Dans votre livre British Communism and the Politics of Race (Brill, 2018), vous examinez le rôle qu’a joué le Parti Communiste de Grande-Bretagne (CPGB) dans le mouvement antiraciste durant la seconde moitié du XXe siècle. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ce sujet ? Pourquoi vous être spécifiquement concentré sur la période s’étendant des années 1940 aux années 1980 ?
J’ai commencé à m’intéresser à l’histoire du CPGB après avoir lu l’autobiographie d’Eric Hobsbawn Franc-Tireur. Mon mémoire de spécialisation (Honours thesis) portait sur le groupe d’historiens du Parti Communiste (dont faisait partie Hobsbawn) et sur le rôle qu’ils ont joué dans les événements de 1956, lorsqu’une partie significative des membres du parti s’est soulevée contre la direction du CPGB. L’une des raisons pour lesquelles nombre de membres du Parti appartenaient au CPGB durant la première décennie de la Guerre Froide et y sont restés après 1956 résidait dans l’héritage antifasciste de celui-ci. Les recherches que j’ai entrepris pour mon doctorat portaient initialement sur la manière dont cet héritage antifasciste éclairait l’antifascisme d’après-guerre et je me suis finalement intéressé plus globalement à l’antiracisme du CPGB.
J’ai choisi de me focaliser sur la période s’étendant de la fin des années 1940 au début des années 1980, car cela correspond à l’apogée de la trajectoire d’après-guerre du CPGB tout en reflétant la montée du mouvement antiraciste en Grande-Bretagne. Le livre s’ouvre sur les débuts de la Guerre Froide, au moment de la progression du processus de décolonisation dans l’Empire britannique, et de l’arrivée massive en Grande-Bretagne d’immigrés venus de ses anciennes colonies. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le nombre des membres du CPGB avait augmenté, le parti avait une certaine influence politique sur les syndicats et deux députés, ainsi que des centaines de conseillers municipaux. Durant les années 1950, cette organisation a été la première (et la plus influente) au sein du mouvement ouvrier britannique à attirer les ouvriers immigrés et à faire campagne contre la discrimination raciale en Grande-Bretagne.
Le livre suit l’implication du CPGB dans le mouvement antiraciste en passant par les années 1960 et 1970, l’idée principale étant que le Parti était très influent dans les années 1950 et au début des années 1960, avant d’être finalement supplanté d’une part par les groupes militants noirs et, d’autre part, par la gauche trotskyste et maoïste. Le Socialist Workers Party a réussi à coopter l’héritage de l’antifascisme des années 1930 du CPGB, y compris la fameuse « bataille de Cable Street », et à former la ligue anti-nazi (Anti-Nazi League, ANL) à la fin des années 1970, ce qui a contribué à dynamiser la naissance d’une nouvelle génération de militants antiracistes.
Le livre se termine au début des années 1980, sur les émeutes qui ont éclaté en 1980 et 1981 à travers la Grande-Bretagne de Thatcher. Ces émeutes ont éclaté à une époque où la gauche, y compris le Parti Communiste, était en pleine évolution, affectée par l’ascension du thatchérisme et de l’offensive néolibérale sur plusieurs secteurs de la société britannique perçus comme « subversifs », y compris le mouvement ouvrier et les communautés noires britanniques. La gauche, qui regardait les émeutes à travers le prisme de la classe, a tenté de replacer celles-ci dans une histoire plus longue des troubles publics perpétrés par les chômeurs et les classes les plus basses. Cependant, pour nombre de militants noirs, ces émeutes s’inscrivaient dans la lignée historique des rébellions noires, remontant aux émeutes de Cardiff en 1919. Cette divergence d’interprétation représente, à l’échelle micro-scalaire, les changements d’attitude qui apparaissent concernant les questions de classe et de race dans les années 1980, davantage problématisés par la menace que représentait le thatchérisme pour le consensus social-démocrate d’après-guerre.
À l’époque, le Parti Communiste, lui-même en pleine déroute, se relevait des schismes profonds qui ont traversé le Parti à la fin des années 1970, des divisions qui concernaient l’influence de l’eurocommunisme et du gramscisme dans le programme du Parti. En 1983, ces schismes ont déchiré le Parti – entraînant le départ d’une large section de l’aile travailliste (y compris les éditeurs du journal Morning Star) – dont le déclin semblait dès lors inévitable. Je termine le livre sur ces entrefaites, car le Parti, non seulement comme organisation politique, mais aussi en tant qu’il prenait part au mouvement antiraciste, a cessé d’avoir un quelconque intérêt à partir de ce moment-là.
Un point extrêmement intéressant de votre livre est que le CPGB avait une véritable compréhension du concept de « race », qui était « largement éclairée par la théorie marxiste » : pourriez-vous revenir sur cette compréhension et sur la manière dont celle-ci a évolué de la fin de la Seconde Guerre mondiale et ce, jusqu’aux années 1980 ? Ce concept divisait-il les membres du parti ?
Durant tout l’entre-deux-guerres, le parti faisait campagne contre la « barrière raciale » (colour bar) dans les colonies, mais sans réellement théoriser, à l’époque, cette « barrière raciale ». Au cours des années 1950 et 1960, avec les arrivées plus nombreuses d’immigrés en Grande-Bretagne, le Parti a commencé à développer l’idée d’une imbrication du racisme à la théorie marxiste et à la notion d’exploitation capitaliste. Kay Beauchamp et Joan Bellamy, membres de la section internationale du Parti, étaient à cette époque les deux principaux auteurs de la littérature antiraciste du Parti, bien que Claudia Jones, Africaine-Américaine et membre du Parti Communiste des États-Unis en exil, ainsi que le Caribéen Winston Pinder, aient tous deux également contribué aux publications du Parti traitant des problèmes que devaient affronter les ouvriers noirs en Grande-Bretagne.
Beauchamp et Bellamy ont tous deux mis l’accent sur le fait que des concepts tels que le racisme ou la supériorité raciale prenaient racine dans l’expansion coloniale de l’Empire britannique et avaient été importés par les Empires espagnols et portugais dans les années 1500-1600. Le racisme faisait délibérément partie du projet impérial, afin de justifier la conquête de nouveaux territoires, l’exploitation de populations indigènes et l’extraction de matières premières. Le système capitaliste promouvait la division raciale entre les ouvriers noirs et blancs afin de diviser la classe ouvrière et d’éviter ainsi les révoltes contre la classe dirigeante. À partir de là, on considérait que tant que le capitalisme ne serait pas renversé, le racisme existerait. Concrètement, nombre de membres noirs du Parti pensaient que celui-ci négligeait les campagnes anti-racistes au profit des questions syndicales fondamentales (bread and butter issues) — la lutte contre le système capitaliste était prioritaire et la lutte contre le racisme apparaissait comme un produit dérivé de cette lutte principale. Lorsque des membres noirs, comme Jones ou Pinder, écrivaient sur le racisme, ils se focalisaient davantage sur le racisme quotidien et les discriminations raciales auxquels devaient faire face les ouvriers noirs en Grande-Bretagne et appelaient à un militantisme beaucoup plus concret.
Une nouvelle génération de membres du Parti qui s’est mise à écrire sur la question raciale a émergé à la fin des années 1970 et au début des années 1980, avec des figures telles que Stuart Hall, Dave Cook, Vishnu Sharma, Martin Rabstein, Dorothy Kuya et Gideon Ben-Tovim. La plupart de ces personnes avaient de la sympathie pour l’eurocommunisme et acceptaient les nouveaux mouvements sociaux, par exemple le mouvement anti-raciste dirigé par des militants noirs. L’interprétation de la manière dont le racisme s’inscrivait dans le système capitaliste devint moins rigide et il y a eu un consensus grandissant sur le fait que le racisme était une forme d’exploitation et d’oppression qui n’était pas forcément causée de façon directe par le capitalisme et la classe dirigeante. Les discriminations raciales, tout comme les discriminations sexistes, devaient être combattues en même temps que le capitalisme.
Quelles conséquences dans les rapports qu’il entretenait avec les trade-unions, et de manière plus générale avec ses alliés de la gauche britannique, l’engagement du CPGB dans le mouvement anti-raciste a-t-il eues ?
Les rapports entre le Parti et le milieu trade-unioniste occupaient une place primordiale dans le programme d’après-guerre du CPGB et, tandis que le Parti faisait campagne contre la discrimination raciale au sein du mouvement syndical, il avait du mal à trouver du soutien concernant l’antiracisme dans nombre de sections de ce même mouvement. Jusqu’à la fin des années 1970, le mouvement syndical s’est montré relativement lent à prendre au sérieux la question des discriminations raciales et, jusque dans les années 1980 encore, la lutte contre le racisme était perçue comme une question secondaire qui ne concernait qu’une minorité de syndicalistes. Le CPGB était, par conséquent, pris dans un exercice d’équilibriste, tentant simultanément de convaincre les trade-unions de prendre au sérieux la lutte contre le racisme sans pour autant s’éloigner de ses alliés dans le mouvement syndical.
À l’extrême-gauche, l’International Marxist Group, l’International Socialists (qui deviendra par la suite le Socialist Workers Party) et certains maoïstes indiens associés à l’Indian Workers Associations pouvaient se présenter comme étant plus combatifs que le CPGB concernant l’antiracisme. L’IMG et l’IS/SWP qui avaient notamment une approche beaucoup plus conflictuelle en ce qui concerne la lutte contre le National Front dans les années 1970, ont développé la politique « pas de tribune » (no platform) pour les fascistes et fondé la ligue anti-nazi. Alors que le CPGB a soutenu certaines de ces initiatives, il insistait sur ce qui les différenciait de ces autres groupes, les accusant à de nombreuses reprises d’« aventurisme » et de « gauchisme ».
Dans son livre Racism, Class and the Racialized Outsider, Satnam Virdee écrit que « [d]ès le milieu des années 1930, il [le CPGB] adopta la stratégie du Front Populaire, l’obligeant à nationaliser son message communiste. Le langage de la lutte des classes et de l’internationalisme prolétarien était subsumé dans l’émergence d’un discours traitant de plus en plus de la “’Nation britannique”’ et du “’peuple britannique”’. (…) Tandis-ce que nombre de personnes étaient attirées par le CPGB précisément en raison de son changement d’orientation, notamment sa tentative de lier le projet communiste à un patriotisme britannique radical, la focale spécifique sur l’anti-impérialisme et l’anti-racisme était de plus en plus mise de côté. Un non-blanc, membre du parti depuis longtemps, comme Clemens Dutt (…) a été l’un des premiers à soulever des objections (…) accusant le parti de “’chauvinisme blanc”’ » (Palgrave McMillan, 2014, p. 96). Les Partis Communistes français et des États-Unis ont adopté des attitudes similaires durant le Front Populaire, ce qui a eu des conséquences importantes sur leurs politiques anticoloniales et antiracistes. Comment le CPGB a-t-il évolué depuis la période du Front Populaire jusqu’aux années 1940 concernant la question raciale ?
Le Front Populaire a clairement entravé le militantisme anticolonial du Parti Communiste et la question de la libération des colonies s’est retrouvée reléguée au second plan dans les publications et le matériel de propagande du Parti. Néanmoins, cette question n’avait pas totalement disparu. Le soutien pour la liberté ultime des colonies trouvait toujours sa place dans les publications du parti, notamment en ce qui concernait l’Inde. Le CPGB promouvait l’idée selon laquelle les colonies devaient aider la Grande-Bretagne dans sa lutte contre le fascisme et qu’une fois victorieuse, cette lutte antifasciste pourrait se transformer en lutte anticoloniale et anticapitaliste.
En 1936, la bataille de Cable Street a opposé des militants antifascistes (y compris des communistes) à la British Union of Fascists (BUF), protégée par la police. Pourriez-vous revenir sur la manière dont le CPGB s’est opposé au fascisme par la suite ? Cable Street est un événement relativement connu de l’histoire de l’antifascisme britannique, mais ce que l’on connaît sans doute moins, c’est l’attitude du CPGB vis-à-vis de la question du fascisme, pendant, mais aussi après la Seconde Guerre mondiale. Quels rapports entretenaient les militants communistes avec le 43 Group [groupe antifasciste, notamment composé de Juifs ayant servi dans l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale] ? Pourriez-vous revenir sur les relations entre la communauté juive et le CPGB après la guerre ?
Bien que la direction du CPGB était en fait divisée sur le fait de se mobiliser contre le BUF lors de la « bataille de Cable Street » en Octobre 1936 (l’initiative a été lancée par des membres de la Young Communist League et des membres juifs du Parti de l’Est londonien), le fait que le CPGB ait été fortement impliqué dans les actions de cette journée, tout comme dans d’autres confrontations avec la BUF au cours des années 1930, a été largement médiatisé durant les années suivantes. Au cours des élections de 1945, le CPGB a fortement appuyé sa campagne sur son héritage antifasciste, et cet héritage ainsi que les nombreuses adhésions de personnes juives à Londres, ont aidé Phil Piratin à gagner le siège de Stepney et Mile End.
Cet héritage a également encouragé d’autres membres du CPGB, y compris certains membres Juifs du Parti, à s’engager dans la lutte contre l’organisation d’après-guerre d’Oswald Mosley, l’Union Movement. À compter de 1946, Mosley a essayé de réhabiliter son image et d’utiliser les événements de Palestine (et la création d’Israël en 1948) pour raviver l’antisémitisme de l’entre-deux-guerres de la BUF dans cette nouvelle organisation. Les membres du CPGB, tout comme les membres de l’Association of Jewish Ex-Servicemen et le Trotskyist Revolutionary Communist Party, ont combattu l’UM lors de violents combats de rue à Londres, Manchester et Birmingham, tandis ce que le CPGB menait aussi une campagne pour l’interdiction de l’UM par le Public Order Act de 1936 (l’ironie, c’est que celui-ci avait été introduit après Cable Street et, comme l’a montré David Renton, principalement mobilisé par la police contre le CPGB dans les années 1940). Le 43 Group, auquel appartenaient des membres juifs du CPGB, faisait partie de ce mouvement antifasciste d’après-guerre. La direction du Parti avait de la sympathie pour eux, mais tenait à souligner le fait que les deux organisations n’étaient pas officiellement liées.
Finalement, la population juive de l’East End s’est dissipée, nombre d’entre eux étant partis dans d’autres quartiers de Londres, et l’héritage antifasciste du CPGB s’est estompé, jusqu’à ce que celui-ci soit ravivé à les années 1970 par la lutte contre le National Front, bien qu’étant souvent utilisé par la gauche trotskyste pour condamner le « réformisme » du CPGB.
De quelle manière l’immigration en provenance des pays du Commonwealth a-t-elle évolué après la Seconde Guerre mondiale ? Comment le CPGB a-t-il réagi à cette évolution de la classe ouvrière britannique ? Au-delà de la réaction politique immédiate vis-à-vis de l’immigration, y avait-il une théorisation de cette question de la part d’intellectuels communistes ?
L’immigration en provenance des pays du Commonwealth a commencé à augmenter à la fin des années 1940 et a continué tout au long des années 1950. Au début des années 1960, des restrictions ont été mises en place par le gouvernement conservateur sur l’immigration du Commonwealth, que le Labour a intensifié en 1965 et 1968. Au début des années 1970, l’immigration ouvrière a significativement diminué, la plupart des migrants du Commonwealth venant dans le cadre d’une politique de regroupement familial. Bien que le CPGB ait fait campagne contre les discriminations raciales auxquelles devaient faire face les ouvriers noirs, la perception qu’avait le Parti de la classe ouvrière britannique a pendant longtemps été celle d’une classe ouvrière blanche (mais aussi masculine et hétérosexuelle). Cette conception s’est finalement effondrée au cours des années 1970 et 1980, du fait que davantage d’ouvriers noirs luttaient pour une certaine reconnaissance au sein du CPGB et, plus largement, au sein du mouvement ouvrier.
Tout comme le concept de racisme était perçu comme faisant partie du système capitaliste, le Parti n’était pas clair quant à la manière dont les ouvriers immigrés s’inscrivaient plus largement dans les dynamiques de classe en Grande-Bretagne. Il y a eu des velléités de théoriser, en s’inspirant des sociologues marxistes des années 1960, la question des ouvriers immigrés en les considérant en tant que faisant partie de « l’armée de réserve du prolétariat », utilisée par la classe dominante pour diviser la classe ouvrière et affaiblir le militantisme dans le secteur industriel. Néanmoins, ces débats théoriques sont restés assez limités (dans les années 1960, ils étaient principalement publiés dans la revue Marxism Today, dont le lectorat était relativement restreint) et ces concepts ont été discrètement abandonnés par le Parti au cours des années 1970 et 1980, lorsqu’une nouvelle génération de membres a commencé à écrire sur les questions raciales dans les publications du Parti.
Comment le CPGB a-t-il réagi face au développement d’organisations noires en Grande-Bretagne dans les années 1960 et comment les a-t-il analysées ? Leurs rapports aux organisations noires étaient-ils différents de ceux d’autres organisations de gauche ?
Le Parti était assez prudent vis-à-vis des organisations se réclamant du black power à la fin des années 1960 et au début des années 1970, qu’il percevait comme des organisations promouvant le séparatisme au lieu de l’unité entre noirs et blancs, et pouvant être aisément influencées par le gauchisme des courants trotskystes et maoïstes. Le CPGB préférait avoir affaire à des organisations comme Liberation (anciennement Movement for Colonial Freedom) et l’Indian Workers Association, dont plusieurs membres de la direction, comme Vishnu Sharma, étaient membres du CPGB.
L’IMG et l’IS/SWP avaient beaucoup plus de sympathie envers ces organisations noires, Tariq Ali ayant tissé des liens avec plusieurs militants du black power en Grande-Britannique, comme Darcus Howe par exemple. Néanmoins, ces militants noirs regardaient souvent d’un air suspicieux ces organisations marxistes.
La montée de nouveaux mouvements sociaux dans les années 1960/1970 a-t-il fait évoluer les rapports qu’entretenait le CPGB avec le mouvement antiraciste ?
Les nouveaux mouvements sociaux des années 1960 et 1970, comme le mouvement antiraciste, le mouvement de libération des femmes et le mouvement pour les droits des gays, ont eu un impact important sur le Parti Communiste. Une jeune génération de membres du CPGB, en partie inspirée par l’œuvre d’Antonio Gramsci, le Printemps de Prague et l’eurocommunisme, a appelé la direction du Parti à prendre plus au sérieux ces nouveaux mouvements sociaux, tout en soutenant le fait que ceux-ci contestaient le travaillisme (labourism) traditionnel du Parti. Ces nouveaux mouvements sociaux soulignaient des formes d’oppression qui existaient en parallèle de l’oppression de classe et les réformistes du Parti ont proposé que le programme du Parti, The British Road to Socialism, prenne cet aspect en compte. Ceci a abouti, en 1977, à une révision du programme, proposant une « large alliance démocratique » entre le Parti Communiste et les militants engagés dans ces nouveaux mouvements sociaux, les membres du Parti étant quant à eux encouragés à s’engager dans un certain nombre d’organisations antiracistes, y compris la ligue anti-nazi, la campagne contre les lois racistes (Campaign Against Racist Laws) et contre les comités de rapports inter-communautaires (Community Relations Committees) mis en place par le Race Relations Act en 1976.
Qu’est-ce que l’Immigration Act (IA) de 1971 ? En quel sens l’IA a-t-il influé sur les débats portant sur le racisme ? Le CPGB (et plus largement, la gauche britannique) était-il en mesure de lutter contre celui-ci ?
L’IA de 1971 a été introduit par le gouvernement Heath en même temps que l’Industrial Relations Act (IR Act). Le mouvement syndicaliste était mobilisé à grande échelle pour lutter contre l’IR Act, plusieurs membres du CPGB occupant des postes importants au sein des syndicats impliqués dans cette campagne, y compris le Liaison Committee for the Defence of Trade Unions. Un certain nombre de membres noirs du parti, dont Winston Pinder et Trevor Carter, ont critiqué le CPGB pour avoir mobilisé ses membres contre une loi seulement et non contre l’autre, notamment parce que l’IA allait entraîner de fortes restrictions quant aux droits des ouvriers immigrés en Grande-Bretagne.
L’IA rendait la vie plus difficile pour les immigrés arrivant au Royaume-Uni ainsi que pour leurs familles. Dès le milieu des années 1970, les campagnes de défense des victimes de l’IA constituaient une part importante de l’agenda du mouvement anti-raciste. Des campagnes comme l’Anwar Ditta Defence Campaign impliquaient certains membres du CPGB dans le North-West, tout comme des membres de l’IMG, du SWP et du Revolutionary Communist Group.
En quel sens le CPGB a-t-il fait évoluer sa stratégie antiraciste avec les succès du British National Front à la fin des années 1970 et dans les années 1980 ? Pourriez-vous notamment revenir sur la manière dont la montée du SWP (Socialist Workers Party) en tant que force antifasciste dominante et la mise sur pieds d’un nouveau type de militantisme antifasciste (comme la ligue anti-nazi par exemple) ont influencé la stratégie antifasciste du CPGB ?
Le contexte était celui de la campagne antifasciste du CPGB contre le National Front dans les années 1970. Le SWP, de son côté, promouvait une approche beaucoup plus conflictuelle, comme le montre la « bataille de Lewisham » en août 1977, lorsque des militants du SWP, avec de jeunes noirs du quartier, se sont battus contre le NF et la police, alors que le CPGB tenait un « rassemblement pacifiste » loin de l’épicentre de l’affrontement. Avant cet événement, mais aussi par la suite, le SWP a utilisé l’héritage de l’antifascisme du CPGB des années 1930 pour justifier son approche.
Même quand le SWP adaptait sa démarche afin d’encourager un large mouvement antifasciste avec la ligue anti-nazi (ANL), ils étaient perçus comme étant à l’origine de l’initiative, alors que le CPGB, qui s’était montré hésitant quant au soutien à apporter à l’ANL, apparaissait comme ayant « raté le coche ».
De quelle manière le CPGB, qui était affaibli dans les années 1980, a-t-il pu continuer ses activités antiracistes après le tournant « populiste autoritaire » qu’a entraîné l’élection de M. Thatcher en 1979 ? Un point très intéressant que vous développez dans le dernier chapitre de votre livre est qu’« [a]lors que la gauche, y compris le CPGB, avait participé à la défaite du National Front par la ligue anti-nazi, elle n’avait pas eu les mêmes succès en ce qui concerne la lutte contre d’autres formes de racisme populaire et institutionnel ». Vous expliquez également qu’une certaine désillusion régnait au sein de la communauté noire, qui se sentait trahie par « une gauche blanche qui avait pendant longtemps minimisé le rôle de la “’race”’ dans la lutte des classes et la lutte contre le racisme » : pourriez-vous expliquer ce point ?
Nombreux étaient ceux qui, à gauche, voyaient le thatchérisme comme n’étant rien d’autre qu’une révision du gouvernement Heath, alors que certains militants, au sein du CPGB, notamment Stuart Hall et Martin Jacques, défendaient l’idée que Thatcher représentait autre chose. Écrivant dans Marxism Today, en 1979 et 1980, Hall et Jacques soutenaient que le thatchérisme représentait une menace envers diverses sections de la société britannique, y compris le mouvement syndical et les communautés noires britanniques. Ils s’opposaient à l’excès d’optimisme découlant des succès de l’ALN dans leur victoire contre le National Front, indiquant les confrontations à venir entre les noirs et l’État, anticipés par l’attitude de la police lors du Notting Hill Carnival de 1976, durant la grève de Grunswick en 1977 et à Southall en 1979.
Alors que l’ANL, y compris le CPGB, avait mené avec succès la campagne contre le NF, de nombreux militants noirs sentaient que cela s’était fait aux dépens d’une campagne antiraciste plus large et beaucoup avaient la sensation que les communautés noires avaient été abandonnées une fois la menace du NF écartée. Lorsque des émeutes éclatèrent en 1980, puis en 1981, un certain nombre de militants noirs, à l’instar de Paul Gilroy et Darcus Howe, demandèrent expressément aux organisations de gauche impliquées dans l’ANL où elles étaient durant les dernières années.
Existe-t-il aujourd’hui un réel mouvement antiraciste en Grande-Bretagne ? Si oui, diriez-vous que le CPGB a pu avoir une influence théorique sur celui-ci ?
Le mouvement antiraciste existe toujours en Grande-Bretagne, bien que celui-ci soit très différent des mouvements antiracistes des années 1960 et 1970, lorsque le CPGB d’après-guerre était à son apogée. Le CPGB a eu une influence, car c’était l’une des premières organisations à faire campagne afin que le mouvement syndical prenne la question du racisme au sérieux. Des personnes comme Stuart Hall et Martin Jacques ont exercé une certaine influence, car ils proposaient de prendre au sérieux ces nouveaux mouvements sociaux et encourageaient la gauche à faire l’effort d’incorporer ces mouvements sociaux (y compris la montée des politiques de l’identité) au sein d’une perspective de classe. Mais l’héritage le plus durable du CPGB reste sans doute son antifascisme des années 1930. La bataille de Cable Street est toujours perçue comme un événement structurant de l’antifascisme militant depuis qu’elle s’est déroulée, il y a 80 ans. Dans un monde où l’extrême-droite semble progresser, le souffle de ce jour d’octobre 1936 continue de guider les antifascistes et antiracistes.
Entretien réalisé par Selim Nadi. Traduit de l’anglais par Sophie Coudray et Selim Nadi.