le Libertaire, et surtout le courant allemaniste qui passe pourtant pour le plus antiparlementaire des groupes socialistes20.

Durant les quatre années suivantes, jusqu’en 1901, Sorel apportera sans relâche son soutien à cette coalition de la gauche dreyfusarde21; son œuvre tourne alors autour d’un axe central : « le révisionnisme dans le marxisme ». Ce révisionnisme éthique et antipositiviste converge parfaitement avec le « révisionnisme dreyfusard ». Dès 1898 Sorel estime que le rôle du mouvement ouvrier politique doit être de « prendre en main la défense de toutes les victimes de l’organisation actuelle… »22. Il poursuit dans son essai « De l’Église et de l’État », daté de fin 1901, en appelant à l’union des socialistes avec les « démocrates » car ceux-ci « cherchent à développer l’esprit de liberté et à augmenter les garanties juridiques données aux hommes »23.

Sorel, bien qu’il ne se considère pas comme un démocrate, multiplie aux travers de dizaines d’articles et d’essais, les attaques contre la position de neutralité adoptée par les « marxistes orthodoxes », face à l’« Affaire ». Il tourne les guesdistes en dérision et se gausse de Wilhelm Liebknecht dont les articles à tonalité antidreyfusarde ont été traduits et repris dans L’Action française. Seul Lafargue, dont les positions tranchent, sur ce point, par rapport aux autres dirigeants de son parti, bénéficiera momentanément de la faveur de Sorel, qui incitera Lagardelle à publier dans Le Mouvement socialiste (la nouvelle revue née par les retombées de l’Affaire) un article du gendre de Marx qui contienne « quelque chose sur l’antisémitisme et le danger pratique que présente l’antisémitisme pour le peuple»24.

Sorel, quant à lui, n’a pas rédigé de textes spécifiquement consacrés à ce problème qui est néanmoins abordé, de façon plus ou moins incidente, dans nombre de ses écrits. Ainsi, en 1899, son compte rendu de l’ouvrage intitulé L’Antisémitisme du criminologue italien d’origine juive, Césare Lombroso, débute par ces mots : « Jadis on accusait les Juifs de manger les enfants ; aujourd’hui on les accuse d’entraver la marche de la civilisation, d’empêcher l’expansion de la culture chrétienne ; l’antisémitisme est devenu scientifique : il n’est pas devenu plus raisonnable pour cela ! »25. Sorel exprime sa sympathie pour les propos de Lombroso, souscrit à la condamnation du socialisme raciste du belge Edmond Picard et partage les critiques sur les liens de l’Église avec l’antisémitisme. Il semble également faire sienne l’idée de Lombroso sur le caractère morbide de maints antisémites célèbres.

Le point de vue personnel du Sorel de cette époque sur l’antisémitisme s’exprimera en 1900, soit un an plus tard : « De nos jours on a vu paraître un mouvement sur lequel beaucoup de personnes se font de singulières illusions : je veux parler de l’antisémitisme, qui n’a pas été encore étudié comme il le mérite et dont l’avenir sera peut-être plus grand qu’on ne croit. C’est bien une union des masses sur de pures négations ; et c’est ce qui le rend redoutable : les socialistes auraient grand profit à examiner de près les causes de ses progrès »26.

Sorel, depuis quelques années déjà, consacre une attention croissante à la dimension psychologique dans le comportement des groupes sociaux. La formation de la conscience sociale constitue l’un des axes de recherche favori. Cette conscience sociale, qualifiée par Sorel de « conscience juridique nouvelle » voit, selon lui, son développement concurrencé et contrarié par l’antisémitisme tel qu’il se crée parmi les couches sociales populaires plus particulièrement portées vers des réactions à caractère émotionnel :

L’antisémitisme fournit aux âmes ingénues et dénuées de toute connaissance économique un moyen facile pour se rendre compte du mécanisme du capitalisme moderne ; (la vertu dormitive de l’opium est le type de ce genre d’explication) ; tout le mal provient des vices d’une race, agissant en vertu de tendances ataviques ; rien n’est plus simple que cela : et cette simplicité est la raison même de la force de la doctrine. Mais il manque à l’antisémitisme une véritable dogmatique; il n’a pas encore trouvé de théoriciens qui aient formulé le procédé par lequel il doit conduire l’humanité au paradis terrestre : faire disparaître les Juifs, cela a été fait cent fois, sans que les peuples chrétiens soient devenus plus heureux. Il manque à l’antisémitisme cette apparence de solutions positives, qui est essentielle dans la vraie dogmatique27.

Voilà bien des phrases prophétiques qui se situent aux antipodes de la plupart des jugements émis par les socialistes de l’époque ! Le « révisionnisme » marxiste de Sorel lui permet précisément de se forger une conception soulignant l’impact des facteurs mentaux, qui ne sauraient être considérés comme de purs reflets d’intérêts économiques ; d’où son mépris pour l’attitude des sociaux-démocrates face à l’antisémitisme28.

Contre l’idée selon laquelle la résurgence de l’antisémitisme se rattache aux progrès de l’industrialisation et à la ruine de la petite bourgeoisie, Sorel fait valoir que l’antisémitisme se manifeste avec une certaine vivacité en France, pays où la modernisation industrielle s’effectue plutôt lentement. Sorel incline à situer le vivier de l’antisémitisme davantage parmi la bourgeoisie riche, les propriétaires fonciers et les couches sociales pourvoyeuses de l’Administration d’État29. Cependant, sa préoccupation essentielle a trait à la dimension démagogique du discours antisémite qui a pour effet, selon lui, de maintenir le mouvement ouvrier en position d’infériorité, dans un monde moderne où la parole revêt une importance croissante dans la vie politique30. Dans le processus tendant à broyer les classes sociales et à les transformer en « masses », l’antisémitisme constitue l’un des canaux de la nouvelle culture politique, et là n’est pas son moindre danger.

Sorel condamne non seulement l’antisémitisme durant la période de l’« Affaire », mais aussi l’assimilation, à laquelle se prête traditionnellement la pensée socialiste, du judaïsme et de l’esprit capitaliste. Ainsi, lorsque Georges Platon, ancien collaborateur du Devenir social, traducteur de Marx en français et ami de Sorel, publie son livre « La Démocratie et le régime fiscal à Athènes, à Rome et de nos jours»31, où il s’emploie à démontrer « que le système fiscal moderne est empreint de l’esprit juif », et que cet esprit juif se serait incarné historiquement au travers du prêt usuraire, Sorel, dans son compte rendu du livre, réfute cette thèse sur l’usure : « Ici nous sommes en présence d’une des pratiques les plus caractéristiques de la civilisation chrétienne : employer le Juif comme agent officiel de l’usure pour le plus grand profit des pouvoirs respectables »32. Il qualifie de « pauvres raisons » les arguments dont a usé G. Platon pour établir un lien permanent entre judaïsme et finances, et estime, au contraire, que les Juifs n’ont joué qu’un rôle modeste dans l’expansion financière du Moyen Âge, même si, du fait de conditions d’existence particulières, « ils étaient souvent chargés d’emplois financiers » ; cela prouve seulement « qu’ils étaient plus honnêtes que les chrétiens du temps »33. Sorel abordera à nouveau ce sujet par la suite34, mais il exprime d’ores et déjà une affirmation de principe qui n’évoluera guère : la religion juive n’est pas la religion du veau d’or ; et face aux préjugés à rencontre du judaïsme, il marquera sa préférence pour la Bible plutôt que pour l’Évangile.

Dans un important article daté de la même année, dans lequel il polémique avec un professeur catholique italien sur l’apport du catholicisme au socialisme moderne35, Sorel souligne que tout l’acquis positif transmis de génération en génération, par le christianisme, trouve sa source dans l’Ancien Testament ; dans la protestation contre la hiérarchie et les biens des prophètes hébreux. Les luttes ouvrières, en Angleterre notamment, continuaient de se nourrir de ces « idées juives ». Soulignant sa préférence pour la pensée juive par rapport au christianisme et à la tradition catholique hiérarchisée, Sorel déclare :

La Bible a une grande valeur sociale, parce qu’elle est le livre d’une démocratie paysanne : les travailleurs des champs revendiquent la justice contre les gens de la ville, les magistrats et les prêtres qui les oppriment. La Bible est un livre écrit pour des travailleurs; les Juifs ont plus qu’aucun peuple admiré le travail et ils sont, encore aujourd’hui, d’excellents ouvriers dans les pays méridionaux. Il est utile de remarquer que saint Paul, suivant en cela la tradition rabbinique, gagnait sa vie comme tailleur, tandis que les autres apôtres inauguraient l’apostolat professionnel et que la plupart des docteurs talmudistes furent des travailleurs manuels. L’Evangile, au contraire, semble avoir été écrit pour des mendiants36

Cette image de la tradition et de la religion juives apparaît en contradiction avec l’univers de la pensée de Marx dans lequel Sorel se débat alors, ainsi, d’ailleurs, que du proudhonisme qu’il commence à injecter dans le marxisme : l’affrontement de la période dreyfusarde conduit Sorel à révérer Israël. Ultérieurement, les conséquences politiques de l’« Affaire » le mèneront, au contraire, à adopter une position inverse.

 

À partir de 1902, en effet, Sorel prend de plus en plus ses distances vis-à-vis des dreyfusards vainqueurs. La période du combisme le conduit vers une opposition très vive au radicalisme. Si, jusqu’à la fin de 1904, il ne saurait déjà être considéré comme le « théoricien du syndicalisme révolutionnaire », il se retrouve cependant en bon voisinage avec les marxistes-guesdistes. Il publie alors son ouvrage intitulé Introduction à l’économie moderne et dirige en même temps une revue éphémère, Études socialistes, où seront publiés des textes de Marx, dont une nouvelle traduction de « La Question juive », par Edouard Berth37. Les accents élogieux à l’égard des Juifs, caractéristiques de Sorel du temps de l’Affaire Dreyfus, tendent à disparaître désormais de ses écrits qui demeurent toutefois parsemés de commentaires sur l’antisémitisme et le judaïsme.

L’Introduction à l’économie moderne passe pour le premier des ouvrages de Sorel à contenir, entre autres, une critique explicite de la démocratie moderne. À ce propos, le triomphe du « chrétien social » antisémite K. Lueger aux élections municipales de Vienne, en Autriche, constitue l’un des principaux exemples utilisés par Sorel pour critiquer la démocratie. L’apparition du « phénomène Lueger », ce Cléon des temps modernes, ne relève pas, selon Sorel, du domaine des météores politiques, mais participe, bien au contraire, de la nature de la démocratie de masse :

Je sais bien, souligne Sorel, que beaucoup de personnes diront que l’antisémitisme n’est qu’une caricature de la démocratie et qu’ainsi l’expérience des services municipaux de Vienne ne prouve rien. C’est là une très mauvaise défaite ; en 1900 en présence des succès nationalistes de Paris La Petite République a cru écraser ses adversaires en les traitant de démagogues ; mais encore faudrait-il savoir s’il y a des démocraties sans démagogues! L’expérience des municipalités antisémites est d’autant plus intéressante à étudier qu’ici nous ne risquons pas de confondre démocratie et socialisme, comme cela a lieu si souvent dans les discussions : nous sommes sur un pur terrain démocratique »38.

Dans un autre article de cette même période, dans lequel il s’en prend vigoureusement au pape Léon XIII et au catholicisme social, Sorel critique à nouveau la démocratie, en se plaçant, cette fois, sous le patronage de Kautsky : « Je crois qu’un très grand progrès a été accompli dans la science politique le jour où l’on a vu que l’antisémitisme est une des formes authentiques de la démocratie »39. Certes, concède Sorel, il existe « plusieurs sortes de démocratie », mais les thuriféraires du « démocratisme » de Léon XIII n’ont pas saisi la nature du développement de l’Église car « la seule démocratie que Léon XIII ait vraiment protégée est celle des antisémites »40. Le succès remporté par l’antisémitisme moderne ne saurait être compris, estime Sorel, sans la prise en compte du rapprochement opéré par l’Église vers les couches populaires et les nouveaux démocrates ; là réside, selon Sorel, l’élan nouveau de l’antisémitisme (sans le soutien de l’Église le parti de Lueger n’était aucunement assuré de la victoire). « … la démocratie chrétienne et cette doctrine de haine sont une seule et même chose », affirme alors Sorel41.

Cette « doctrine de haine » antisémite est imputable, selon lui, à une culture essentiellement journalistique ainsi qu’à l’enseignement idéaliste et dommageable des sociétés modernes. Ainsi s’explique notamment son mépris pour l’antisémitisme de Fourier qui fait l’objet de remarques critiques de la part de Sorel42, alors qu’il ne réagit guère aux marques d’hostilité au judaïsme chez Marx et Proudhon43.

En 1903, Sorel prend la défense de Renan dont Brunetière affirmait qu’il avait contribué à la formation de l’antisémitisme de Drumont. Certes, écrira Sorel, L’Histoire du peuple d’Israël de Renan comporte certains passages négatifs sur le Juif capitaliste, mais une lecture correcte de cet ouvrage montre bien, selon lui, que : « cet homme riche… n’est pas spécifiquement un Israélite » et qu’« il ne s’agit donc pas d’une question de race ; le problème est d’ordre économique »44. Sorel concède que les Juifs répugnent effectivement à s’occuper directement de gestion industrielle (il va même jusqu’à supposer que la faiblesse de l’industrie allemande s’explique peut-être par la place importante qu’y occupent les Juifs), mais il s’empresse d’ajouter : « Mais est-il nécessaire de faire intervenir l’esprit sémitique pour comprendre cela ? »45.

Vers la fin de 1903, Sorel entreprend la rédaction de son grand livre sur Le Système historique de Renan, qui paraîtra en 1905-1906. Sorel y admet l’existence d’une forme d’antisémitisme chez Renan, tout comme chez Voltaire46. L’hostilité de Renan envers l’Église en 1848 l’a conduit à mettre en exergue les sources juives du christianisme. Sorel cherche précisément à montrer dans ce livre que le christianisme « n’a pas été une réforme, ni un perfectionnement du judaïsme, pas plus qu’une synthèse du monothéisme juif et du polythéisme grec »47. Ceci n’exclut pas pour autant toute notion d’un héritage juif dans le christianisme mais la relation entre les deux s’apparente davantage à celle existant entre la Révolution française et l’Ancien Régime : une relation faite simultanément de continuité et de rupture48. On ne saurait, selon Sorel, parler d’une relation de linéarité entre le judaïsme et le christianisme primitif ; l’accent mis sur ce point permet de comprendre pourquoi les Juifs n’ont pas admis la mission de Jésus-Christ et pourquoi la religion juive s’est pérennisée49. Autant de faits historiques dans lesquels se sont embrouillés les théologiens chrétiens et qui ne peuvent davantage être clarifiés sur la base des analyses de Renan dont les erreurs proviennent « d’une mauvaise interprétation du génie hébraïque »50.

Sorel fonde en partie sa critique sur l’étude intensive de la littérature théologique et historique du judaïsme, et si sa conception de la religion juive peut être contestée, il n’en reste pas moins qu’il est un des rares penseurs socialistes à avoir consacré tant de temps à la lecture de textes se rapportant à la religion juive. En plus d’une très bonne connaissance de la Bible, Sorel se réfère fréquemment à des traductions françaises du Talmud de Jérusalem, aux écrits de Maïmonide (Le Guide des égarés), d’Isaac Abarvanel (Le Principe de la Foi), ainsi qu’aux ouvrages de Graetz, Schwab et d’Isidore Loëb et surtout aux articles de la Revue des études juives, qu’il cite à partir de 1880. En revanche, il critique vivement le livre de J. Darmesteter, Prophètes d’Israël, et qualifie ď « amour-propre national poussé jusqu’aux confins du ridicule » la tentative amorcée par celui-ci de rattacher le prophétisme biblique à la science51. Sorel se départ désormais de ses positions passées et adopte un ton sarcastique pour évoquer les prophètes hébreux qu’il compare, ainsi que l’avait fait Renan, aux journalistes modernes. Ces critiques ne le conduisent pas pour autant à un rejet absolu de la religion juive : en fait, sa préférence va à la société hébraïque d’avant les prophètes, de même qu’à la société grecque présocratique. Contrairement à bon nombre de philosophes européens, Sorel ne juge pas la religion juive comme inférieure parce qu’archaïque52.

Le judaïsme et l’Ancien Testament ont joué, selon lui, un rôle décisif dans l’éclosion et le développement du christianisme dont les origines sont cependant fortement marquées par l’hellénisme qui imprégnait alors la Judée :

Nous sommes ainsi amenés à nous représenter le rôle du judaisme autrement qu’on ne fait d’ordinaire. Aux premiers siècles de notre ère, la civilisation occidentale était menacée d’être submergée par les superstitions d’Orient et elle n’était pas en état de se défendre : les derniers philosophes allaient être de ridicules thaumaturges. Le christianisme se trouva prêt à prendre la direction du monde et à sauver une partie de la culture antique; mais il ne put accomplir cette grande œuvre que grâce aux moyens de défense que lui procura le judaïsme. Si je ne me trompe, le génie hébraïque aurait donc rendu à la civilisation moderne des services bien autrement grands que ceux que lui attribue Renan; car c’est à son héritage que nous devions d’être demeurés en contact avec la tradition classique53.

Le christianisme ne pouvait pas germer en Grèce ou à Rome parce que le monde gréco-latin « était devenu trop lettré, qu’on y était habitué à trop argumenter et qu’on était trop engagé dans la vie mondaine… »54, alors qu’en revanche : « la Judée, demeurée si archaïque au point de vue de la pensée, était très propre à une renaissance religieuse »55.

Sorel tente d’appliquer dans ses analyses historiques ce qu’il appelle « la loi idéogénétique de Vico » selon laquelle là naissance, la croissance, le déclin, puis la renaissance caractérisent le mouvement de l’histoire idéologique et morale : l’hellénisme sur le déclin a pu se renouveler grâce au judaïsme et à la Bible. Si pour Renan, dans son livre sur Marc Aurèle, « le christianisme est une édition du judaïsme accomodée au goût indo-européen » et que « le christianisme est en quelque sorte arrivé à dépouiller, avec le temps, tout ce qu’il tenait de la race, si bien que la thèse de ceux qui le considèrent comme la religion aryenne par excellence, est vraie à beaucoup d’égards »56, Sorel estime au contraire que « le christianisme ne fit que porter aux populations aryennes une renaissance de leur propre religion »57. Le vocable « aryen », communément admis à l’époque même par les philosémites58, n’est que rarement employé par Sorel, et le fait que celui-ci ait adopté le système de référence de Renan, dans les dernières pages de son livre, peut apparaître comme la marque d’une perception des Juifs modernes en tant que race. De plus, on se souvient que dans son article judéophile de 1895, Sorel avait qualifié les Juifs de « sémites », et nous savons qu’à partir de 1906 se développe, chez lui, une hostilité croissante envers les Juifs.

Après la publication du livre consacré à Renan, Sorel entame la rédaction des Illusions du progrès qui paraîtra d’abord sous la forme d’une série d’articles dans Le Mouvement socialiste. En novembre 1906, Sorel écrit :

On s’est demandé souvent comment il se fait que des Juifs riches aient tant de sympathies pour des utopies et parfois même se donnent des allures socialistes. Je laisse ici de côté naturellement ceux qui voient dans le socialisme un moyen nouveau d’exploitation ; mais il y en a qui sont sincères. Ce phénomène n’est pas à expliquer par des raisons ethniques : ces hommes vivent en marge de la production ; ils s’occupent de littérature, de musique et de spéculations financières ; ils ne sont pas frappés de ce qu’il y a de nécessaire dans le monde et leur témérité à la même origine que celle de tant de gentilshommes du XVIIIe siècle59.

Lors de la parution de ces textes sous forme de livre, en 1908, Sorel ajoute en note un renvoi aux pages que l’historien italien Ferrero consacre « au pessimisme juif, à l’orgueil, à l’exagération et à l’idée de mission chez les israélites et enfin à leur besoin de prosélytisme ». Et Sorel ajoute, reprenant le point de vue formulé dans son texte originel : « II me semble que presque tout cela peut s’expliquer sans faire intervenir l’atavisme »60. Malgré la sympathie qu’il éprouve envers Gustave Le Bon, Sorel répugne à fonder l’histoire ou la sociologie sur une base biologique sans que ceci constitue, toutefois, une garantie d’immunité contre la judéophobie : les passages cités des Illusions du progrès masquent l’amorce d’une hostilité à l’égard des Juifs qui apparaît, principalement dans la correspondance, dès le début de 1906.

***

Dans le numéro de février 1906 du Mouvement socialiste, qui contient une critique de l’antisémitisme de Fourier61, on trouve une remarque à tonalité antijuive. Dans un entretien, Sorel déclare qu’en cas de victoire des royalistes (au lieu des dreyfusards), « les banquiers juifs, qui commanditent aujourd’hui des journaux socialistes, auraient soutenu des journaux cléricaux »62. Sorel vise manifestement L’Humanité à propos de laquelle courent des rumeurs quant à un soutien financier important qui lui aurait été consenti par des personnalités juives agissant au nom du baron de Rotschild63. Sorel se garde de vérifier la réalité de ce soutien, pas plus qu’il ne s’intéresse à l’origine des difficultés financières où se débat ce journal depuis sa fondation. La déception à l’égard de Jaurès, ressentie par Sorel dès la période « combiste », se mue alors en haine virulente. Incapable de séparer dans la polémique l’aspect politique de l’aspect personnel, Sorel juge légitimes tous les moyens permettant de s’en prendre au tribun socialiste. Au-delà de l’animosité personnelle s’exprime, en fait, l’hostilité politique envers les vainqueurs de la « Révolution dreyfusienne ». Sorel ne parvient pas à dissocier Jaurès de Clemenceau ou de Briand ; les politiciens dreyfusards triomphants qui maintenant écrasent le syndicalisme se relient, dans son esprit, aux Juifs et plus particulièrement aux intellectuels juifs.

Après le 1er mai 1906, la rupture est consommée entre Le Mouvement socialiste et L’Humanité ; Sorel, dans ses lettres à Lagardelle, commence à amalgamer « Juifs » et « jauressistes » (« Les Juifs de L’Humanité »64). Lorsque Jaurès ouvrira les colonnes de son journal aux porte-parole du syndicalisme révolutionnaire, Griffuelhes et Pouget, Sorel ressent la chose comme une trahison personnelle et réagit dans sa correspondance avec une vulgarité sans précédent : «… ils doivent choisir entre L’Humanité et Le Mouvement, s’ils entrent chez les grands Youpins, Le Mouvement disparaît en criant au lâchage »65.

Ce type de réflexe antisémite n’est hélas pas l’apanage du seul Sorel ; Paul Delesalle, secrétaire de la Fédération des Bourses du Travail, et dirigeant syndical très proche de Sorel, publie également en mai 1906, dans l’organe anarchiste Les Temps nouveaux, un violent article antisémite dirigé contre L’Aurore66. Le 12 juillet 1906 la cour de cassation casse sans renvoi l’arrêt de Rennes et déclare Dreyfus innocent. Le Mouvement socialiste réagit en publiant l’article de Robert Louzon « La faillite du Dreyfusisme ou le triomphe du parti juif »67où est mise en cause la valeur juridique de la réhabilitation, en la comparant au verdict rendu contre Zola. Louzon parle d’un « coup d’État judiciaire » réalisé grâce à la victoire remportée par un « parti juif » qui, s’il n’a aucun fondement racial, est formé ď « une caste bourgeoise qui a son individualité propre, sa force, son influence propres, tout comme il s’est constitué la même chose autour des curés »68.

L’article de Louzon a plu à Sorel qui a même suggéré à Lagardelle de l’adresser à Drumont. Sorel avertit également Lagardelle de ce qu’il faut désormais s’attendre à une mise à l’index du Mouvement socialiste et à une offensive contre lui de la part du « parti juif »69. Il écrit à son ami B. Croce : « … la Revue socialiste est soutenue par les Juifs ; Le Mouvement déplaît aux Juifs, parce qu’on a inséré un article contre la réhabilitation illégale de Dreyfus »70. Dès lors, comme si une digue s’était rompue, les lettres de Sorel contiennent des remarques à caractère toujours plus explicitement antisémite (tout particulièrement celles adressées à Lagardelle) : les Juifs sont qualifiés de « circoncis »71, « youpins »72; Sorel parle de « la majesté du dieu d’Israël »73, et affirme que : « les Juifs ne comprenaient évidemment pas leurs théories »74.

Toutefois, cela n’empêche pas Sorel de continuer à nouer des liens d’amitiés avec des personnalités juives, qu’il s’agisse de Jacques Goldschmitt, son éditeur, de Charles Rappoport, ou d’Eduard Bernstein avec qui il continue de correspondre. De plus, parallèlement aux injures épistolaires à l’égard des Juifs, on trouve aussi des marques d’admiration pour « le Juif authentique » (pour reprendre le terme de Sartre). Ainsi, en 1908, écrit-il à Lagardelle au sujet du poète juif André Spire, chez qui se développe une conscience nationale : « Spire vient de m’envoyer un volume de vers qui renferme des choses admirables. Il est à regretter qu’il emploie le vers blanc, car cette métrique empêchera le grand public d’admirer comme il convient certains morceaux comme Rêves juifs, Tu es content et Nudités. Je crois que nous n’avons rien dans notre littérature qui soit profondément vieux juif »75.

Pourtant son aigreur envers les intellectuels juifs ne se dément pas. Après les événements de Villeneuve-St-Georges, Sorel quitte Le Mouvement socialiste ; les espérances qu’il avait placées dans le syndicalisme révolutionnaire se consument, même s’il continue encore quelque temps d’adresser quelques articles à une revue syndicaliste italienne. À la fin de 1909, Sorel a cessé de se considérer comme un théoricien syndicaliste. À ses yeux le socialisme est mort : le rapprochement avec Jaurès amorcé par Lagardelle, et surtout par la CGT, signifie, pour lui, la fin de tout espoir de préservation d’un mouvement ouvrier authentique. La démocratie politique devient l’incarnation, pour Sorel, de tous les maux de la société moderne. Il lui préfère désormais ce qu’il appelle « la république aristocratique »76ou bien un régime aristocratique tout court77et les autorités sociales traditionnelles lui paraissent préférables car elles font mieux apparaître les clivages entre les diverses classes sociales.

Ce nouveau tournant s’exprime clairement dans la brochure La Révolution dreyfusienne, véritable acte de divorce avec tout ce que l’Affaire Dreyfus a engendré. Sorel y définit l’« Affaire » comme une révolution politique dans laquelle « deux troupes de charlatans se disputaient une clientèle de voyous »78. Ceci ne l’empêchera pas d’ailleurs, tant est vif son ressentiment envers le radicalisme, de se rapprocher des héritiers de l’une de ces deux « troupes » et d’entreprendre une collaboration avec un groupe de publicistes conservateurs, monarchistes et même nationalistes. Sans jamais se convertir au monarchisme ni prendre au sérieux le programme politique de l’Action Française, Sorel ne tarit plus d’éloges sur Charles Maurras. Il faillit même créer une revue en commun avec Georges Valois, l’un des représentants les plus dynamiques du courant néo-monarchiste qui, comme d’autres activistes de l’Action Française, ne fait pas mystère de son antisémitisme « intégral »79.

Sorel semble se sentir parfaitement à l’aise parmi ses nouvelles accointances et ses lettres contiennent toujours davantage de commentaires antijuifs. Pierre Monatte s’apprête-t-il à publier un nouvel organe syndicaliste-révolutionnaire, La Vie ouvrière, Sorel en déduit qu’il bénéficie du soutien des Juifs80. « Je crois que les Juifs ont juré de me boycotter »81, écrit-il, après la publication de La Révolution dreyfusienne, à Edouard Berth, son disciple, qui connaît une évolution parallèle, mais non identique. À propos de Péguy, Sorel écrit au même Berth : « Péguy a une clientèle de 300 Juifs qu’il ne peut pas trop froisser »82. Il félicite les royalistes qui « ne veulent pas se laisser faire par les Juifs »83. Au travers de cette correspondance avec Berth, apparaît également la manière dont Sorel juge sa propre rancœur à l’égard des Juifs ; citant une phrase de Proudhon : « après les persécuteurs, je ne hais rien tant que les martyrs », il ajoute : « les persécutés professionnels sont des gens « haïssables ». J’aurais envie de citer cette pensée de Proudhon dans l’article sur les Juifs que je vais refaire pour la revue »84.

La revue en question est La Cité française dont l’existence tourne court à cause de querelles personnelles entre ses jeunes fondateurs. Au-delà de ces différends, il existe des divergences de fond entre l’orientation de Sorel et le populisme social-révolutionnaire de Valois. Un aspect de cette divergence est illustré par un article de Sorel publié en Italie en 1911, dans lequel il situe les clivages fondamentaux entre le conservatisme traditionaliste bourgeois et le populisme antisémite à la Drumont ; exprimant précisément sa sympathie pour l’Action Française, il termine ainsi cet article : « Je suis convaincu et je ne saurais en vérité ne pas l’être, que l’antisémitisme empêchera l’Action Française de conduire à terme l’œuvre éducative que Charles Maurras aurait été capable d’accomplir en France. Nous aurons ainsi une nouvelle preuve des inconvénients très graves que présente la confusion d’une entreprise intellectuelle avec une propagande qui ne s’occupe que des contingences »85. L’antisémitisme social répugne à Sorel et il lui déplaît de voir l’Action Française chercher à emboîter le pas à la Libre parole.

Mais en mars 1911, un mois après la publication de cet article, paraît la revue conservatrice L’Indépendance dont la rédaction est composée, à côté d’un Sorel vieillissant, de jeunes activistes de droite. Parmi les collaborateurs de cette revue figurent des noms célèbres : Claudel, Le Bon, Pareto, Halévy et Barrés. Dans les numéros de juin et septembre, Jacques de Laboquère « informe » les lecteurs français « du meurtre rituel de Kiev », en reprenant intégralement à son compte la version antisémite du parquet tsariste86. En octobre 1911, L’Indépendance continue de traiter l’affaire Beyliss sur le même ton extrêmement antisémite et accuse L’Humanité d’être un journal juif87.

Sorel, qui en 1911 rédige de nombreux articles de cette revue, se concentre essentiellement sur des polémiques avec la Sorbonně et sur des articles de défense de la « culture » et du classicisme. Mais en 1912 paraissent sous sa signature trois articles qui témoignent de son ralliement à la « doctrine de haine » qui l’avait tellement rebuté auparavant. Dans ces trois articles (« Urbain Gohier », « Quelques prétentions juives » et « Aux temps dreyfusiens ») Sorel exhale publiquement sa judéophobie88.

Le premier article se veut un plaidoyer en faveur de Gohier, ancien dreyfusard et collaborateur de Clemenceau à L’Aurore, devenu activement antisémite. Sorel le compare à Proudhon et s’emploie à illustrer la droiture de ses intentions. Dans le cours de cet article, Sorel exprime son aversion pour les Juifs et s’appuie, pour ce faire, sur les arguments de l’ « adversaire » : Joseph Reinach qui, dans son Histoire de l’Affaire Dreyfus, avait expliqué le comportement d’Esterhazy par le fait que celui-ci, descendant d’immigrés, manquait de sentiment national89. Sorel s’interroge avec une fausse naïveté : « Urbain Gohier a-t-il donc tort de soutenir que les Français doivent défendre leur Etat, leurs mœurs et leurs idées contre les envahisseurs juifs, qui veulent tout dominer comme les Américains défendent leur marché de travail contre les envahisseurs asiatiques ? »90

Le second essai lui a également été inspiré par un autre passage du livre de Reinach dans lequel ce dernier avait exprimé l’idée que les Juifs ont toujours joué un rôle révolutionnaire et été porteurs des grandes transformations sociales et culturelles, depuis les prophètes jusqu’à Lassalle et Marx91. Sorel, qui n’était pas loin de partager ce point de vue dans les années 1890, s’emploie maintenant à infirmer cette thèse caractéristique, selon lui, des « prétentions qui forment le fond de la pensée juive »92et dont l’origine est à rechercher, toujours selon Sorel, dans le livre de Bernard-Lazare, L’Antisémitisme, son histoire et ses causes. Son essai peut être considéré essentiellement comme une critique méprisante du livre de Bernard-Lazare dont il entend réfuter point par point « la prétention juive » consistant à présenter le Juif comme l’éternel révolutionnaire. Si une partie de l’argumentation de Sorel peut être discutée, le ton employé, fait d’hostilité provocatrice, atteste une mesquinerie morbide. Il s’étend longuement sur le cas de Lassalle, qu’il compare à Boulanger avant d’affirmer qu’il « se montrait un bon type de Juif actuel » dont les instincts sont adaptés « à ce monde interlope » et, qui plus est, « ces instincts d’immortalisme se rencontrent, d’ailleurs, chez presque tous les Juifs qui ont abandonné leurs traditions nationales »93. L’aversion de Sorel pour les intellectuels juifs l’entraîne encore plus loin :

 Les Juifs agiraient en personnes sages s’ils repoussaient franchement la fantastique philosophie de l’histoire dont Joseph Reinach s’est fait le garant; car, en adoptant une doctrine aussi absurde pour éclairer leur conduite, ils rendent un certain antisémitisme nécessaire. Nul ne songerait chez nous à regarder les Juifs comme des ennemis du pays, si ceux-ci consentaient à vivre en simples citoyens : exerçant un métier honorable quelconque, s’occupant de leurs œuvres religieuses, coopérant à la culture générale dans la mesure du possible; malheureusement les Intellectuels juifs se prennent pour des petits Messies et leur nation se croit tenue de les soutenir dans leurs expéditions. Pour avoir le droit de se dire artisans des grandes transformations, les écrivains juifs s’acharnent contre le patrimoine spirituel de la Cité à laquelle ils ont été agrégés par les hasards des migrations ; de telles entreprises ne peuvent manquer de provoquer des colères légitimes94.

L’article s’achève sur un ton sentencieux, voire même menaçant : « L’Action Française cherche à faire pénétrer ses idées dans la jeunesse universitaire ; si elle réussit à gagner à sa cause une minorité notable des étudiants, les Intellectuels juifs connaîtront de mauvais jours. Mais peut-être les Juifs seront-ils assez sages pour museler leurs Intellectuels »95.

Le troisième article est un compte rendu d’un livre d’Henri de Bruchard, également ancien journaliste à L’Aurore et devenu depuis violemment antidreyfusard. Sorel y adopte le même ton pour vilipender « la juiverie cosmopolite », « la juiverie internationale », la conclusion rappelle celle de l’article précédent :

S’ils (les Juifs) consultaient les hommes impartiaux, au lieu d’écouter bouche-bêe leurs courtisans de la Sorbonne, ils sauraient que les philosophies dites avancées sont aussi démodées que l’art de la Revue blanche… Les politiciens radicaux sont des mercenaires si peu sûrs que les chefs de la démocratie méridionale pourraient devenir à l’occasion les chefs d’une Terreur blanche… Les Juifs agiraient sagement s’ils se bornaient à être de paisibles marchands au lieu de vouloir éclairer la marche de l’humanité vers des terres messianiques96.

Jusqu’à la fin de sa vie, Sorel continuera à identifier les intellectuels juifs avec le messianisme, mais en 1912, cette dénonciation est formulée avec des accents fortement judéophobes. En 1912, les composantes de cet antisémitisme «culturel» n’ont rien de socialiste mais renvoient à la droite conservatrice classique ; pour cet antisémitisme, l’intellectuel juif exprime la modernité, le révolutionnarisme utopique qui sape la tradition et l’enracinement. Bien que la chose ne soit pas clairement formulée, l’intellectuel juif moderne incarne, pour Sorel, le jacobinisme (là se situe très vraisemblablement la raison de l’antipathie éprouvée ultérieurement envers Trotsky, Bela Kun ou Kurt Eisner). Cette judéophobie de Sorel peut être interprétée aussi comme la forme la plus extrême et la plus primaire de Fanti-intellectualisme qui est une donnée profonde et quasi- permanente de son œuvre. Sorel rejette en effet les philosophies intellectualistes et marque une aversion particulière pour les intellectuels politiques.

Il faut néanmoins souligner que ceci n’empêche pas Sorel, en 1911, de préfacer la traduction française du livre de l’économiste juif américain Edwin R.A. Seligman97, et de continuer à apprécier Bergson comme un type de l’intellectuel positif. L’admiration qu’il voue à ce dernier est à son faîte en 1912. Sorel écrit alors à Croce : « Les Juifs ne peuvent pardonner à Bergson d’entraîner le monde actuel vers le réalisme »98. Deux ans plus tard, il s’inquiétera même de ce que Bergson risque de se voir écarter de l’Académie française à cause de ses origines !99Or Bergson, aux yeux de Sorel, est plus qu’un philosophe français d’origine juive ; c’est un penseur dont l’œuvre est porteuse d’éléments juifs. Ainsi, en 1917, écrit-il à Croce : « il me semble que L’Evolution créatrice est un essai de conciliation de la doctrine de la Volonté et du Jahvéisme ; cette conciliation est plus facile à effectuer que celle de la Volonté et du christianisme, qui a une notion de Dieu beaucoup plus précise que celle des Juifs »100. Mais l’année suivante, Sorel, vexé de ce que Bergson a omis de l’inviter à sa cérémonie de réception à l’Académie, écrit à Delesalle : « il doit être débordé par les sollicitations des grands Juifs »101.

 

De la fin de 1912 jusqu’à sa mort, en 1922, Sorel continuera, dans sa correspondance, à émettre des jugements péjoratifs sur les Juifs102. Mais leur virulence s’est nettement atténuée par rapport à la période de L’Indépendance que Sorel abandonne au début de 1913 en arguant de ce que cette revue s’adresse aux « pipelettes nationalistes »103. Il prétend avoir été dupé par Jean Variot et exprime son mépris envers l’Action Française coupable à ses yeux de s’être muée en mouvement démocratique, recourant à la même démagogie que les autres partis politiques.

Ayant eu connaissance au début de 1914 de la thèse de Werner Sombart qui établit un lien entre les Juifs et l’émergence du capitalisme, Sorel écrit à son ami J. Bourdeaù : « Vouloir rattacher le commerce de l’argent à la religion juive, est une farce qui a été prospère autrefois et que Sombart a ramassée chez les chiffonniers. La Bible est un livre de pays ruraux ; H. Heine avait bien raison d’observer que la vie des Juifs anciens a dû ressembler beaucoup à celles des paysans d’Écosse et de Suisse »104. Mais au cours de cette même année la lecture du livre de R. Michels sur Les Partis politiques et des éloges adressées par ce dernier aux Juifs révolutionnaires ressuscitent chez lui quelques accents de la polémique contre Reinach. Sorel s’en ouvre dans une lettre à Pareto : « je trouve aux pp. 180-185 un éloge des Juifs qui me semble aventuré »105.

Cette silhouette du Juif révolutionnaire ne cessera de hanter Sorel jusqu’à son dernier jour106: on trouve encore une expression publique de cette hostilité, sous la forme de la remarque, déjà citée, de son plaidoyer « Pour Lénine ». Celle-ci ne sera pas la dernière. En 1921, dans un compte-rendu du livre antisémite des frères Tharaud sur la révolution hongroise, Sorel écrit :

II est extrêmement difficile de se rendre compte du rôle que les Juifs ont joué au cours des révolutions qui ont accumulé tant de ruines dans l’Europe Centrale. Les familles Israélites qui depuis longtemps se sont occupées avec zèle d’affaires industrielles ou de travaux d’érudition, ne doivent pas être confondues avec leurs corréligionnaires russes ou polonais. En France et en Italie les Juifs au cours du Moyen Âge se sont généralement assimilés aux gens du pays. Mais en Allemagne et en Hongrie il n’existe que des analogies lointaines entre des Juifs dont l’ambition a quelque chose de diabolique et les vieux habitants des royaumes germaniques107.

Sorel fait ainsi expressément allusion à Kurt Eisner et Bela Kun dont l’action, selon lui, aura pour résultat de renforcer l’antisémitisme, notamment en Allemagne.

Le passage cité ci-dessus peut laisser penser que Sorel ne voit pour les Juifs qu’une solution, à savoir l’assimilation complète à leur environnement. Il convient cependant de rappeler que ce texte date d’une époque où la lucidité lui fait parfois défaut et où les contradictions abondent plus que jamais dans ses écrits.

Ainsi, en 1920, il avait publié dans un journal italien un article consacré au sionisme108. Ce type d’article, écrit pour assurer la subsistance de l’auteur, se caractérise par un ton neutre et descriptif qui ne facilite pas la perception du point de vue intime de Sorel. En 1912, au travers d’une remarque incidente, il avait traité les Juifs sionistes de fanatiques109. En 1920, il compare le retour des Juifs en Palestine à l’action de Nehemia sans toutefois considérer la création d’un foyer national juif comme le prélude à une émigration totale, mais plutôt comme l’acquisition d’un double statut juridique. La relation des Juifs vis-à-vis de l’État sioniste pourra être ainsi comparée à celle des catholiques vis-à-vis du Vatican. Tout en reconnaissant que la situation ainsi créée pose des problèmes juridiques, Sorel demande pourquoi les libéraux, qui admettent le catholicisme, devraient se comporter différemment à l’égard du sionisme.

Son intérêt pour le sionisme se prolonge en 1921. Il rédige alors deux comptes rendus du livre de Georges Batault, Le Problème juif, l’un en italien, l’autre en français110. Ce livre traite de la situation de l’antisémitisme après la guerre, dont l’auteur n’est, d’ailleurs, pas lui-même indemne, et consacre une partie au sionisme. Batault envisage très favorablement le départ des Juifs vers la Palestine et soutient la démarche politique de Théodore Herzl qu’il qualifie de « sionisme honnête», et condamne, au contraire, le sionisme spirituel d’Ahad A-Am, synonyme, à ses yeux, d’impérialisme juif sous l’égide britannique111. Dans l’article italien, Sorel récuse l’analyse de Batault établissant un lien entre judaïsme et protestantisme pour expliquer l’alliance entre le sionisme et la politique britannique. Il estime que Batault joue le rôle de porte-voix du Quai d’Orsay dans ses manœuvres et intrigues autour de la « Terre Sainte ». Sorel, contrairement à Batault, insiste sur le renforcement du sionisme spirituel visant à créer en Palestine un centre culturel juif, sous protection anglaise112.

Dans le second compte rendu publié en France dans la Revue communiste, Sorel expose plus explicitement ses préférences. Le contenu de cet article est assez inattendu de la part de la jeune presse communiste d’alors. Sorel y réfute une nouvelle fois la thèse de l’auteur posant un signe d’équation entre les Juifs et l’esprit révolutionnaire, et souligne que la plupart des Juifs socialistes allemands appartiennent au courant de Bernstein. Il critique également le point de vue de Batault sur le sionisme qui, selon Sorel, ne se rattache pas, contrairement à ce qu’écrit Batault, à l’éveil des mouvements nationaux contemporains mais s’apparente davantage à la revendication des catholiques sur Rome, au cours du 19e siècle : «… les sionistes voudraient créer à Jérusalem un centre d’où la pensée juive put s’étendre sur le monde entier… Il paraît possible de donner aux Juifs sionistes toutes les facilités dont ils ont besoin à Jérusalem sous la haute protection d’un vice-roi anglais »113. Cette prise de position doit s’apprécier comme une façon de contrer l’hostilité de Batault à la création d’un « centre impérialiste juif » mais aussi comme une marque de respect envers la religion juive. La fin de l’article révèle un motif supplémentaire dans le soutien de Sorel au projet de création d’un centre juif en Palestine ; malgré tout le mal qu’il pense du Traité de Versailles, Sorel précise en effet :

 Les traités de paix contiennent des clauses promettant aux Juifs, si longtemps persécutés, qu’ils jouiraient de garanties dans les pays de l’Europe orientale. Il n’est pas facile d’organiser le respect d’un tel système, mais un grand pas serait fait dans le sens de son application, si on reconnaissait à la Synagogue de Jérusalem le droit d’agir comme un Etat souverain, ayant des conseils chargés de dénoncer à la Société des Nations les abus de l’antisémitisme. Un tel programme est assez modeste, il pourrait se réaliser pour le plus grand avantage de populations dont le sort est souvent plus malheureux que n’était celui de nos fuiveries françaises au Moyen Âge »114.

 À n’en pas douter, Georges Sorel sera demeuré jusqu’à son dernier jour un penseur impulsif, versatile et déroutant par ses contradictions et ses effets de surprise !

Pour conclure, il nous paraît difficile de définir la pensée politique et sociale de Sorel comme une philosophie de nature raciste. En revanche, taxer Sorel d’antisémitisme est parfaitement légitime : nous en avons donné un large aperçu de ses manifestations privées et publiques. Mais il s’agit, à notre avis, d’un antisémitisme plus primaire que théorique, d’une judéo-phobie inconséquente relevant davantage du caractère de l’homme que des fondements de sa philosophie. Rapportée à ses propres analyses antérieures de l’antisémitisme, la judéo-phobie du vieux Sorel confirme, en ce sens, pleinement la remarque de Franz Borkenau le décrivant comme « a week personality combined with a strong mind »115. Certes, dans l’examen des expressions anti-juives de Sorel, il faut faire la part du langage de l’époque, d’un vocabulaire anti-juif qui continue, même après l’Affaire Dreyfus, à imprégner la culture française. Ces expressions doivent toutefois être jugées plus sévèrement chez Sorel, parce qu’il est un des rares penseurs non-juifs à avoir formulé, dès l’aube du siècle, la crainte prophétique d’un avenir « plus grand qu’on ne croit » de l’antisémitisme.

Article initialement paru dans les Cahiers Georges Sorel, année 1984, Volume 2, Numéro 1. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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  1. Réflexions sur la violence, Paris, Rivière, 1972, p. 385. []
  2. Voir sur ce sujet le livre de Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, Paris, Calmann-Lévy, 3e éd., 1981, t. II, pp. 448-450. []
  3. Réflexions…, op. cit., p. 19. []
  4. Ibid., p. 296. []
  5. Ibid., p. 66. []
  6. Ibid., p. 307. []
  7. Cf. Western Socialism and the Jewish Question, Jerusalem, Bialik Institute, 1955, pp. 94-97 (en hébreu) et également «Anti- Jewish Trends in French Revolutionary Syndicalism», Jewish Social Studies, XV, juillet-octobre 1953, pp. 195-202. []
  8. Cf. par exemple Michael Freund, Georges Sorel Der révolutionä’re Konservatismus, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 2e éd., 1972, pp. 111-112 et 348; Pierre Andreu, Notre Maître M. Sorel, Paris, Grasset, 1953, pp. 80-81 ; Irving Louis Horowitz, Radicalism and the Revolt against Reason. The Social Theories of Georges Sorel, Illinois, Arcturus Books, 2e éd., 1968, pp. 39-41 ; Georges Goriely, Le Pluralisme dramatique de Georges Sorel, Paris, Rivière, 1962, p. 223 et dernièrement John L. Stanley, The Sociology of Virtue. The Political and Social Theories of Georges Sorel, Berkeley, University of California Press, 1981, pp. 288-289. []
  9. La Jeunesse socialiste, I, juillet 1895, pp. 325-328. []
  10. Il ne faut pas oublier aussi le poids d’une tradition antisémite propre à la pensée socialiste au XIXe siècle. Ce qui ne veut pas dire que le mouvement ouvrier devient un mouvement antisémite. Dernièrement, dans le nouveau discours identifiant socialisme et fascisme, le Club de l’Horloge a essayé d’assimiler Drumont avec toute la pensée socialiste. Cf. Michel Leroy, « L’antisémitisme dans la tradition socialiste », in : Socialisme et fascisme, une même famille ?, Paris, Albin Michel, 1984, pp. 43-60. []
  11. «Sémites et cléricaux», loc. cit., p. 325. []
  12. Ibid., p. 328. []
  13. Ibid. []
  14. Cf. L’Ere nouvelle, août, septembre, octobre 1894, pp. 338- 364, 33-72, 170-199. []
  15. Voir sur ce sujet notre travail L’Illusion du politique. ‘Georges Sorel et le débat intellectuel 1900, Paris, La Découverte, 1985. []
  16. Cf. Mario Simonetti, « Georges Sorel e Guglielmo Ferrero fra  » cesarismo  » borghese e socialismo (con 27 lettere inédite di Sorel a Ferrero 1896-1921) », II Pensiero politico, V, 1, 1972, pp. 136-138. []
  17. Ibid. []
  18. Á cette époque Sorel est lié à Bernard-Lazare ; voir les lettres du 29 avril et 11 juin 1899 à Colajanni in : S. Massimo Ganci, « I ‘rapporti Sorel-Colajanni nella  » crisi del marxismo  » », Annali délia Fondazione Feltrinelli, XVII, 1976 p. 211. []
  19. Fait, entre autres, qui conduit Sorel à déclarer que « la conduite admirable de Jaurès est la plus belle preuve qu’il y a une éthique socialiste » ( « L’éthique du socialisme », Revue de métaphysique et de morale, VII, mai 1899, p. 301). []
  20. Il est à noter que leur organe avait mis, dès 1895, en doute la sentence contre Dreyfus. Cf. Le Parti ouvrier, 7 janvier 1895. []
  21. Ce qui le conduira même à appuyer l’entrée au gouvernement de Millerand, pour qui il n’avait pourtant aucune sympathie politique. []
  22. « Préface » in : Francesco Saverio Merlino, Formes et essence du socialisme, Paris, Giard et Brière, 1898, p. XIX. []
  23. Cahiers de la quinzaine, 3e série, octobre 1901, p. 69. []
  24. Lettre du 22 décembre 1898, in : Educazione fascista, XI, 1933, p. 324. En revanche il résume ses divergences avec un autre théoricien marxiste par ces propos, très significatifs de sa vision pessimiste fondamentale : «Deville a pour grand argument que la campagne pour Dreyfus donne de la force aux militaristes et peut amener une réaction. Le malheureux ne voit pas que c’est tout le contraire : la réaction était en train express et elle se bute devant une résistance inopinée, où les avancées ont pour auxiliaire des modérés. Les gens qui ne voyaient pas le mouvement réel, qui en étaient aux apparences trompeuses des scrutins, croyaient que la France marchait dare dare vers le socialisme ; j’ai toujours vu qu’elle marchait vers le césarisme. Le mouvement apparaît maintenant, parce qu’il y a une pierre dans l’engrenage ; les dents grincent et se cassent ; mais ce n’est pas la pierre qui a fait naître l’engrenage, mais elle force les aveugles à s’apercevoir qu’il existe» (lettre à Lagardelle du 15 août 1898, ibid., p. 243). []
  25. Revue internationale de sociologie, VII, avril 1899, p. 301. []
  26. « Les aspects juridiques du socialisme », Revue socialiste, XXXII, octobre 1900, pp. 396-397. Et il écrira ailleurs : «Je ne crois pas que l’antisémitisme soit un accident passager, une aberration due à l’influence perverse de quelques hommes ; je crois qu’il durera tant que le socialisme n’aura pas vaincu bien nettement la démagogie» («De l’Église et de l’État», loc. cit., p. 54). []
  27. « Les aspects… », loc. cit., p. 397. []
  28. Á propos du leader du SPD il remarque avec ironie : «M. Bebel [se] console en déclarant que l’antisémitisme est le socialisme des imbéciles !» ( « La social-démocratie allemande », Le Pays de France, II, mars 1900, p. 145). []
  29. Cf. « Uber die kapitalistische Konzentration », Sozialistische Monatshefte, IV, mars 1900, p. 147. []
  30. Il écrit à ce sujet : « Les démagogues… cherchent à dénoncer des hommes que l’on puisse charger de tous les vices d’un régime; il n’y a pas de pauvre qui n’ait eu affaire à quelques mauvais créancier dans sa vie et qui ne soit, par suite, disposé à bien accueillir tout projet de loi qui frappera les prêteurs d’argent. Ce procédé a été encore perfectionné par les antisémites ; les banquiers juifs forment une minorité dans la minorité des riches ; il est facile de les représenter comme des étrangers qui viennent s’enrichir aux dépens de la nation. La socialisation des moyens de production, voilà qui ne dit pas grand- chose à l’esprit; mais la revendication de l’’Etat contre les Rotschild et autres millionnaires, voilà qui est facile à comprendre ! » (« De l’Église et de l’État », loc. cit., p. 53). []
  31. Paris, Giard et Brière, 1899. []
  32. Revue internationale de sociologie, VII, mai 1899, p. 379 (souligné par Sorel). []
  33. Ibid., p. 380. []
  34. Cf. Introduction à l’économie moderne (1903), Paris, Rivière, 1922, 2* éd., pp. 282 et 332. []
  35. Cf. « II Vangelo, la Chiesa e il socialismo », Rivista critica del socialismo, I, avril et mai 1899, pp. 295-304, 385-394. Sorel accorde une grande importance à cet essai qu’il incluera dans son premier livre d’écrivain socialiste : La Ruine du monde antique. Conception matérialiste de l’histoire, Paris, Jacques, 1902, pp. 249-270. Cité ici d’après la 3e éd., Rivière, 1933. []
  36. Ibid., pp. 307-308. Dans son jugement sur les rabbins, Sorel s’appuie sur l’introduction du savant juif Moïse Schwab à l’édition française du Talmud de Jérusalem. Dans son essai Sorel cite aussi Renan qui avait écrit qu’Israël apportait « le souci du faible, la réclamation obstinée pour la justice individuelle » (ibid., p. 289). []
  37. Cf. Études socialistes, I, janvier-février et mars-avril 1903, pp. 31-53, 80-87. Sorel ne se réfère quasiment jamais à ce texte et si il le fait, c’est sans rapport avec l’analyse de Marx du judaïsme. Voir par exemple « A propos de l’anticléricalisme », Études socialistes, I, mai-juin 1903, p. 247. []
  38. Introduction à l’économie moderne, op. cit., p. 237. []
  39. « Léon XIII », Études socialistes, I, novembre-décembre 1903, p. 363. []
  40. Ibid. []
  41. Ibid., p. 365. Il ajoute plus loin : « … où trouvera-t-on une manifestation vraiment certaine de l’esprit catholique ? Je serais assez disposé à voir dans l’antisémitisme cette forme authentique, celle que l’historien futur retiendra comme essentielle» (ibid.. p. 379). []
  42. Cf. Introduction à l’économie moderne, op. cit., p. 271 et « Bourgin-Fourier », Le Mouvement socialiste, XVIII, 15 février 1906, p, 235. []
  43. Pour ce dernier, il trouvera même des mots d’excuses. Voir Introduction à l’économie moderne, op. cit., p. 337. []
  44. « Nouveaux réquisitoires de M. Brunetière », Études socialistes, I, mai-juin 1903, p. 132. []
  45. Ibid. []
  46. Cf. Le Système historique de Renan, Paris, Jacques, 1906, p. 69. 47. []
  47. Ibid., p. 460. Nous ne pouvons entrer ici dans une analyse approfondie de cet ouvrage qui n’a pas encore été suffisamment pris en compte dans la littérature sorélienne. []
  48. Ibid., pp. 71-73. []
  49. Ibid., pp. 40 et 352. []
  50. Ibid., p. 43. []
  51. Ibid, p. 175. (Sur James Darmesteter, voir le livre de Michael R. Marrus, Les Juifs de France à l’époque de l’affaire Dreyfus, Paris, Calmann-Lévy, 1972, pp. 122-133.). []
  52. De même, la morale juive antique, qui d’après Sorel « est fondée sur un profit matériel et prochain » et même « utilitaire », n’est pas vue de façon négative en comparaison avec les morales grecque et romaine : « l’ensemble des préceptes juifs renfermait, avec beaucoup de puérilités, une excellente conception de la vie honnête» (ibid., pp. 157-158). []
  53. Ibid., p. 172. []
  54. Ibid., p. 468. []
  55. Ibid., p. 469. []
  56. Ibid., p. 466. []
  57. Ibid., p. 469. []
  58. Voir sur ce sujet le livre de Michael R. Marrus, op cit., pp. 29-30. []
  59. Le Mouvement socialiste, VII, novembre 1906, pp. 248-249. []
  60. Les Illusions du progrès, Paris, Rivière, 1911, 2e éd., p. 213. []
  61. Cf. « Bourgin-Fourier », loc cit., p. 235. []
  62. «Le déclin du parti socialiste international», Le Mouvement socialiste, XVIII, 15 février 1906, p. 195. Dans le même entretien, Sorel remarque également «l’influence scandaleuse que les Juifs ont sur le socialisme autrichien » {ibid., p. 200). []
  63. Pour les rumeurs et les attaques contre L’Humanité à cette époque, voir Alexandre Croix, Jaurès et ses détracteurs, Paris, Editions du Vieux Saint-Ouen, 1967, pp. 199-227. []
  64. Cf. lettres à Lagardelle du 11 et 24 mai 1906, ibid., p. 772. Notons que, déjà en 1901, on trouve une remarque hostile associant Jaurès aux Juifs. Cf. lettre à Lagardelle du 18 octobre 1901, ibid., p. 331. []
  65. Lettre à Lagardelle du 11 juin 1906, ibid., p. 774. []
  66. Signalons que Delesalle dut quitter le journal à la suite de cet article. Cf. Jean Maitron, Le Syndicalisme révolutionnaire. Paul Delesalle, Paris, Les Editions ouvrières, 1952, pp. 125-127. []
  67. Cf. Le Mouvement socialiste, VI, juillet 1906, pp. 193-199. []
  68. Ibid., p. 198. []
  69. Cf. lettres à Lagardelle du 25 juillet et 19 août 1906, ibid., pp. 775-776. []
  70. Lettre du 8 février 1907, La Critica, XXVI, 1928, p. 99. []
  71. Lettre du 27 août 1906, loc. cit., p. 777. []
  72. Lettre du 7 octobre 1906, loc cit., p. 782. []
  73. Ibid., p. 783. []
  74. Lettre du 18 septembre 1909, ibid., p. 972. []
  75. Lettre du 30 janvier 1908, ibid., p. 961. []
  76. Cf. La Révolution dreyfusienne, Paris, Rivière, 1909, p. 64. []
  77. Une des clés de cette évolution de Sorel se trouve peut- être indiquée dans une note de « Mes raisons du syndicalisme » : « L’expérience contemporaine montre que la démocratie engendre des structures de partis politiques très complexes qui tendent à gêner l’autonomie de la vie ouvrière ; on pourrait se demander si cette autonomie n’est pas plus facile sous les régimes aristocratiques que sous les républicains, si préoccupés de solidarité nationale » (Matériaux d’une théorie du prolétariat, Paris, Rivière, 1919, p. 265). []
  78. La Révolution dreyfusienne, op. cit., p. 64. []
  79. Voir par exemple « La nation juive contre la nation française » in : La Monarchie et la classe ouvrière, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1914, 2e éd., pp. 291-326. []
  80. Cf. lettres à Lagardelle du 29 octobre et 29 décembre 1909, loc. cit., p. 973. []
  81. Lettre inédite du 12 novembre 1909. []
  82. Lettre inédite du Ier avril 1910. []
  83. Lettre inédite du 23 mars 1910. []
  84. Lettre inédite du 13 septembre 1910. []
  85. «  » Camelot du Roi  » e militi del proletariate », II Giornale ď Italia, 16 février 1911. []
  86. Cf. L’Indépendance, I, 15 juin 1911, pp. 331-337 et II, 1er septembre 1911, pp. 12-28. []
  87. L’avis personnel de Sorel sur ce « crime rituel » imaginaire en 1911 n’est pas connu. Probablement tout ce qui sert à attaquer les « dreyfusards » et L’Humanité devait lui paraître légitime. Deux ans plus tard, après avoir quitté L’Indépendance, il écrira à Jean Bourdeau : « La Croix a publié le 14 courant une note dans laquelle elle compare les crimes rituels aux messes noires : ce rapprochement est évidemment très exact et les Juifs devraient s’en contenter, car il les met à l’abri d’une accusation d’ordre religieux; personne ne rend en effet l’Eglise responsable des messes noires. Je ne comprends pas pourquoi les Reinach sont si enragés pour la défense d’un Beyliss dont le crime (s’il existe) ne peut retomber sur la religion juive, telle qu’elle est fixée dans ses livres officiels » (lettre inédite du 17 octobre 1913). []
  88. Cf. L’Indépendance, II, 1er janvier 1912, pp. 305-320, III, 1er et 15 mai 1912, 1 juin 1912, pp. 217-236, 277-295, 317-336, IV, 10 octobre 1912, pp. 29-56. []
  89. Cf. Histoire de l’Affaire Dreyfus. Esterhazy, Paris, Eugène Fasquelle, 1903, p. 43. []
  90. L’Indépendance, II, lw janvier 1912, p. 320. []
  91. Cf. Histoire de l’Affaire Dreyfus. Cavaignac et Félix Faure, Paris, Eugène Fasquelle, 1904, pp. 443-444. Trois années auparavant, il avait déjà mentionné ce passage dans une lettre à Croce, en ajoutant : « II n’y a aucun moyen de raisonner avec des gens qui ont des préoccupations aussi étrangement nationalistes » (lettre du 27 novembre 1909, La Critica, XXVI, 1928, pp. 335-336). Quelques mois plus tard, il écrit au même destinataire : « Les Juifs se vantent parfois un peu trop entre eux» (lettre du 10 février 1910, ibid., p. 337). []
  92. L’Indépendance, III, lw mai 1912, p. 220. []
  93. L’Indépendance, III, 1« juin 1912, pp. 324-325. []
  94. Ibid., pp. 332-333. []
  95. Ibid., p. 336. []
  96. L’Indépendance, IV, octobre 1912, p. 56. []
  97. Cf. E.R.A. Seligman, L’Interprétation économique de l’histoire, Paris, Rivière, 1911, pp. I-Xl. []
  98. Lettre du 24 novembre 1912, La Critica, XXVII, 1929, p. 439. Voir aussi les remarques sur les Juifs et Bergson dans les lettres du 3 et du 21 septembre 1912, ibid., pp. 437-438. []
  99. Lettre inédite à Jean Bourdeau d’octobre 1913. []
  100. Lettre du 28 mars 1917, loc. cit., p. 442. []
  101. Lettre du 21 janvier 1918, in, G. Sorel, Lettres à Paul Delesalle 1914-1921, Paris, Grasset, 1947, p. 125. []
  102. Cf. par exemple les lettres à Croce du 28 janvier 1915 ; 5 février et 15 mars 1918 ; 6 janvier 1919, La Critica, XXVII, 1929, p. 354 et XXVIII, 1930, pp. 4445, 49. Voir également les lettres à Delesalle du 6 janvier et 19 mai 1918, op. cit., pp. 126, 144. []
  103. Lettre à J. Lotte du 25 février 1914, L’Amitié Charles Péguy, V, juillet 1953, p. 12. []
  104. Lettre inédite du 27 février 1914. []
  105. Lettre du 27 mai 1914, in, Gabriele de Rosa (éd.), Carteggi paretiani (1892-1925), Roma, Banca Nazionale del Lavoro, 1962, p. 3. []
  106. Le 14 mars 1918, il écrit à Delesalle : « Trotsky étant un Juif qui a fort couru le monde… doit ressembler beaucoup aux révolutionnaires russes que l’on rencontre à Paris : bavards, hâbleurs, à moitié hallucinés, en quête d’une dictature populaire qui fera d’eux des Césars ». Le 1er août 1918, il écrit : « Lénine semble être aussi incorruptible que Robespierre et, chose étonnante, il a pu se maintenir au milieu de Juifs qui ne doivent tous être très purs » (op. cit., pp. 133, 155-156). Par contre, deux ans plus tard, il écrit à propos de la Revue communiste, dernière revue militante à laquelle il collabore, que celle-ci arrive à survivre « sans doute au moyen de souscriptions recueillies parmi les innombrables Juifs russes de Paris, qui ne sont pas tous misérables. Le Juif a ceci de particulier qu’en cessant d’être malheureux, il ne cesse pas toujours d’être révolutionnaire » (lettre du 21 août 1920, ibid., p. 199). []
  107. Il s’agit d’un compte rendu publié après la mort de Sorel dans la revue de Piero Gobetti, La Rivoluzione libérale (II, 8 mars 1923). Il est daté de façon erronée du 12 octobre 1922. Il faut lire évidemment 1921. []
  108. Cf. « II sionismo », Il Resto del carlino, 5 novembre 1920 (repris in, « Da Proudhon a Lenin » e « L’Europa sotto la tormenta », Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1973, pp. 301-304). []
  109. Cf. L’Indépendance, 10 octobre 1912, p. 43. []
  110. Cf. « II problema ebraico », Il Resto del carlino, 12 août 1921 (repris in, «Da Proudhon…, op. cit., pp. 370-374) et «Batault-Le problème juif », La Revue communiste, II, juillet 1921, pp. 335-336. []
  111. Cf. G. Batault, Le Problème juif, Paris, Pion, 1921, pp. 242- 243. []
  112. Cf. « II problema ebraico », loc. cit., pp. 373-374. Il n’est pas indifférent de préciser que Sorel, bien qu’ayant été en relation durant les deux dernières années de sa vie avec un groupe nationaliste égyptien, considère l’impérialisme britannique comme moins mauvais que l’impérialisme français. []
  113. «Batault-Le Problème juif», loc. cit., p. 336. []
  114. Ibid. []
  115. « Sorel, Pareto, Spengler. Three Fascist Philosophers », Horizon, V, janvier-juin 1942, p. 423. []
Shlomo Sand