Le terme « logistique » — avec cette drôle de connotation évoquant les aspects techniques du transport, de l’organisation et de la distribution des marchandises — peut faire lever les yeux au ciel, ou provoquer quelques bâillements c’est selon, lorsqu’on n’est pas dans un programme MBA ou un conseil d’administration. Pourtant, peut-être précisément du fait de son apparente banalité, l’émergence de la gestion logistique en tant que puissance économique mondiale depuis les années 1950 a échappé à l’attention des marxistes même les plus clairvoyants. Ce n’est que récemment que des chercheur-e-s critiques ont commencé à prêter attention à la logistique dans son ensemble, essayant de comprendre la manière dont les systèmes logistiques fonctionnent pour coordonner, saisir et contrôler les vicissitudes de la vie quotidienne. En intégrant directement les systèmes de production, de distribution et de consommation dans des systèmes cybernétiques de gestion de données, la logistique mêle les infrastructures de transport, les systèmes écologiques, les biens commerciaux et militaires et le travail qui est nécessaire pour les faire circuler, dans un vaste système de suivi et de traçage qui comprend des espaces géographiques et sociaux toujours plus grands dans la machine extractive du capitalisme de chaîne d’approvisionnement. Au cours de ce processus, l’organisation de l’accumulation du capital par les systèmes logistiques a exigé des tournants politiques, qui ont recoupé l’intérêt des États à étendre leur souveraineté territoriale et technologique. Les modes de pensée et la pratique logistiques se sont rapidement imposés comme une stratégie fondamentale pour réorganiser l’accumulation à travers l’accélération, la modulation et le contrôle de la circulation mondiale du capital. Non seulement les techniques et les procédés logistiques ont été appliqués dans un nombre croissant de domaines de la vie sociale — de leur rôle dans la précarisation grandissante du travail au sein des entrepôts de distribution et dans le transport routier jusqu’à l’application de techniques logistiques dans les missions humanitaires, lors d’opérations militaires ou dans l’université — mais ces changements manifestent également un tournant sous-jacent vers la production progressive de civilisations techniques, qui transforment les fins en moyens en cherchant des façons de faire circuler le capital qui évitent les frictions causées par les rébellions, les soulèvements et les résistances.
Envisagée plus largement comme l’expansion des logiques d’efficacité de la distribution dans les espaces et les activités de la vie quotidienne, la logistique a un périmètre qui comprend bien plus que les processus économiques de gestion à flux tendu et de livraison qui sont généralement associés à l’abonnement « Premium » Amazon. Parallèlement à ces efforts pour accélérer la circulation des biens, s’est mise en place une réorganisation complète des processus mondiaux d’accumulation et de paupérisation. Comme l’impératif d’accélération de la rotation du capital a intensifié les efforts pour contrôler et coordonner la circulation des marchandises à travers le monde, la logistique est devenue à la fois une forme de raison calculatrice et un ordre social et matériel qui organise, à travers les chaînes d’approvisionnement, l’assujettissement, la dépossession et l’exploitation des pauvres et des travailleurs/ses. Dans le champ naissant des recherches sur l’émergence de la logistique dans la période contemporaine, ce phénomène est perçu comme l’accroissement du désir pour les logiques d’efficacité — ce que Jacques Ellul analyse comme l’invasion de la technique dans la société1. La logistique ignore les « quoi », les « pourquoi », les « qui » et les « quand », et résout les différentes crises en réduisant des problèmes politiques (les contestations au travail, les dangers de soulèvements, la contrainte de devoir assurer des services sociaux) à des problèmes techniques de gestion — des « comment ». Au fil du temps, les modes de gestion logistique sont devenus bien plus que de simples outils pour organiser la circulation des biens, ce sont aussi des technologies biopolitiques de contrôle à travers lesquelles l’entité complexe formée par l’État et le capital commande et surveille les populations, soumet les vies et les conditions d’existence de ces populations à des formes de domination technologique.
Il est donc nécessaire de mener une étude de la « révolution logistique » qui interroge son émergence comme celle d’une nouvelle science capitaliste dominante, cherchant à comprendre le rapport entre les logiques d’accumulation et les formes sociales et spatiales qu’elle organise2. Ce guide de lecture fournit un inventaire thématique de travaux à la fois classiques et récents qui examinent la logistique dans ses différentes significations, afin d’analyser le rôle de celle-ci dans la reproduction et la circulation du pouvoir étatique et capitaliste.
Parce que l’étude critique de la logistique a émergé il y a seulement une dizaine d’année, la littérature analysant la logistique d’un point de vue marxiste est encore relativement restreinte. Il était donc difficile dans ce guide de lecture de se limiter à la littérature marxiste consacrée à la logistique. En revanche, ce guide propose de présenter le contexte plus large de la restructuration de l’économie et de l’État dans lequel la révolution logistique s’est inscrite. Après tout, les processus de circulation et de distribution sont plus vieux que la science capitaliste de la logistique elle-même, et le marxisme a beaucoup à dire — et cela depuis longtemps — sur les rapports sociaux de circulation et de distribution dans le cadre desquels nous pouvons aujourd’hui comprendre l’émergence de la logistique. Ainsi conçu, ce guide de lecture ne procède pas chronologiquement mais thématiquement. Nous chercherons cependant, au moins au début, à identifier les périodes historiques importantes. Nous aborderons d’abord la littérature la plus récente dans le champ des études critiques sur la logistique, en discernant les principales positions adoptées à propos du « tournant logistique » et en signalant les domaines où le travail reste à faire. Dans un second temps, pour suivre les principes matérialistes sur lesquels se fondent cette littérature, nous remonterons le temps afin d’examiner les crises économico-politiques qui ont produit le contexte et préparé le terrain sur lesquels s’est développée la logistique en tant que science capitaliste. Ensuite nous passerons en revue thématiquement les catégories fondamentales de cette littérature. Il y a dans ce champ des corpus entiers de travaux qui traitent plus généralement du rapport entre État et capital, des chaînes d’approvisionnement, et de la production des économies de flux commerciaux : parmi tous ces travaux, nous isolerons plusieurs textes particulièrement instructifs pour l’étude critique de la logistique. Il va sans dire que ce guide de lecture ne peut pas être exhaustif. Ce qu’il voudrait plutôt apporter, c’est une liste des principaux thèmes et des enjeux essentiels pour comprendre l’émergence de la logistique. À travers cette cartographie, il s’agit d’identifier par une analyse en termes de classes les voies par lesquelles les flux de capitaux ont été réorientés selon une nouvelle stratégie d’accumulation qui vise la réalisation rapide de la valeur.
Avant de commencer, une note sur la terminologie. Dans ce guide de lecture, nous allons traiter de la logistique à la fois comme pratique matérielle, et comme rationalité calculatrice ayant pour objectif la sécurisation des flux transnationaux de capital commercial. Je comprends et j’utilise le terme de logistique de deux manières différentes. D’abord, en tant qu’objet d’étude empirique, la logistique renvoie à un domaine précis, une pratique et une science de gestion : celles de la coordination des flux complexes de personnes, de capitaux et de marchandises dans la chaîne d’approvisionnement mondiale, dans le but d’assurer la distribution physique des biens selon la plus grande efficacité économique. En ce sens, la logistique est à la fois un réseau matériel — une industrie constituée concrètement d’entrepôts, de chemins de fer, de chantiers navals, et d’autres infrastructures de transports, ainsi que des entreprises qui supervisent cette coordination — et une business science de la programmation et de la gestion qui organise le stockage et les flux de marchandises par le tri algorithmique et par des procédures de traitement prédictives. Mais la logistique peut aussi être considérée comme un point de vue heuristique. On peut ainsi considérer que la fonction de la logistique est d’être un processus de transformation qui vise à lisser, aplanir, effacer les irrégularités des opérations capitalistes à travers l’espace et le temps. Alors une lecture logistique du monde analyse les schèmes de mobilité et de blocage en interrogeant les structures et les agents qui utilisent l’imaginaire du commandement et du contrôle pour promouvoir et protéger les modes de vie néolibéraux qui améliorent les conditions de la circulation mondiale. Dans cette perspective, une lecture logistique cherche à dévoiler la manière dont les rationalités politiques des flux, abstraites, ont des effets très concrets sur les populations qui sont exposées à la demande de flux commerciaux.
La logistique comme business science
- Edward W. Smykay et Bernard J. LaLonde, Distribution: The New and Profitable Science of Business Logistics, Chicago/London, Dartnell Press, 1967.
- Bernard J. LaLonde, John R. Grabner et James F. Robeson, « Integrated Distribution Management: A Management Perspective” The International Journal of Physical Distribution, 44-1, 1970, p. 43–49 (repris dans Pieter van Buijtenen, Martin G. Christopher et Gordon S. C. Wills (éds.), Business Logistics, La Hague, Martinus Nijhoff, 1976, p. 3-19).
- Martin Christopher, Logistics and Supply Chain Management (4e édition), Harlow, Pearson, 20113.
Jusqu’ici, c’est de très loin dans les écoles de commerce que la logistique a académiquement reçu le plus d’attention. Depuis les années 1950, la discipline de la logistique y est apparue comme une façon d’augmenter les capacités des entreprises à maximiser les profits en accroissant la vitesse de circulation du capital commercial et son volume. Plusieurs textes de business management exposent, de manière quelque peu rébarbative, les modèles opérationnels dans lesquels la logistique est devenue une focale qui applique la perspective des systèmes d’ingénierie aux problèmes de stockage et de distribution. Écrivant dans les années 1960 au moment où le champ de la logistique commence à prendre forme, Smykay et Lalonde en cartographient l’émergence à travers le langage de la « gestion de la distribution intégrée » [integrated distribution management] de la « distribution physique » [physical distribution], cherchant à appliquer la perspective systémique à la « gestion des flux physiques » [management of physical flow]4 — à la circulation matérielle des biens commerciaux. Ces textes sont loin d’être marxistes, mais ils fournissent un aperçu utile des explications bourgeoises pour comprendre comment la logistique est devenue un mode d’organisation permettant de commander les processus d’accumulation et de réalisation de la survaleur. La logistique a commencé à s’instituer en tant que discipline quand les managers ont pris conscience de son potentiel pour la maximisation des profits : la logistique permet le passage d’une appréhension des chaînes d’approvisionnement par l’identification de leurs différents composants, à une approche par le calcul du « coût total de distribution » de toute la chaîne d’approvisionnement — depuis le stockage et le transport jusqu’à la livraison des matériaux, des différentes pièces et l’inventaire des stocks de produits finis, depuis les sources d’approvisionnement jusqu’au moment de la consommation5.
LaLonde, Grabner et Robeson suggèrent qu’à la fin de la seconde Guerre Mondiale, la distribution était l’« une des dernières barrières empêchant d’importantes économies de coûts »6. En cherchant des manières d’augmenter la survaleur, les entreprises se sont focalisées sur la réduction des coûts de distribution comme un moyen de gérer les crises de profitabilité liées à la surproduction née dans les années 1950 dans les pays du Nord. Comme le soulignent plusieurs ouvrages business management, les États-Unis ont expérimenté cette nouvelle approche, en redimensionnant et en décomposant les différentes parties constitutives du processus de production, en augmentant les profits totaux par l’accélération de la rotation du capital, et parallèlement en délocalisant les usines vers les pays où le coût du travail était le plus faible. Dans les conseils d’administration américains, les entreprises ont commencé à examiner les interrelations complexes des coûts des différentes activités en vue de leur optimisation au sein d’un système unifié7.
Le concept de logistique intégrée implique un élargissement de la responsabilité de la direction exécutive sur la totalité du flux matériel, « de bout en bout ». Ainsi le périmètre des cadres dirigeant-e-s s’étend aux fonctions de supervision et de contrôle qui avaient été auparavant divisées entre plusieurs départements, sans être fortement intégrées au sein des entreprises et sur lesquelles les cadres dirigeant-e-s ne portaient pas une grande attention. Le concept de logistique intégrée rompt avec le modèle des chaînes de marchandises décrit pour la première fois par Gary Gereffi, dans lesquelles les chaînes « producer-driven » [axées sur le producteur] s’imposent comme les agents économiques principaux qui établissent les liens en amont avec les fournisseurs, et en aval dans la distribution et le commerce8. Les modèles logistiques tentent au contraire de « trouver la bonne combinaison de niveau de stock, de durée du cycle de production, de niveau de service client, etc., pour maximiser le profit de l’entité qu’est l’entreprise : voilà une approche systémique »9.
L’idée selon laquelle la prise en compte de l’ensemble du système de la chaîne d’approvisionnement peut réduire significativement les coûts de production s’est avérée attrayante. Elle a poussé les entreprises à considérer la logistique comme une fonction stratégique : elles en sont venues à l’envisager, non plus comme réflexion à mener après-coup, ni comme le simple prolongement de la production, mais plutôt comme une partie intégrante du processus de production10. En général, ces textes de business science adoptent un point de vue technocratique et économiciste sur la logistique : ils considèrent que les logiques de rationalisation et d’efficacité que porte la logistique, n’ont rien de problématique et qu’elles sont au contraire souhaitables pour l’expansion de l’accumulation du capital. Elles ne sont jamais considérées comme des processus contestés et ayant des implications sociales et politiques. En réponse à ces travaux, un champ émergeant des sciences humaines et sociales critiques a essayé de complexifier cette histoire. Nous allons nous intéresser à cette littérature dans la section suivante.
Perspectives critiques sur la business logistics
Depuis une dizaine d’années, un certain nombre de textes de sciences sociales ont développé des perspectives critiques sur la logistique en replaçant son émergence dans les conditions historiques qui l’ont permise, ainsi qu’en en évaluant les effets politiques et sociaux sur le travail, la technologie et la production de l’espace. Plutôt que de considérer la logistique comme une simple science des flux, ou d’accepter sans discussion la représentation qui en est donnée, à savoir celle d’un effort unifié, cohérent et couronné de succès tendu vers l’augmentation de la rentabilité du capital, ces textes critiques interrogent les structures de gouvernance, de dépossession et de domination qui sous-tendent les logiques et les pratiques logistiques.
La première analyse critique de la logistique est peut-être celle écrite en 2008 par les sociologues Edna Bonacich et Jake Wilson. Dans Getting the Goods : Ports, Labor, and the Logistics Revolution, ils parlent de « révolution logistique » pour caractériser les transformations opérationnelles dans la gestion de la distribution physique, et ils associent ce changement organisationnel du début des années 1970 à la convergence de plusieurs facteurs : le renforcement des accords néolibéraux de libre-échange et la dérégulation institutionnelle ont permis aux commerciaux de gagner un pouvoir croissant sur les producteurs et les fabricants, amenant des changements dans la manière dont les activités de production et de distribution se combinent11. Afin de résoudre les problèmes de suraccumulation liés aux surplus de stock, les sociétés commerciales ont utilisé les principes d’efficacité et de production à flux tendu élaborés au Japon pour réduire les coûts de stockage et de transport, ce qui a parfois conduit à une baisse du prix des biens de consommation. Or, comme Bonacich et Wilson le soulignent, ce qui a été bon pour les affaires a été mauvais pour les travailleurs/ses : la logistique a encouragé la délocalisation des activités de fabrication vers les pays du Sud où le coût du travail était plus faible, ce qui a affaibli les syndicats, augmenté le nombre de contrats temporaires et précaires, et a encore renforcé la racialisation de la dynamique des inégalités — étant donné que les formes logistiques ciblent les communautés économiquement précaires qui recoupent les populations des anciennes colonies. Pour Bonacich et Wilson, ce qui fait que les biens circulent plus vite a donc corrélativement provoqué une détérioration des conditions de travail à travers le monde, avec des conséquences inégales selon les pays.
L’analyse critique la plus approfondie et la plus complète de la révolution logistique est jusqu’ici l’ouvrage de Deborah Cowen, The Deadly Life of Logistics12. Dans son travail novateur, Cowen explore les archives des manuels et des revues de logistique pour faire l’inventaire des transformations spatiales et explorer le passé violent de la révolution logistique, faisant valoir que la logistique est un facteur tristement sous-étudié de la restructuration du capital mondial. L’idée principale de Cowen est que la logistique n’a pas seulement des effets sociaux néfastes sur le travail, l’espace urbain et les pratiques sécuritaires, mais que « les géographies à flux-tendus de production et de destruction » sont inextricablement liées aux histoires de la guerre et du commerce13. Pour Cowen, cet enchevêtrement signifie que lorsque la logistique n’est plus une « réflexion pratique à mener après-coup » mais un cadre organisationnel, elle n’est plus une business science mais une pratique de calcul qui « modèle la pensée »14. Encadré de cette manière, le désir d’« efficacité sans faille » incarné par la pensée des systèmes logistiques, dont l’application se limitait d’abord à la chaîne d’approvisionnement, s’est généralisé aux entreprises comme aux États. La logistique, affirme Cowen, s’est développée depuis un des éléments du processus de production jusqu’à son fondement, jusqu’au lieu à partir duquel opèrent la pensée et la stratégie du calcul, devenant « le comment qui modèle le quoi »15. En rendant souhaitable cette danse complexe faite de mouvements coordonnés, la pensée logistique place en son cœur le système de circulation de l’accumulation du capital comme le principal objet à protéger, de sorte à ce que les mesures politiques, les normes, les pratiques et les technologies mises en œuvre par les États et le capital ne soient pas orientées vers la protection de la vie humaine mais vers la prévention des éventuelles interruptions dans la circulation. D’après Cowen, la logistique est devenue un nouveau mode de gouvernement technocratique, faisant de la gestion quotidienne de la circulation financière et commerciale la tâche principale des gouvernements. Ainsi la circulation sans accroc au sein des chaînes d’approvisionnement devient une priorité centrale de l’État et du capital, et la distribution efficace est rendue prioritaire par des mesures politiques qui traitent de la même manière toutes les menaces qui pèsent sur ce système, quelle que soit leur étiquette politique. Cowen montre que lorsqu’ils et elles cherchent à bloquer la mobilité des flux par des grèves, des blocus et autres interruptions, les travailleurs/ses et les autres forces sociales menacent d’« exposer la vulnérabilité des systèmes de production à flux tendu »16 et doivent, pour cette raison, être considéré-e-s comme des menaces à contenir, une guerre sociale étant ainsi menée contre les travailleurs et travailleuses et contre les citoyens et citoyennes ordinaires17.
Plus récemment, les théoriciens des médias Brett Neilson et Ned Rossiter se sont aussi efforcés de rendre compte de l’émergence de la logistique à l’aune de ses conséquences sur les nouveaux régimes de production des connaissances. Dans son ouvrage récent Software, Infrastructure, Labor : A Media Theory of Logistical Nightmares, Rossiter — qui s’appuie sur ses précédents travaux sur la logistique et le capitalisme de chaîne d’approvisionnement — analyse la logistique au prisme de la matérialité de la communication qui « ouvre la relation entre les économies des données et le réagencement du travail et de la vie »18. Pour Rossiter une théorie logistique des médias offre la possibilité d’une critique anticapitaliste attentive aux économies de production des connaissances et à l’analyse de réseau. Il esquisse alors les manières par lesquelles le formalisme abstrait de l’analyse des systèmes logistiques devient une voie pour privilégier les big data informatiques, au détriment des formes de connaissances plus situées, ce qui a pour effet de modeler les désirs et les opinions des populations. Cette focalisation de l’analyse sur la manière dont la subjectivité est produite à travers la logistique a un objectif politique : pour Rossiter, comprendre comment les industries de la logistique comptent sur les logiciels pour segmenter, compartimenter et gérer les opérations de la chaîne d’approvisionnement, permet également de fournir une voie pour déterminer « comment la logistique organise le travail comme une abstraction à l’intérieur des paramètres du logiciel »19. Au sein de la chaîne d’approvisionnement mondiale, qui se présente par ailleurs comme un ensemble de secteurs distincts et déconnectés, une étude critique de la logistique offre alors la possibilité d’articuler les luttes trans-sectorielles et les solidarités en proposant une analyse unifiée des chaînes d’approvisionnement logistiques qui les connectent.
Étant donné la croissance du capitalisme algorithmique, il n’est pas surprenant que la logistique ait intensifié les processus de contrôle et de surveillance des travailleurs/ses, de l’inspection des données et des stocks dans les points de vente jusqu’à l’observation des habitudes quotidiennes des travailleurs/ses20, les prévisions météorologiques et de circulation, et bien d’autres variables encore, en vue de trouver « la manière la moins chère et la plus rapide de fabriquer et de distribuer les produits »21. La question des relations entre travail et logistique passe ainsi au premier plan. Le livre de Nick Dyer-Witheford, Cyber-Proletariat, est à ce titre crucial22. Même si la logistique n’est pas le seul des principaux tournants organisationnels analysés dans l’ouvrage, Dyer-Whiteford s’intéresse à l’émergence des technologies cybernétiques et du capitalisme numérique dans lesquels la logistique joue un rôle central. Dyer-Witheford travaille depuis longtemps au sein de la tradition du « marxisme autonome », qui souligne le rôle de la classe ouvrière comme force motrice dans les changements imposés à l’organisation du système capitaliste et de la mobilisation sociale. Dyer-Witheford essaie de comprendre comment l’économie politique des chaînes de production a travaillé de concert avec le capitalisme cybernétique pour produire des transformations économiques et sociales inégales qui ont façonné le développement du prolétariat mondial. En procédant ainsi, Dyer-Witheford rappelle utilement le rôle de l’organisation logistique de la chaîne d’approvisionnement mondiale dans la logique de paupérisation qu’entretient le capitalisme cybernétique avec une classe ouvrière toujours plus précaire. Quand les formes d’automatisation et les technologies algorithmiques caractéristiques de l’émergence de la logistique augmentent la productivité du capital, elles restructurent également la composition en termes de classes de la force de travail mondiale qui utilise ces machines et ces réseaux. Le défi est ainsi d’essayer de comprendre comment la logistique divise et fractionne la classe ouvrière mondiale, et dans le même temps donne naissance à une architecture algorithmique par laquelle elle peut être occupée et contestée.
Conditions historiques et structurelles
Mais pourquoi le capital s’est-il tourné vers la logistique, et pourquoi dans les années 1970 ? Une conjonction de facteurs a contribué à ce que les grandes entreprises cherchent de nouvelles stratégies pour optimiser les coûts. Structurellement, ces changements étaient encouragés par une tendance à la surproduction inhérente au capital commercial, que Brenner a théorisé rigoureusement dans The Economics of Global Turbulence23. Selon la théorie de Brenner, la courbe de l’accumulation, qui avait atteint son point culminant dans les années 1960, a fait face dans la décennie suivante à une crise de surproduction rencontrée par les producteurs dans le Nord industrialisé qui a entraîné une chute du taux de profit. Comme la concurrence des autres pays industrialisés ont obligé les États-Unis à augmenter leur productivité, les grandes entreprises ont de plus en plus souvent substitué au travail des machines plus efficaces et des processus de gestion du travail issus des méthodes de production tayloristes et fordistes. Brenner explique que les États-Unis, dont la capacité industrielle était auparavant sans équivalent, ont commencé à être confrontés à la concurrence de producteurs plus efficaces en Allemagne et au Japon. Parce que des sommes importantes avaient été investies dans le capital fixe, les entreprises états-uniennes pouvaient espérer récupérer leurs investissements uniquement en produisant encore plus de marchandises, ce qui les condamnait à une concurrence pour les parts de marché avec davantage de producteurs efficaces, entraînant à l’échelle internationale une surcapacité de production et une surproduction24. La pression à la baisse sur les prix a rendu difficile pour les entreprises états-uniennes de réaliser des investissements aux mêmes taux de profits qu’auparavant. Cela a débouché dans les années 1970 sur un « long ralentissement », une période prolongée de déclin du taux de profit qui a engendré une « surcapacité de production et une surproduction [qui] a perduré et s’est exacerbée à travers le monde capitaliste avancé », provoquant des turbulences dans le système face auxquelles l’économie mondiale a dû trouver des moyens pour se rétablir25.
Alors que les « effets contradictoires » du capital fixe ont engendré le lent déclin de la puissance industrielle des entreprises états-uniennes, les espoirs de profit ne peuvent plus se porter sur le processus de production. Les entreprises du Nord ont commencé à expérimenter la réorientation des investissements vers des manières plus rapides de réalisation de la valeur. La pression prolongée sur le profit depuis les années 1950 a poussé les entreprises aux États-Unis à chercher des façons de réduire le coût des opérations. N’étant plus capables de générer des profits substantiels à partir de technologies mécanisées et économes en travail dans les usines de production, les capitalistes ont commencé à expérimenter des manières par lesquelles l’extraction de la survaleur s’ancre non plus dans les lieux de production mais dans la sphère de la circulation.
Ici, l’ouvrage de David Harvey Spaces of Capital fournit le contexte essentiel à la compréhension de ce tournant : les expérimentations qui touchent l’organisation de la circulation des biens sont devenues des spatial fix [remèdes spatiaux] nécessaires pour étendre les marchés de marchandises et développer de nouvelles zones de production et de fabrication26.
Citons aussi l’explication précieuse que donne Markus Hesse de l’émergence de la logistique par la conjonction de la modernisation de l’économie capitaliste et du développement d’une division du travail singulière — liée à un système où la circulation des biens s’élargit et leur prix diminue. À travers une étude de l’espace urbain de la logistique, Hesse montre que le système infrastructurel de la circulation des biens permet une transition dans l’organisation de l’accumulation « de valeurs d’usage vers des valeurs d’échange », rendant possible la capitalisation des marchandises à une échelle large à travers la chaîne d’approvisionnement mondiale27.
Dans cette perspective, bien que la logistique ne remplace pas la production comme lieu où la survaleur est créée, elle réorganise les systèmes de production, de distribution et de consommation de sorte à ce que la compétitivité des entreprises repose sur leur capacité à augmenter le volume et la vitesse des biens en circulation. Cela crée une demande intensive sur les producteurs, qui en retour amplifie le taux d’exploitation du travail dans les secteurs de la production et de la logistique.
Logistique et temporalité
Certes, les efforts pour accélérer la vitesse de la circulation dans les chaînes de production ne constituent pas un phénomène nouveau : dans le cadre de la production de masse tayloro-fordiste, le processus de production était déjà organisé selon la logique temporelle de la productivité et de la rentabilité, dans l’objectif d’accroître la survaleur relative. Cependant, comme le soutient Schoenberger, la révolution logistique a étendu la précision temporelle à l’échelle mondiale, en organisant les systèmes de chaînes d’approvisionnement dans leur ensemble en fonction de « l’obsession de la réduction du temps où les biens sont stockés improductivement ou attendent d’entrer dans une nouvelle phase de transformation »28. Puisque les entreprises en compétition cherchent à augmenter la vitesse de circulation des marchandises ainsi que leur masse, la force de travail — qu’elle soit mobilisée dans la production ou dans la logistique — a été soumise aux impératifs temporels de la productivité et de la rentabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement, au rythme des calculs effectués selon des procédures algorithmiques.
Un ensemble important de recherches retrace comment l’impératif de la livraison à flux tendu affecte les travailleurs, dans la mesure où elle implique d’adapter la productivité de la main d’œuvre aux systèmes cybernétiques. Comme le montre Anja Kanngieser, les entreprises utilisent des logiciels de suivi et de contrôle pour connaître, en temps réels, non seulement les mouvements des caisses et des containers, mais également des corps au travail29. Pour évaluer les performances des manutentionnaires, on regarde le « débit » et la vitesse : le temps de travail est considéré comme une ressource que l’on mesure à l’aune de l’efficacité organisationnelle. La recherche de Kate Hepworth porte, de même, sur le calcul en temps réel d’Indicateurs Clés de Performance [Key Performance Indicators], et soutient qu’ils impliquent une accélération incessante du travail, décrite en termes d’amélioration de la productivité du travailleur. La logistique, affirme-t-elle, a remplacé « le temps des horloges qui caractérisait la production industrielle »30 par des « mesures en temps réel des performances », substituant ainsi des taux (ceux du nombre de tâches accomplies en une période donnée) aux unités uniformes de temps de travail31.
Edward P. Thompson avait lié l’imposition rigide de la mesure linéaire du temps à la discipline industrielle32. La discipline logistique opère en lien avec une mesure temporelle qui remplace la linéarité par la flexibilité. La flexibilité ajoute une dimension temporelle différente aux impératifs — déjà en vigueur — de productivité et de rentabilité, dans la mesure où elle juge la productivité du travail en appliquant les critères des taux de performance, de la production au plus juste [lean production] et de l’optimisation. En plus des processus de travail qui accroissent la survaleur relative en intensifiant les rythmes de travail, la flexibilité « [supprime] les limites temporelles régulées normativement, et les remplace par des accords négociés au cas par cas entre les travailleurs/ses individuel-le-s et les employeurs/ses »33. Ce qui est désigné comme « adaptabilité » dans les discours des entreprises permet en réalité aux logisticien-ne-s de faire de la main d’œuvre temporaire la variable d’ajustement, lorsqu’ils ou elles modifient les horaires de travail en réponse à la demande. Cela conduit à une recherche croissante de flexibilité qualitative et quantitative de la part des employeurs/ses, à une diminution des salaires et des prestations, et à un report des risques sur des tiers34. Comme Beth Gutelius l’a montré, les impératifs de l’accumulation flexible ont eu un impact important sur le secteur logistique, où la proportion de contrats de travail temporaires s’est accrue, notamment dans les États du centre des États-Unis et dans les hubs logistiques du Midwest, et dans les secteurs de la production industrielle, du stockage ou des services35. Cette tendance à la flexibilisation du travail obscurcit les frontières temporelles entre la vie professionnelle et la vie familiale ; elle crée des masses de travailleurs/ses de la logistique qui doivent rester disponibles sans avoir d’horaires de travail garantis, qui ne sont souvent prévenu-e-s que vingt-quatre heures avant le moment où ils ou elles doivent aller travailler, et qui sont fréquemment « mis-es sur le banc » et doivent alors attendre pour faire à nouveau partie de la main d’œuvre logistique36. En ce sens, la flexibilité change la relation entre le travail et la manière dont le temps est mesuré : on passe d’un modèle linéaire de discipline industrielle à « des expériences du temps asynchrones, fragmentées et allongées »37. La disciplinarisation du travail opère à la fois par une accélération temporelle (on évalue les travailleurs/ses de la logistique par leurs rendements) et par une contraction du temps de travail (on soumet les travailleurs/ses à des horaires imprévisibles et à de longues périodes d’attente).
Situer la logistique au sein de la théorie marxiste de la valeur
Après avoir passé en revue les recherches clés permettant de comprendre la croissance de la logistique, il est temps de chercher à interpréter la logistique d’un point de vue marxiste. Une grande attention a été consacrée aux livres I et III du Capital de Marx ; mais c’est le processus de circulation, principal objet d’étude du livre II, qui est crucial pour comprendre la fonction de la logistique dans les processus d’accumulation du capital. Même si dans le livre I, Marx organise son analyse autour du processus de production des marchandises, où le conflit de classes entre le capital et le travail est central, la production n’est que l’une des phases de la reproduction du capital. Marx soutient dans les Grundrisse que le capital ne peut être compris que comme une « unité de la production et de la réalisation »38. Dans le livre II, donc, Marx insiste sur le fait que les marchandises doivent circuler et que leur valeur doit être réalisée sur le marché, avant que la quantité de travail social dépensée pour leur production ne puisse être réalisée par la vente.
Selon la théorie de Marx, une marchandise n’est pas vendue sur le marché alors sa valeur n’est pas réalisée par l’échange, et le travail incarné dans sa production n’a aucune valeur d’échange, bien qu’il garde sa valeur d’usage. Le circuit du capital doit s’achever par la vente et l’achat de la marchandise pour que le travail soit reconnu comme création de valeur en tant que telle. C’est en ce sens que les obstacles rencontrés sur le chemin de la réalisation du capital deviennent une préoccupation fondamentale pour le capitaliste : si la valeur d’une marchandise n’est pas réalisée, la survaleur potentielle qui est incarnée dans le produit reste en suspens, ce qui rend difficile pour le capitaliste de réinvestir dans le processus de production.
Le Companion to Volume II of Marx’s Capital de David Harvey39 est un excellent guide pour comprendre ce que dit Marx dans le livre II. Comme l’explique Harvey, la logistique n’est pas une sphère d’activité qui correspondrait uniquement à la réalisation du capital. La sphère de la circulation n’est pas séparée du caractère social du travail dans la sphère de la production. On sait depuis le livre I que la production est impossible sans le travail, qui est fondamentalement social : il s’agit du travail non en tant qu’activité individuelle, mais en tant qu’activité d’un grand nombre d’individus, constituant une classe sociale et coopérant dans la production de marchandises. Cependant, parce que la production dans le cadre du mode de production capitaliste est fondée sur l’appropriation privée de la richesse, le travail n’est pas immédiatement reconnu comme social, l’échange salarial étant une relation contractuelle privée entre les travailleurs/ses et les propriétaires. En ce sens, le caractère social du rapport de travail est uniquement réalisé dans la vente de la marchandise : ce n’est qu’après être entré dans la sphère de la circulation et avoir réalisé la valeur de la marchandise que les capitalistes retirent leur profit, et s’approprient par là une portion de la survaleur totale créée par les travailleurs/ses qu’il emploie. Ainsi, comme Harvey l’explique, le caractère social du travail privé ne peut pas être immédiatement établi tant que le capital n’a pas accompli le circuit par lequel le travail dépensé dans la production finalement réalisé dans la vente. Ainsi, la réalisation et la production sont deux manières de voir des processus qui forment une même totalité, et non des totalités différentes et distinctes. Les systèmes logistiques sont donc un élément crucial pour garantir la santé du circuit social du capital dans son ensemble, puisque les conditions physiques de la circulation jouent un rôle central pour assurer la reproduction continue des rapports capitalistes.
Marx souligne l’importance du mouvement continu du capital social total en mettant en lumière le rôle décisif du temps de circulation. Si une marchandise n’est pas vendue sur le marché, elle ne peut pas réaliser la valeur du travail incorporé en elle : aussi, tout obstacle qui ralentit ou interrompt la circulation et la consommation des marchandises fait courir un risque pour la stabilité du capitalisme. L’exigence pour le capital de reproduire ses propres rapports de production signifie donc que le temps de circulation devient un facteur décisif pour son renouvellement. Marx soutient ainsi que, puisque « pendant tout le temps qu’on le transporte au marché, le capital se trouve immobilisé à l’état de capital-marchandise »40, qui ne lui permet pas d’effectuer une transition à la forme monnaie et donc pas non plus au capital productif, il cherche à réduire le temps de circulation. Ce processus de circulation affecte les trois fractions capitalistes les plus importantes : le capital industriel, le capital financier et le capital commercial. Ces trois fractions existent simultanément, et ont pour tâche de superviser le circuit général du capital, et par conséquent s’efforcent de réduire le temps de circulation du capital. Cependant, parce que le capital commercial fait le pont entre la production et la consommation en assurant l’achat, le déplacement physique et la revente des marchandises, il joue un rôle fondamental dans l’accélération du circuit du capital.
Les moyens de transport et de communication sont un élément décisif pour cette accélération. Comme l’expose David Harvey dans Spaces of Capital, la circulation du capital concerne en ce sens à la fois l’acte de circulation physique, qui correspond au mouvement matériel effectif des marchandises du point de production au point de consommation, et les coûts de circulation, qui correspondent à la chaîne de capital marchand requise pour que la marchandise produite trouve un acheteur sur le marché41. Si l’on prend en considération ces deux éléments ensemble, on voit qu’accélérer la circulation du capital nécessité le développement des moyens de transport à une large échelle — échelle à laquelle le transport s’avère impliqué dans le processus de production et devient une partie de la production elle-même. C’est pourquoi, comme le remarque Marx, « une cause qui intervient constamment pour différencier le temps de vente et par suite le temps de rotation en général, c’est l’éloignement du marché où la marchandise se vend, par rapport à son lieu de production »42. Marx soutient que si le développement du transport et des communications diminue le temps de circulation des marchandises, il produit aussi un effet contradictoire :
Ce même progrès et la possibilité créée par un tel développement entraînent la nécessité de travailler pour des marchés de plus en plus éloignés, en un mot pour le marché mondial. La masse des marchandises en route vers des pays éloignés s’accroît énormément ; il s’ensuit une augmentation absolue et relative de la partie du capital social qui, constamment, se trouve pour des délais assez longs dans le stade du capital-marchandise, dans la période de circulation43.
L’intégration spatiale des marchés rend possible l’expansion géographique du capital, qui accède à de nouvelles sources de force de travail, à de nouveaux moyens de production et à de nouveaux de marchés de consommation. Cependant, la même crise de surproduction qui pousse le capital à rechercher des marchés distants accapare du capital fixe du fait du trajet requis pour transporter des matières premières et des biens sur des distances croissantes.
Pour surmonter ce problème, le capital commercial est conduit à accélérer le déplacement physique des marchandises en cherchant à innover du point de vue des aspects spatiaux et organisationnels du transport et de la communication. L’infrastructure matérielle doit être située d’une manière stratégique, de sorte à faciliter l’accélération de l’économie. La position des ports relativement aux nœuds de distribution comme les autoroutes ou les chemins de fer, ou la distance entre les entrepôts et les lieux de livraison, deviennent ainsi des éléments cruciaux pour accélérer le circuit du capital social total. De même, les algorithmes et les systèmes de communication ont joué un rôle fondamental pour organiser le mouvement, le chargement et l’envoi des marchandises vers ces centres de distribution. De cette manière, les systèmes logiques sont essentiels à l’expansion des chaînes d’approvisionnement globales, puisqu’ils constituent un pont spatio-temporel entre la production et la consommation, en faisant progresser les capacités de transport et de communication afin d’accélérer le circuit du capital.
Il est fondamental de noter que les difficultés dérivant des conditions de réalisation n’ont pas uniquement un impact sur les marchandises ou les entreprises individuelles sur le marché, mais mettent en crise le « renouvellement continuel des pouvoirs de domination du capital sur le travail social, qui s’effectue par le biais de la circulation du capital »44. Puisque pour être capable de reproduire le capital social total il faut que le capital étende sa capacité à se reproduire lui-même — c’est la « reproduction des moyens de production » — les systèmes logistiques étendent d’une manière décisive les conditions d’une accumulation ultérieure du capital. Marx éclaircit cette idée en affirmant que les moyens de transport et de communication ne représentent pas seulement une aide à la réalisation, mais sont des éléments constitutifs du domaine productif du capital :
D’un côté, l’industrie des transports constitue une branche autonome de production, et par conséquent une sphère spéciale de placement du capital productif ; d’un autre côté, elle se distingue en ce qu’elle apparaît comme la continuation d’un procès de production à l’intérieur du procès de circulation et pour lui45.
En mettant l’accent sur le fait que la circulation des marchandises, c’est-à-dire leur « course effective […] dans l’espace », peut être « résolue » par l’industrie du transport, Marx pense le mode de circulation de deux manières : à la fois comme la circulation de l’argent et comme la réalisation du capital. Le transport joue un rôle fondamental dans le processus de circulation puisque l’accélération de la circulation des marchandises — c’est-à-dire, leur « course effective […] dans l’espace » — engage le déplacement physique de la marchandise, tout en facilitant sa transition à la forme monnaie46. En tant que tels, en vendant un changement de lieu, les processus de transport produisent effectivement de la survaleur, puisque « le produit n’est réellement terminé que lorsqu’il est sur le marché ». Ainsi, « d’un point de vue économique, la condition spatiale, l’apport du produit sur le marché, fait partie du procès de production lui-même »47. L’importance des processus de transport pour le circuit social total ne vient pas uniquement du fait qu’ils réduisent les faux frais de la production, c’est-à-dire les coûts excédentaires imprévus qui doivent être soustraits de la survaleur totale : puisque le changement de lieu ferme le circuit du capital par la vente de la marchandise, il est nécessaire pour que le capital soit capable de réinvestir la survaleur dans le processus de production, réenclenchant par là le cycle de l’accumulation.
Ainsi, tandis que certaines théorisations confondent la logistique avec les processus de transport commerciaux, la comprendre à partir de sa fonction pour l’accumulation du capital révèle qu’elle agit à la fois comme un système matériel et un système de savoir technique. Les moyens de transport comme ceux de communication, qui fonctionnent ensemble, agissent pour étendre le contrôle opéré par la direction de l’entreprise sur un ensemble de réseaux transnationaux de chaînes d’approvisionnement. Les systèmes logistiques n’ont donc pas uniquement pour effet de réduire les coûts de transport, mais ont pour but de modifier l’organisation spatiale et managériale de la production, de la distribution et de la consommation dans le cadre du circuit total du capital commercial. La logistique est ainsi à la fois une logique et une pratique de reproduction des rapports de production. Dans cette perspective, la logistique doit être comprise comme l’une des facettes du mouvement (matériel comme financier) par lequel s’accroît la capacité du capital à se reproduire.
Les débats communistes sur la logistique
La pensée radicale récente a appréhendé la logistique comme un lieu décisif pour saisir les systèmes de distribution, et a considéré les protestations insurrectionnelles autour des nœuds logistiques comme une stratégie fructueuse pour construire des avenirs non-capitalistes48. En prenant en considération les possibilités d’interruption ou d’utilisation à d’autres fins des systèmes de distribution, ces penseurs et penseuses radicaux/ales font l’hypothèse selon laquelle la mise en œuvre d’une politique anticapitaliste ne doit plus passer par le retrait de la force de travail dans les sites de production mais par des blocages, des sabotages et d’autres actions destinées à perturber le système de circulation en l’un de ses points. L’un des principaux représentants de cette veine est la philosophie du sabotage proposée par le Comité invisible dans L’insurrection qui vient qui, dans la perspective d’exploiter les vulnérabilités des systèmes techniques, recommande « de reconquérir et réinventer les moyens d’interrompre [leurs] réseaux »49.
L’émeute prime de Joshua Clover relie ces idées aux transformations historiques qui ont affecté la circulation et la production du capital50. Pour Clover, l’émergence de la logistique amène l’ère des luttes de circulation, pour lesquelles l’élément décisif n’est plus la grève d’usine mais l’émeute. Face à la désindustrialisation et à la précarisation globale, cette dernière « fait intervenir des participant-e-s qui n’ont pas d’affinité particulière si ce n’est leur dépossession » et « se déroule dans le contexte de la consommation »51.
Dans cette veine, Jasper Bernes et Alberto Toscano ont longuement débattu de la logistique et de la théorie de la communisation. L’un des enjeux de leur débat était de déterminer dans quelle mesure la logistique peut être le lieu d’une réappropriation des moyens de production et de circulation, et si les interruptions logistiques peuvent effectivement — dans le cadre d’une large campagne de guérilla — reconfigurer l’accumulation contemporaine de capital et l’attaquant en ses goulets d’étranglement52. Leurs deux analyses avaient pour point commun une volonté de penser la logistique comme un lieu décisif pour les luttes de circulation, et de faire droit à toutes les possibilités offertes par les systèmes logistiques en vue d’une « reprogrammation émancipatrice » de la circulation53. Tous deux, tout en prenant au sérieux le fait que la logistique est un outil pour le système de la domination abstraite exercée par le capital, se demandent comment l’utilisation à de nouvelles fins des circuits logistiques pourrait conduire à une auto-abolition révolutionnaire du prolétariat. La logistique « dévoile les centres nerveux du capital », et nous dit quelque chose de la nature de l’antagonisme et de la lutte des classes. En particulier, l’extension de la chaîne d’approvisionnement globale, sous la forme d’un système de stockage, de transport et de production hautement complexe mais néanmoins intégré, pourrait offrir à une classe ouvrière organisée des possibilités de s’emparer des infrastructures du capitalisme tardif, et d’en faire les lieux d’une alternative anticapitaliste potentielle et d’une reconfiguration communiste. En prenant le risque de simplifier les nuances de ce débat entre camarades, on peut dire que Bernes se montre sceptique quant à cette possibilité, et suggère que la réorganisation du marché mondial à travers l’expansion des systèmes logistiques pousse à un nivellement vers le bas : dans ce cadre, la précarisation et la fragmentation du travail le long de la chaîne d’approvisionnement globale supprime toute éventualité de réutilisation de l’usine. Toscano, pour sa part, déclare que si la révolution logistique doit devenir le contexte dans lequel est imaginée une possibilité émancipatrice, alors le marché mondial doit rester, « même si cela peut être difficile, une présupposition (non un cadre !) pour toute transition vers un au-delà du capitalisme »54. Leur débat est utile pour comprendre ce qui est en jeu lorsque l’on imagine d’une manière spéculative des horizons révolutionnaires. Ni l’un ni l’autre ne pense qu’il y ait une solution magique pour utiliser à de nouvelles fins les formes d’organisation logistiques. Ils s’efforcent pourtant tous les deux d’imaginer les horizons révolutionnaires que la logistique rend à la fois peu probables et possibles. En effet, comme le remarque Bernes à la fin du débat, « du fait de la transformation totale de la planète par le capital », le besoin immédiat « d’une réorganisation communiste de la société humaine apparaît comme rationnel aujourd’hui, en un sens qu’il n’avait pas en 1917 ». Cet horizon, en effet, exige que l’on imagine « non ce qui doit mais ce qui peut advenir »55.
Ce guide de lecture avait pour objectif de donner une présentation de la logistique qui évite à la fois d’en donner une image romantique et de lui dénier tout potentiel émancipateur. Il est important de remarquer que malgré l’expansion de son champ d’action et de ses effets destructeurs, l’aspiration à la toute-puissance de la logistique reste uniquement, au moins pour le moment, un « fantasme de grandes entreprises », qui se voient comme « mettant en ordre le chaos »56. Malgré son architecture gargantuesque et sa puissante portée impérialiste, le monde de la logistique est constamment miné par ses propres aléas et contradictions. En raison même de ses aspirations à la toute-puissance, la logistique est en elle-même une entité profondément vulnérable : elle est en définitive « une idéologie (et un fantasme) » de la « visibilité totale » ou de la « flexibilité intégrale »57. Les profondes inquiétudes pour la protection de cette fragile entité qu’est la logistique ont conduit à promouvoir les grandes expérimentations de régulation des flux commerciaux. En ce sens, une approche marxiste de la logistique demande que l’on fasse le bilan du pouvoir croissant des systèmes logistiques contemporains tout en évitant et en critiquant la manière dominante de voir les régimes logistiques, à savoir comme des innovations parfaitement efficaces et rationnelles. En favorisant de nouvelles formes de liens et d’interdépendances entre les lieux, en s’insinuant dans nos vies quotidiennes, en s’accaparant par la force des terres et en imposant l’impérialisme des frontières58, la croissance de la logistique a exacerbé non seulement les antagonismes entre le capital et les travailleurs/ses directement lié-e-s aux chaînes logistiques, mais également celui entre le capital et tous ceux et toutes celles qui sont visé-e-s par ou pris-es dans le cycle de son accumulation. Contester à la logistique son statut de puissance hégémonique accomplie exige de prêter attention aux résistances actuelles et aux refus d’accepter sa violence.
Traduit de l’anglais par Yohann Douet et Vincent Heimendinger
- Jacques Ellul, La technique ou l’Enjeu du siècle, Paris, Armand Colin, 1954. Dans la préface à l’édition anglaise, il écrit : « Le terme technique, dans le sens où je l’utilise, ne correspond pas aux machines, à la technologie, ou à telle procédure réalisée en vue d’une fin. Dans notre société technologique, la technique renvoie à la totalité des méthodes rationnelles ayant une efficacité absolue (pour un stade donné de développement) dans chaque domaine de l’activité humaine. Cette définition est nouvelle ; la technique du présent n’a aucune commune mesure avec celle du passé. » (Jacques Ellul, The Technological Society, London, Jonathan Cape, 1965, p. 3) [↩]
- Le terme « révolution logistique » a été défini pour la première fois par Edna Bonacich et Jake B. Wilson dans Getting the Goods : Ports, Labor, and the Logistics Revolution, Ithaca (NY), Cornell University Press, 2008. [↩]
- La troisième édition avait fait l’objet d’une traduction française : Martin Christopher, Supply chain management. Créer des réseaux à forte valeur ajoutée, 3e édition, (trad Marie Adeline et Florence Josquin), Village Mondial, 2005. [↩]
- Edward W. Smykay et Bernard J. LaLonde, Physical Distribution Management, London, The Macmillan Company, 1968. [↩]
- Donald Bowersox, Logistics Management, Londres, Macmillan, 1978. [↩]
- Bernard J. LaLonde, John R. Grabner et James F. Robeson, « Integrated Distribution Management: A Management Perspective » The International Journal of Physical Distribution, 44-1, 1970, p. 45. [↩]
- Voir Bruce Allen, « The Logistics Revolution and Transportation », Annals of the American Academy of Political and Social Science, 553, 1997, p. 106–116; Raymond Lekashman et John F. Stolle, « The total cost approach to distribution », Business Horizons, 8-4, 1965, p. 33-46 ; Edward W. Smykay, Donald J. Bowersox et Frank H. Mossman, Physical Distribution Management, New York, Macmillan, 1969. [↩]
- Gary Gereffi, « The organisation of buyer-driven global commodity chains: How US retailers shape overseas production networks » in Gary Gereffi et Miguel Korzeniewicz (dir.), Commodity chains and global development, New York, Praeger, 1994, p. 95–122. [↩]
- Bruce Allen, « The Logistics Revolution and Transportation », op. cit., p. 110. [↩]
- Nigel Thrift, Knowing Capitalism, London, Sage, 2005, p. 219. [↩]
- Edna Bonacich et Jake B. Wilson, Getting the Goods: Ports, Labor, and the Logistics Revolution, Ithaca (NY), Cornell University Press, 2008. [↩]
- Deborah Cowen, The Deadly Life of Logistics: Mapping Violence in Global Trade, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2014. [↩]
- Ibid., p. 6. [↩]
- Ibid., p. 24. [↩]
- Ibid., p. 30. [↩]
- Ibid., p. 116. [↩]
- Voir aussi le numéro spécial de Environment and Planning D : Society and Space consacré au travail de D. Cowen : Charmaine Chua, Martin Danyluk, Deborah Cowen, and Laleh Khalili (dir.) « Introduction. Turbulent Circulation: Building a Critical Engagement with Logistics. » Environment and Planning D: Society and Space, 36-4, 2018. [↩]
- Ned Rossiter, Software, Infrasucture, Labor: A Media Theory of Logistical Nightmares, New York, Routledge, 2016, p. 6. [↩]
- Ibid., p. 32. [↩]
- Brett Neilson et Ned Rossiter, « Still waiting, still moving: on labour, logistics and maritime industries » in D. Bissell & G. Fuller (dir.), Stillness in a mobile world, Routledge, London & New York, 2010, p. 51–68; Anja Kanngieser, “Tracking and Tracing: Geographies of Logistical Governance and Labouring Bodies” Environment and Planning D: Society and Space, 31-4, 2013, p. 594–610. [↩]
- Annie Leonard, The Cyber-Proletariat Global Labour in the Digital Vortex Nick Dyer-Witheford, New York, Pluto Press, 2015 Cyber-Proletariat Global Labour in the Digital Vortex Nick Dyer-Witheford, New York, Pluto Press, 2015 Cyber-Proletariat Global Labour in the Digital Vortex Nick Dyer-Witheford, New York, Pluto Press, 2015 Story of Stuff, New York, Simon and Schuster, 2010, p. 163, cité dans Thomas Birtchnell, Satya Savitzky et John Urry, Cargomobilities: Moving Materials in a Global Age. Routledge, London, 2015, p. 4. [↩]
- Nick Dyer-Witheford, Cyber-Proletariat Global Labour in the Digital Vortex, New York, Pluto Press, 2015. [↩]
- Robert Brenner, The Economics of Global Turbulence: The Advanced Capitalist Economies from Long Boom to Long Downturn, 1945–2005, Londres, Verso, 2006. [↩]
- Ibid., p. 39. [↩]
- Ibid., p. 38. [↩]
- David Harvey, Spaces of Capital: Towards a Critical Geography, Abingdon, Taylor & Francis, 2001. Particulièrement les chapitres 11, 12 et 14 : les trois ont été traduits en français dans David Harvey, Géographie de la domination, Paris, Les prairies ordinaires, 2008 (réédition Amsterdam, 2018). [↩]
- Markus Hesse, The City as a Terminal: The Urban Context of Logistics and Freight Transport, Londres, Routledge, 2016. [↩]
- Erica Schoenberger, « The Management of Time and Space » in Gordon L. Clark, Meric S. Gertler et Maryann P. Feldman (éds.). The Oxford Handbook of Economic Geography, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 324. [↩]
- Anja Kanngieser, « Tracking and Tracing: Geographies of Logistical Governance and Labouring Bodies », Environment and Planning D: Society and Space, 31-4, 2013, p. 594–610. [↩]
- Katie Hepworth, « Enacting Logistical Geographies », Environment and Planning D: Society and Space, 32-6, 2014, p. 1130. [↩]
- Pour une autre perspective voir Kyle Loewen, « Reproducing disposability : Unsettled labor strategies in the construction of e-commerce markets », Environment and Planning D : Society and Space, 36-4, 2018, p. 701–718. [↩]
- Edward P. Thompson, Temps, discipline du travail et capitalisme industriel, La Fabrique, 2004 [1967]. [↩]
- Christine Everingham, « Engendering Time : Gender Equity and discourses of workplace flexibility », Time & Society, 11 (2–3), 2002, p. 346. [↩]
- Voir par exemple Nik Theodore et Jamie Peck, « The temporary staffing industry: growth imperatives and limits to contingency », Economic Geography, 78-4, 2002, p. 463–493. [↩]
- Beth Gutelius, « Disarticulating Distribution: Labor Segmentation and Subcontracting in Global Logistics », Geoforum, 60, 2015, p. 56. [↩]
- Voir Katie Hepworth, op. cit., 2014 ; Beth Gutelius, op. cit., 2015 ; Sandro Mezzadra et Brett Neilson, « Extraction, logistics, finance: Global crisis and the politics of operations », Radical Philosophy, 178, mars-avril 2013, p. 8-18. [↩]
- Sandro Mezzadra et Brett Neilson, Border as Method, or, the Multiplication of Labor, Durham (NC), Duke University press, 2013, p. 158. [↩]
- Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », Paris, Les Éditions sociales, 2018, p. 368. [trad. mod.]. [↩]
- David Harvey, Companion to Volume II of Marx’s Capital, Londres, Verso, 2013. [↩]
- Karl Marx, Le Capital : critique de l’économie politique. Livre deuxième : le procès de circulation du capital, Paris, Éditions sociales, 1977, tome 1, p. 217. [↩]
- David Harvey, Spaces of Capital: Towards a Critical Geography, New York, Routledge, 2001. [↩]
- Karl Marx, Le Capital. Livre deuxième, op. cit., tome 1, p. 217. [↩]
- Ibid., p. 217. [↩]
- David Harvey, Companion to Volume II of Marx’s Capital, op. cit. [↩]
- Karl Marx, Le Capital. Livre deuxième, op. cit., tome 1, p. 133. [↩]
- Idem. [↩]
- Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », op. cit., p. 494. [↩]
- Voir, par exemple, Niccolò Cuppini, Mattia Frapporti et Maurilio Pirone, « Logistics Struggles in the Po Valley Region: Territorial Transformations and Processes of Antagonistic Subjectivation. », The South Atlantic Quarterly, 114-1, janvier 2015, p. 119-134 ; et Degenerate Communism, « Choke points : Mapping an anticapitalist counter-logistics in California », Libcom.org, 2014. Disponible ici : https://libcom.org/library/choke-points-mapping-anticapitalist-counter-logistics-califfornia (consulté le 7 juin 2018). [↩]
- Comité invisible, L’insurrection qui vient, Paris, La Fabrique, 2007, p. 101. [↩]
- Joshua Clover, L’émeute prime. La nouvelle ère des soulèvements, Paris, Éditions Entremonde, 2018. [↩]
- Ibid., p. 39. [↩]
- Ce débat a été rassemblé en fascicule par Emancipation Material. On le trouve ici : https://drive.google.com/file/d/0B50Mf-NVA2afVkRkbmJpd3ctaUE/view?fbclid=IwAR1BBSD_pI1BsB49qqWdvOQG7R87gMbIUIij1pMDjj3gWS4pu5aBVppbaks. [↩]
- Voir Jasper Bernes, « Logistics, Counterlogistics and the Communist Project », Endnotes 3 (2013), p. 172–201. [↩]
- Alberto Toscano, « Lineaments of the Logistical State », p. 97 dans le recueil d’Emancipation Material. [↩]
- Jasper Bernes, « The Belly of the Revolution: Agriculture, Energy, and the Future of Communism » p. 104 dans le recueil d’Emancipation Material. [↩]
- Deborah Cowen, The Deadly Life of Logistics, op. cit., p. 203. [↩]
- Alberto Toscano, « Lineaments of the Logistical State. », p. 59 dans le recueil d’Emancipation Material. [↩]
- « L’impérialisme des frontières décrit le processus de création et de maintien des violences et des conditions de précarité liées au déplacement et à la migration » (Harsha Walia, Démanteler les frontières. Contre l’impérialisme et le colonialisme [Undoing Border Imperialism], Montréal, Lux, 2015, p. 18.) [NdT]. [↩]