La Neue Marx-Lektüre : critique de l’économie et de la société

À partir du milieu des années 1960, une nouvelle interprétation de la critique de l’économie politique marxienne a vu le jour en RFA sous le nom de Neue Marx-Lektüre («nouvelle lecture de Marx»). À l’écart du marxisme traditionnel et influencée par Adorno, une nouvelle génération de théoriciens, parmi lesquels Hans-Georg Backhaus, Helmut Reichelt et Alfred Schmidt, ont entrepris de relire Le Capital et ses manuscrits préparatoires avec pour ambition d’en réactiver la dimension authentiquement critique. Dans cet article, Riccardo Bellofiore et Tommaso Redolfi Riva s’attachent à revenir sur le moment d’élaboration d’un tel paradigme et en exposent le motif central : celui de l’abstraction et de la forme-valeur comme domination sociale.

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Le projet d’un réexamen de la critique marxienne de l’économie politique, à la fin des années 1960 par des élèves d’Horkheimer et Adorno, est aujourd’hui connu sous l’appellation de Neue Marx-Lektüre (notée NML dans le reste de l’article). Cette « nouvelle lecture de Marx », initiée principalement par Alfred Schmidt, Hans-Georg Backhaus et Helmut Reichelt, a en effet tenté de libérer Marx de ses interprétations dogmatiques, qui dominaient alors l’orthodoxie. Dans cet article, nous tenterons de reconstruire le moment d’élaboration d’un tel projet, en montrant qu’il puise ses sources dans la théorie critique de la société d’Adorno. Dans cette perspective, nous nous proposerons d’examiner l’approche originale, caractéristique de la NML, de la théorie marxienne de la valeur, sa compréhension du caractère « logique » de cette théorie, ainsi que la manière dont les contradictions de la forme-marchandise et du double caractère du travail, constituent les traits essentiels d’une autonomisation de la société. Enfin, nous aborderons certains problèmes posés par la NML, tentant par-là d’engager un dialogue critique qui pourra s’avérer fructueux.

La naissance de la Neue Marx-Lektüre

Selon de nombreuses interprétations de Marx, ce dernier nous aurait proposé une théorie de la valeur-travail issue d’une révision de la théorie de Ricardo. Or il s’avère que ces interprétations ont eu tendance à se focaliser sur le deux premières sections du premier chapitre du Capital, laissant de côté celles consacrées à la forme-valeur et au fétichisme de la marchandise en leur faisant jouer un simple rôle de supplément. Ainsi, Marx se serait d’abord intéressé à la marchandise à la fois comme « valeur d’usage » et comme « valeur d’échange ». Derrière la valeur d’échange, il y aurait selon lui un substrat commun aux marchandises échangées permettant leur commensurabilité ‒ à savoir la « valeur ». Et il a fallu enfin pour Marx connecter cette catégorie de valeur à celle de travail. Bien que ceci nous semble au premier abord représenter une vue complète de sa théorie, nous verrons qu’en nous tenant simplement à cette approche, nous manquons l’essentiel de sa conception de la valeur.

Ce qui distingue en effet la critique marxienne de l’économie politique des théories économiques qui la précèdent, de même que de celles qui lui succèdent, c’est bien sa théorie de la forme de la valeur. La critique de l’économie politique au sens où Marx l’entend s’attache en effet à répondre aux questions suivantes. Pourquoi la valeur ? Pourquoi la valeur n’est rien d’autre que l’expression du travail ? Quelles sont les conditions de possibilité de l’existence de la valeur, renvoyant à une « dimension sociale objective » selon laquelle les marchandises sont échangées ? Et pourquoi le contenu de la valeur (le travail) prend la forme d’une chose ‒ c’est-à-dire la monnaie ?1 Ces questions, que nous pouvons trouver posées plus ou moins explicitement dans Le Capital et dans ses manuscrits préparatoires (notamment les Grundrisse), ne furent, mis à part quelques exceptions notables, jamais réellement abordées par les disciples et interprètes de Marx.

Ceci changea dans les années 1960 avec les contributions de Backhaus, Reichelt et Schmidt. Issus de l’« École de Francfort », tradition se trouvant après-guerre au faîte de son influence sur la nouvelle gauche, ils contribuèrent d’une manière décisive à la revitalisation des études marxiennes en Allemagne de l’Ouest. Les questions générales soulevées par ces auteurs furent en effet la relation de Marx avec Hegel, la continuité ou discontinuité de sa théorie de la valeur avec la critique de l’économie politique, la nature de son matérialisme, et ainsi de suite. Mais, au centre de ces questions, se trouvait celle de la radicalisation de la rupture marxienne avec l’économie politique classique, plus spécifiquement celle de Ricardo, ainsi que ce que cela induisait sur le plan d’une rupture avec le marxisme traditionnel. Et c’est ainsi qu’une nouvelle lecture hétérodoxe de Marx émergea2.

Backhaus peut être considéré comme le principal initiateur de la NML. En 1965, il tint en effet un séminaire dans le cadre des cours d’Adorno à l’Université Francfort. Influencé par ce dernier, il élabora les principaux éléments constitutifs d’une nouvelle interprétation de Marx. Quatre années plus tard, il publia l’un de ses textes les plus connus et les plus largement traduits, Dialectique de la forme de la valeur. Texte dans lequel se trouve exposé le programme de recherche inaugural de ce qui sera nommé plus tard NML. Backhaus voyait ainsi dans la réception traditionnelle et majoritaire de la critique marxienne de l’économie politique une réduction de la théorie de la valeur de Marx à celle de Ricardo, qui impliquait par conséquent une mauvaise compréhension de ce qui constituait la spécificité de l’approche propre à Marx. Ces mésinterprétations renvoyaient aux points suivants : considérer la « méthode d’exposition » dialectique de Marx comme une simple formule sans implications théoriques notables, comme un simple jeu de mot, ou comme le reflet logique d’un processus historique ; ou encore considérer sa conception de la forme de la valeur comme une vue d’ensemble historico-logique de l’émergence de l’argent, ou tout  simplement en l’ignorant complètement.

Comme Backhaus l’indique dans son texte :

Mais l’interprétation « économiste » ne peut que passer à côté de l’intention critique qui sous-tend la théorie marxienne de la valeur. La « Critique de l’économie politique » devient une doctrine économique  parmi d’autres3.

Mais Backhaus a aussi insisté sur le fait que cette mauvaise interprétation de la conception marxienne de la forme n’était pas une simple erreur de compréhension de ce que Marx avait écrit, étant donné que ce dernier ne fut lui-même pas en mesure de fournir un exposé définitif de sa conception de la forme de la valeur. Par conséquent, la seule manière de bien comprendre l’intention critique de cette dialectique de la forme de la valeur implique d’en reconstruire l’argument à partir de ses expressions partielles dans les textes de Marx, en en suivant les différentes versions depuis la Contribution à la critique de l’économie politique de 1859 jusqu’à la deuxième édition du Capital.

Backhaus et Reichelt considèrent tous les deux que la date de naissance de la NML correspond au moment où, en 1963, Backhaus tomba par hasard sur un exemplaire de la première édition du Capital se trouvant à la bibliothèque de la cité universitaire Walter-Kolb de Francfort :

Après une première lecture, il a été possible de constater une différence du point de vue catégoriel quant à la construction des concepts et la position du problème de la théorie de la valeur qui, dans la seconde édition, n’étaient en fait qu’esquissés4.

Backhaus commença à examiner ce texte dans un groupe de travail privé avec Reichelt, Walter Euchner, G. Dill, Gisela Kress, Gert Schäfer et Dieter Senghass. Ce qu’ils découvrirent de plus intéressant fut la présence d’une contradiction dialectique dans l’analyse de la « forme équivalent » de la valeur qui était plus difficilement détectable dans la seconde édition du Capital. Le concept hégélien de « dédoublement » (Verdopplung) ‒ qui fut analysé à cette époque par Karl-Heinz Haag (un assistant d’Horkheimer) et utilisé par Marx dans la première édition de sa présentation de la forme de la valeur ‒ recouvrit une nouvelle signification logique5.

Dès lors, la dialectique marxienne dans Le Capital devait être appréhendée dans une perspective logique, et non plus comme un terme philosophant vide d’implications théoriques. De fait, le point de départ de la NML réside dans une redécouverte critique de la méthode marxienne d’exposition. Les concepts dialectiques de contradiction, de dédoublement, d’apparence, de manifestation phénoménale, de substance, et ainsi de suite, furent globalement ignorés par les lectures orthodoxes ou « économistes » de Marx. Pour la NML, au contraire, il devinrent centraux pour comprendre la critique marxienne de l’économie politique.

L’héritage d’Adorno

Reichelt a toujours prétendu que la découverte de la première édition du Capital aurait été sans conséquence pour quelqu’un qui n’aurait pas assisté aux conférences et cours d’Adorno sur la théorie dialectique de la société6. Et ceci précisément en ce que la singularité de la critique marxienne de l’économie politique réside dans la catégorie adornienne d’« anamnèse de la genèse » (the anamnesis of the genesis / Anamnese der Genese ). Dans cette optique, la critique de l’économie politique est lue comme une théorie de la constitution de la société comme réalité subjective-objective7. Comme Backhaus l’explique : la société est « objective » en tant que « l’universalité abstraite subsume et domine les singularités8». Et dans le même temps, elle est subjective « parce qu’elle existe et se reproduit seulement en vertu des êtres humains9».

Le concept de société comme réalité subjective-objective était essentiel pour Adorno : une société systématiquement dominée par l’échange s’impose « comme un prolongement hétéronome de la nature10». Dans une société basée sur l’échange, la reproduction du social est assimilée à une forme de nécessité naturelle ; la société capitaliste est une structure spécifique dans laquelle les actions individuelles se déploient selon un régime d’objectivité qui se trouve dominer les agents eux-mêmes. Le mode de production capitaliste détruit ainsi l’antithèse entre nature et histoire. Dès lors, bien que la légalité à laquelle les agents sociaux sont soumis soit une construction sociale, elle semble néanmoins agir sur ces derniers comme une loi de la nature : « l’objectivité de la vie historique est celle de l’histoire naturelle11». La théorie sociale dialectique doit ainsi montrer que « la société, s’étant autonomisée, ­(elle) cesse à son tour d’être intelligible : seule l’est la loi d’autonomisation12. »

La société capitaliste est un tout, une totalité, un universel selon les mots d’Adorno : « Il n’y a rien de socialement factuel qui n’ait pas sa place dans cette totalité. Elle est pré-ordonnée à tous les sujets individuels parce qu’ils obéissent à sa contrainte jusqu’en eux-mêmes ­[…]13». Et l’échange s’impose comme le principe synthétique qui détermine de manière immanente la connexion entre chaque fait social14. En d’autres termes, l’échange constitue l’objectivité du rapport social15. Il s’agit du principe de médiation qui garantit la reproduction de la société par l’intermédiaire d’un procès d’abstraction qui « implique la réduction des biens à échanger l’un contre l’autre à quelque chose qui leur est équivalent, abstrait, et en aucune façon matériel […]16».

Adorno défend l’idée qu’il est possible, en partant d’une analyse du procès d’échange, de comprendre l’autonomisation de la société qui caractérise le capitalisme. L’abstraction qui est présente dans l’échange n’est pas de dimension subjective, dans la mesure où elle est « indépendante de la conscience des hommes isolés qui sont soumis à elle, ainsi que de celle du chercheur17». Dans le mode de production capitaliste il existe ainsi un principe de « réduction à l’unité » qui permet l’échange entre marchandises. En effet, « c’est l’unité du temps de travail abstrait socialement nécessaire qui rend les marchandises échangeables ». Mais un tel principe d’unité n’est pas déterminé à travers un procès d’abstraction subjectif réalisé par les échangeurs eux-mêmes ; il s’agit plutôt du « temps de travail abstrait extrait des protagonistes vivants de l’échange » impliqués dans un rapport social se déployant de manière autonome18. L’argent « s’impose à la conscience naïve comme la forme évidente de l’équivalent et ainsi comme le médium évident de l’échange, soulageant les individus de la nécessité d’une telle réflexion19». Dès lors, l’intuition marxienne du caractère fétiche de la valeur, de l’argent et du capital s’impose pour Adorno comme la clé pour comprendre l’autonomisation de la société :

le concept du fétichisme de la marchandise n’est rien d’autre que le procès d’abstraction nécessaire, qui se présente lui-même dans la sphère économique comme un processus naturel, comme l’« être -en-soi des choses ». La nature dialectique de l’échange relève du fait que « d’un côté le fétichisme de la marchandise serait apparence ; et de l’autre sa réalité ultime (äuserste Realität)20. »

Autrement dit, il s’agit d’une illusion dans la mesure où ce qui est perçu comme naturel est en fait issu de rapports sociaux par lesquels les agents sont intégrés ; mais il s’agit aussi dans le même temps d’un processus réel dans la mesure où cette réduction à l’unité transcende la conscience individuelle des agents, s’imposant comme une forme « objective » de légalité.

Une théorie dialectique de la société doit nous permettre de comprendre le procès d’autonomisation de la société et, par la même occasion, nous expliquer « l’oubli de sa genèse sociale ». Ceci est exprimé de manière particulièrement incisive par Adorno dans une conversation avec Alfred Sohn-Rethel : « Le matérialisme historique est l’anamnèse de la genèse21. » Il permet de rendre compte du devenir-autonome des lois de la société, ainsi que l’oubli théorique de ce processus. Et c’est précisément en ceci que réside le fondement de la théorie adornienne de la société, ainsi que le lieu d’émergence de la NML.

L’articulation entre le phénomène d’autonomisation de la société et l’analyse du procès d’échange est d’autant plus significative à rappeler qu’elle reste en germe dans les écrits d’Adorno. En 1965, Adorno continue d’exprimer la nécessité « d’une analyse systématique-encyclopédique de l’abstraction de l’échange22». Mais il s’agit d’un objectif qu’il ne mena pas à son terme. Reichelt observe ainsi de manière convaincante que dans les réflexions d’Adorno sur l’échange et l’abstraction réelle sont « résumés tous les thèmes d’une théorie dialectique, mais tout en ne restant que sur un terrain essentiellement déclaratif23», et que « l’entièreté d’une théorie dialectique réside précisément dans la clarification de ce que pourrait signifier cette “abstraction objective”. Si il est impossible de déterminer de manière concrète ce “concept objectif”, alors tous les autres concepts de la Théorie critique…sont guettés par l’accusation d’être de purs et simples spéculations socio-théoriques24. » Et c’est pourquoi la NML peut être considérée comme un projet de fondation et d’approfondissement de la théorie critique de la société d’Adorno.

Perspectives herméneutiques

Alors que le marxisme occidental (Western Marxism) a toujours eu tendance à privilégier les textes du jeune Marx comme clefs pour comprendre ses œuvres de maturité, la NML s’attacha de son côté à lire les textes marxiens de critique de l’économie politique dans l’objectif de comprendre son travail dans sa totalité. La critique de l’économie politique est ainsi appréhendée comme une entreprise inachevée, dans laquelle Le Capital et ses manuscrits préparatoires peuvent seulement être considérés comme l’exposition d’un « concept universel de capital ». Par ailleurs, la NML prétend que ce concept universel de capital n’est pas intégralement développé par Marx dans la forme de sa présentation, et nécessite d’être reconstruit à partir d’autres travaux. Pour bien comprendre la critique de l’économie politique, il est en effet nécessaire de bien saisir toutes les implications de la méthode de Marx. Il n’est ainsi pas possible de séparer la forme de sa présentation de ses contenus économiques. Nous avons à suivre la forme dialectique de l’exposition de la théorie, et sommes très souvent confrontés à la nécessité d’aller voir par-delà les seules formulations de Marx. Notons que cette perspective est d’ailleurs partagée avec la lecture initiée par Althusser. Comme Schmidt le déclare :

Aussi importante puisse être la compréhension que Marx pouvait avoir de son propre travail, elle nous parut très souvent en retrait de ce qu’on pouvait trouver comme possibilités de théorisations à partir de ses analyses matérielles25.

Le point de départ des premières analyses de Backhaus était ainsi de reconduire les problèmes herméneutiques posés par la théorie marxienne aux seules erreurs de compréhension de ses interprètes. Toutefois, dans la troisième partie de son étude Materialen zur Rekonstruktion der Marxschen Werttheorie (Matériaux pour la reconstruction de la théorie marxienne de la valeur), il changea quelque peu de perspective et considéra ces erreurs d’interprétation comme trouvant leurs origines chez Marx lui-même26. Une analyse approfondie des différentes présentations par Marx de sa théorie de la forme de la valeur autorise ainsi ses lecteurs à considérer cette approche comme étant dans le même temps historique et logique. En suivant le procès d’exposition marxien dans la première édition du Capital ainsi que dans certains endroits des Grundrisse, le passage de la forme de la valeur simple à celle de l’argent peut être comprise comme processus logique-synchronique. Mais il peut aussi être compris comme un processus historique, si le lecteur suit l’exposition qu’en fait Marx dans l’appendice de la première ou de la seconde édition du Capital. Selon Backhaus, reconstruire la théorie de Marx implique donc d’adopter une perspective herméneutique différente : nous ne pouvons pas nous contenter de suivre la seule lettre du texte marxien ; mais devons plutôt nous attacher à comprendre les question auxquelles Marx tentait de répondre, et ainsi choisir l’explication susceptible de mieux y correspondre.

Partageant l’approche de Backhaus, Reichelt constate que « dans Le Capital, seule se maintient à nue l’ossature de “l’exposition dialectique” de l’autonomisation croissante de la valeur d’échange27. » L’analyse des différentes expositions de la théorie, aussi bien que le développement des concepts fondamentaux dans les Grundrisse, jouent aussi pour Reichelt un rôle essentiel dans la reconstruction d’une théorie spécifiquement marxienne de la valeur.

Une autre approche interprétative originale propre à la NML concerne la question de la relation entre les textes du jeune Marx et ceux de la maturité. Les auteurs liés à la NML s’opposent au diagnostic althussérien de la coupure épistémologique et proposent une lecture « continuiste » de l’œuvre de Marx, employant la même méthodologie utilisée par ce dernier pour ce qui concerne l’étude des formations sociales du passé du point de vue de celles qui leur ont succédé ‒ une méthode illustrée par l’assertion fameuse selon laquelle l’anatomie de l’homme serait la clef de l’anatomie du singe. C’est ainsi que la NML s’attache à lire les premiers textes de Marx à travers ceux de la maturité, en rétablissant par là leurs significations, plutôt que de les reconduire à des positions pré-marxiennes comme Althusser le proposait28. Ainsi, Alfred Schmidt peut écrire :

Les premiers textes de Marx et Engels, qui pendant longtemps étaient censés proposer le contenu proprement philosophico-humaniste du marxisme, ne peuvent être pleinement compris qu’à partir d’une analyse historico-économique du Capital29.

Par exemple, Reichelt insiste sur le fait que le processus d’inversion entre société civile et État, entre Bourgeois et Citoyen, entre terre et ciel, développé par Marx dans ses premiers textes, doit être appréhendé dans la perspective des catégories de la critique de l’économie politique. C’est-à-dire que la critique des formes de la société capitaliste requiert la compréhension des raison pour lesquelles les relations humaines se présentent elles-mêmes dans la forme de lois économiques contraignantes. D’une manière similaire, Backhaus montre que ce qui dans les œuvres du jeune Marx est réduit au statut de résidu philosophique doit plutôt être considéré à la place  comme une première tentative pour développer une méthode critique qui reconnait « les structures isomorphiques des objets onto-théologiques et socio-métaphysiques, ou les structures isomorphiques des objets politiques et économiques30». De la même manière que les débats théologiques présupposent la duplication du monde terrestre dans l’opposition du paradis et de la terre, chaque débat caractéristique de la critique de l’économie politique présuppose les formes économiques de l’échange : la valeur, la monnaie, le prix, et ainsi de suite. « L’argument central de Marx est que “les” économistes ne devraient pas présupposer leurs “catégories” et “formes”, mais devraient plutôt à la place les envisager du point de vue de leur genèse31». L’inauguration de cette méthode génétique est repérée par Backhaus dans Les manuscrits économico-philosophiques de 1844, au sein desquels Marx s’approche des « présuppositions non-réfléchies » de l’économie politique : « Marx parle ici de l’argent qui dans “ses”  fonctions opère comme un sujet “non-humain” (unmenschliches), c’est-à-dire en rendant équivalentes des choses non-équivalentes. Les lois indépendantes des choses, des choses “au-delà” de l’homme, représentent le moment… “objectif ” de l’économie32. »

Hegel et Marx

La philosophie hégélienne, et plus spécialement sa logique, est considérée par la NML comme une source fondamentale pour la compréhension de la forme d’exposition de la critique marxienne de l’économie politique. Schmidt va ainsi s’attacher à saisir la signification du terme de « critique » pour ce qui concerne le dispositif de la « critique de l’économie politique ». Il remarque que pour Marx, il n’existe pas de faits sociaux qui peuvent en eux-mêmes être appréhendés à partir des coordonnées disciplinaires traditionnelles. Le véritable « objet de connaissance » est le phénomène social considéré comme un tout, à savoir le capital comme totalité. Mais ceci n’implique pas que le donné empirique des conditions de production corresponde à cet objet immédiat. Tout au contraire, Marx procède par l’intermédiaire d’une critique des catégories et théories bourgeoises33. La théorie et ses  contenus « objectifs » sont certes reliés entre eux, mais il ne peuvent être considérés comme une seule et même chose. C’est pourquoi le mode d’investigation est formellement différent du mode d’exposition. Le mode d’investigation, nous explique Schmidt, opère sur un matériau historique, économique, sociologique, statistique, etc., qu’il « isole » et « analyse » au moyen de l’entendement. Le mode d’exposition, au contraire, doit pouvoir apporter une forme d’unité concrète à des données isolées. L’ « exposition », pour suivre Hegel, procède de l’« être » immédiat à l’ « essence » médiatisée, qui constitue le fondement de l’être. La réalité essentielle doit se manifester phénoménalement, mais cette instanciation concrète de l’essence doit être distinguée de ses manifestations. Bien que même la plus abstraite des catégories doit avoir une dimension de détermination historique, le cours logique se différencie, voire même s’oppose, au cours historique.

Ces questions sont plus particulièrement développées par Schmidt dans History and Structure :

Pour Hegel, aussi bien que pour Marx, la réalité est un processus : une totalité « négative ». Dans l’hégélianisme, ce procès se manifeste comme le système de la Raison. Il s’agit d’une ontologie close sur elle-même, par laquelle l’histoire humaine se déploie au niveau de l’être de manière dérivée, comme un simple exemple de son application. Assez différemment, Marx insiste sur l’indépendance et sur l’ouverture du processus historique, qui ne peut être réduit à une logique spéculative de laquelle tout être est censé relever. Par conséquent, la « négativité » en vient à se référer à quelque chose de limité dans le temps, tandis que la catégorie de « totalité » renvoie au tout des rapports de production modernes34.

Il y a une primauté gnoséologique du moment logique sur l’historique : sans la priorité d’une compréhension théorique du capital on ne pourrait en déterminer précisément le lieu de naissance historique35. Mais cela n’implique pas forcément comme chez Hegel de considérer ces catégories comme fondements de l’existence de la réalité. Plutôt, il s’agit de considérer ces catégories comme médiatisant la réalité dans la connaissance. Toutefois, cette critique de Hegel n’annule pas la dette que Marx a contracté envers sa notion de « système ». Le concret n’est pas ce qui fait face l’intellect humain, mais « l’unité du divers», savoir qui bien qu’il possède sa base nécessaire dans la méthode analytique, s’évade dialectiquement de la dichotomie de la facticité et de l’intelligible. Ainsi, on peut dire que Marx procède de manière logique, et non de manière historique, dans la mesure où la forme du capital qu’il développe équivaut à la position de sa propre condition d’existence.

Si Schmidt insiste sur le rôle de la méthode de Hegel dans la critique marxienne de l’économie politique, Reichelt étend quant à lui cet argument dans la direction d’une relation ontologique. Il affirme en effet que Marx fut obligé d’utiliser un argument structuré dialectiquement pour rendre compte d’une contrainte objective :

Puisqu’il existe une identité structurelle entre la notion de Capital chez Marx et celle d’Esprit chez Hegel.[…] Dans la pensée de Marx, le développement du concept jusqu’à l’absolu est l’expression adéquate d’une réalité se déployant selon cette analogie […] L’idéalisme hégélien, pour lequel les êtres humains obéissent à un concept despotique, est en effet plus adéquat à ce type de monde inversé que n’importe quelle théorie nominaliste prétendant faire de l’universel quelque chose de subjectivement conceptuel. Il s’agit de la société bourgeoise considérée comme une ontologie36.

La présentation comme « exposition » recouvre ainsi une nouvelle signification ontologique. Cette méthode dialectique n’est ni plus ni moins aussi bonne ou mauvaise que ne l’est la société à laquelle elle correspond ; elle possède une validité uniquement où « l’universel s’affirme lui-même au détriment de l’individuel » ; et elle est en fait le dédoublement philosophique d’une réalité inversée. La caractéristique particulière de la dialectique matérialiste est ainsi d’être définie comme Methode auf Widerruf, comme « méthode de révocation-régression », en ce que cette méthode doit s’auto-dissoudre aussi tôt que ses conditions d’existences disparaissent37.

Reichelt insiste aussi sur l’emploi par Marx du concept de übergreifendes Subjekt (sujet globalement dominant) dans l’exposition de la transformation de l’argent en capital :

En tant que sujet globalement dominant d’un tel procès (übergreifendes Subjekt), où tantôt elle revêt et tantôt se défait des formes de l’argent et de la marchandise, tout en se conservant elle-même et se développant elle-même dans ce mouvement, la valeur a besoin avant tout d’une forme autonome grâce à laquelle on constate son identité avec elle-même. Et cette forme, elle ne la possède que dans l’argent. C’est donc lui qui constitue le point de départ et le point final de tout procès de valorisation38.

Reichelt comprend l’emprise et le pouvoir de domination du capital à la lumière du caractère absolu du concept hégélien, qui « révèle sur le sol de la philosophie le secret de la société bourgeoise : l’inversion d’une réalité dérivée en une réalité première (« die Verkerhung eines Entsprungenen zu einem Ersten »). Par conséquent, chez Marx, le devenir du concept à l’absolu est l’expression adéquate d’une réalité qu’il pense à partir de cette analogie39».

Un argument similaire peut être trouvé chez Backhaus. Hegel est ainsi considéré comme à l’origine de la « révolution » opérée par Marx sur le plan de sa théorie de la marchandise, de l’argent et du capital, précisément par sa manière de l’exposer via un dispositif dialectique. Hegel, toutefois, s’en est tenu à la première étape, en ce qu’il s’avéra incapable d’élucider le double caractère de la marchandise. (Cependant, Backhaus remarqua aussi que Hegel saisit ce caractère double dans un certain nombre d’écrits inédits inconnus de Marx). Pour Backhaus, Hegel reproduit l’erreur de Ricardo et de l’économie politique plus généralement : l’oubli de la genèse de ce processus, même si son appareil conceptuel aurait pu lui permettre d’accomplir cette tâche40.

Sur la méthode de Marx et la critique des théories pré-monétaires de la valeur

Le point d’émergence de la reconstruction par la NML de la critique marxienne de l’économie politique réside dans son questionnement de l’interprétation de la méthode de Marx d’un point de vue logique-historique, qui a été initiée par Engels et sa discussion de la « production simple des marchandises » et telle qu’elle a été développée ensuite par le marxisme. Selon Backhaus, le compte-rendu par Engels de la Contribution à la critique de l’économie politique de 1859, ainsi que son « complément-supplément » de 1895 au volume III du Capital, conduisent à une historicisation de la méthode marxienne d’exposition.  Dans son compte-rendu, Engels se réfère à cette méthode en indiquant que celle-ci « n’est rien d’autre que le mode de traitement historique dépouillé seulement de la forme historique et des contingences perturbatrices41». Dans le « supplément », il applique la même méthode historique afin de résoudre la fameuse contradiction entre valeurs et prix de production, érigeant les valeurs en système objectif, valable pour une période historique de la production marchande simple, décidant du rapport dans lequel s’effectue l’échange42.

Pour Backhaus, la notion de production marchande simple est ainsi à la base de deux interprétations différentes de Marx : l’interprétation logico-historique et l’interprétation hypothétique. Selon la première interprétation, la théorie de la valeur correspond à la compréhension logique de la loi de la production marchande simple ; la forme de la valeur étant reflet logique de l’émergence historique de la monnaie dans la société. Selon la seconde, la théorie de la valeur n’est pas à proprement parler historique, mais constitue plutôt une approximation hypothétique des prix dans le capitalisme. Les valeurs renvoient à la loi du rapport d’échange dans une société où ce dernier est généralisé. Et cette étape doit être complétée par une autre, une seconde approximation, à savoir que les prix de production sont considérés comme la loi du rapport d’échange dans une société pleinement capitaliste. Ainsi, le passage sur la forme de la valeur est à nouveau lu comme un développement historique traitant du passage du troc à l’échange monétaire43.

Bien que ces modèles interprétatifs soient différents, ils partagent l’idée d’une phase initiale d’échange universel sans argent, et ont en commun une appréhension historique de la théorie de la forme de la valeur. Backhaus réunit ces deux perspectives sous l’appellation de « théories pré-monétaires de la valeur », et insiste sur le fait que la théorie marxienne de la valeur doit être comprise comme une critique de ces approches pré ou non-monétaires : « Marx voulait montrer qu’il n’était pas possible de construire un concept non-contradictoire d’économie de marché pré-monétaire sur la base de la division du travail…Le concept d’une marchandise pré-monétaire ne pouvait pas être pensé44. »

Le passage d’une forme totale ou développée de la valeur à sa forme universelle nous montre l’impossibilité logique d’un concept d’échange universel sans monnaie. Dans la présentation dialectique nous conduisant à la forme de la valeur, le procès d’échange tel qu’appréhendé par Marx doit être compris comme « circulation » (Zirkulation), une détermination de la forme de l’échange pour laquelle les marchandises prennent la forme-argent ‒ c’est-à-dire la forme-prix. La « circulation », ici, doit être distinguée de « l’échange » (Austausch) en tant que tel, qui est une sorte de concept « transhistorique », une abstraction dépourvue d’existence effective ( comme le « travail » ou la « production »). Nous avons ainsi ici affaire à l’échange de marchandises (Waren-austausch ‒ qui est essentiellement monétaire) et à l’échange de produits (Produkten-austausch ‒ qui n’est pas monétaire).

À partir de ce point de vue, le contenu critique de la théorie de Marx doit tout autant être distingué des théories objectivistes (classiques ou marxistes) de la valeur que des théories subjectivistes de la valeur. Ces deux types d’approches partagent en effet l’idée qu’il est nécessaire de faire abstraction de la monnaie, qui est réduite à un voile (veil), afin de comprendre l’échange et d’élaborer une théorie de la valeur. Il en résulte un double écueil : une naturalisation du capitalisme et une confusion quant au rôle de la monnaie dans une société où les entreprises privées, autonomes et indépendantes doivent finalement valider la valeur produite dans la circulation universelle, par l’échange des marchandises via la monnaie comme équivalent général. Les théories pré-monétaires de la valeur créent ainsi un double système de mesure de la valeur : un premier en fonction de l’élément par laquelle les marchandises sont rendues commensurables (travail ou utilité), la deuxième par la monnaie. Or ces moyens de mesure ne sont pas médiatisés. Les dimensions externes, « objectives », du phénomène de l’échange monétaire sont déconnectées des paramètres de la valeur, qui sont théoriquement présupposés indépendamment de la monnaie. Comme Backhaus l’indique,

il y a une séparation entre la dimension subjective de la valeur et la dimension objective de la valeur d’échange, entre la « substance » interprétée subjectivement et la « forme » objectivement anticipée de la valeur45.

De plus, pour Backhaus, la critique qu’entreprend Marx peut être adressée à la plupart des théories des prix, aussi bien qu’à ces auteurs qui évacuent les dimensions caractéristiques de la valeur, comme par exemple la plupart des disciples de Straffa. Ceux-ci ne saisirent pas la véritable signification de la question posée pour la première fois par Aristote, à savoir celle de déterminer comment des objets hétérogènes pouvaient devenir commensurables. Selon Backhaus, ce problème n’est pas non plus résolu de manière satisfaisante par les théories nominalistes de la monnaie. La monnaie peut être considérée comme unité de compte abstraite uniquement après avoir déterminé l’élément qu’il mesure. Et pour suivre Backhaus, nous pouvons affirmer que la dimension de la valeur est chez Marx éminemment métaphysique, par laquelle les choses recouvrent des « propriétés socio-naturelles ».

Le Marx évoqué par Backhaus nous propose dès lors une puissante critique des théories de la valeur reconduisant la circulation du capital à un phénomène d’échange abstrait pré et trans-historique, et dans le même temps nous suggère une théorie de la monnaie susceptible de se déployer par-delà toute forme de nominalisme. L’argent est appréhendé par cet auteur comme faisant partie intégrante de la circulation des marchandises, et dont l’autonomie (hors de la conscience des agents) constitue la liaison sociale des travaux privés. Un concept de monnaie envisagé comme un simple moyen conventionnel crée dans l’objectif de simplifier l’échange est selon lui intenable.

Le dédoublement de la marchandise

La connexion interne entre valeur et argent considérée « comme le dédoublement idéal et réel de la marchandise » constitue l’une des principales thématiques développées par Reichelt. En partant du premier texte de Backhaus, Reichelt prétend que le caractère de nouveauté de la présentation marxienne réside dans l’exposition du phénomène de la marchandise comme unité immédiate de la valeur d’usage et de la valeur. Cette contradiction immanente ne peut s’exprimer extérieurement que si les deux côtés de la marchandise sont saisis dans leur relation dans le procès d’échange. L’économie politique examine les marchandises de deux manières, que ce soit dans leur concrétude comme valeur d’usage, et comme valeurs issues d’un acte subjectif et purement mental d’abstraction. Or l’analyse marxienne de la forme de la valeur nous montre que la réduction subjective renvoie à une logique « d’abstraction s’effectuant chaque jour dans procès social de production », à quelque chose qui ne peut qu’être compris uniquement à travers un examen profond de la manière dont la valeur se manifeste phénoménalement dans la valeur d’échange.

Reichelt engage son propos en soulignant que l’échange se produit toujours entre deux choses concrètes différentes, deux valeurs d’usage différentes. Les marchandises ne se manifestent jamais elles-mêmes directement comme expressions du travail humain, de plus chaque marchandise possède un prix et, comme telles, sont rendues comparables: « Marx critique l’économie bourgeoise dans la mesure où il ne déduit pas la forme de la monnaie de la structure du travail privé ; ce qu’il veut signifier c’est que l’économie politique se trouve désemparée devant la forme-prix…qu’elle est obligée de comprendre de l’extérieur46. » Dans chaque procès d’égalisation relevant de l’échange de marchandise, la marchandise se trouvant sur le côté gauche de l’équation manifeste sa propre valeur objectivée dans la concrétude du corps de la marchandise située du côté droit. Les deux dimensions sont prises en compte simultanément : « la marchandise acquiert une forme de valeur différente de sa forme naturelle, et une marchandise différente s’impose dans sa forme naturelle immédiate comme forme phénoménale de “travail humain cristallisé”47. » L’opposition immanente à la marchandise trouve sa forme de manifestation phénoménale à travers le dédoublement de la marchandise dans la valeur d’échange : un côté de l’équation devient la valeur d’usage (dans sa forme relative) qui manifeste sa propre valeur en s’incarnant dans une autre marchandise (comme forme équivalente) qui compte uniquement comme objectivation de la valeur. Le travail abstrait humain possède une incarnation visible dans un corps par lequel il peut être exprimé. Sa valeur n’est plus simplement une « chose de la pensée », mais est susceptible d’acquérir une existence revêtant un caractère chosal (thing-like existence). L’abstraction de la valeur est rendue concrète en tant qu’objet autonome confrontant toutes les autres valeurs d’usage comme marchandises. Comme Marx le déclare  : « Les marchandises sont des choses (Sache). Elles doivent être ce qu’elles sont de manière chosale (sachlich), ou le révéler dans les relations chosales (sachliche) qu’elles entretiennent les unes aux autres48. » L’exposition de la valeur comme monnaie et prix, avec le travail abstrait recouvrant la forme d’une chose par l’équivalent universel, représente l’une des acquis théoriques de l’appréhension marxienne de la forme de la valeur.

Reichelt suit de manière étroite la déduction dialectique opérée par Marx, de la simple forme de la valeur jusqu’à sa forme-équivalent universel (et donc jusqu’à sa forme-argent), nous montrant comment, dans le procès d’échange, la contradiction entre travail concret et travail abstrait, aussi bien qu’entre travail privé et travail social, est abolie-dépassée. D’un côté, le travail privé dépensé dans la production de marchandise doit être représenté comme travail social. Mais d’un autre, dans les sociétés non-capitalistes, les travaux concrets représentent différentes activités d’un même sujet. Et dans l’échange universel capitaliste de marchandises, un résultat similaire est obtenu à travers l’étrange circonstance d’un travail qui obtiendrait la propriété supra-sensible d’être du temps de travail abstrait humain, qui représente ainsi la substance de la valeur.

Le travail abstrait ‒ qui est du travail privé envisagé dans son devenir comme travail social ‒ implique que la marchandise devienne effective comme valeur d’usage ; c’est-à-dire que le travail concret est envisagé comme prenant part à la division sociale du travail. Il s’agit de la contradiction qui est la differentia specifica  d’une société dans laquelle le travail n’est pas envisagé comme immédiatement social dans la production en tant que telle. Dans un système d’échanges privés entre des producteurs indépendants, le travail social n’apparaît uniquement que lors de sa validation finale (monétaire) sur le marché des marchandises : « l’existence d’une forme d’équivalent universel est la forme par laquelle cette contradiction est analysée et par conséquent abolie49. »

La validation sociale du travail privé ne se produit ainsi que par la métamorphose avec une marchandise dans laquelle le travail dépensé compte immédiatement comme social. Cette marchandise représente l’équivalent universel : l’argent. Seul l’échange entre l’argent et la marchandise impose la nécessité sociale du travail dépensé pour la production d’une marchandise particulière. Et la raison pour laquelle le travail dépensé dans la production de marchandises doit s’exprimer lui-même dans la forme de l’argent réside dans la contradiction représentée par le double caractère du travail producteur de marchandises. Comme Reichelt le souligne, la théorie marxienne de l’argent est basée sur le fait que l’argent est déduit de la structure du procès d’échange, mais aussi sur la déduction de la forme universelle d’équivalence comprise comme la connexion interne nécessaire entre la valeur comme forme, la valeur comme substance, et la valeur comme grandeur.

Après la présentation du dédoublement de la marchandise dans la sphère de la circulation simple, Reichelt développe le « côté positif » de la critique par Backhaus de la notion de production marchande simple. Reichelt nous propose une interprétation de la théorie marxienne de la monnaie comme « une approche de plus en plus concrète de la déduction de la monnaie réalisée dans sa forme la plus abstraite50» permettant l’examen de la relation logique entre les sphères de la « circulation » et de la « production ». Dans la circulation simple, les membres de la société se présentent eux-mêmes uniquement comme échangeurs. Cependant, la circulation ne peut pas être considérée comme un procès autonome. Les marchandises sont certes échangées dans la sphère de la circulation, mais leur production est présupposée. Et une fois que les marchandises sont vendues, elles quittent la sphère de la circulation pour entrer dans celle de la consommation51.

La présentation des différentes fonctions de la monnaie, développée par Marx dans la troisième section du Capital, est comprise par Reichelt comme un procès d’indépendance progressive de la monnaie considérée comme la manifestation chosale de la richesse abstraite. L’analyse marxienne de l’accumulation dans les Grundrisse s’impose ici comme décisive. Dans le but de s’autonomiser comme valeur, la monnaie doit s’extraire de la circulation, mais, hors de cette sphère, la monnaie n’est que de la richesse potentielle (abstraite) : « la réalité de la richesse universelle qui existe comme chose (i.e. la monnaie) se situe en dehors d’elle-même, dans la totalité de toutes les particularités qui constitue sa substance52. » La contradiction est abolie aussitôt que la monnaie prend la forme du capital, l’auto-valorisation de la valeur prenant la forme du mouvement A-M-A’ : « dans chacune de ces formes se maintient ( i.e. l’argent comme capital ) la valeur d’échange en soi. Par conséquent, il ne s’agit par d’argent uniquement en ce qu’elle prend cette forme, mais aussi en ce qu’elle recouvre celle de la marchandise…Dans chacune de ces formes, elle existe par elle-même53. »

Reichelt suit l’argument de Marx, selon lequel la circulation simple est la manifestation d’un processus qui lui est extérieur – le procès de production capitaliste – un véritable Eden des droits innés de l’homme qui mystifie l’appropriation du travail non payé dépensé dans la production de marchandises. La circulation ne possède pas d’existence autonome. La théorie marxienne de la valeur présentée dans les trois premières sections du Capital n’est pas l’esquisse d’un système de production de marchandises, dans lequel les conditions subjectives et objectives de production ne seraient pas encore séparées. Il s’agit seulement de la surface du procès de production capitaliste : la marchandise comme présupposé avec laquelle Marx débute sa présentation est posée comme marchandise produite de manière capitaliste. Cela renvoie à l’ouverture du texte de Marx, Résultats du procès de production immédiat, qui représente l’un des exemples les plus clairs de la méthode marxienne de « position des présupposés ». De plus, notons que le « travail » ayant cours dans la production capitaliste de marchandises est le travail vivant des travailleurs salariés. Dans un passage célèbre des Grundrisse, Marx réfère ceci à la notion de travail abstrait en mouvement.

La constitution « objective » de la société

Il apparaît à la lecture attentive de Reichelt et Backhaus que, selon la forme de détermination de la dépense de travail, il n’est pas possible de déterminer avant l’échange la quantité de travail immédiatement privé, dépensée dans la production, qui recouvrira la forme de la monnaie ; à savoir, ce qui sera validé comme médiatisé socialement à travers la métamorphose avec la marchandise produite par un travail considéré comme immédiatement social. La critique de Proudhon par Marx dans le chapitre sur l’argent que l’on peut trouver dans les Grundrisse est considérée comme fondamentale pour comprendre le double caractère du travail. Comme Backhaus le montre,

Marx déduit le concept de « travail social » et découvre une contradiction entre cette forme de travail  et celle, actuelle, qui possède un caractère privé. Cette contradiction est considérée par Marx comme étant la raison par laquelle « le travail se manifeste lui-même dans la valeur » ou, en d’autres termes, la raison de l’existence de la monnaie54.

La critique du socialisme proudhonien est, immédiatement et par le même fait, l’exposition de la théorie de la forme de la valeur, ainsi que la déduction conceptuelle de la forme-monnaie à partir de la constitution sociale d’une société des producteurs privés et autonomes. Sans la compréhension de la connexion entre la monnaie et la forme de la dépense de travail, la théorie marxienne de la valeur perd sa spécificité et se trouve reconduite à la théorie ricardienne de la valeur, dans laquelle la quantité de valeur produite peut être déterminée à partir d’un acte subjectif de mesure dans la production. Un certain type de théorie de la valeur-travail passe complètement à côté de la nature de la production capitaliste dans laquelle, comme Marx l’indique, « la production ne fait a priori l’objet d’aucune régulation sociale » et la caractère social du travail « ne s’impose que sous la forme d’une moyenne aveugle55. » La théorie de la valeur possède pour Marx une dimension supra-individuelle qui se déploie indépendamment de la conscience des agents de la production. L’abstraction du travail est un processus, et ne peut être réduit à la généralisation d’un phénomène mental. Le travail abstrait ne doit pas être confondu avec le travail comme activité orientée méta-historiquement. Le travail en tant que tel est une abstraction mentale qui n’a jamais existé sans acquérir une forme sociale déterminée, alors que le travail abstrait est la forme spécifique que le travail acquiert dans une société pour laquelle le métabolisme social avec la nature prend place à travers un système d’échange monétaire reliant les producteurs privés. Comme il l’est souvent répété par Backhaus et Reichelt, la théorie marxienne de la valeur consiste dans la compréhension de « la manière dont la loi de la valeur s’affirme elle-même », c’est-à-dire dans la connaissance de ce processus « objectif » qui se produit dans le dos des agents économiques.

La fracture entre la dimension individuelle de la production et la dimension supra-individuelle de la validation sociale dans l’échange est essentielle pour comprendre la signification du caractère fétiche de la marchandise, que le marxisme a réduit à une banale référence à l’historicité de la valeur et du mode de production capitaliste56. Nous pouvons parler de caractère fétiche parce que les processus de production privés ne possèdent pas de coordination qui les précède outre celle qui se produit par le biais de l’échange entre marchandise et monnaie. La monnaie est le médium qui établit la coordination sociale des processus de production privée, et donc ce qui constitue de cette manière la société « dans le dos » et « par delà la conscience » des agents individuels. Cette coordination sociale est déterminée par un système d’échange entre les marchandises et la monnaie ‒ c’est-à-dire un système d’échange entre des choses.

Le point de vue de l’économie politique assume comme non-problématiques l’échange universel des marchandises et la forme de la valeur. La même chose est vraie pour ce qui concerne l’organisation capitaliste du travail. Et c’est pourquoi il est incapable de comprendre la « distorsion» et le « déplacement/décentrage » de rapports sociaux établis par le moyen de choses. Backhaus prétend que « l’économie  académique est obligée de considérer la valeur ou la forme de la valeur comme “une chose extérieure aux êtres humains” (Sache ausser dem Menschen) : la monnaie est comparée à ces formes mathématiques (comme la ligne ou le nombre) qui ne peuvent être déduites que de manière incertaine par l’être humain57.» En suivant Marx, Backhaus décrit les catégories de l’économie politique comme des « formes défigurées » (Verrückte Formen). Les catégories économiques sont des formes distordues, mutilées, déplacées. Elles sont la transposition et la projection du sensible sur le supra-sensible. Or la théorie économique ne connait que l’aboutissement de cette distorsion et déplacement. Par conséquent, la tâche de la  critique de la théorie économique est précisément de rendre visible la genèse de ces Verrückte Formen, à savoir leur origine humaine.

En reconstruisant la théorie marxienne de la forme de la valeur, Backhaus et Reichelt ont saisi la signification du processus d’autonomisation des rapports sociaux décrit par Adorno. Il s’agit de la manifestation extérieure de la contradiction fondamentale du mode de production capitaliste : le double caractère du travail qui produit les marchandises. Á cause de cette contradiction, la socialisation du travail se produit indépendamment de la dépense de travail, par un système d’échange monétaire entre producteurs privés, qui génère la forme autonome du mouvement de la société : son caractère fétiche. Grâce à cette compréhension du caractère fétiche de la marchandise, Backhaus et Reichelt sont à la hauteur de ce qu’Adorno considérait comme essentiel pour une théorie critique de la société : non seulement le déchiffrement de la « genèse sociale » de l’autonomisation de la société, mais aussi la compréhension de l’ « oubli » de cette genèse, qui précisément conduit au fétichisme. L’échange  marchand monétaire universel des « choses » sur le marché constitue les caractère sociaux historiques spécifiques de la production capitaliste considérés comme si ils étaient les attributs « naturels » de ces choses. L’oubli de la genèse de l’autonomisation de la société s’origine dans ce Schein, dans cette « fausse apparence », dans ce semblant. Le fait de rendre éternel le mode de production capitaliste se déploie à partir de cette réalité « objective » elle-même, à partir de son caractère fétiche. Et l’oubli de la genèse se trouve ainsi accompli.

Critique et discussion

Nous pensons que la théorie marxienne de la valeur, la manière dont elle porte l’accent sur la forme de la valeur et, plus généralement, l’horizon conceptuel proposé par la NML, sont cruciaux pour une compréhension correcte du Capital. Mais nous pensons dans le même temps qu’il est possible d’instaurer un dialogue critique58avec la NML. Cet article a essentiellement consisté pour l’instant en une exposition des positions de ce courant, et nous considérons qu’il est important d’évoquer à présent certains problèmes. Quelques-uns ont à voir avec certaines difficultés posées par la déduction opérée par Marx. D’autres concernent l’insistance de la NML sur la critique de l’économie politique, comme si le geste critique propre à Marx n’était pas aussi sûrement qu’il l’aurait voulu définissable comme tel59. Et le risque serait ici de faire retour sur un Marx philosophe contre un Marx économiste ‒ un cloisonnement universitaire qui est étranger à Marx lui-même.

Selon nous, la NML accorde une attention insuffisante aux complexités des notions marxiennes de travail abstrait, de valeur et de monnaie (plus spécialement dans les chapitres 1-3 du Capital, livre I), aussi bien qu’à la manière dont Marx fonde le capital comme rapport social (dans les chapitres 4-7). Si nous reconstruisons la dialectique marxienne de la valeur, de l’argent et du capital, nous pouvons voir que le caractère bifide de la marchandise, comme valeur d’usage et valeur, renvoie à la nature bifide du travail qui la produit. Le travail (comme activité) est « concret » dans la mesure où il produit la marchandise comme valeur d’usage, et abstrait en ce qu’il produit la valeur. La difficulté est ici que les valeurs d’usage et les travaux concrets ne sont pas homogènes, et par conséquent incommensurables. La valeur, au contraire, est pour Marx du travail cristallisé, une quantité homogène, qui est commensurable en tant que telle, au moins lorsque nous jetons un œil non à la marchandise simple, mais à la totalité des marchandises. Et la NML s’écarte de Marx lorsqu’elle insiste sur le fait que la commensurabilité est dérivée du seul échange.

Jetons plus précisément un œil sur ce point. Dans Le Capital I.1 et I.2, la « valeur » est cachée dans la marchandise et n’est rien d’autre qu’un fantôme. Il nous reste dès lors à montrer comment cette entité « purement sociale » peut acquérir une existence matérielle. Avant l’échange, ce que nous semblons trouver en face de nous consiste en des travaux concrets, s’ « incarnant » dans des valeurs d’usage qui sont incommensurables. Dans Le Capital I.3, Marx s’attache à démontrer qu’il se produit un « dédoublement » de la marchandise/monnaie qui correspond à la dualité valeur d’usage/valeur au sein de la marchandise. Une fois qu’une marchandise déterminée ‒ par exemple de l’or ‒ joue le rôle de l’équivalent universel, le fantôme qu’est la valeur se trouve en mesure de prendre possession d’un « corps ». La monnaie est à présent valeur, qui se trouve incarnée dans la valeur d’usage de l’or. Le travail abstrait contenu dans les marchandises se trouve exposé dans le travail concret incarné dans l’or considéré comme monnaie, et le travail privé devient de cette manière social. La monnaie est l’équivalent universel, ex post la validation du travail abstrait « immédiatement privé » (et seulement « médiatisé socialement »). Mais il s’agit aussi de « l’incarnation individuelle » (Inkarnation) de la valeur, le résultat du seul travail qui compte comme immédiatement social, à savoir le travail producteur d’or (comme monnaie). Dans cette perspective, « la monnaie comme marchandise » représente le lien essentiel connectant la valeur au travail. Or ce point central a échappé à l’attention de la NML.

Grâce à ce lien ou cette équivalence entre le travail (abstrait) producteur provisoirement de marchandises et le travail (concret/privé) produisant la monnaie comme marchandise, Marx fonde la possibilité de traduire les grandeurs monétaires en grandeurs de travail, donnant place à la notion d’une expression monétaire du temps de travail socialement nécessaire. La NML a raison d’insister sur le fait que cette équivalence est établie via l’échange sur le marché de marchandises, plutôt que par la seule production. Cependant, Marx a toujours insisté sur le fait que la commensurabilité ne se déploie pas de la monnaie jusqu’aux marchandises, mais plutôt dans la direction opposée. L’ « exposition » de la valeur des marchandises dans la valeur d’usage de la marchandise-monnaie est un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur ; il s’agit d’une « expression » (Aussdruck) du contenu par la forme. L’unité entre la production et la circulation est établie sur le marché, mais cette unité actualise un mouvement procédant de l’intérieur (production) vers l’extérieur (l’échange). Dès lors, comment cette tension peut-elle être résolue ?

Selon nous, l’argument de Marx consiste en ce que les valeurs, comme temps de travail humain vivant cristallisé dans une abstraction ‒ après la production, et avant l’échange ‒ comptent comme grandeurs « idéales » de la monnaie telle qu’elles peuvent être anticipées par les agents. (Il s’agit de la Vostellung). Or, les marchandises se présentent sur le marché avec un prix. D’un côté, l’équivalence entre marchandise et monnaie équivaut à une égalisation sur le plan de la substance. D’un autre côté, le montant d’argent « idéal » est une « représentation mentale » de l’or comme argent « réel ». La monnaie sert de règle de mesure « externe » pour la grandeur de la valeur ; sa mesure « immanente » correspondant au temps de travail dépensé dans la production (comme quantité socialement nécessaire). Toutefois, cette dernière dimension doit être validée par la forme monétaire dans la circulation. L’échange de marchandises est la sphère dans laquelle l’acte de mesure a réellement lieu60.

Backhaus a raison en faisant valoir que la « circulation universelle de marchandises » doit toujours être considérée comme intrinsèquement monétaire. Les catégories de Warenaustausch et Zirkulation le sont en effet essentiellement. « L’échange » ne peut être considéré comme un « échange de produits » assimilable au troc (unmittelbare Produktenaustausch), avec les problème inhérents à ce dernier générant la monnaie afin de les solutionner. Mais, à ce point précis, la détermination quantitative par Marx de la « valeur de la monnaie » s’avère décisive. La valeur de la monnaie représente en effet l’inverse de « l’expression monétaire du temps de travail (socialement nécessaire) » : à savoir combien de temps de travail est représenté dans une unité  monétaire. Dans la première section du Capital, Livre I, la valeur de la monnaie est fixée au niveau de la production d’or ‒ c’est-à-dire au point d’entrée de l’or dans le circuit monétaire. L’or est ainsi échangé dans un premier temps comme simple marchandise, contre toutes les autres. Cet échange n’est pas de forme monétaire, mais renvoie plutôt à une forme immédiate de troc (le terme allemand est ici sans équivoque : unmittelbarem Tauschhandel). Une fois qu’il a pénétré le marché par cette voie, comme « produit immédiat du travail », à sa source de production (qui doit être échangé avec d’autres produits du travail de valeurs égales), l’or fonctionne comme monnaie.  À partir de là, la valeur de la monnaie peut être considérée comme donnée avant l’échange final. Cette forme finale implique que la valeur exerce sa domination sur les producteurs dès le processus de production, avant l’échange, de sorte que le travail vivant soit déjà considéré comme abstrait.

Le fait que la monnaie soit considérée comme une marchandise dans la déduction opérée dans les trois premiers chapitres n’est pas particulièrement problématique. Nous nous trouvons à un endroit où les objets de connaissance explicites sont produits sous la forme de marchandises et de l’argent considéré comme l’équivalent universel. En d’autre terme, la production est présupposée. L’argument devient fragile quand nous nous déplaçons vers le niveau où l’objet de connaissance devient la production capitaliste de marchandise comme procès temporel, débutant avec l’achat et la vente de la force de travail, et procédant de la face cachée de la production. Nous pensons que, à ce point précis, nous nous trouvons dans un monde au sein duquel la monnaie ne peut plus être considérée comme une marchandise. Le défi théorique est ici de prolonger la théorie monétaire (travail) de la valeur en une théorie monétaire (capitaliste) de la production. En suivant ces lignes, il est possible d’affirmer que la production doit être validée antérieurement par un financement non-marchand (les banques) de l’achat et de la vente de la force de travail. Dans ce cas, le travail vivant comme abstraction peut être rendu homogène par un processus monétaire avant l’échange final. L’argument marxien à propos du mouvement allant de la production à l’échange doit être totalement sauvé. La NML des origines ne s’est pas engagée sur ce terrain, laissant la théorie marxienne de la marchandise et de la monnaie inachevée.

Un autre point où la NML s’arrête trop tôt, sur le plan des étapes de l’argumentation de Marx, concerne la constitution (Konstitution) de la totalité capitaliste. Sous les rapports sociaux capitalistes, les procès d’inversion caractéristiques du monde de la marchandise et de l’argent sont en quelque sorte confirmés et approfondis. Sur le marché du travail, les êtres humains deviennent les « personnifications » des marchandises qu’ils vendent, la force de travail ou le travail « potentiel », qui est la marchandise dont les travailleurs deviennent le simple appendice. Dans la production, le travail vivant est lui-même organisé et reconfiguré par le capital comme « valeur en procès ». Ainsi, encore une fois, le travail vivant, comme activité abstraite des travailleurs salariés générant la richesse capitaliste abstraite, s’impose comme le véritable sujet reconduisant les êtres humains concrets qui s’y rapportent au statut de prédicat.

Pour s’auto-fonder effectivement, la valeur doit être produite par la valeur générant une survaleur. Mais le travail mort ne peut pas produire du travail mort en surplus. Ce qui est nécessaire pour le capital, c’est d’internaliser dans la production l’activité susceptible de transformer telle quantité de travail mort en une plus grande quantité : c’est-à-dire transformer la seule « altérité » en travail mort qui correspond au travail vivant des êtres humains. La valeur, comme fantôme doit se transformer en capital, comme un vampire. Les travailleurs sont insérés dans le capital (travail mort) comme une altérité interne (travail vivant), pour suivre l’expression lumineuse de Chris Arthur.

La notion marxienne de capital comme « valeur s’auto-valorisant » semble très proche du concept hégélien d’Idée absolue, en ce qu’elle cherche à s’actualiser en reproduisant la totalité de ses conditions d’existence. Comme Adorno l’aurait affirmé, « le tout est le non-vrai » (« Das Ganze ist das Unwahre »). Dans un sens, la NML peut être considérée comme un long et conséquent commentaire de cette phrase, avec l’ambition de lui fournir une fondation ultime dans la critique de l’économie politique. Toutefois, la vie-zombie du capital dépend de conditions sociales : il doit gagner la lutte des classes dans la production. Il doit vampiriser la vie des travailleurs, de sorte qu’il reviennent à la vie comme « morts-vivants ». Les travailleurs peuvent résister à cette incorporation comme moment interne du capital, et ces « obstacles » (Schranke) et « barrières » surmontables peuvent devenir des « limites » (Grenze) insurmontables si le conflit se transforme en antagonisme. Le point décisif ici est qu’il n’est pas possible d’avoir du travail sans l’extraire hors de la force de travail. Il n’est pas possible d’utiliser la force de travail sans « consommer-épuiser » les corps des travailleurs, considérés comme les porteurs vivants de la force de travail. Le capital ne produit que grâce à ce type spécifique de « consommation » qui crée une « contradiction » spécifique61. Et tel est bien le pilier de  la théorie de la valeur-travail  comme la seule théorie marxienne faisant remonter la nouvelle valeur ajoutée dans la production au travail vivant dépensé par les travailleurs62.

L’anamnèse de la genèse ‒ l’héritage adornien présent dans la NML ‒ se déploie ici par une certaine manière de rendre compte de la réalité paradoxale du capitalisme à partir de ses sources : le travail vivant résultant de l’exploitation des travailleurs salariés en tant que porteurs vivants de la force de travail. Et il s’agit bien d’un discours critique et révolutionnaire à propos de la Konstitution du capital.

Traduit de l’anglais par Vincent Chanson.

Article initialement paru dans Radical Philosophy (N°189, janv-fev 2015), reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur et des auteurs.

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  1. Un problème important posé par la littérature non-allemande sur Marx est celui du manque de rigueur dans la traduction de ses catégories-clés ‒ pour la plupart, mais pas seulement, celles provenant de Hegel (une exception récente et notable est celle de la traduction italienne de Roberto Fineschi). Dans cet article, nous avons adopté une version légèrement modifiée des conventions adoptées par Riccardo Bellofiore dans son article Lost in translation : Once again on the Marx-Hegel Connection dans Fred Moseley et Toni Smith (sous la direction de.), Marx’s Capital and Hegel’s Logic, Brill, Leiden et Boston, MA, 2014. Par exemple, en suivant Hegel, le terme Schein renvoie à des phénomènes de surface considérés comme essentiels. Une telle description de la réalité capitaliste signifierait son caractère illusoire, de simple apparence prise dans ce sens. Le verbe Scheinen sera ici traduit par « paraître ». Erscheinung, c’est-à-dire « apparence » ou « manifestation (phénoménale) » renvoie à la manière dont ces phénomènes de semblance apparaissent et se manifestent (erscheinen). Il s’agit de la manifestation nécessaire de l’essence, la manière dont elle ne peut se manifester autrement qu’à un niveau phénoménal. Quand nous utilisons «apparaître » ou « apparence », le lecteur doit être au fait que nous renvoyons aux termes erscheinen ou Erscheinung. Le terme de Darstellung sera traduit par « exposition », «présentation » (de même que les verbes qui peuvent être corrélés à darstellen). Il s’agit d’évoquer le procès d’exposition du système qui doit nécessairement être appréhendé du point de vue de la reconstruction logique du tout. Si ce qui est exposé est reconnu comme tel, comme résultant d’un procès complexe de médiations, alors il s’agit bien d’une « apparence » ou d’une « manifestation ». Si cela ne l’est pas, alors il s’agit plutôt d’une « illusion ». Malheureusement, dans beaucoup de traductions, Darstellung est traduit par « représentation », et darstellen par « représenter », alors que ces termes renvoient plutôt à ceux de vorstellen et de Vorstellung. La Vorstellung est une représentation mentale ou notionnelle : une forme d’anticipation idéale-idéelle, ou encore la manière dont les agents saisissent les formes capitalistes. D’autres conventions de traductions seront explicités plus loin dans le texte. []
  2. Le terme Neue Marx-Lektüre est utilisé par Backhaus dans la troisième partie de Materialien zur Rekonstruktion der Marxschen Werttheorie 3  dans Hans-Georg Backhaus (sous la direction de.), Gesellschaft, Beiträge zur Marxschen Theorie 11, Suhrkamp, Francfort, 1978. D’autres textes importants dans sa constitution comme courant : Helmut Reichelt, Neue Marx-Lekture. Zur Kritik sozialwissenschaftlicher Logik, VSA Verlag, Hambourg, 2008; Ingo Elbe, Marx im Western. Die Neue Marx-Lekture in der Bundesrepublik seit 1965, Akademie Verlag, Hambourg, 2008; Michael Heinrich, An Introduction to the Three Volumes of Karl Marx’s Capital, Monthly Review Press, New York, 2012 ; et Between Marx, Marxism, and Marxisms – Ways of Reading Marx’s Theory, http://viewpointmag.com/2013/10/21/between-marx-marxism-and-marxismsways-of-reading-marxs-theory. Pour une analyse plus ample des débats allemands sur Marx pendant les années 1970, voir Roberto Fineschi, « Dialectic of the Commodity and Its Exposition: The German Debate in the 1970s – A Personal Survey », in Riccardo Bellofiore et Roberto Fineschi (sous le direction de.), Re-reading Marx: New Perspectives after the Critical Edition, Palgrave, New York, 2009. []
  3. Hans-Georg Backhaus, Dialectique de la forme de la valeur, trad. Serge Niemetz, Critique de l’économie politique 18, Maspéro, Paris, oct-dec 1974, p. 5. []
  4. Hans-Georg Backhaus, Dialektik der Wertform. Untersuchungen zur Marxschen Ökonomiekritik, ça ira Verlag, Fribourg, 1997, p.29. Voir aussi Reichelt, Neue Marx-Lektüre, p.11. []
  5. Hans-Georg Backhaus, « Dialectique de la forme de la valeur », op.cit., p.13. La catégorie de « dédoublement » est aussi présente dans l’édition de 1872 du Capital : non pas dans l’exposition de la forme de la valeur dans le chapitre 1, mais dans les chapitres 2 et 3. []
  6. Helmut Reichelt, Neue Marx-Lektüre, op. cit., p.11. []
  7. Sur les rapports de la Neue Marx-Lektüre avec la théorie critique de la société d’Adorno, voir Werner Bonefeld, Critical Theory and the Critique of Political Economy : On Subversion and Negative Reason, Bloomsbury, Londres/New-York, 2014. []
  8. Lorsque Marx utilise l’adjectif gegenständlich, le plus souvent il veut signifier l’idée de « devenir objectif », c’est-à-dire l’objectivité en tant qu’elle s’impose ou fait face aux êtres humains (quelque chose qui a à voir avec le procès de travail comme activité). Le terme est assez difficile à traduire en anglais et français. Ici et dans les pages qui suivent, nous avons opté pour le terme « objectif/objectivité ». []
  9. Hans-Georg Backhaus, « Between Philosophy and Science : Marxian Social Economy as Critical Theory », in Werner Bonefeld, Richard Gunn et Kosmas Psychopedis (sous la direction de.), Open Marxism, vol.1, Pluto Press, Londres, 1992, p.57. []
  10. Theodor W. Adorno, « Introduction », in Theodor W. Adorno, Karl Popper, De Vienne à Francfort, la querelle allemande des sciences sociales, trad. G. Bastyns, J. Dewitte, R. Guardans, S. Pahaut, I. Stengers, E. Szyncer, M. Van Berchen, Complexe, Paris, 1979, p.16. []
  11. Theodor W. Adorno, Dialectique négative, trad. Collège de Philosophie, Payot, Paris, 1978, 2001, p.340. []
  12. Theodor W. Adorno, « Introduction », op.cit., pp.18-19. []
  13. Theodor W. Adorno, « Introduction », op.cit., p.16. []
  14. La totalité selon Adorno est une catégorie a parte obiecti qui préforme l’objet lui-même. Le modèle d’une description cohérente et non-contradictoire de la société est inadéquat à la chose elle-même. C’est la raison pour laquelle le concept adornien d’une société considérée comme totalité ne doit pas être confondu avec l’idée triviale de Hans Albert selon laquelle « tout serait lié avec tout ». Voir Hans Albert, « Le mythe de la raison totale » in Theodor W. Adorno, Karl Popper, De Vienne à Francfort, la querelle allemande des sciences sociales, op.cit., p.151. n. 26. []
  15. Theodor W. Adorno, Introduction to Sociology, Polity Press, Cambridge, 2000, p.31. []
  16. Theodor W. Adorno, « Sociologie et recherche empirique », in Theodor W. Adorno, Karl Popper, De Vienne à Francfort, la querelle allemande des sciences sociales, op.cit., p.69. []
  17. Ibid. []
  18. Theodor W. Adorno, « Über Marx und die Grundbegriffe der soziologischen Theorie. Aus einer Seminarschrift im Sommersemester 1962 », in Backhaus, Dialektik des Wertform, p.507. Une traduction anglaise par V. Erlenbusch et C. O’Kane est à paraître dans la revue Historical Materialism. []
  19. Theodor W. Adorno, Introduction to Sociology, op.cit., p.32. []
  20. Theodor W. Adorno, « Über Marx und die Grundbegriffe der soziologischen Theorie. Aus einer Seminarschrift im Sommersemester 1962 », op.cit., pp.507-508. []
  21. Alfred Sohn-Rethel, Geistige und körperliche Arbeit. Zur Epistemologie der abendländischen Geschichte, VCH Verlagsgesellschaft, Weinheim, 1989, p. 223. []
  22. Ibid., p. 226. []
  23. Helmut Reichelt, Neue Marx-Lekture, op. cit., p. 30. []
  24. Helmut Reichelt, « Marx’s Critique of Economic Categories: Reflections on the Problem of Validity in the Dialectical Method of Presentation in Capital », Historical Materialism 4, 2007, pp. 6–7. []
  25. Alfred Schmidt, « On the Concept of Knowledge in the Criticism of Political Economy », in VV.AA., Karl Marx 1818–1968, Inter Nationes, Bad Godesberg, 1968, p. 94. []
  26. Hans-Georg Backhaus, Dialektik der Wertform, op. cit., pp. 129–212. []
  27. Helmut Reichelt, « Why Did Marx Conceal His Dialectical Method ? », in Werner Bonefeld, Richard Gunn and KosmasPsychopedis (sous la directionde.), Open Marxism, vol. 3, Pluto Press, Londres, 1995, p. 58. []
  28. Helmut Reichelt, Zur logischen Struktur des Kapitalsbegriffs bei Marx, Europäische Verlangsanstalt, Francfort, 1970, p. 24. []
  29. Alfred Schmidt, « On the Concept of Knowledge in the Criticism of Political Economy », op.cit., p.94. []
  30. Hans-Georg Backhaus, « Some Aspects of Marx’s Concept of Critique in the Context of his Economic-Philosophical Theory », in Werner Bonefeld and Kosmas Psychopedis (sous la direction de.), Human Dignity: Social Autonomy and the Critique of Capitalism, Ashgate, Aldershot, 2005, p. 18. []
  31. Ibid., p.22. []
  32. Ibid., p.24. []
  33. Alfred Schmidt, « On the Concept of Knowledge in the Criticism of Political Economy », op.cit., pp.95-96. []
  34. Alfred Schmidt, History and Structure: An Essay on Hegelian-Marxist and Structuralist Theories of History, MIT Press, Cambridge MA, 1981, p. 31. []
  35. Selon Schmidt, c’est la raison pour laquelle le chapitre concernant la genèse historique du mode de production capitaliste se trouve inclu seulement à la fin du livre I du Capital : « Marx n’aurait pas réussi à déployer le contenu des présupposés historiques de l’émergence du capital si il n’avait pas tout d’abord saisit l’essence de ce dernier d’un point de vue théorique. Il n’aurait même pas su où et comment les trouver.» Alfred Schmidt, History and Structure: An Essay on Hegelian-Marxist and Structuralist Theories of History, op.cit., p.33. []
  36. Helmut Reichelt, Zur logischen Struktur des Kapitalsbegriffs bei Marx, op. cit., pp.76-77, 80. []
  37. Ibid., pp.81-82. []
  38. Karl Marx, Le Capital, Critique de l’économie politique, Livre I, trad. Jean-Pierre Lefebvre (sous la direction de.), PUF, Paris, 1983, 1993, p.174. Marx emploie le terme übergreifen selon une double signification. En suivant les traducteurs de l’encyclopédie de Hegel, la première signification renvoie  à la catégorie d’Aufhebung, à savoir à la compréhension spéculative des différents moments opposés et contradictoires du procès dialectique, un mouvement d’abolition-conservation. Ou comme universalité qui ressaisit-réunit les singularités et particularités, de la même manière que la pensée se saisit de ce qui est autre d’elle-même. Ainsi, le devenir-déploiement du Subjetkt comme Geist inclut l’objectivité et la subjectivité. La seconde signification renvoie à celle de « dépassement », ou encore à un processus d’expansion tendant à devenir dominant. []
  39. Helmut Reichelt, Zur logischen Struktur des Kapitalsbegriffs bei Marx, op. cit., p.77. []
  40. Voir Hans-Georg Backhaus, Dialektik der Wertform, op. cit., pp.302-303. []
  41. Friedrich Engels, « Recension de la Contribution à la critique de l’économie politique », in Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, trad. Guillaume Fondu et Jean Quetier, Editions Sociales, Paris, 2014, p.224. []
  42. Friedrich Engels, Complément et supplément au livre III du Capital, consultable en ligne : https://www.marxists.org/francais/engels/works/1895/05/fe_18950500a.htm. []
  43. Hans-Georg, Backhaus, Dialektik der Wertform, op.cit., p. 277 ff. []
  44. Hans-Georg, Backhaus, Materialien zur Rekonstruktion der Marxschen Werttheorie 3, op.cit., p.150. []
  45. Hans-Georg Backhaus, « Sulla problematica del rapporto tra “logico” et “storico” nella critica marxiana dell economica politica », in Dialettica della forma di valore, Riccardo Bellofiore et Tommaso Redolfi Riva (ed.), Riuniti, Rome, 2009, p.504. []
  46. Helmut Reichelt, Zur logischen Struktur des Kapitalsbegriffs bei Marx, op. cit., p.151. []
  47. Ibid., p. 165. []
  48. Karl Marx, « The Commodity. Chapter One, Volume One, of the first edition of Capital », in Albert Dragstedt (sous la direction de), Value : Studies by Karl Marx, New Park Publications, Londres, 1976, p.20. []
  49. Helmut Reichelt, Zur logischen Struktur des Kapitalsbegriffs bei Marx, op. cit., pp.163-164. []
  50. Ibid., p.165. []
  51. Chez Marx, le « prix naturel » est déterminé par le temps de travail, comme chez les économistes politiques classiques, mais ceci en connaissant des déviations continues, causées notamment par la concurrence/compétition capitaliste et par le changement technique, mais aussi par le rôle crucial du besoin social dans la répartition des différentes branches de la production d’une certaine part du travail (i.e. total) social. []
  52. Helmut Reichelt, Zur logischen Struktur des Kapitalsbegriffs bei Marx, op. cit.,pp.245-246. []
  53. Ibid., p.250. []
  54. Hans-Georg Backhaus, Dialektitk der Werform, op.cit., p.265. []
  55. Karl Marx et Friedrich Engels, Complete Works, vol.43, Laurence and Wishart eBooks, p.69. []
  56. Dans ce qui suit, comme dans Bellofiore « Lost in translation. Once Again on the Marx-Hegel Connection », nous distinguons la catégorie de « caractère fétiche » du fétichisme : « Le caractère fétiche ‒ la nature objective, chosale, et aliénée de la réalité sociale capitaliste ‒ possède une réalité effective : une Erscheinung. Ce qui est illusoire, ce qui relève de l’apparence ou du Schein, et qui consiste à considérer les propriétés sociales des choses elles-mêmes comme des propriété naturelles : ceci relève du Fétichisme/Fetischismus. []
  57. Backhaus, Dialektik der Wertform, op.cit., p.308. []
  58. Cette section de l’article expose principalement les positions d’un des deux auteurs (Riccardo Bellofiore). []
  59. L’argument qui suit est essentiellement basé sur Bellofiore, « Lost in translation : Once Again on the Marx-Hegel Connection » et « Marx and the Monetary Foundations of Microeconomics », in Riccardo Bellofiore et Nicola Taylor (sous la direction de.), The Constitution of Capital : Essays on Volume I of Marx’s Capital, Palgrave Macmillan, Basingstoke, 2004. []
  60. Ces distinctions entre mesure/unité de mesure/activité de mesure ont été explicitées par Roberto Fineschi dans Ripartire da Marx, La città del sole, Naples, 2001. []
  61. Massimiliano Tomba, Marx’s Temporalities, Brill, Leiden et Boston MA, 2012. []
  62. Notons que cet argument ne dépend par de la monnaie considérée comme marchandise. []
Riccardo Bellofiore et Tommaso Redolfi Riva