Capital marchand et esclavage dans le procès de transformation des sociétés antiques

Un certain matérialisme historique des plus vulgaires soutient qu’un « mode de production esclavagiste » aurait constitué un stade de l’histoire de l’humanité. À l’encontre d’une représentation abstraite de l’esclavage à Rome, Jacques Annequin propose ici une reconstruction marxiste du lien entre esclavage antique et capital marchand. Paru en 1983 dans la revue marxiste Dialogues d’histoire ancienne, l’article révèle combien l’extension de l’esclavage implique l’essor du commerce et la refonte des formes d’exploitation traditionnelles au sein de l’empire. La formation économique et sociale romaine apparaît comme un maillage complexe, porté par la dynamique de l’esclavage et de l’impérialisme marchand. Ce texte donne aussi à voir le travail fondateur d’un courant marxiste français d’études anciennes, en partie sous-estimé, qui a questionné les dynamiques marchandes et impériales à Rome, les modes d’existence du capital, les formes d’exploitation ainsi que les aspects sociaux et culturels de la colonisation romaine.

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Pour qui prend en compte, dans la longue durée, le procès de contact entre les peuples, sous ses diverses formes : échanges à tous les niveaux, rapports guerriers, conquêtes, etc., le concept d’« acculturation » de la sociologie américaine, ou de « contact culturel » de la sociologie anglaise, apparaît singulièrement limité1.

Il suppose en effet la définition d’un champ culturel, considéré dans sa spécificité, au sein duquel il serait loisible d’étudier les changements qui se produisent dans les patrons (pattern) culturels originaux.

Ce faisant, ce concept dissimule une donnée historique essentielle : il n’y a jamais de contact entre des civilisations, mais seulement entre des hommes. Ces hommes ne sont pas des individus isolés, mais au contraire, comme êtres sociaux, ils sont porteurs de tout un contexte social, politique, culturel, mental. L’homme, en effet, en tant que sujet historique, est impliqué dans des réseaux complexes de communication, échanges égalitaires ou non, donc dans des rapports de domination/sujétion. Il appartient à une communauté régie par des règles, des institutions, bref à un système d’organisation équilibré susceptible de se reproduire2.

Comme le faisait remarquer en son temps B. Malinowski, le sociologue et (ajouterons-nous) l’historien n’ont jamais affaire à des objets d’étude simples, mais toujours à des sociétés complexes, à des édifices sociaux obéissant à des logiques internes qui en assurent et la stabilité relative, et les formes minimales d’évolution3. C’est par la notion de « formation économique et sociale4 » que K. Marx désigne « cette totalité organique » formée par l’ensemble des rapports sociaux y compris les formes juridiques, politiques, les normes de conduite, l’idéologie. La formation économique et sociale est donc le véritable cadre de l’analyse historique.

R. Bastide rappelle à juste titre que dans une formation sociale tout se tient, et que « la modification d’un des éléments entraîne par une réaction en chaîne des transformations des autres éléments qui n’ont pas cependant subi directement l’influence du contact. Une culture touchée sur un point, donc en déséquilibre, va tenter de rétablir l’équilibre défait : en changeant d’autres secteurs pour les adapter à la modification déséquilibrante5 ». Il reste que le nouvel équilibre est déjà très éloigné de l’ancien.

Tout changement dans les structures profondes, au niveau des techniques, des forces productives, toute modification des rapports sociaux de production, bien que lents à intervenir, entraînent des modifications à tous les niveaux de l’organisation sociale. Mais il n’y a pas pour autant automatisme ; les possibilités d’adaptation, de récupération des formes nouvelles, sont infinies. Les solutions ne se prévoient pas par déduction, elles sont toujours originales, elles ne perdent jamais leur spécificité6.

C’est en ce sens que l’extension en Méditerranée du système esclavagiste, inséparable dans sa genèse, dans son évolution, dans son fonctionnement, du capital marchand, les rapports qu’ils entretiennent l’un et l’autre avec d’autres formations sociales, retentissent à tous les niveaux, influent sur la diversité des formes de contact entre les hommes et les peuples.

Par leur seule existence, capital-marchand et esclavage modifient en amont l’équilibre des FES diverses qui fournissent, sous une forme ou sous une autre, les esclaves, tandis qu’en aval l’esclave-marchandise intègre le travail dans la sphère des échanges, l’élargissant de façon décisive. De son côté le travail servile modifie radicalement l’ensemble des rapports sociaux. Quant à l’esclave-marchandise, être social totalement aliéné, il voit converger en son être physique et social l’ensemble des processus d’acculturation, transculturation, endoculturation imposée… Il est porteur à la fois de toutes les formes d’intégration, soumission, adaptation, et de l’ensemble des potentialités non moins complexes de la résistance et du refus.

Ce n’est donc pas seulement dans les formes de contact qu’ils suscitent, dans les rapports sociaux qu’ils modifient, qu’il faut chercher le secret du dynamisme de l’esclavage et du capital marchand, mais aussi les limites évidentes de leur action, c’est leur genèse commune, le procès de leur développement qu’il faut interroger7.

 

Capital marchand et esclavage

1 – En 1857/58, K. Marx dans les Formen s’intéresse explicitement à la formation de l’accumulation primitive et au procès de formation du rapport capitaliste. Il aborde ainsi un aspect central de sa recherche : le processus de circulation du capital, en exprimant une première vision d’ensemble de la marchandise (chap. I), de la valeur (chap. II), en élaborant surtout sa théorie de la plus-value (lettre à F. Engels du 2 avril 1858).

À partir de cet horizon théorique élargi, Marx reprend le problème des formes de propriété précapitalistes, qu’il avait déjà abordé de façon incomplète dès 1845-1846 dans L’Idéologie allemande8. Il distingue en particulier « la forme asiatique » et la « forme antique » de propriété.

2 – Le détail de cette approche n’intéresse pas directement notre propos ; nous retiendrons simplement ici les termes généraux de l’opposition entre ce qu’on appelle le MPA et le MP antique. Comme le note H. Kreissig9, le MPA est le système social qui caractérise l’Orient ancien avant et après le développement et la disparition du MP antique et du MP esclavagiste, en Grèce et à Rome par exemple.

En schématisant peut-être à l’excès, on peut dire que la « forme asiatique » se caractérise par l’existence de producteurs réunis en collectivités villageoises ; ces paysans sont de simples possesseurs de la terre, à laquelle ils ont accès par la médiation des collectivités villageoises. La propriété éminente du sol est le fait de la « communauté supérieure » et d’une couche restreinte de « propriétaires » qui entretiennent des relations étroites avec la cour et le temple. Dans les FES qui relèvent du MPA, la contradiction principale se situe donc entre le travail des paysans et l’appropriation de son produit par la « communauté supérieure » et par une couche sociale dominante de privilégiés. On ne parlera pas dès lors d’esclavage, mais de dépendance (Hörigkeit) reposant sur le lien qui attache le producteur à la terre.

Dans la « forme antique » si le principal moyen de production reste la terre, si la valeur d’usage y est encore dominante, l’élément essentiel est la propriété individuelle du sol par des politai, des cives, membres libres d’une communauté indépendante. La ville « concentration de résidences » pour les membres de la communauté tient une place essentielle puisque s’y développent les formes de division du travail, s’y organise d’une façon de plus en plus autonome la production artisanale. C’est dans le cadre d’un système d’échange de plus en plus élargi, du rôle sans cesse accru de la valeur d’échange, qu’apparaît et se développe une forme nouvelle de rapport de production : l’esclavage mobile10.

Dans la « forme antique », la contradiction principale se situe donc entre le travail des esclaves qui prend de plus en plus d’importance et l’appropriation individuelle du surproduit. Dans les FES qui relèvent du MP antique apparaît et se développe la circulation de la force de travail sous la forme d’esclave-marchandise.

C’est donc dans l’étude des formes de propriétépropriété du sol mais aussi appropriation du surproduit — que K. Marx saisit d’abord l’originalité profonde de « la forme antique » qui voit se développer en son sein de façon concomitante, mais séparée, les formes évoluées de la production agricole et artisanale, les formes évoluées de la circulation des produits.

C’est dans l’étude de la production qu’il réalise la double nature de l’esclavage marchandise : — force de travail susceptible d’intervenir aux divers niveaux de la production —, force de travail qui circule, en ce qu’elle est cristallisée en un individu devenu produit à vendre, échanger, acheter, c’est-à-dire marchandise. En retour l’esclave-marchandise élargit de façon décisive le champ des échanges en y introduisant le travail.

3 – On comprend dès lors pourquoi tant dans la Contribution à la critique de l’économie politique, que surtout dans le Capital, K. Marx revient à plusieurs reprises sur le rôle de l’échange, sur la place spécifique du capital marchand dans les sociétés pré-capitalistes, sur l’effet dissolvant qu’il exerce sur les formes de dépendance archaïque. On comprend aussi pourquoi les réflexions les plus importantes de Marx sur l’esclavage antique se trouvent dans le Capital11.

3 a – Dès les Formen Marx insiste sur la séparation qui existe entre production et capital marchand en mettant en relief le rôle des « rares peuples commerçants » qui monopolisent, dans un contexte de faible développement du marché, le « carying trade » et qui vivent dans « les pores du monde antique », tels les Juifs de la société médiévale12. Ces peuples assument une fonction spécifique : l’échange, en se glissant dans les interstices (Zwischenraüme) de l’économie des autres peuples. Cette séparation, Marx la trouve à nouveau, sous d’autres formes, lorsqu’il étudie des sociétés antiques plus développées : « le commerce et même le capital-marchand […] représentent […] du point de vue historique, le mode d’existence indépendante le plus ancien du capital13 » (souligné par nous. J. Annequin) ou encore « le capital-marchand enfermé dans la sphère de la circulation a une fonction explicite qui consiste exclusivement à mettre en œuvre l’échange des marchandises14 » ; il en donne une explication : « cette autonomie du procès de circulation dans lequel les sphères de production sont reliées par un tiers a une double signification : d’une part la circulation ne s’est pas encore emparée de la production […], d’autre part le procès de production ne s’est pas encore intégré la circulation comme simple phase15 ».

3 b – Mais Marx ne s’en tient pas là, son analyse de l’interprétation aristotélicienne de l’économie lui permet de mettre en rapport cette séparation de la sphère de la production et de celle de la circulation en faisant intervenir la forme esclavagiste que revêt le procès de production.

À ses yeux lorsqu’Aristote au livre 1 de la Politique (1257 b5) oppose la monnaie forme naturelle de l’art d’acquisition, liée au régime familial et à la science économique et l’accumulation sans limite des richesses qui n’est pas l’objet de la forme naturelle de l’art d’acquisition, il rend compte de cette séparation qui existe alors entre la production et l’échange limité d’une part, et l’échange élargi d’autre part16.

L’analyse d’Aristote dans ses limites mêmes dévoile le secret de son échec : « Ainsi Aristote nous dit lui-même où son analyse vient échouer — contre l’insuffisance de son concept de valeur […] Ce qui empêchait Aristote de lire dans la forme valeur des marchandises, que tous les travaux sont exprimés ici comme travail humain indistinct et par conséquent égaux, c’est que la société grecque reposait sur le travail des esclaves et avait pour base naturelle l’inégalité des hommes et de leurs forces de travail…17 ».

4 – La double nature du rapport de production esclavagiste apparaît clairement : sous son aspect purement formel il appartient au système large de la dépendance extra-économique18, dont il se sépare cependant radicalement en établissant une coupure entre la terre (lieu de production) et le travailleur (force de production). Le système esclavagiste ne peut fonctionner et se reproduire que dans le cadre d’une économie largement ouverte sur l’échange. C’est pourquoi le système esclavagiste est toujours lié à l’action conquérante du capital marchand : « Dans le monde antique, l’action du commerce et du capital marchand aboutissent toujours à une économie esclavagiste ; ou, suivant leur point de départ, pouvant aboutir à la simple transformation d’un système d’esclavage patriarcal orienté vers la production de moyens de subsistance directs, en un système orienté vers la production de plus-value19 ».

Nous pouvons donc énumérer les points suivants :

1 – Ce qui aux yeux de Marx différencie les MP précapitalistes du MP capitaliste c’est que « le capital marchand apparaît comme la fonction par excellence du capital… », il n’est pas encore en mesure d’unifier l’ensemble des éléments de la production et de la circulation20.

2 – Le capital marchand et l’esclavage se développent dans un processus d’évolution/dissolution à partir de la « forme antique »21.

3 – Le fonctionnement d’une économie organisée autour du marché, la reproduction du système esclavagiste supposent un haut degré d’organisation de l’espace économique et politique.

4 – Capital marchand et esclavage participent du dynamisme des FES esclavagistes, mais en soulignent aussi la relative fragilité.

5 – Enfin et surtout, pour notre propos, par l’intermédiaire et du capital marchand et du système esclavagiste, ces FES posent de façon permanente la problématique des contacts avec les autres FES :
– par l’intermédiaire du rôle dissolvant de la monnaie
– par l’intermédiaire du procès de production de l’esclave : pillage, capture. . .
– Par la constitution d’un espace économique où fonctionnent les échanges.

Esclavage, échange, formes et nature des contacts

1 – L’esclave marchandise employé à la fois à la production de la valeur d’usage et de la valeur d’échange ne peut trouver sa place qu’au sein d’une FES qui connaît une véritable organisation de la sphère des échanges : c’est ce qu’exprime ainsi F. Engels dans l’Anti-Dühring :

Un esclave ne fait pas l’affaire de tout le monde. Pour pouvoir en utiliser un, il faut disposer de deux choses : d’abord des outils et des objets nécessaires au travail de l’esclave, et deuxièmement des moyens de l’entretenir petitement. Donc avant que l’esclavage soit possible, il faut déjà qu’un certain niveau dans la production ait été atteint et qu’un certain degré d’inégalité soit intervenu dans la répartition. Et pour que le travail servile devienne mode de production dominant de toute société on a besoin d’un accroissement bien plus considérable encore de la production, du commerce et de l’accumulation de richesse […]22.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si à Rome, par exemple, l’apogée du système esclavagiste correspond à un développement sans précédent du capital marchand, à l’organisation à l’échelle méditerranéenne d’un vaste espace d’échange.

2 – En effet l’esclavage pour fonctionner et se reproduire suppose l’existence23 :
– de rapports organiques entre les sociétés qui fournissent et celles qui utilisent des esclaves. L’activité prédatrice est toujours présente dans ces rapports, puisque l’esclavage a toujours à son origine une double violence : celle de la capture, celle de la déshumanisation de l’esclave, de sa transformation en marchandise. La reproduction du système esclavagiste exige l’existence permanente de populations plus ou moins intégrées à la sphère des échanges qui constituent des réservoirs de main-d’œuvre servile ; elle suppose aussi que la FES esclavagiste détienne toujours dans ces rapports organiques une position hégémonique ;
d’une infrastructure matérielle importante qui permette le fonctionnement d’une économie d’échange, et assure la permanence de la circulation des produits et de la force de travail. On ne peut d’ailleurs pas séparer l’existence du marché, d’un espace économique organisé, de l’exercice de la violence. « Le marché des esclaves lui-même est constamment alimenté en marchandises-force de travail par la guerre, la piraterie etc. et ce rapt ne s’opère pas par l’intermédiaire d’un procès de circulation, mais il est l’appropriation en nature de force de travail étrangère par la contrainte directe24 ». Y. Garlan a bien montré le rôle de la piraterie dans la circulation des esclaves-marchandises, en rapport avec l’organisation des échanges, en concurrence (parfois) avec les sources directes d’approvisionnement que sont la guerre, le pillage et la conquête25. Sous toutes ses formes l’activité prédatrice est bien comme l’indique J. Bazin un acte de « production », production d’une force de travail mobile26 ;
du maintien de l’hégémonie de la FES esclavagiste dans ses rapports organiques, en particulier par la mise en place d’un appareil d’État plus ou moins complexe, qui par les conquêtes peut assurer la permanence de l’approvisionnement en esclaves, qui par la surveillance peut assurer le bon fonctionnement du marché et du procès de circulation, qui par la violence ou des formes diverses d’intégration peut garantir et le fonctionnement du travail servile et la reproduction assurée de l’ensemble du système27 ;
de l’existence concomitante d’une idéologie, qui justifie l’esclavage, l’utilisation de populations barbares comme réserve « naturelle » d’esclaves, qui fasse apparaître aux yeux des hommes libres les esclaves « comme la seule condition inorganique de la production », qui fournisse au système esclavagiste les cadres juridiques et institutionnels indispensables à son bon fonctionnement28.

3 – Dans ces conditions les rapports de production esclavagistes peuvent exprimer leur supériorité dans le domaine de la production. L’exploitation esclavagiste permet, en effet, l’accroissement du taux de croissance et d’accumulation :
– en élargissant par des apports extérieurs permanents les capacités démographiques de la société (cet élément est particulièrement important dans les sociétés pré-capitalistes) ;
– en autorisant des manipulations des taux de reproduction, des taux de natalité, du sex ratio et surtout de la durée de la vie active ;
– en permettant grâce à la mobilité de la force de travail sa concentration plus ou moins poussée en tel ou tel lieu de la production, son intervention dans les secteurs les plus divers : agriculture, artisanat, service, et même dans des fonctions plus spécialisées (administratives par exemple).

4 – Tous ces éléments montrent le dynamisme du système esclavagiste, mais aussi sa fragilité historique. Son fonctionnement et sa reproduction supposent nécessairement sa position hégémonique dans l’ensemble des rapports qu’il se doit d’entretenir avec les autres systèmes socio-politiques. La reproduction endogène n’étant jamais à elle seule suffisante, la reproduction marchande ne peut se maintenir qu’à condition que la puissance politique de la société esclavagiste soit assez forte pour maintenir et faire fonctionner à son profit les rapports organiques qui la lient à d’autres FES29. Le problème du coût de l’esclave (et pas de sa rentabilité) se pose d’ailleurs en liaison tant avec le prix de vente des produits livrés à l’échange qu’avec la variation du prix de vente de la force de travail, indissociable, lui, de l’approvisionnement régulier du marché.

Au total :

1 – le système esclavagiste apparaît comme directement lié au procès de circulation dont il dépend mais qu’en retour il élargit ;

2 – il constitue un réel progrès par rapport aux autres rapports de production pré-capitalistes, en ce qu’il permet la croissance de la production au-delà des limites « naturelles » démographiques et économiques ;

3 – son fonctionnement néanmoins est lié à sa situation hégémonique dans les rapports organiques qu’il entretient avec d’autres formations sociales. C’est peut-être l’occasion de poser le problème d’une des formes de contradiction interne de l’impérialisme romain, par exemple. Par la conquête il accroît ses possibilités de production d’esclaves-force de travail, mais par l’intégration des provinces conquises dans l’Empire, il rend plus difficile, voire impossible, la perpétuation de cette activité prédatrice.

La situation hégémonique du capital marchand et de l’esclavage et la problématique des contacts

II est évidemment difficile d’appréhender de façon synthétique les grands problèmes que posent à l’historien les formes multiples de contact entre une FES esclavagiste et d’autres FES qui entrent en rapport avec elle soit au sein de « rapports organiques » tels que nous les avons définis plus haut, soit à l’occasion d’un phénomène de conquête. Toutefois les recherches conduites sur les formes d’exploitation du travail, les colloques bisontins sur les formes de dépendance et leur évolution, les travaux de M. Clavel-Lévêque sur les formes de transition, les recherches nouvelles sur les phénomènes de résistance, sur le maintien de rapports sociaux de production hérités . . . nous offrent la possibilité, à titre d’expérience, d’interroger à l’aide d’exemples précis la logique formelle du fonctionnement du capital marchand et du système esclavagiste telle que nous avons tenté de la dessiner30.

1 – C’est ainsi qu’A. Daubigney ici même et dans ses travaux sur La dépendance et ses formes en Gaule préromaine31, est conduit à souligner le rôle dissolvant que l’échange et l’économie monétaire grecque puis romaine ont joué, en particulier sur les formations sociales indigènes de la Gaule méridionale. Après les travaux de M. Clavel-Lévêque32, il a vérifié que la pénétration du capital marchand a largement préparé la conquête en tournant la production indigène de plus en plus vers l’échange, en préparant l’introduction de formes nouvelles de propriété et d’exploitation. Cette orientation vers un système de production où le produit est conçu « comme marchandise et l’exploitation du travail perçue comme créatrice de plus-value », l’intégration progressive de la Gaule dans une économie monétaire ont aussi conduit à un renforcement du contrôle des aristocraties indigènes sur les paysans, à une recherche des moyens nécessaires à une plus grande production de produits pour l’échange, et par là à un remodelage des formes de dépendances héritées, en des formes paraesclavagistes33. Par ailleurs, et on pourrait à ce sujet interroger déjà les travaux de E. M. Staerman34, la présence d’un marché pour les esclaves à Rome a pu donner une orientation nouvelle aux luttes qui opposaient les divers peuples de l’arrière-pays. Comme le note A. Daubigney, le commerce des esclaves a pu « attiser les conflits entre peuples et donner une orientation différente, dans le sens de l’esclavagisme, aux guerres locales de tradition tribale et clientélaire ou aux razzias35 ».

On ne peut qu’insister après M. Clavel-Lévêque et A. Daubigney sur le rôle en profondeur que ces transformations des structures indigènes traditionnelles ont pu jouer dans un phénomène très large de « préparation » de la conquête romaine. Ici, comme ailleurs, les marchands romains ont précédé, annoncé puis accompagné les conquérants.

Dans un tout autre contexte B. Nadel a étudié à Besançon en 1973 les effets de la présence coloniale grecque sur les peuples indigènes de la rive Nord du Pont-Euxin36. Il constate qu’elle suscite une intensif cation de la différenciation sociale en classes de la population indigène, qui va de pair (et nul ne s’en étonnera) avec le développement des formes étatiques, l’intégration de l’aristocratie indigène dans la sphère des activités économiques et culturelles des colonies grecques tandis que dans le même temps l’hinterland tribal servait de réserve de force de travail pour les colonies grecques. Ces exemples, au cours de processus évolutifs multiformes, montrent bien le rôle dissolvant de l’échange, de la monnaie, du capital marchand.

2 – C’est, semble-t-il, à de tout autres conclusions que nous conduisent les études qui depuis quelques années se multiplient sur les FES d’Asie Mineure et du Moyen Orient autour des travaux précurseurs de H. Kreissig et de P. Briant37. J’ai pu montrer à l’occasion d’un compte rendu38 à quel point leur interprétation des structures économiques, politiques et idéologiques de ces formations sociales, à partir de la notion de MPA, a été largement confortée par des travaux précis sur la nature de la possession et de la propriété du sol, le statut des paysans dépendants, la forme politique de ce que d’aucuns appellent encore des « despotismes orientaux ». J’ai rappelé tout à l’heure les caractères originaux de cette « forme asiatique » qui la distinguent si nettement chez Marx de la communauté antique39.

Si, comme l’ont montré M. Godelier et P. Briant40, il faut renoncer à l’aspect soi-disant figé de ces sociétés qui avait littéralement fasciné Marx dans ses premiers écrits, nous sommes conduits néanmoins à constater que les conquêtes grecque puis romaine, si elles ont introduit des formes nouvelles de propriété, n’ont pas entamé la domination des formes anciennes de possession du sol, que les structures politiques des conquérants ont fait une large place au caractère proprement indigène du pouvoir politique, que l’introduction de l’esclavage n’a pas bouleversé profondément les formes d’exploitation du travail au sein des communautés villageoises traditionnelles. I. Biezunska-Malowist a clairement montré dans son étude sur l’esclavage dans l’Egypte gréco-romaine que le rôle des esclaves dans la production reste très réduit et que l’introduction de l’esclavage n’a pas bouleversé les structures de la production41.

3 – Sommes-nous en présence de deux leçons inverses des faits ? « La forme asiatique » est-elle donc si stable qu’elle est capable quant à ses structures, de résister aux bouleversements que peuvent occasionner deux conquêtes se succédant sur une large plage chronologique par deux FES différentes certes, mais toutes deux esclavagistes ? Et puis comme le dit P. Lévêque, « les conquérants ont-ils cherché à substituer l’exploitation d’esclaves à l’exploitation des dépendants42 ? ». En vérité nous sommes confrontés au problème fort complexe des limites du pouvoir dissolvant du capital marchand, des limites des possibilités d’extension du système esclavagiste, à sa potentialité historique restreinte à se substituer à des formes héritées d’exploitation du travail. Marx dans le Capital soulevait déjà le problème en ces termes :

Le développement du commerce et du capital marchand favorise l’orientation en général de la production vers la valeur d’échange : il accroît son volume, le diversifie et l’internationalise, transforme la monnaie en monnaie universelle. Le commerce comporte donc partout une action plus ou moins dissolvante sur les organisations existantes de la production […] Mais la mesure dans laquelle il détruit l’ancien système de production dépend d’abord de la solidité et de la structure intérieure de celui-ci43.

À notre sens, c’est dans cette optique qu’il faut aujourd’hui poursuivre le débat. Dans le cadre de cette discussion en cours, nous proposons ici simplement quelques remarques ; il nous paraît en effet nécessaire :
– de tenir compte des résistances (à des degrés variables) des diverses formations sociales à l’action dissolvante du capital marchand, à l’instauration plus ou moins large du système esclavagiste ;
– mais aussi de ne pas surestimer ces résistances, en considérant le seul aspect formel des rapports de production hérités, en négligeant de prendre en compte la réalité objective de leur fonctionnement.

3a – Les résistances ont sans doute été rendues possibles par le faible développement du capital marchand dans l’Antiquité, par la séparation qui demeure entre la sphère de la circulation et celle de la production. Karl Marx dans le Capital remarquait déjà que « pris isolément, le capital marchand était insuffisant pour mettre en œuvre et pour expliquer le passage d’un mode de production à un autre44 ». C’est en partie à cette faiblesse « essentielle » que l’on rapportera la pluralité des voies et des rythmes de développement, le maintien au côté de l’esclavage d’une grande diversité de formes d’exploitation du travail.

Si l’on tient compte non seulement de l’aspect formel des rapports de dépendance mais aussi de la réalité de leur fonctionnement, il est possible d’expliquer, du moins en partie, la plus grande résistance des rapports de dépendance à la terre, et au contraire la fragilité relative des rapports de dépendance personnelle. Ces derniers sont en effet directement liés aux fonctions que peuvent assumer dans les sociétés archaïques pré-ou paraétatiques les rapports de parenté ou les rapports clientélaires dans la distribution des produits, l’organisation du travail et de la production. Il suffit que sous l’effet de la monnaie, par exemple, le contenu de ces rapports change pour que l’ensemble du système : distribution, organisation du travail, production, soit remis en cause ou prenne un sens nouveau45. Au contraire, au sein des systèmes de dépendance à la terre il y a séparation plus rigoureuse entre production et circulation des produits pour l’échange, dans la mesure où l’État, « la communauté supérieure » s’appropriant en grande partie, sinon en totalité, le surproduit du travail des paysans dépendants, se trouve en mesure d’organiser à son profit la circulation élargie des produits, en particulier les échanges avec l’extérieur. De ce fait la monnaie, le capital marchand, tenus écartés de la sphère de la production, sont dans l’impossibilité de remettre directement en cause le fonctionnement des rapports sociaux de production46.

3 b – Encore faut-il a contrario ne pas être dupe de la persistance au niveau formel de ces rapports de production et tenir compte de la capacité réelle qu’ont le capital marchand et le système esclavagiste, non pas de supplanter, mais plus dialectiquement de se soumettre les formes héritées d’exploitation du travail.

– En Italie par exemple l’exploitation esclavagiste du travail n’a pu faire complètement disparaître ni le travail salarié ni les formes anciennes du colonat ou du système clientélaire, et ce, même aux grandes époques du développement de l’esclavage. Il n’en reste pas moins que le travail salarié apparaît, par exemple chez les agronomes latins, intégré au procès de travail servile, qui impose la logique de son système d’exploitation, que la forme ancienne du colonat, ou la forme remaniée du travail de la terre par des esclaves chasés, se développent au sein même d’un système de production dominé par l’esclavage47.

– En Afrique, J. Kolendo a montré de facon convaincante que le colonat est, pour partie au moins, une réactivation de formes archaïques indigènes d’organisation du travail48. Il faut néanmoins tenir compte :
– de l’intervention des esclaves dans la production artisanale, dans l’écoulement des produits ;
– de leur utilisation pour améliorer la surveillance du travail des colons ou même pour accroître le nombre des paysans payeurs de la rente foncière49 ;
– de la situation dominante de la production non plus de valeurs d’usage, mais de valeurs d’échange ;
– de la détermination nouvelle du statut des colons (formellement libres) par rapport aux normes socio-juridiques de la société esclavagiste50, pour mesurer à quel point ces formes anciennes qui semblent perdurer dans leur état premier sont en réalité gauchies, bricolées, transformées pour fonctionner dans le cadre d’une économie d’échange qui leur impose sa logique.

Dans le cas du travail salarié des formes anciennes d’exploitation du travail en Italie, du colonat africain, et dans bien d’autres cas sans doute, au-delà du niveau formel, il faut, à notre sens, s’efforcer de saisir comment et jusqu’à quel point ces structures anciennes ont été subverties de l’intérieur pour répondre aux exigences des rapports de productions esclavagistes alors dominants.

3 c – En d’autres termes, avec M. Clavel-Lévêque et F. Favory51, nous pensons qu’il s’agit moins de lire au sein d’une formation complexe comme les royaumes hellénistiques, ou l’Empire romain, la seule juxtaposition de FES plus ou moins intégrées en un ensemble unique, mais de distinguer quand, où, comment, jusqu’à quel point, les rapports de production esclavagistes, le capital marchand, dont le conquérant est porteur, ont pu se soumettre directement ou indirectement les rapports de production anciens.

En conclusion, je voudrais renverser la problématique, passer du général au particulier, réfléchir sur la condition réelle de l’esclave-marchandise, comme lieu où se condensent et se concentrent l’ensemble des éléments du procès d’acculturation. L’esclave-marchandise est par excellence l’étranger absolu, l’être social le plus aliéné qui soit, sans capacité de nouer des rapports de parenté et d’alliance, il n’a d’autres relations que celles qu’il noue avec son maître. Ses rapports sociaux sont donc d’abord des rapports de production. C’est pourquoi il apparaît aux yeux des hommes libres comme la condition naturelle de la production, c’est pourquoi, comme le remarque Marx dans les Formen, l’esclave se trouve comme enfoncé dans l’existence indivise de sa personne/travail, et en même temps dépossédé du produit de son travail. Il est par ce fait dans l’impossibilité d’avoir une conscience claire de sa place exacte dans le procès de la production52.

Ce double processus d’aliénation de l’être social, de la personne du travailleur, est rendu possible par la coupure première créée par le déracinement. Privé de toute relation avec le réseau traditionnel des pratiques et des rites, obligé souvent d’apprendre ou d’entendre la langue véhiculaire des maîtres, plongé dans un univers hostile, confronté à un mode de vie nouveau, l’esclave est l’objet d’un processus concerté de déculturation. Il est immergé dans une sorte de « vide culturel ». Il porte en lui les signes de sa dépossession (marques serviles), de l’effacement de sa dimension sociale : on lui donne un nouveau nom qui au mieux rappelle son lieu d’origine, le plus souvent le désigne par rapport à sa fonction/travail, aux qualités qui sont celles d’un bon esclave (Eunous par exemple) ou encore souligne sous forme de sobriquet un défaut moral ou physique. Privé de ses liens sociaux qui le définissent comme une singularité, à sa place, dans ses droits, il devient un individu interchangeable, une « non-personne ». Il est victime d’une double violence réelle et symbolique qui aboutit à sa déshumanisation ethnique/juridique/idéologique.

Les efforts d’intégration des esclaves à la société des hommes libres, tels que nous pouvons les suivre dès la fin de la République romaine, admission dans certains collèges professionnels, association à certains cultes, etc., loin de faire disparaître cette aliénation, ne font que la dénoncer: l’esclave étant l’objet ici d’une transculturation forcée53. En vérité l’aliénation de l’esclave produit un effet réfléchissant qui éclaire le fonctionnement de tout le système esclavagiste ; c’est d’ailleurs pourquoi toutes les formes de résistance mettent en pleine lumière le processus d’aliénation quelles tentent d’abolir :
– la résistance passive qui va de la paresse au sabotage en passant par la dissimulation, le vol, exprime le refus de la nouvelle identité/travail54 ;
– la révolte, toujours ou presque, conduite par un chef visionnaire/inspiré/prophète55, exprime le refus de la capture, élément premier de l’aliénation par la recherche de la liberté. Les cultes prophétiques, les chefs thaumaturges sont à la croisée du salut individuel et du salut collectif, à la croisée du monde perdu de la liberté et du monde de demain qu’ils garantissent fait de liberté. Ayant fonction de rendre leur identité à des individus soumis à une déculturation radicale, ces cultes, ces rites, ces pratiques, sont indissociables des mouvements de révoltes et c’est en cela que ces soulèvements sont toujours porteurs de potentialités politiques56.
– Quant à la fuite, ce refus personnel, comme l’a bien montré H. Bellen, elle est une plaie endémique du système esclavagiste qui mobilise contre elle l’appareil répressif de l’État57. Elle exprime en effet la volonté de l’esclave de retrouver son identité, sa personne, elle souligne surtout l’essence même de sa condition servile : dès lors qu’il a renoncé aux voies licites de l’affranchissement, dès lors qu’il a refusé son intégration culturelle, l’esclave ne peut retrouver sa liberté qu’aux marges du monde esclavagiste. Le fugitivus est sans rémission un marginal, c’est pourquoi il rencontre si souvent ces autres marginaux, ces autres « primitifs de la révolte » que sont les brigands. La liberté ainsi recouvrée s’arrête où commence la légalité esclavagiste ; elle restera à jamais sauvage, étrangère aux rapports sociaux reconnus58.

Dans l’espace méditerranéen ancien le capital marchand et le système esclavagiste d’une part, l’esclave dans son être socialement dissocié d’autre part, sont bien au cœur de la problématique des contacts.

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  1. Cf. R. Redfield, R. Linton, M. J. Herkowits, « Memorandum on the study of acculturation », dans American Anthropologist, 38, 1936, p. 149-152 et M. Fortes, « Culture Contact as a dynamic process », dans Africa, 9, 1936. M. J. Herkowits, Acculturation the study of culture contact, New York, 1938. []
  2. Cf. B. Malinowski, The dynamics of Culture Change, New-Haven, 1945, et A scientific theory of culture, Chapel-Hill, 1944, se réfère aux exemples africains qu’il considère à partir de trois données distinctes : culture africaine — culture européenne — culture nouvelle résultant de la mise en relation des deux premières cultures ; renvoyant à son interprétation de la culture comme système d’institutions, il est amené à envisager le « contact culturel » comme s’instaurant entre institutions ayant le même statut. Trop de théories de l’acculturation relèvent encore du « culturalisme » qui postule la séparation du culturel et du social. []
  3. Cf. B. Malinowski, Methods of Study of Culture Contact in Africa, introduction, Memorandum, 15, 38, et sa critique du « point zéro », de la démarche « historique » qui veut retrouver l’état premier des civilisations avant les modifications entraînées par leur entrée en contact. []
  4. Dans le texte et dans les notes, nous utiliserons les abréviations suivantes :
    FES : formation économique et sociale ;
    MP : mode de production (MPA : mode de production « asiatique ») ;
    Formen : abréviation pour le chapitre consacré aux Formes (Formen) qui précèdent la production capitaliste, dans K. Marx, Les Fondements (Grundrisse) de la critique de l’économie politique, 1857-1858. []
  5. R. Bastide, « Acculturation », dans Encyclopædia Universalis, p. 104. Cf. aussi p. 105 et 106. []
  6. Cf. entre autres R. Bastide, Anthropologie appliquée, Paris, 1971 ; et G. Balandier, « Dynamique des relations extérieures des sociétés “archaïques” », dans G. Gurvitch, Traité de sociologie, t. 2, chap. III, p. 447-462. R. Bastide, ibid., Problèmes de l’entrecroisement des civilisations et de leurs œuvres, p. 315-330. []
  7. Cf. les études importantes réunies sous le titre Analisi marxista et società antiche, Istituto Granisci, Rome, 1978 ; en particulier pour notre sujet : A. Schiavone, « Per una rilettura delle “Formen” : teoria della storia, dominio del valore d’uso e funzione dell’ideologia », p. 75-106. M. Mazza, « Marx sulla schiavitù antica. Note di lettura », p. 107-145. D. Musti, « Per una ricerca sul valore di scambio nel modo di produzione schiavistico », p. 147-183 et le long compte rendu, qui est en réalité une contribution au débat, de M. Clavel-Lévêque et F. Favory, Labeo, 26, 3, 1980, p. 390-401. []
  8. Marx-Engels, L’idéologie allemande. I, Feuerbach, E. S., 1976, p. 16 sq. []
  9. H. Kreissig, « Propriété foncière et formes de dépendance dans l’hellénisme oriental », dans Actes Colloque Besançon 1974, p. 197-215. []
  10. Esclave-marchandise, chattle-slavery et chez M. Weber, Ergasterius-sklaven. []
  11. Capital, E. S. (1948-1960) L. II, t. II, I, p. 123-126 ; L. III, t. II, I, p. 48-50 sq.; L. III, t. II, et III p. 253-255 sq. []
  12. Cf. Formen, (Sur les sociétés précapitalistes), p. 196, et Capital (E. S. 1976) L. III, chap. XX, p. 312. Cf. également les recherches de K. Polanyi, et le concept de port-of-trade, par exemple K. Polanyi et C. Arensberg, Les systèmes économiques…, Paris, 1975, et M. Godelier, Un domaine contesté, l’anthropologie économique (l’approche substantiviste), p. 153 sq. []
  13. Capital, E. S., 1976, L. III, chap. XX, (Aperçu historique sur le capital marchand), p. 308. M. Weber, Économie et société, Paris, 1971, parle de capital marchand : merx peculiaris, Erwerbskapital. []
  14. Ibid., p. 308-309. []
  15. Ibid., p. 311. []
  16. Sur les notions de « chrématistique » et d’« économie » chez Aristote, cf. Capital (E. S., 1976), L. I, chap. I,III : La forme équivalente et ses particularités, p. 58 sq. Sur le passage de la formule M.A.M. (circulation simple) à la formule AMA’ du capital marchand et la transformation de l’argent « en forme absolue de la marchandise », en richesse dont l’immobilisation et l’accroissement deviennent « une fin en soi », cf. Capital, L. III, chap. XX, p. 312. []
  17. Ibid., p. 59 sq. []
  18. Formen… (Sociétés précapitalistes), p. 198, Marx rapproche esclavage et servage : « L’esclave n’entretient aucune espèce de rapport avec les conditions objectives de son travail ; mais le travail lui-même, tant sous la forme de l’esclave que du serf, est placé au rang des autres êtres naturels en tant que condition inorganique de la production, à côté du bétail ou comme appendice de la terre ». []
  19. Capital (E. S., 1976), L. III, chap. XX, p. 314. []
  20. Dès sa lettre à Engels du 2 avril 1858 (Lettres sur le « Capital », E. S., 1964, p. 96), Marx parle des MP, « non évolués et prébourgeois où l’échange ne donnera pas encore la production dans toute son ampleur ». Capital, ibid., p. 310 : « Dans les limites du MP capitaliste, c’est-à-dire, dès que le capital s’est emparé de la production elle-même en lui conférant une forme spécifique […] le capital marchand ne se présente plus que comme un capital doté d’une fonction particulière. Dans tous les MP antérieurs, le capital marchand apparaît comme la fonction par excellence du capital et ceci d’autant plus que la production s’avère être davantage production directe de moyens de subsistance pour les producteurs eux-mêmes » ; ou encore, ibid., « À l’intérieur du MP capitaliste, le capital marchand se trouve dépouillé de son existence autonome antérieure […] ». Cf. sur cette problématique A. Schiavone, op. cit., p. 97 sq. []
  21. Comme le fait justement remarquer M. I. Finley, Esclavage antique et idéologie moderne, Paris 1979, p. 100: « Pourtant malgré tous ses avantages (ou apparents avantages), l’esclavage ne fut qu’une forme tardive et relativement rare du travail involontaire […] dans l’histoire ancienne en particulier ». []
  22. F. Engels, « Anti-Dühring », dans Sur les sociétés précapitalistes, II, p. 193-195. []
  23. Sur tous ces problèmes, cf. Cl. Meillassoux, « Lettre sur l’esclavage », dans Dialectiques, 21, 1977, p. 114-115, et M. I. Finley, op. cit., p. 115. []
  24. « Capital », dans Sur les sociétés précapitalistes, II, I, p. 125-126. []
  25. Y. Garlan, « Signification historique de la piraterie grecque », dans DHA, 4, 1978, p. 1-16, en particulier p. 6-7. Pour l’auteur, si les Romains se lancent avec Pompée dans une attaque des pirates c’est parce qu’ils avaient d’autres sources d’approvisionnement (cf. les victoires de Marius sur les Cimbres et les Teutons). Ainsi pouvaient-ils «renoncer à la filière orientale assurée par les pirates » (p. 7). « La piraterie était dorénavant une branche morte de l’économie esclavagiste romaine : on avait à la fois la possibilité et de bonnes raisons de la supprimer». []
  26. J. Bazin, « Guerre et servitude à Ségou », dans L’esclavage en Afrique pré-coloniale, 1975, p. 142. []
  27. Cf. H. Bellen, Studien zur Sklavenflucht im römischen Kaiserreich, Wiesbaden,1971. []
  28. Sur l’État et l’idéologie esclavagistes, cf. M. Clavel-Lévêque, « Modèle impérial romain : développement, transition, pluralité des voies et universalisme », dans La Pensée, 196, 1977, p. 10-27. P. Vidal-Naquet, « Réflexions sur l’historiographie grecque de l’esclavage », dans Actes du colloque 1971 – Besançon, Paris, 1972, p. 25-44. J. Modrzejewski, « Aut nascuntur, aut fiunt : les schémas des sources de l’esclavage dans la théorie grecque et dans le droit romain », dans Actes Colloque Besançon 1973, p. 353-377. []
  29. 1. Biezunska-Malowist et M. Malowist, « La procréation des esclaves comme source de l’esclavage », dans Mélanges K. Michalowski, 1966, p. 275-280. []
  30. Cf. J. Annequin, M. Clavel-Lévêque, F. Favory, « Présentation », Formes d’exploitation du travail et rapports sociaux dans l’Antiquité classique, Recherches internationales n° 84, 3, 1975, p. 3-44 ; Actes des colloques de Besançon, 1970, 1971, 1972, 1973, 1974, 1975; M. Clavel-Lévêque, op. cit.; J. Kolendo, Le colonat en Afrique sous le Haut-Empire, Paris, 1976; M. Clavel-Lévêque et F. Favory, « Pratique scientifique et théorie des sociétés de l’Antiquité », dans La Pensée, 192, 1977, p. 95-116. []
  31. A. Daubigney, Travail en cours et La dépendance et ses formes en Gaule préromaine (inédit). []
  32. M. Clavel-Lévêque, Marseille grecque, la dynamique d’un impérialisme marchand, Marseille, 1976, et « Les conditions économiques de l’implantation romaine dans le Midi gaulois : pour une problématique », Cahiers ligures de préhistoire et d’archéologie, 24, 1975. Ch. Goudineau, dans Histoire de la France urbaine, t. 1, Paris, 1981, p. 184, reprend le concept d’ « impérialisme marchand », et son rôle dans la transformation de l’économie des peuples du littoral et de la basse vallée du Rhône « qui passent brusquement d’une économie en circuit à peu près fermé à une économie où il faut produire davantage parce que les surplus s’échangent puis se vendent ». []
  33. A. Daubigney, op. cit., p. 155, 156, 269, 305. []
  34. E. M. Staerman, Die Blütezeit der Sklavenwirtschaft in der römischen Republik, Wiesbaden, 1969, dans le chap. I (tableau p. 43-44) étude le trafic des esclaves venant de Gaule avant le début de la conquête. []
  35. A. Daubigney, ibid., p. 314. P. Nash, The growth of urban society in Gaul, p. 128 sq. voit dans les esclaves le principal objet d’exportation. []
  36. Β. Nadel, « Slavery and related formes of labor on the north shore of the Euxine in Antiquity », dans Actes Colloque Besançon 1973, p. 197-219. []
  37. P. Briant, « Remarques sur “Laoi” et esclaves ruraux en Asie Mineure hellénistique », dans Actes colloque Besançon 1971, Paris 1974, p. 93-119. H. Kreissig, Wirtschaft und Gesellschaft im Seleukidenreich, Berlin, 1978 et ses communications, aux divers colloques de Besançon, Actes 1974, p. 197-215; Actes 1973, p. 237-255 ; Actes colloque Nieborow, 1975, p. 64-70. []
  38. J. Annequin, « À propos du colloque de Besançon sur l’esclavage (1973) : Formations économiques et sociales et rapports de dépendance dans l’Antiquité », dans Cahiers d’histoire (IRM), 24, 1978, p. 148-152. []
  39. II n’est pas possible de donner ici ne serait-ce qu’un aperçu incomplet des multiples articles et communications concernant le concept marxiste de MPA, si tristement « oublié » pendant des dizaines d’années par la recherche « marxiste ». Nous rappellerons l’importance décisive de la publication par le CERM, en 1969, de : Sur le « mode de production asiatique », et en 1970 de Sur les sociétés précapitalistes, avec la préface si éclairante de M. Godelier ; la recherche, sur bien des points novatrice, dès 1957, de E. C. Welskopf, Die Produktionverhältnisse im alten Orient, Berlin, et également G. Sofri, Il modo di produzione asiatico. Storia di una controversia marxista, Turin, 1973, 2e éd. []
  40. M. Godelier, op. cit., p. 52. P. Briant, « Appareils d’État et développement des forces productives au Moyen-Orient ancien : le cas de l’Empire achéménide », dans La Pensée, 217/218, p. 9-23, en particulier p. 11 : La « stagnation asiatique » : une fiction. []
  41. Parmi une bibliographie abondante : sur les formes de propriété et de possession du sol, J. Modrzejewski, Terre et paysans dépendants dans les sociétés antiques, Colloque Besançon 1974, « Régime foncier et statut social dans l’Egypte ptolémaïque », p. 163-178; et l’intervention importante sur cette communication de F. Dunand, ibid., p. 195 sq. (cf. dans cet ouvrage la bibliographie spécialisée). Sur le système de dépendance : les ouvrages et communications de P. Briant et H. Kreissig ; M. Levi, « Au sujet des laoi et des inscriptions de Mnesimachos », Actes colloque Besançon 1973, p. 259-279 ; T. Alfieri, « La position de M. Rostovzev à propos des “laoi” de l’Asie Mineure hellénistique », ibid., p. 283-286. Sur les structures politiques : J. Modrzejewski, « Intervention sur la communication de E. Sereni », Actes colloque Besançon 1973, p. 89 sq. ; P. Leveque, Idéologie et pouvoir sous les Lagides ; Empire d’Alexandre et empires hellénistiques, Le concept d’Empire, PUF, IV, p. 103-120 ; P. Briant, « Appareils d’État… », op. cit., p. 9-23. Sur la place et le rôle des esclaves : I. Biezunska-Malowist, L’esclavage dans l’Egypte gréco-romaine, 2 vol., et ses communications aux colloques de Besançon, Actes 1972, p. 81-92 ; 1973, p. 293-312. Cf. C.R. de P. Leveque, « L’esclavage dans l’Egypte gréco-romaine », dans REG, XCII, 1979, p. 231-238 ; D. Bonneau, « Esclavage et irrigation d’après la documentation papyrologique », ibid., p. 316-326 ; J. A. Straus, « La terminologie de l’esclave dans les papyrus grecs d’époque romaine trouvés en Egypte », ibid., p. 335-339. []
  42. P. Lévêque, op. cit., (REG, XCII). []
  43. Capital (Sur les sociétés précapitalistes) L. III, I, 1, p. 339-342. []
  44. Capital (E.S. 1976) L. III, chap. XX, p. 310. []
  45. Sur les fonctions multiples que peuvent assumer les rapports de parenté, cf. les recherches de M. Godelier, Horizons et trajets marxistes en anthropologie, Paris, 1973 ; Rationalité et irrationalité en économie, Paris, 1966 ; Un domaine contesté, l’anthropologie économique, Paris, 1974 (Antropologie et économie, une anthropologie économique est-elle possible? p. 285-345, repris de Horizons…, p. 13-82). De façon plus succincte, avec une approche des sociétés antiques, « Infrastructures, sociétés, histoire », dans Dialectiques, 21, 1977, p. 41-58, et « La part “idéelle” du réel et le problème des fondements de la dominance des structures non économiques », dans L’Arc, 72, 1978, p. 49-56. []
  46. F. Engels, Anti-Dühring, II, p. 193-195, à propos de cette résistance : « c’est la destruction progressive de leur industrie domestique naturelle par la concurrence des produits […] qui cause de plus en plus leur dissolution ». []
  47. E. M. Staerman, Die Blütezeit…, op. cit., chap. II. R. Martin, Recherches sur les agronomes latins et leurs conceptions économiques et sociales, Paris, 1971 ; Id., dans « Pline le Jeune et les problèmes économiques de son temps », dans REA, LXIX, 1967, p. 62-97 ; Id., « “Familia rustica” : les esclaves chez les agronomes latins », dans Actes colloque Besançon 1972, p. 267-297 ; R. Etienne, « Recherches sur l’ergastule », ibid., p. 249-266; J. Kolendo, « Le vocabulaire concernant la main-d’œuvre dans les traités de Caton », dans Actes colloque Nieborow, 1975, p. 197, 215. []
  48. J. Kolendo, op. cit. ; « Le problème du développement du colonat en Afrique romaine sous le Haut-Empire », dans Actes colloque Besançon 1974, p. 391-417, et l’intervention de G. Pereira-Menaut, qui insiste sur le faible nombre des esclaves en Afrique — exceptée la Proconsulaire — qu’il met en relation avec le colonat; M. I. Finley, op. cit., p. 194 sq. []
  49. E. M. Staerman, « L’étude de l’esclavage dans les provinces romaines », dans Colloque de Nieborow, 1975, p. 41 sq. []
  50. Cf. les remarques de G. Pereira-Menaut, op. cit., les colons africains juridiquement « libres » apparaissent moins indépendants que les colons d’autres provinces. []
  51. M. Clavel-Lévêque, Modèle impérial romain…, op. cit., p. 20 sq., et M. Clavel- Lévêque, F. Favory, Pratique scientifique…, op. cit., p. 115 sq. []
  52. Cf. Formen…, p. 198 et 210 ; Formes d’exploitation du travail…, op. cit., p. 31. Sur le problème de la « conscience sociale », cf. G. Lukacs, Histoire et conscience de classe, Berlin, 1923. P. Vidal-Naquet, « Les esclaves grecs étaient-ils une classe ? », dans Raison présente, 6, p. 103-112, et plus récemment sous une forme plus complète, Le chasseur noir, Paris, 1981. []
  53. Cf. E. M. Staerman, « Le problème des esclaves dans l’Empire romain », dans VDI, 91, 1965, p. 62-81; Cl. Gallini, Protesta e integrazione nella Roma antica, Bari, 1970 (chap. IIV). []
  54. Cf. R. Martin, op. cit.; M. Fabre, Esclaves et planteurs, Paris, 1970. Cf. aussi les remarques restrictives de M. I. Finley, op. cit., p. 148. []
  55. J. -P. Brisson, Spartacus, Paris, 1969. Eunius se prétend en communication avec le monde divin, il produit des oracles et crache le feu (p. 65 sq.), il a des songes annonciateurs de liberté pour des compagnons d’esclavage ; le mysticisme est un ressort essentiel de sa révolte ; Athenion « était versé dans l’astrologie » et émettait lui aussi des prédictions (p. 169), Salvius, dévot d’un culte prophétique « apportait à ses compagnons l’assurance que des dieux qui promettaient l’immortalité à de plus résignés, ouvraient à leur condition misérable une issue qu’aucun espoir humain ne pourrait leur faire envisager » (p. 165). La compagne de Spartacus était, dit-on, versée dans les arts de la divination : « Une fois encore les dieux accordaient l’appui de leur bienveillance à ceux que leur condition accablait sans espoir » (p. 207).
    Ainsi Spartacus comme les chefs des révoltes serviles de Sicile était entouré d’une aura mystique. Sur le problème général, cf. V. Lanternari, Movimenti religiosi di libertà e di salvezza, dei popoli oppressi, Milan, 1960 (en particulier p. 17 sq.).
    Sur le problème plus spécifique des mouvements serviles dans l’Antiquité, cf. M. Capozza, Movimenti servili nel mondo romano in età repubblicana (501-184), I en particulier chap. VII et VIII. Cl. Gallini, op. cit., et. I à IV.
    Sur les problèmes soulevés à propos de la révolte de Spartacus, M. A. Levi, « La tradizione sul bellum servile di Spartacus », dans Actes colloque Besançon 1972, p. 173 sq. []
  56. Cf. R. Bastide, « Les cultes afro-américains », dans Histoire des religions (La Pléiade), t. 3, 1976, p. 1027 sq. W. La Barre, « Mouvements religieux nés de l’acculturation, s.v. Amérique du Nord », ibid., p. 989 sq. E. Schaden, « Causes profondes du messianisme », ibid., p. 1103 sq. K. O. L. Burridge, « Mouvements religieux d’acculturation en Oceanie », ibid., p. 1183 sq. []
  57. H. Bellen, op. cit., et M. I. Finley, op. cit., p. 148; p. 151 sq. sur le mouvement de Drimachos à Chios : esclaves fugitifs qui se réfugient dans la montagne (lieu d’asile par excellence des bandits). []
  58. Cf. R. Bastide, op. cit., p. 1034. E. Hobsbawn, Les bandits, Paris 1972. P. Briant, « Brigandage, dissidence et conquête en Asie achéménide et hellénistique », (dialogue avec M. Clavel-Lévêque et J.-P. Digard), dans DHA, 2, 1976, p. 163-278. A. Daubigney, op. cit., p. 281, sur les rapports bellum-latrocinium-raptus; p. 285 sur les perditi homines. E. Patlagean, Recherches sur les pauvres et la pauvreté dans l’Empire romain d’Orient (IVe- VIIe s.), Lille, 1974, sur les brigands d’Isaurie p. 656, 722, cf. aussi p. 726 sq.
    Les romans grecs et latins sont une source très importante de renseignements sur ces mouvements de rébellion populaires, qui tiennent autant de la révolte des brigands que de la fuite/résistance des esclaves. Cf. Héliodore, Les Éthiopiques, I, 7-33, et surtout Achille Tarius, Les aventures de Leucippé et de Clitophon, et la révolte des Boucoloi, qui vivaient dans les marais orientaux du delta du Nil. La révolte peut être située aux environs de 171, elle a pu influencer les récits. Cf. J. Schwartz, « Quelques observations sur des romans grecs », dans AC, XXXVI, 2, 1967, p. 536-552. E. Feuillatre, Études sur les Éthiopiques d’Héliodore, Paris, 1966, p. 36 sq. []
Jacques Annequin