Difficultés dans la théorisation marxiste de la race

La race pose problème au marxisme : comment éviter de réduire le racisme à un « dommage collatéral » de l’oppression économique ? Comment éviter de formuler des hypothèses historiques trop contraignantes sur ses origines et sa portée ? E. San Juan Jr. propose ici, dans un texte séminal publié pour la première fois en 1989, de confronter ces problèmes à partir du concept d’hégémonie et de conjoncture. La race et les luttes antiracistes se conçoivent dès lors comme des résultats singuliers de stratégies hégémoniques.

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Après l’escalade de violences racistes à l’échelle nationale ces dix dernières années – on peut notamment citer les meurtres d’Atlanta1, le tollé soulevé par l’affaire Bernhard Goetz2 entre 1984 et 1987, les altercations raciales sur les campus universitaires de Stanford et du Wisconsin jusqu’à celui du Massachusetts, la rébellion du ghetto de Miami (un écho lointain de Watts ?) et, récemment, le viol collectif3 de Central Park qui a suscité une « mentalité de lynchage » (lynch mob mentality) et l’invocation de la protection de l’ordre public – on ne peut que constater le caractère central que devrait avoir la race dans n’importe quel programme de transformation révolutionnaire. Cette centralité ne peut être ignorée et l’on peut, pour la nième fois, citer cette fameuse phrase Marx :

Le travail sous peau blanche ne peut s’émanciper là où le travail sous peau noire est stigmatisé et flétri (Foster 1973, 196).

La lutte des classes ne peut se substituer à la frontière raciale (color line) dont W.E.B. Du Bois déclarait qu’elle serait le front de lutte décisif de ce siècle et très certainement du prochain.

Des années 1930 aux années 1960, le marxisme occidental a toujours subsumé le conflit racial sous la question des classes. Avec l’émergence, après la Seconde Guerre Mondiale, des nations du Tiers-Monde, menées par une avant-garde d’inspiration marxiste – que ce soit en Chine, au Vietnam, en Corée, et plus tard à Cuba, en Guinée-Bissau, au Mozambique et en Angola – et la naissance du mouvement de libération noir des années 1960, la dialectique de la race et de la classe a été mise au centre de l’arène politico-idéologique. Le fameux rapport de la commission Kerner4 sur les émeutes urbaines (Rapport de la commission consultative nationale sur les désordres civiques), dans le sillage de l’assassinat de Martin Luther King, a cristallisé l’urgence de ce problème.

Écrivant sur « le Marxisme et les nègres », Harold Cruse a accusé – entre autres – les marxistes orthodoxes (et en particulier les trotskystes) de n’avoir « pas réussi à affronter la question de la race en Amérique » (1968, 151), et d’avoir dès lors succombé à un « matérialisme mécaniste ». Depuis, un certain nombre d’organisations léninistes, d’intellectuels progressistes, et de publications de gauche indépendantes ont débattu du point nodal race-classe pendant toute une période (voir le Progressive Labor Party [1970] et Loren [1977], entre autres). Cependant, avant qu’une résolution ne permette de sortir de l’impasse, la vague réactionnaire de l’ère Reagan a balayé le début de remise en cause des avant-postes de l’Empire au Nicaragua, au Salvador, aux Philippines, et en Afrique du Sud.

 

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Il serait pertinent, pour débuter notre travail, de nous souvenir de quelle manière le manuel soviétique classique Fundamentals of Marxism-Leninism, affirme constamment le primat de la classe sur la nation, la race ou l’ethnicité. Gus Hall, secrétaire général du Parti Communiste des États-Unis, condamne ainsi le racisme comme « une stratégie délibérée [du grand capital] pour faire des surprofits » (1972, 145). Ainsi, pour renverser ce système raciste, les Noirs et les autres minorités devraient s’allier à la majorité de la classe laborieuse blanche.

Certains économistes radicaux répètent également à l’envi cette sacro-sainte doctrine. Michael Reich, par exemple, écrit que « le racisme est un mécanisme clé dans la stabilisation du capitalisme et dans la légitimation des inégalités. » ; les conflits raciaux « obscurcissent ainsi les intérêts de classe ». Enraciné dans le système capitaliste, le racisme serait donc un obstacle à l’unité des travailleurs et mettrait de ce fait en avant l’impuissance et l’aliénation au sein « d’un ethos individualiste et compétitif » (Reich, 1972, 320). La polarisation des classes, et non pas des races, en serait le déterminant majeur5. Même des économistes radicaux plus jeunes, sans doute influencés par Paul Baran ou le Monopoly Capital (1966) de Paul Sweezy,  souscrivent au primat de la classe sur la race. Howard Sherman, par exemple, conclut son enquête sur les statistiques concernant les Noirs, en affirmant que la fonction du racisme est de « justifier l’exploitation économique » en trouvant un bouc émissaire pour tous les problèmes sociaux, afin de diviser les opprimés et de permettre à l’élite de régner (1972, 180-81). Sherman exhorte ainsi les radicaux blancs à s’allier à leurs homologues noirs afin de bâtir un mouvement socialiste viable, appel auquel fait écho Michael Lerner, l’un des fondateurs du New American Movement, qui écrivait que « le racisme a développé une existence autonome dans ce pays. » (1973, 201). Il y avait déjà eu des précédents de ce type, notamment l’historien Eugene Genovese qui fit un discours en 1968 devant l’organisation estudiantine Students for a Democratic Society, dans lequel il affirmait que le racisme n’était pas qu’une simple question de classe mais constituait également une partie intégrante du droit pour les Noirs et les autres peuples à l’auto-détermination (Genovese 1971). En plein dans la crise prolongée du marxisme occidental, en particulier dans la mise en avant du prolétariat comme acteur révolutionnaire principal dans la transformation socialiste, l’importance de la race se manifesta par elle-même dans la rhétorique de gauche mettant en avant le principe démocratique d’auto-détermination pour tous les peuples, en particulier pour ceux sous le joug d’élites néocolonialistes et racistes (Smith, 1979).

On peut mesurer la profonde mutation de la tendance marxiste conventionnelle à valoriser toute force ou tout phénomène social au sein d’un modèle économiste-productiviste durant les trois dernières décennies en comparant les argumentations de deux marxistes, Oliver Cromwell Cox et son Caste, Class and Race (1948) et le Racial Oppression in America (1972) de Robert Blauner – deux textes qui ont fait date dans la littérature étatsunienne sur les rapports de race.

Longtemps acclamé comme le classique marxiste analysant les rapports de race, le livre de Cox avait pour principal objectif de réfuter l’indifférenciation entre la race et la caste, comme ce fut souvent le cas dans les écrits académiques (par exemple, Montagu 1962) jusque dans la très influente sociologie de l’École de Chicago qui développa l’idée d’un cycle des rapports de race (race relation cycle) (Robert Park), et dans la thèse défendue par Gunnar Myrdal des « causalités cumulatives » (circular cumulative causation) développée dans An American Dilemma (1944). Ainsi, Cox développa l’idée principale que les antagonismes raciaux étaient avant tout le fruit de la lutte politique des classes. La catégorisation raciale découlerait ainsi du système capitaliste afin de faciliter les écarts salariaux et l’exploitation d’une catégorie de travailleurs marqués racialement. Au bout du compte, les rapports de race sont des conflits de classe. Ainsi paralysé par cette vision obsolète, pour ne pas dire canonique, de l’idéologie comme superstructure résiduelle, Cox réduit le racisme à un « système de rationalisation » ne possédant aucune autonomie par rapport aux « conditions sociales matérielles » des rapports de classes. Compris comme préjugé racial, le racisme est – selon Cox – « l’attitude sociale concomitante de l’exploitation raciale par une classe dominante dans une société capitaliste. » (1948, 321, 470). Cox exhorte ainsi les Noirs à « s’assimiler au plus vite » et donc à rejeter catégoriquement leur nécessaire solidarité religieuse, culturelle ou, plus généralement, ce qui fait leur expérience commune. Michael Banton critiqua très justement Cox pour avoir surestimé « la capacité d’intégration du système capitaliste » et pour avoir, au contraire, sous-estimé « l’autonomie des représentations dans le processus social » (1987, 152 ; voir également Sweezy 1953).

Il serait cependant intéressant d’explorer la notion – développée par Cox – de « système ethnique » (basé sur la diversité des cultures et sur les différences physiques), coexistant avec les conflits politiques et sociaux de classes, qui permet d’analyser la manière dont les Noirs ne font pas seulement l’expérience de la prolétarisation mais également celle de la racialisation, et comment ils y répondent par une solidarité ethnico-raciale, traversant ainsi la barrière de classe. Toutefois, comme le remarque très justement Robert Miles, Cox échoue à théoriser de manière systématique les dynamiques concrètes de ces interactions entre deux réseaux conceptuels (1980, 175). Les raisons de cette faiblesse théorique peuvent être, selon moi, attribuées au réflexe réductionniste de Cox qui nie de fait les interventions complexes de la praxis culturelle-idéologique dans la vie quotidienne, la constitution surdéterminée du sujet (et plus précisément les prises de positions du sujet) et les déplacements conjoncturels dans le champ social. En d’autres termes, les limites de l’analyse de Cox font partie intégrante de sa conception purement instrumentale des idées et des pratiques racistes qu’il met directement en lien avec l’extraction de la plus-value (l’exploitation des travailleurs). La dialectique est ainsi sacrifiée au profit de l’opportunisme, au profit d’un mirage utopique, celui de l’assimilation graduelle.

Avec la mobilisation autonome des masses noires dans les années 1960 – qui fut fortement critiquée par des leaders populistes ou qui fut suspectée d’intégrationnisme – l’appareil conceptuel sophistiqué de Cox ne répondait plus à la réalité des « faits sociaux matériels » et céda ainsi la place à un travail théorique plus totalisant et autocritique en regard des changements historiques spécifiques alors en cours : c’est là le rôle joué par l’ouvrage Racial Oppression in America de Blauner. Je considère ce livre comme un tournant dans l’évolution de la phénoménologie marxiste et de la théorie politique de la formation raciale dans l’histoire américaine6 . Puisque mon objectif principal n’est pas de dresser ici une liste détaillée des travaux pré-années 1980 sur ce sujet, je me contenterai de décrire brièvement l’intérêt des travaux de Blauner. Pour la première fois, la société étatsunienne se voit là définie comme un « ordre racial » (racial order) et la race décrite comme une force politique à l’échelle internationale. Conçu comme un lieu de pouvoir et de privilèges, les dynamiques raciales américaines se situent fermement dans les spécificités historiques des différences d’incorporation de chaque individu dans le marché du travail. Répudiant le modèle dominant d’intégration des immigrés (qu’on peut identifier au courant d’études ethniques dominant, désormais associé à Nathan Glazer, Daniel P. Moynihan et The Harvard Encyclopedia of American Ethnic Groups), Blauner défend l’idée que la race ne peut pas être réduite à la classe, tout comme le racisme ne peut pas être simplement vu comme « un ensemble de croyances subjectives irrationnelles » (1972, 28-29) ; la race et la classe s’entrecroisent ainsi dialectiquement. Les groupes caractérisés ou racialisés comme les Noirs, les Chicanos, les Amérindiens (Native Americans) et les Asiatiques sont à la fois exploités en tant que travailleurs et opprimés en tant que peuples colonisés. En se plaçant dans une perspective tiers-mondiste, ce qui était une première, Blauner élabora le concept de « colonialisme interne » (ghetto, barrio, réserve) comme point de fusion des deux entités de la dialectique (race et classe). Plus important encore, il mit l’accent sur les mécanismes de domination culturelle et sur la réponse à celle-ci – fût-ce sous la forme nationaliste ou sous celle de la résistance culturelle révolutionnaire – comme clés pour saisir le racisme en tant que « projet historique et social » dont l’objectif est de détruire l’humanité des individus.

À travers cette perspective à plusieurs niveaux, Blauner ouvre l’opportunité d’une avancée sans précédent dans la valorisation de l’histoire politique des Noirs en tant que noyau du pouvoir Noir, et dès lors du mouvement pour l’autodétermination – qui constitue un processus de construction nationale paradoxalement bâti sur l’oppression raciale (et pas seulement de classe – [1972, 142-43]). Ainsi, il défait de manière convaincante le sens commun (favorisée par les travaux de Myrdal et par la sociologie structurelle-fonctionnaliste) selon lequel les personnes noires sont des « Américains hystérisés » (exaggerated American) aux valeurs pathologiques. La généalogie des idées de Blauner se place ainsi dans la lignée d’intellectuels noirs tels que Du Bois, Cruse, Stokely Carmichael et bien d’autres. Blauner ne se contente pas de dresser la carte des initiatives des peuples du Tiers-Monde, aussi complexes, fluides et  ouvertes soient-elles, mais il est également autocritique vis-à-vis de son rôle en tant que chercheur blanc qui, en dépit des professions de foi de son champ, participe tout de même de l’oppression de ces sujets (Blauner et Wellman 1973).

De la publication de l’ouvrage de Blauner jusqu’aux années 1980, la théorisation marxiste de la race fut éclipsée par la sociologie dominante de l’ethnicité et des rapports entre groupes minoritaires. Des intellectuels progressistes tels que Gordon Allport, Richard Schermerhorn, George Simpson et J. Milton Yinger dominent ce champ ; finalement le livre Ethnicity Theory and Experience, dirigé par Glazer et Moynihan en 1975, et la Harvard Encyclopedia de 1980 ont marqué l’ascendance de cette école. Bien que les doctrines sur l’ethnicité furent sérieusement mises en cause par des universitaires tels que Genovese (1971), Saxton (1977), Smith (1982) et Mullings (1984), ce ne fut pas avant l’émergence de critiques inspirées par Althusser et Gramsci qu’un renouveau de la pensée marxiste sur la race put réellement voir le jour. L’un des indices de ce renouveau est à lire dans l’entrée « Race » du Dictionary of Marxist Thought de John Rex qui met l’accent sur « l’émergence d’une lutte des classes indépendante mobilisée autour des idéologies nationales, ethniques et raciales » (1983, 407 ; voir également Rex 1986). Compte tenu de cette renaissance d’un matérialisme dialectique authentique, ou de la ré-historicisation qui a marqué cette décennie, et étant donné l’héritage bâtard des recherches évoquées précédemment, quelle nouvelle direction devrait prendre une théorisation du point nodal race-classe ? Je propose que les commentaires qui suivent puissent servir de base à des discussions et des échanges ultérieurs.

 

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Les développements du matérialisme historique et de sa puissance analytique depuis la Seconde guerre mondiale nous permettent de réaffirmer que le marxisme est une méthode ou une pratique de recherche, qui travaille à partir de deux hypothèses liées l’une à l’autre : une hypothèse matérialiste qui requiert une analyse des structures politiques et idéologiques pour trouver le fondement de leurs conditions réelles d’existence, et une hypothèse historique qui veut que les rapports sociaux soient compris non pas comme des déductions a priori de « la base » (au sens traditionnel de l’opposition base-superstructure), mais plutôt comme des formes historiquement déterminées de differentiae specificae (Rozat et Batra 1980). Ainsi, le racisme ne saurait être compris comme un épiphénomène abstrait résultant du développement capitaliste (comme le prétend un certain monisme économiciste qui réduit la catégorie de race à celle de classe), ou comme un « idéal-type » (Weber) régissant la société à partir d’assignations raciales pour organiser la division du travail, la distribution des biens, etc. Le racisme ne peut pas non plus être théorisé comme un fait universel donné, quoique pluriel : chacune de ses manifestations sont différentes, elles résistent à toute tentative de conceptualisation unique en raison de leur caractère diacritique (chacune constitue un symptôme spécifique et distinctif), comme le révèlent les approches autonomistes (nous y reviendrons).

Je fais mienne la thèse principale de Stuart Hall (1980) : le projet le plus prometteur dans la recherche marxiste sur le statut de la race dans un programme de transformation sociale consiste à faire l’hypothèse de différentes formes de racisme historiquement démarquées puis de débuter l’analyse à partir de ce point. En utilisant le concept gramscien d’hégémonie en tant que principe permettant d’articuler des alliances de classes, Hall propose le point de départ suivant :

nous devons partir du travail historique concret qu’opère le racisme dans des conditions historiques spécifiques – c’est-à-dire qu’il faut comprendre le racisme comme un ensemble de pratiques économiques, politiques et idéologiques d’un genre particulier et concrètement articulé à d’autres pratiques au sein d’une formation sociale donnée. Ces pratiques attribuent une position aux différents groupes sociaux conformément aux structures élémentaires de la société ; elles fixent et attribuent ces positions via des pratiques sociales ; et, enfin, elles légitiment les positions qu’elles ont ainsi attribuées. En un mot, ce sont des pratiques qui garantissent l’hégémonie d’un groupe dominant sur une série de groupes subordonnés, mais de manière à ce qu’il domine l’ensemble de la formation sociale sous une forme favorable au développement de sa base économique productive sur le long terme. (2013 [1980] ; voir également 1978).

S’opposant au réductionnisme économique des marxistes traditionnels qui dissolvent la race dans la classe, Hall suggère que la race, en tant que catégorie socio-historique, possède une « autonomie relative ». S’intéresser uniquement aux bases économiques du racisme ne saurait dès lors expliquer adéquatement ni complètement la manière dont il fonctionne en tant que formation spécifique. Conjugué à l’hypothèse matérialiste, l’impératif d’historicisation pose un certain nombre de questions :

Il  est nécessaire de comprendre la manière dont les différents groupes raciaux et ethniques ont été politiquement insérés, ainsi que les relations entre ces différents groupes qui ont eu tendance à transformer, éroder, ou au contraire préserver ces distinctions à travers le temps –non seulement comme des traces ou des résidus des modes précédents, mais également comme des principes actifs et structurants de l’organisation actuelle de la société. (2013 [1980])

Cette sédimentation et cette action différée à laquelle se réfère Hall se voient illustrées par la situation dans laquelle se trouvent les personnes de nationalité philippine (actuellement plus de deux millions aux États-Unis). Les premiers immigrés Philippins arrivèrent aux États-Unis en 1907 en tant qu’ouvriers recrutés par l’association de planteurs de cannes à sucre hawaïens afin d’anticiper le manque de main d’œuvre engendré par le Gentelmen’s Agreement visant à réduire l’immigration japonaise. Ceci eut lieu peu après la sévère répression des forces révolutionnaires philippines par la première République Philippine entre 1898 et 1902, dans un contexte de violente colonisation de six millions de Philippins par les forces d’occupation militaires américaines. Ainsi, lorsque l’exclusion raciale des Japonais par les décrets relatifs à l’immigration de 1920 et 1924 eut lieu, l’association des planteurs de cannes à sucre recruta 45 000 Philippins de plus, pratique qui se perpétua jusqu’à ce que le statut hybride des sujets coloniaux Philippins – qui n’étaient ni citoyens, ni étrangers – fût régularisé en 1934 avec le vote de la loi d’indépendance de la Philippine et la limitation de l’immigration à un quota de cinquante par année (McWilliams 1964; Quinsaat 1976; Melendy 1981). Cette matrice historique couplée à la persistance d’un habitus (Bourdieu) de subalternes, peut expliquer en quoi les Philippins, comparés à d’autres Asiatiques-Américains et en dépit de leur éducation supérieure, continuent à être assignés à des emplois mal payés (Nee et Sanders 1985).

Une étude précise des conjonctures historiques plurielles est nécessaire pour savoir comment la reproduction des rapports sociaux opère dans le prisme de la race dans la mesure où, par exemple, le capitalisme fait s’exprimer les classes de diverses manières et à chaque niveau (économique, politique, idéologique) de la formation sociale. En effet, la manière dont la race attribue des valeurs, alloue des ressources et légitime la position/le statut social de populations racialement définies (en bref, le racisme), joue sur la constitution de fractions de travailleurs noirs, asiatiques ou hispaniques en tant que classe.  Autrement dit, les rapports de classe qui attribuent par la race une position sociale/politique/économique du sujet, fonctionnent comme des rapports de race. Hall déclare :

la race est donc également une modalité par laquelle est « vécue » la classe, le moyen par lequel les relations de classe sont expérimentées, la forme par laquelle il est possible de lutter contre la reproduction des classes par le Capital, y compris contre la globalité de ses contradictions internes – structurées par la race. (1980, 341).

À partir du postulat althussérien remodelé qui envisage la société en tant qu’entité complexe, la conception de la race de Hall en tant que principe idéologique mobilise la notion gramscienne d’hégémonie pour s’intéresser à son effectivité politique : la race comme terrain de la lutte des classes.

Les considérations politiques autour de la race peuvent définir le contenu et la forme de la lutte des classes, sous certaines conditions – si l’on entend sous l’expression « lutte des classes » la lutte pour l’hégémonie. Le concept d’hégémonie désigne ici le leadership participatif moral-intellectuel, et non le consensus mécanique réifié qui légitime l’autorité bourgeoise. En conséquence, au lieu d’être simplement assimilée à des idées ou des croyances liées à l’appareil d’État  (répressif ou idéologique), la race devient un élément à part entière de la stratégie hégémonique. Elle fait ainsi partie d’un principe opérant à travers la bourgeoisie en articulant un ensemble de discours et de pratiques constituant des sujets (ou des positions du sujet) dont les actions reproduisent les rapports capitalistes (Mouffe 1981). Ainsi, la race devrait être vue comme un aspect incarnant des pratiques sociales autonomes, des modalités historiques concrètes dans la configuration de l’expérience quotidienne de groupes ou d’individus. C’est ce que Blauner et d’autres ont montré en décrivant la culture politique des noirs ou des Chicanos.

Ce que Hall et d’autres nous ont rappelé, c’est que la race en tant que pratique sociale ne saurait être comprise que dans une conjoncture historique spécifique. La race n’a pas d’essence transhistorique. Cette réflexion fait suite à l’axiome de Marx selon lequel « le concret résulte de déterminations multiples » (Marx et Engels 1968). Circonscrite par une totalité différenciée ou décentrée et surdéterminée dans sa formation par des tendances hétérogènes (résiduelle, émergente, dominante), la race  ne peut être abstraitement confondue avec les sphères idéologiques ou politiques, et encore moins avec la sphère économique. À l’ère du capitalisme tardif et de l’État « intégral » ou « élargi », la racialisation, faisant partie intégrante de la stratégie hégémonique bourgeoise, façonne non seulement les politiques publiques, mais également les institutions et les activités de la société civile, et par là supprime le potentiel pour une démocratie étendue en renforçant la hiérarchie raciste et l’autoritarisme étatique fondés sur le national-chauvinisme.

De quelle manière cette problématique gramscienne peut-elle être comparée à d’autres approches concurrentes néo-marxistes de la race en tant que construction théorique et pratique historique ? Dans son étude sur « Les diverses conceptions marxistes de la « race », de la classe et de l’État », John Solomos décrit la dialectique race-classe comme obscure car « elle ne démontre que très peu la spécificité du racisme » (dans Rex et Mason 1986, 103). L’influence de Hall sur l’écriture de The Empire Strikes Back (Centre for Contemporary Studies 182), ainsi que son analyse spécifique des relations raciales/ethniques caribéennes (race relations), ont peut-être été injustement sous-estimées par Solomos.

Dans sa recension, Solomos se réfère au « modèle autonome », notamment à travers le travail de John Gabriel et Gideon Ben-Tovim selon lesquels la question n’est pas la relation entre le racisme et la totalité sociale mais « la conceptualisation du racisme en tant qu’objet de la lutte dans ses conditions définies historiquement. » (104). Solomos accepte cette idée, lorsqu’il écrit qu’« il ne peut y avoir de théorie marxiste globale du racisme, puisque chaque situation historique doit être analysée dans sa propre spécificité. ». Entretemps, ses vues se sont rapprochées de celles de Hall et des défenseurs de l’analyse du travail des migrants, selon lesquels la question des rapports de race ne peut être abstraite des caractéristiques structurelles de la société capitaliste. Son troisième desideratum pour un cadre analytique marxiste satisfaisant coïncide avec la théorie de Hall sur l’articulation de la race, c’est-à-dire que les divisions raciales et ethniques ne peuvent-être réduites à des phénomènes entièrement déterminés par les contradictions structurelles du capitalisme. Manœuvrant ainsi entre le simple pluralisme du modèle autonome dans lequel la lutte est un concept générique, « jamais spécifié selon son contexte » et ce qu’il appelle le modèle déterministe orthodoxe, Solomos choisit finalement d’adopter d’autres améliorations théoriques en clarifiant en détail les rapports sociaux de race dans des sociétés spécifiques, leurs interconnections avec la classe et les aspects non-liés à la classe des réalités sociales complexes, en d’autres termes :

la construction, la mobilisation et la pertinence des différentes formes de l’idéologie raciste et sa structuration dans des circonstances historiques spécifiques (106).

Malgré le fait que ce compromis entre un relativisme empirique et un positivisme déterministe fournit une ligne directrice intéressante, il ne me semble pas que cela permette des innovations substantielles.

 

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Alors que ces débats sur la crise de la théorie marxiste face aux luttes populaires et à la résistance antiraciste ont atteint la Grande-Bretagne durant les deux dernières décennies, avec l’imposition de politiques publiques réactionnaires contre les immigrés asiatiques et antillais et leurs luttes, la situation aux États-Unis pourrait être caractérisée par le déclin du mouvement pour les droits civiques, la fragmentation des nationalistes culturels et de gauche, ainsi que par la perte de vitesse des luttes de masse (à l’exception notable des luttes féministes) après le retrait des forces américaines d’Indochine. Les études marxistes significatives sur la race durant cette période ont été, selon moi, principalement le fait des noirs et des militants du Tiers-Monde (pour ne citer que les plus accessibles, West 1982, 1988 ; Marable 1980, 1981, 1983). Leurs orientations polémiques ont contribué à établir les fondements pour une refonte systématique de la dialectique race/classe/genre. Avant l’ascension fulgurante de Jesse Jackson, suivie par le redéploiement énergique de la gauche dans l’arène électorale (à travers la coalition arc-en-ciel [Rainbow Coalition]), ce sont des restes de la nouvelle gauche (New Left) et une génération plus jeune de militants attentifs aux débats européens autour d’Althusser qui ont repris le flambeau afin de « réinventer » un marxisme non-dogmatique répondant aux changements de milieu et de terrain de la contestation (Amariglio et al. 1988)7. À la fin des années 1970, Stanley Aronowitz (1981) et d’autres posèrent les jalons d’une remise en question de la compréhension orthodoxe de la classe qui privilégiait la logique du capital à celle de la culture, et ainsi de suite, dans le sillage d’un renouveau mondial d’un marxisme critique anti-eurocentriste – ou plutôt antiraciste. Aronowitz poussa en réalité cette rénovation au-delà même des énoncés de l’autonomisme britannique en postulant que le racisme – le concept de race fonctionnant en tant que « signe transhistorique » pour la classe inférieure – est « enraciné dans la domination  que les hiérarchies sociales et économiques ont tenté d’imposer à la nature, y compris à la nature humaine ». La problématique du racisme transcende dès lors les barrières historiques et semble réclamer un diagnostic ontologique a priori et faire appel à une solution éthique.

L’un des résultats les plus originaux et pratiques de ces développements est l’ouvrage Racial Formation in the United-States from the 1960s to the 1980s (1986) de Michael Omi et Howard Winant, dont les premiers extraits ont paru en 1983 dans la Socialist Review. Ce travail très controversé  mérite que l’on s’y attarde (je n’ai relevé que deux recensions assez superficielles de ce livre, jusqu’ici) puisque j’ai, personnellement, de la sympathie pour cet ambitieux projet consistant à donner une primauté théorique à la race, en tant qu’« axe fondamental de l’organisation des États-Unis ».

La première partie de leur livre critique sévèrement trois paradigmes de la théorisation de la race : le paradigme dominant de l’ethnicité, puis les paradigmes basés sur la classe et sur la nation. Je trouve que leur critique de la théorie de l’ethnicité est la plus pertinente bien qu’elle soit loin d’être originale : ils pointent ainsi le fait que l’école ethnique (ethnicity school), en ignorant la différence qualitative des expériences historiques de diverses minorités, impose une analogie monolithique pour les immigrés et blâme ainsi les victimes de racisme. Les significations et les dynamiques raciales se dissolvent ainsi dans un absolutisme culturaliste : ce paradigme se base sur l’histoire ethnique blanche et est par conséquent limité méthodologiquement. Récemment, les idéologues de l’ethnicité ont donné des munitions aux principales armes théoriques des politiques néoconservatrices de l’administration Reagan (l’élection de Bush n’a pas marqué d’évolution majeure jusqu’ici) dont l’impact, comme l’indiquent rigoureusement Omi et Winant, accuse un renversement systématique des avancées obtenues par le mouvement des droits civiques dans les années 1960 et 1970.

Concernant le paradigme s’appuyant sur la classe, Omi et Winant font la différence entre l’approche basée sur les rapports de marché (l’économie néo-classique), la théorie de la stratification (illustrée par le travail de William Wilson) et le paradigme du conflit de classe (classifié entre théorie de la segmentation d’un côté et modèle de la division du marché du travail d’Edna Bonacich de l’autre). Cependant, Omi et Winant remarquent qu’il manque une théorie des dynamiques raciales, qui déterminent les rapports de classe et les identités de classe, dans tous les cas précédemment cités. Ils affirment, suite à des recherches récentes, que les démarcations sectorielles dans et au-delà des classes font l’objet de luttes politiques – ainsi la formation de classe ne peut être totalement comprise sans prendre en compte l’identification raciale de ses sujets ou acteurs. Ici, ils font allusion aux travaux de Nicos Poulantzas, Adam Przeworski, Ernesto Laclau et d’autres. Bien qu’il soit exact de noter que les théories basées sur la classe tendent à subsumer la catégorie de la race dans la classe, il serait injuste pour autant de rejeter les théories de la lutte des classes comme totalement réductionnistes, même Omi et Winant admettent  qu’ils prêtent attention à « la nécessité de comprendre les classes comme des “effets de luttes” », un thème abordé par le modèle autonomiste, cité plus haut.

C’est lorsque Omi et Winant reprennent l’ambitieux paradigme d’une théorie basée sur la nation que je me trouve en désaccord avec eux de manière fondamentale, pour la simple raison qu’ils ignorent les deux principales propositions du matérialisme historique sur lesquelles j’ai mis l’accent dès le départ. Ils rejettent la théorie du « colonialisme interne » à travers une réduction quelque peu fallacieuse de cette analogie à une correspondance littérale. Les ghettos, les réserves et les barrios ne sont pas sans lien, d’un point de vue politico-culturel, et non pas géographique, avec des colonies telles que Puerto Rico ou les Philippines (une néo-colonie depuis 1946). De plus, Omi et Winant rejettent également le nationalisme culturel et ses variantes marxistes comme étant limités dans leur explication des vicissitudes des dynamiques raciales car « la scène politique américaine n’offre que peu de place au nationalisme radical » (50). Dans ce débat, on peut dire que Omi et Winant font définitivement preuve de mauvaise foi : en retraçant l’origine de leur agent historique, « les nouveaux mouvements sociaux », ils affirment que « le mouvement noir redéfinit les significations de l’identité raciale, et donc de la race elle-même, dans la société américaine. » (93). Ils ne se contentent pas d’ignorer la matrice historique du nationalisme noir qui fait de la race un principe de différenciation, par l’élaboration d’une identité  collective, à travers des modalités (culturelles) symboliques. Ils refusent également de spécifier les paramètres structurels ou matérialistes, en particulier dans la résistance du Tiers-Monde face aux agressions de l’impérialisme américain  en Afrique, en Amérique latine et en Asie dans les années 1960 et 1970, qui ont entraîné une crise globale de l’hégémonie américaine, parallèlement aux mouvements des droits civiques. En omettant complètement cette compréhension globale de l’impérialisme américain en tant que système mondial, Omi et Winant ne sont pas capables d’apprécier entièrement la crise systémique qui a suivi la défaite américaine en Indochine, la révolution sandiniste et le retrait américain d’Iran, qui ont été les conditions de possibilité de l’offensive réactionnaire de la période Reagan (Horowitz 1977; Davis 1984).

En expliquant la « problématique sociale et historique unitaire » de la race qui, selon eux, n’a pas été adéquatement théorisée par les paradigmes qu’ils interrogent, Omi et Winant proposent leur propre théorie de la formation raciale :

La signification de la race est définie et discutée à travers la société, à la fois par l’action collective et par la pratique personnelle. Dans ce processus, les catégories raciales elles-mêmes se forment, se transforment, se détruisent et se reforment. Nous utilisions le terme de formation raciale afin de nous référer au processus par lequel les forces sociales, économiques et politiques déterminent le contenu et l’importance de catégories raciales et par lesquelles elles forment des significations raciales. (61)

Ici, ils se rapprochent, dans leur discours, du modèle autonomiste mentionné plus haut.

Contestant le fait que le système de significations et de stéréotypes raciaux, de l’idéologie raciste, fasse partie intégrante de la culture américaine, Omi et Winant définissent la racialisation comme un processus idéologique historiquement spécifique, les significations changeantes de la race étant produites par diverses pratiques historiques de différents groupes sociaux. Les significations raciales se répandent ainsi dans l’ensemble de la société, transformant les identités individuelles et structurant « l’action politique collective sur le terrain de l’État ». La race apparait donc comme principe structurant des rapports sociaux ; il ne s’agit donc pas d’une essence fixe. Cependant son point d’application semble graviter autour de l’appareil d’État. Omi et Winant soulignent ainsi le cœur de leur théorie de la formation raciale : on doit comprendre la race comme « un ensemble instable et “décentré” de significations sociales complexes constamment transformé par les luttes politiques. » (68). Pour illustrer ceci, ils dressent la carte de la trajectoire des politiques raciales en soulignant l’émergence de l’État racial dans l’ordre racial américain (ils se réfèrent ici à la pensée néo-marxiste de l’État de Bob Jessop [1978], Theda Skocpol, et d’autres). Cependant, à aucun moment ils n’indiquent pourquoi l’État utilise l’idéologie raciale et à quelles fins, bien qu’ils se réfèrent aux « intérêts conflictuels logés au sein même des significations et des identités raciales », aux « revendications politiques », et ainsi de suite. Ils se focalisent sur les mécanismes d’articulation et de ré-articulation de l’idéologie raciale, reconnaissant en passant la valeur du projet minoritaire d’« auto-articulation » (le paradigme basé sur la nation). Cependant, ils ne clarifient jamais pourquoi et comment l’État de la classe dominante/dirigeante utilise cette idéologie raciale en tant que principe hégémonique. Lorsqu’on atteint la partie concernant « la révolution reaganienne », Omi et Winant décrivent les techniques des politiques « aveugles à la couleur » (colorblind) mises en œuvre par l’appareil bureaucratique et les arguments pour les légitimer formulés par Glazer et d’autres fervents partisans du paradigme de l’ethnicité. Mais la question demeure de savoir quelle est la differentia specifica de cette nouvelle articulation du point de vue des exigences du capital, de la totalité sociale.

En se concentrant sur les détails de la manière dont la nouvelle droite (The New Right) ré-exprime l’idéologie raciale, Omi et Winant semblent avoir perdu de vue l’image globale et avoir dégradé la position hautement irréductible et récalcitrante de ces groupes raciaux qu’ils ont porté en triomphe de la « grande transformation ». Toute stratégie pour maintenir l’hégémonie capitaliste suscite nécessairement ses propres contradictions à travers la résistance contre-hégémonique des dominés. Cette exploration dialectique du possible, la réponse de tous les subalternes, est absente du dernier tiers de leur livre. On pourrait concéder qu’en réalité, comme nous le rappelle leur conclusion, leur étude souligne que la race comme telle est « un phénomène dont la signification est contestée au sein même de l’ensemble de la vie sociale », que « la signification et le système racial sont contestés et que l’idéologie raciale est mobilisée dans les rapports sociaux politiques. » (138). Mais les auteurs ne disent rien des effets que cette signification et ce système produisent dans le cadre des transformations stratégiques du bloc au pouvoir (power bloc), de la domination globale des firmes monopolistes américaines et du système international du capital transnational dans son ensemble. Ainsi, les auteurs concluent en soulignant l’obstacle à des mobilisations basées sur la race que représentent l’hétérogénéité des nouveaux et des anciens immigrés, alors que dans le même temps ils prédisent que les politiques publiques ne prenant pas en compte la couleur (colorblind policies) assureront la persistance d’inégalités économiques et politiques. La question de la capacité d’agir (agency) historique est ainsi éludée :

Pour les communautés asiatiques-américaines et latinos, la libéralisation des lois relatives à l’immigration au milieu des années 1960 a conduit à un vaste afflux à la fois d’ « anciens » et de « nouveaux » groupes migratoires. Les Coréens, les Vietnamiens, les Laotiens et les Philippins, diffèrent les uns des autres par leur composition ethnique et de classe, ainsi que de groupes plus « établis » comme les Américains d’origine japonaise. Les « communautés » étant incroyablement bigarrées, il est difficile de parler d’expérience partagée, de sensibilité commune ou de perspectives politiques unifiées. [Ici, les auteurs ne sont pas fidèles à leur propre approche; ces éléments « partagés », qu’ils pensent manquants, sont sans aucun doute le résultat ou la finalité d’une lutte par laquelle chaque revendication démocratique s’exprime au sein d’une chaine d’équivalences dans un projet hégémonique.]. Face à ces réalités, la mobilisation politique sur des frontières « raciales » (« racial » lines) devient un projet ambigu, même du côté des politiques publiques, et la majorité du public américain continue à identifier les groupes mentionnés le long de cette frontière raciale (c.à.d. en tant qu’« asiatiques »). (143)

À ce stade, l’empirisme a dépassé la pensée dialectique. Peut-être que la soudaine fébrilité de cette argumentation, l’abandon d’un processus et d’une méthode heuristique, ont pu être provoqués par la survalorisation du pouvoir de l’État racial dans l’expression d’une idéologie raciste et la manipulation de l’appareil institutionnel organisant le consentement. L’hégémonie devient ainsi hypostasiée, contrairement à la mise en garde de Gramsci (Merrington 1977; Sassoon 1980). L’un des symptômes de cette erreur est l’idée absurde de Omi et Winant selon laquelle les minorités ont désormais « atteint une représentation significative (ce qui ne signifie en aucun cas une représentation égale) dans le système politique » (83). Mais peut-on dire qu’avoir des maires noirs ou des sénateurs d’origine japonaise garantisse automatiquement que le programme et les politiques de ces officiels promeuvent le bien-être de leurs électeurs noirs ou japonais ? Alors qu’Omi et Winant mettent en avant la centralité du pouvoir et du conflit, ils mettent en avant l’institutionnalisation politique comme principal mode de coordination politique et la principale instance de légitimation, au lieu d’accorder ce privilège aux processus d’alliance de classes hégémoniques ou à la dynamique du bloc historique (Poulantzas 1968). Par la suite, en surestimant la force de l’appareil d’État interventionniste, Omi et Winant sont sans doute passés à côté de l’objectif réel de leur investigation, c’est-à-dire, la construction discursive des significations raciales, ce que Laclau (1977) appelle l’interpellation du sujet dans le discours.

Un essai récent de Jeffrey Prager qui s’intitule « La culture politique américaine et la signification changeante de la race » tente de théoriser l’inscription de la race dans la suite des normes de vérification fonctionnelles, mais se concentrant cette fois-ci sur la fonction sémiotique de la race. Prager écrit ainsi :

Au lieu du racisme, je préfère comprendre la race aux États-Unis comme une représentation « collective » ou « sociale » signifiant, comme Durkheim et la psychologie sociale néo-durkheimienne d’aujourd’hui le suggère, que le problème racial conforte l’inaptitude américaine à se confronter à la réalité des Noirs à pied d’égalité avec d’autres membres de la communauté politique. (1987, 75; voir également 1982)

Ici, nous sommes paradoxalement aux marges des spéculations psychologisantes que l’on trouve dans la psychanalyse historicisée de Joel Kovel (Le racisme blanc) jusqu’à l’existentialisme phénoménologique de Jean-Paul Sartre (Réflexions sur la question juive) et Frantz Fanon (Peau noire, masques blancs). Ce que fait donc Prager, de manière assez idéaliste – c’est-à-dire, en analysant le discours racial et l’idéologie sémiotique du racisme tels qu’ils reprennent les éléments de l’idéologie hégémonique (par exemple, l’individualisme libéral) – a besoin d’être contextualisé et traduit en termes matérialistes historiques (Therborn 1980; Green et Carter 1988). Les études de Wellman (1977) et Gilroy (1982) sont en revanche plus utiles du point de vue de nos objectifs. Ce que Prager accomplit est une réduction de tous les phénomènes au « discours politique et à la conversation publique », comme le requiert la problématique durkheimienne de l’idéologie comme représentation collective, favorisant le réductionnisme poststructuraliste que Perry Anderson (1984) qualifie d’« exubérance » du modèle linguistique (voir également Pierre-Charles 1980).

 

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La force, mais également la faiblesse, du projet d’Omi et Winant, que je considère réellement comme une tentative originale pour formuler une théorie non essentialiste ou non réductrice des dynamiques raciales dans le cadre de coalitions politiques progressistes au sens large, se retrouvent dans le type d’expérimentations méthodologiques de néo-marxistes tels que Laclau et Mouffe. L’une des thèses de leur livre Hégémonie et stratégie socialiste : vers une démocratie radicale, si on la simplifie légèrement, est que l’on ne peut privilégier n’importe quel agent historique a priori (par exemple : le prolétariat) dans la transformation sociale, en l’abstrayant du processus réel des luttes politiques/idéologiques dans des conjonctures historiques spécifiques.

L’une des questions soulevées contre le modèle traditionnel est que, si tous les modes d’expression symboliques sont contingents, non nécessaires, étant donné la polysémie du discours des nouveaux mouvements sociaux (les femmes, les jeunes, les minorités raciales, etc.), est-il concevable d’identifier une subjectivité collective homogène qui serait l’agent effectif du changement historique ? Quels sont les points de condensation dans ce champ de conduites mobiles hétérogènes, l’axe où se croisent la configuration synchronique et la configuration diachronique? Quel est le critère, s’il y en a un, pour juger de l’adéquation, de la pertinence ou de l’efficience de diverses articulations d’exigences démocratiques ? Mouffe répond elle-même en proposant une théorie de l’articulation symbolique (comme par exemple en ré-articulant les notions d’égalité et de justice dans l’idéologie démocratique contre son aspect libéral-possessif) dans le cadre d’un élargissement de l’hégémonie. Selon elle, le concept gramscien de « principe hégémonique » (Bocock 1986) fait référence à une chaine d’équivalence qui associe une pluralité de projets/revendications démocratiques basés sur une volonté démocratique construite en préservant et en respectant l’autonomie de divers groupes au sein d’une solidarité plus large. En conséquence, elle traite la notion de « volonté collective » ou la manifestation de la « volonté nationale-populaire » dans le bloc historique (Gramsci 1971, 202-5) comme une métaphore. Pour Mouffe, il n’y a pas de centre ou de parti capable d’incarner et de représenter la volonté collective – tout comme chez Omi et Winant le discours racial est toujours décentré, à travers la concurrence entre articulations et dans les transformations continues de forces dispersées. Cependant, elle insiste sur le fait que le discours n’est pas qu’un langage ou un ensemble d’idées, mais se compose de pratiques sociales concrètes qui sont spécifiques à des sociétés historiquement déterminées, suivant l’idée de Gramsci que la philosophie a une influence sur tous les niveaux de conscience (des visions du monde de cohérence variables) : « la philosophie est le lieu d’élaboration de nos pensées, elle est ce qui nous permet de parler de notre propre expérience » (Mouffe 1988, 104). C’est-à-dire que la contingence symbolique peut se transformer en un ensemble de nœuds de condensation dans le champ social, à travers des actions ou des objectifs programmatiques définis. Dans la mesure où la philosophie, en tant que champ où s’affrontent différentes visions du monde, constitue les sujets politiques, Mouffe soutient que le champ des pratiques/discours idéologiques est le lieu décisif de la lutte politique (Hänninen et Paldan 1983, 153-54).

Peut-on dès lors tout réduire à une articulation, pensée comme processus symbolique, discours ou pratique signifiante ? Hall, quant à lui, montre que bien qu’il n’y ait aucune pratique sociale extérieure à l’idéologie, toutes les pratiques ne peuvent être réduites au discours : par exemple, le travail, en tant que pratique transformant des matières premières en produits finis. Bien que le travail fasse partie du domaine de la représentation et de la signification il ne peut être réduit au discours.

Si toutes les pratiques ont une place dans le domaine de l’idéologie, ou sont inscrites par l’idéologie, toutes les pratiques ne se réduisent pas à de l’idéologie. Il y a une spécificité aux pratiques dont l’objet principal est de produire des représentations idéologiques. Ces dernières diffèrent des pratiques qui – de manière significative, intelligible – produisent d’autres marchandises […] [Ces formes] de pratiques opèrent dans l’idéologie mais elles ne sont pas idéologiques quant à la spécificité de leur objet. (1985, 103-4)

Cette idée est exprimée de manière perspicace. Mais les articulations sont-elles superposables avec les représentations, par exemple, la parole performative qui transforme une foule en agent révolutionnaire? Ou sont-elles au départ des articulations sociales objectives avant de devenir des représentations (les rapports idéologiques de genre, de race, de nationalité, rapports de causalité, etc.) ? On peut probablement conclure que la tâche de la théorie marxiste est de découvrir de telles « articulations objectives » et de leur trouver des représentations symboliques adéquates pour qu’elles deviennent des agents idéologiques effectifs.

Wolfgang Fritz Haug a mis en garde contre la propension des néo-marxistes, dans leur obsession de défaire le réductionnisme de classe, à  favoriser des politiques basées sur l’articulation, incapables de faire des distinctions substantielles objectives, si bien que leurs efforts imitent le projet « hitlérien », en proposant d’articuler les nouveaux mouvements sociaux dans la perspective fasciste d’un « populisme révolutionnaire ». Il suggère que nous restions dans les « problématiques d’une spécificité d’une articulation socialiste qui prenne en compte l’existence de longues périodes dans le développement historique, un noyau dur par-delà les différenciations sociétales. »  (Hänninen et Pladan 1983). Je me demande si cela n’est pas juste une question de différenciation puis de réconciliation des réquisits antithétiques de la tactique (transitoire) et de la stratégie (maximaliste). Dans tous les cas, Haug propose également que nous adhérions au concept analytique d’une « classe ouvrière » comme orientation globale pour construire de nouveaux outils empiriques car, en l’absence de ces principes de différenciation, nous ne serions pas capables de construire une identité « socialiste » dans la recherche d’une « structure hégémonique », même si nous souscrivons à la position anti-essentialiste selon laquelle il n’y aurait pas de sujet révolutionnaire unitaire.

Ce sur quoi je pense que Mouffe et d’autres radicaux postmodernes aimeraient insister, à la lumière de ces réserves, est que la tradition marxiste orthodoxe manque d’une théorie du processus imaginaire et symbolique des significations (théorisé par Gilles Deleuze, Jacques Lacan et d’autres) nécessaire pour adapter le positionnement de divers sujets face à la production et à la reproduction des rapports sociaux (Wilden 1972). C’est à travers le processus d’articulation symbolique de l’idéologie que la race, tout comme le genre et la nationalité, peut être comprise comme la qualité définie de luttes spécifiques auxquelles refuser la nécessaire autonomie ne peut que desservir le projet socialiste/démocratique. D’un autre côté, je pense que le commentaire de Marx Sur la question juive (2006) anticipe déjà le besoin d’investigation non-essentialiste des déterminants hors-classe, longtemps avant l’intervention de Gramsci (Carr 1985).

 

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Peut-on pour autant déduire un agenda politique à partir du bref et schématique aperçu que nous venons de tracer ? Les marxistes qui critiqueront les rapports de race aux États-Unis devront probablement prendre comme point de départ ces esquisses de l’expérience collective des victimes du racisme formulées par Marable :

Le fait le plus marquant de l’histoire économique et politique américaine est le sous-développement brutal et systématique des populations noires […] On ne peut faire l’économie de dire que le racisme blanc est une composante essentielle et majeure de  l’exploitation continue de l’ensemble des ouvriers pour renverser la classe capitaliste. (Marable 1983, 1, 262)

Tout comme par West :

Le racisme est la forme la plus visible et la plus vicieuse de l’oppression dans la société américaine […] La gauche américaine doit accorder sa priorité à la problématique la plus explosive au sein de la société américaine, c’est-à-dire la probabilité d’une participation américaine dans les guerres internationales en raison de politiques impérialistes […] et la situation de dénuement des Noirs et basanés (Browns) dans les villes, principalement liée au legs du racisme dans une économie capitaliste en perpétuel changement. (West 1984/1985, 18-19)

En prenant en compte ces réflexions, il me semble primordial de considérer comme un impératif méthodologique qu’une compréhension du racisme aux États-Unis (non pas une sociologie des rapports de race) nécessite de l’inscrire dans une totalité historique complexe – les États-Unis comme système capitaliste racialement ordonné – où l’hégémonie de la bourgeoisie a été construite à travers l’articulation de la race, à travers la production de sujets inscrits dans des pratiques discursives et institutionnelles racistes. Dans ce processus, un collectif national-populaire a été produit par la bourgeoisie sur le terrain de la vie quotidienne où le « sens commun » (la vision du monde, intellectuelle et morale) est influencé en vue de reproduire des rapports de production capitalistes selon un ordonnancement racialisé.  Le racisme n’est donc pas un système fixé ou un mécanisme unitaire mais l’expression d’un principe hégémonique qui implique à la fois les pratiques de la société civile et de l’appareil d’État. Ses nuances privées et ses styles publics sont altérés selon des conjonctures historiques variables : l’ensemble de ses éléments sont constamment désarticulés et réarrangés selon l’évolution des rapports de force. Les pratiques racistes de l’État et des diverses classes mettent en lumière des propriétés contradictoires – comme en témoignent plusieurs historiens comme Higham (1971), Jordan (1974) ou encore Kolko (1976) – surdéterminées par et se transformant avec les structures politico-économiques plus larges de la formation sociale. Ceci découle de l’effet du contexte de la production et de la reproduction de l’impérialisme américain sur la scène mondiale – dont le point de départ est l’extermination génocidaire des Indiens –, ou à travers différentes séquences marquées par la création des colonies internes et plus tard des colonies périphériques (le Southwest, Porto-Rico, Hawaï) ou d’entités sont toujours à l’heure actuelle des colonies (les Philippines, l’Amérique Centrale, certaines îles caribéennes). Cela suppose de donner une priorité analytique à la logique d’accumulation du capital inscrite dans le développement inégal et combiné des modes variés de production dans la formation sociale américaine.

Sans ce cadre global initiant l’essor du capitalisme, toutes les explications de la reconstitution tactique et stratégique de la distribution raciale sont déficientes car, dès les débuts de l’esclavage des Noirs et des conquêtes coloniales, la formation des États-Unis a été conditionnée, voire déterminée, par sa position sur le marché mondial du travail, des matières premières, etc. Dans ces conditions, le racisme comme principe d’articulation hégémonique peut être saisi comme une médiation entre les dynamiques de l’économie capitaliste mondiale et les crises structurelles de la formation sociale américaine. Comme le pointent John Solomos et ses collègues, « les liens entre le racisme et le développement capitaliste sont complexes et conditionnés par la spécificité des circonstances socio-politiques dans lesquelles ils interagissent », à tel point que « les formes de domination ethniques et raciales » procèdent « non par un mode linéaire mais sont sujets à des ruptures et à des discontinuités » (1982, 12), particulièrement en périodes de crise. Bien que la trajectoire du racisme en Grande-Bretagne ait été habilement établie par A. Sivanadan (1982, 1983), par le Centre for Contemporary Cultural Studies (1982) et par d’autres, une description historique comparée des pratiques racistes américaines partant d’une perspective internationale reste encore à écrire (Daniel et Kitano 1970; Saxton 1971). Omi et Winant ont décrit la manière dont, sous certaines conditions, l’État capitaliste des années 1970 et du début des années 1980 fonctionnait comme un agent déterminant de l’articulation et de la reproduction des divisions ethniques/raciales. Mais le contexte international, la dimension impérialiste, sont à peines décrits du point de vue de leurs effets sur l’alignement interne des forces politiques.

Dans un essai provocateur, Dominique Lecourt (1980) soutient que le racisme, en tant qu’aspect idéologiquement spécifique de la lutte des classes dans l’histoire, provient de la logique de l’économie politique capitaliste et de ses fondements dans un sujet social unitaire. La catégorie de sujet unitaire dissimule la domination et la subordination, les rapports réels de l’exploitation de classe, par une stratégie homogénéisante (la liberté des échanges individuels, dans le consensus) dans laquelle les différences (les nuances de la société plurielle et le pluralisme ethnique ?) sont interprétées et évaluées comme les conséquences d’un calcul d’avantages personnels. Étant donné que le marxisme privilégie la dialectique, les contradictions, et non les différences aléatoires ou nomades, situées dans des formations sociales particulières, Lecourt pense qu’il est impossible de formuler une théorie marxiste générale du racisme. Une telle théorie émanerait d’une idéologie humaniste bourgeoise et de son idée d’une nature humaine définie ; aussi, le racisme ou le racialisme serait « l’autre côté et le complément de l’humanisme bourgeois ». Lecourt conclut ensuite sur le fait que le matérialisme historique nous permet de constater que le racisme n’est pas « un épiphénomène aberrant introduisant un dysfonctionnement  dans le fonctionnement normal de l’ordre social, mais qu’il est un aspect particulier de la lutte des classes idéologiques à l’ère impérialiste » (284). Quel que soit l’attrait de la théorie du discours poststructuraliste (Deleuze, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Jean Baudrillard) qui entend supplanter le marxisme avec une théorie des pratiques symboliques – la praxéologie bourdieusienne (1977; voir aussi Rossi 1983) semble échapper au subjectivisme de la phénoménologie et à l’objectivisme du structuralisme – comme instrument d’une stratégie de recherche, l’intervention de Lecourt est, à ce stade de notre analyse, salutaire.

Dans tous les cas, j’aimerais conclure ces réflexions en proposant de soumettre à un examen plus approfondi le critère d’Harold Wolpe pour juger la valeur théorique et pratique d’une inscription de la dialectique race/classe dans un projet global de transformation socialiste :

L’ordre racial, y compris les groupes raciaux « corporatistes », doivent être analysés comme le résultat de multiples déterminations sur lesquelles l’opération d’une économie caractérisée, de manière non-économiste, par les relations capital-travail, ainsi que par la structure du pouvoir étatique sont des éléments essentiels – cette explication ne peut être réduite à la race, même si le processus de catégorisation raciale ne peut non plus être réduit à la « pure » économie … La question fondamentale pour l’analyse marxiste est de savoir en quel sens et à quel degré la reproduction, la transformation et la désintégration de l’ordre racial servent à maintenir ou à miner les rapports compatibles avec l’accumulation du capital. (1986, 129)

Ces quelques phrases impliquent que l’on ne peut définitivement pas ignorer le moment de la totalité ainsi que sa désintégration préfigurée dans la rupture révolutionnaire (Lefebvre, 1966). Mais comme le montre cet essai, la trajectoire de cette lutte complexe doit nécessairement faire l’épreuve de la destruction du racisme sous ses formes les plus diverses. Il n’y a pas de raccourci ou de détour possible. En effet, les politiques raciales sont une dimension essentielle dans la vie et la mort de millions de Noirs, d’Hispaniques, d’Asiatiques, d’Amérindiens (Native Americans) et d’autres communautés assignées racialement aux États-Unis. Ainsi, l’urgence et la nécessité pour toutes les forces progressistes est de s’attaquer au racisme aujourd’hui en tant que point d’équilibre, dont les contours restent encore assez mystérieux, de la lutte des classes contre la domination du capital et contre l’impérialisme.

Ce texte est initialement paru dans Rethinking Marxism (Volume 2, Numéro 2, Été 1989). Il est ici traduit de l’anglais par Selim Nadi, révisé par Félix Boggio Éwanjé-Épée, avec l’aimable autorisation de l’auteur.

 

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  1. En 1979, une série de meurtres touchent des enfants noirs à Atlanta (Georgie). []
  2. Bernhard Goetz a assassiné quatre jeunes noirs qui auraient tenté de l’agresser dans le métro de New-York, en 1984. Il se rendit à la police mais fut acquitté pour ces meurtres. Il fut uniquement déclaré coupable de port d’arme sans autorisation. []
  3. En 1989, quatre adolescents noirs et un adolescent hispanique sont arrêtés et accusés d’avoir violé et passé à tabac une femme blanche de 28 ans faisant son jogging à Central Parc. Après plusieurs heures d’interrogatoires musclés, ceux-ci avouent les faits et seront condamnés à la prison en 1990. À l’époque, un déferlement médiatique a repris les clichés des noirs violeurs et violents. Cependant, 13 ans plus tard, ils seront finalement déclarés innocents. []
  4. Commission qui fut créée en 1967 pour enquêter sur les émeutes raciale de Détroit (Michigan). []
  5. Que le programme d’un « capitalisme noir » (Black capitalism) et du développement communautaire ne puisse aboutir sans « mettre fin à l’oppression systématique du système économique » a très bien été documenté par William Tabb (1988). []
  6. Malgré les critiques provocatrices de Wolpe (1986) et d’autres à l’encontre du modèle des « colonies internes » (l’un des thèmes centraux des recherches de Blauner), je trouve la cohérence de son discours ainsi que sa structure toujours pertinents et viables, malgré quelques modifications et mises à jour nécessaires (voir Liu 1976 ; Wald 1981). []
  7. L’importante contribution d’universitaires comme Burawoy (1981) et Bonacich (1980) doit aussi être mentionnée ici. []
E. San Juan Jr.