L’art est-il une marchandise ?

Quel rapport art et capitalisme entretiennent-ils ? Cette question a été au centre des réflexions des théoriciens du « marxisme occidental » au long du XXe siècle. Mais là où leur attention s’est presque exclusivement focalisée sur les phénomènes de circulation et de marchandisation de l’art, Dave Beech, dans Art and Value, dont nous traduisons ici l’introduction, nous invite à réinscrire cette problématique dans le cadre des débats sur la transition au capitalisme en tant que mode de production spécifique. Et là où les réflexions se sont jusqu’à présent essentiellement concentrées sur le rôle de la culture dans le capitalisme, Beech souligne la nécessité d’engager le projet d’une véritable analyse économique de l’art, de ses relations au capital davantage encore qu’au capitalisme en général. Dès lors l’enjeu devient de déterminer non seulement comment l’art est intégré aux circuits internationaux des marchandises, mais si sa production elle-même intègre ou non les rapports sociaux capitalistes, la division du travail qui lui est inhérente, autrement dit quel est le mode de production de l’art. Tel doit être, nous assure Beech, « le fondement de toute explication adéquate de l’exceptionalisme économique de l’art ainsi que de toute politique de l’art, au sein du capitalisme et contre le capitalisme ».

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Il y a eu une convergence extraordinaire des sciences économiques mainstream et des analyses culturelles marxistes. Les deux affirment avec conviction que l’art n’est qu’une marchandise, qu’il l’a toujours été, ou bien qu’il l’est récemment devenu. En 2010, l’économiste Clare McAndrew affirmait : « la réalité c’est que l’art est produit, acheté, et vendu par des individus et des institutions travaillant au sein d’un tissu économique ne pouvant contourner les contraintes matérielles et les contraintes du marché1 ». Cinq ans plus tôt, l’historien marxiste de l’art Julian Stallabrass déclarait que les « artistes se blottissent dans le giron du marché2 » (artists are snug in the market’s lap’). Tyler Cowen, un économiste néolibéral écrivant en 1998, insistait sur le fait que les « artistes sont soumis aux contraintes économiques, tout comme le sont les autres entrepreneurs3 ». Élargissant le cadre historique, le philosophe allemand Theodor Adorno, l’un des pionniers de la théorie marxiste de l’intégration de l’art au capitalisme, écrivant dans les années 1930, arguait que « [l]es productions de l’esprit dans le style de l’industrie culturelle ne sont plus aussi des marchandises mais le sont intégralement4 ». On ne peut rien accomplir dès lors que l’on nie le fait que l’art ait été transformé par les évolutions qu’a introduites la société capitaliste. L’art a souvent adopté non seulement les innovations technologiques du capitalisme mais aussi ses plus récentes formes de management, marketing et valeurs, sans parler du style visuel de la publicité, de la culture populaire et de l’administration. Rien de tout cela n’a échappé à l’attention des observateurs quant aux rapports apparemment chaleureux qu’entretiennent l’art et le capitalisme, mais ce qui a été omis est la différence entre, d’un côté, l’intégration culturelle, sociale et politique de l’art au capitalisme, et de l’autre, son intégration économique.

Mon point de départ n’est pas le simple constat d’un accord entre la gauche et la droite quant au fait que les œuvres d’art sont des marchandises comme les autres, mais les différentes tonalités spécifiques sur lesquelles ce consensus est exprimé. Il y a, par exemple, une différence importante dont il faut tenir compte entre le fait d’affirmer que l’art a été intégré au capitalisme en vertu de l’emprise sociale et subjective que le capitalisme a sur les artistes, et que le marché de l’art a marchandisé (commodified) l’art. Il y a également une différence entre défendre l’idée que les œuvres d’art sont des marchandises dans la mesure où elles sont échangées sur le marché et défendre, par exemple, que des artistes tels que « Beethoven et Michelangelo, qui ont vendu leurs œuvres avec profit, étaient des entrepreneurs et des capitalistes5 ». De même, c’est une chose que de dire que les musées d’art appartiennent de plus en plus au secteur économique de l’industrie touristique et c’en est une autre que de dire que les artistes se « labellisent » eux-mêmes (« brand » themselves) en produisant des œuvres reconnaissables ; deux arguments distincts qui apparaissent souvent ensemble, comme si la « professionnalisation » de l’art était simplement postulée de façon systématique. Malgré l’analogie apparente, nous ne devons également pas confondre l’argument selon lequel il y a un excédent de main d’œuvre artistique avec la surabondance de l’existence de la « matière noire » artistique, c’est-à-dire, « la vaste étendue que représente l’activité culturelle6 » qui ne transite pas par le marché de l’art ; en partie parce que le concept d’« excédent » suppose un marché déterminé par le consommateur (dans le cas présent : l’employeur du travail salarié) alors que la « matière noire » du monde de l’art est délibérément et consciencieusement « improvisée, amateur, informelle, non-officielle, autonome, activiste, non-institutionnelle, auto-organisée7 ». Ce que je cherche à suggérer, c’est qu’il ne s’agit pas simplement de différences dans l’accent mis sur un point ou un autre, mais qu’il s’agit là de symptômes d’un manque de preuves quant à la transformation économique de la production artistique par l’échange de marchandises.

Chaque fois que la théorie de la marchandisation de l’art est exposée, c’est, semble-t-il, pour laisser une place à la critique de cet état de fait, par l’affirmation du caractère singulier de l’art, de sa vocation indépendante des motivations et des mécanismes du marché. Stallabrass met en évidence cette idéologie dans les déclarations de riches collecteurs, puissants curateurs et artistes célèbres, tous ayant un intérêt manifeste à ce que l’art apparaisse comme étant indépendant du marché. De la même manière, Cowen est lui-même parti d’un large spectre de « pessimistes de la culture », principalement de gauche, esthètes et romantiques, qui « croient typiquement que l’économie de marché corrompt la culture8 ». À l’évidence, les opposants ne restent pas toujours à la place qui leur a été allouée : Stallabrass est un auteur de gauche qui croit que l’économie de marché corrompt la culture, mais il affirme néanmoins que l’art est en fait largement intégré au marché, alors que Cowen se montre en faveur de la commercialisation et ne croit pas que l’art soit corrompu par le marché, non pas parce qu’il accepte l’idéologie selon laquelle l’art évolue dans une sorte de sphère privilégiée planant au-dessus des considérations commerciales, mais parce qu’il souscrit à l’idée que le marché favorise la liberté, l’autonomie et la créativité. La critique que je formule vis-à-vis des diverses théories de la marchandisation de l’art ne résulte pas de la conviction que l’art est trop élevé pour être analysé économiquement ou que les artistes sont trop passionnés par l’art pour être influencés par leur propre intérêt financier. Dans ce livre, je ne cherche pas à questionner la structure des arguments qui tendent à défendre ou à réfuter l’idée que le marché de l’art contemporain influence puissamment les pratiques des artistes et les discours sur ces dernières, ni à prodiguer un jugement théorique sur l’image romantique et idéaliste de l’artiste comme producteur extrêmement individualisé, ne pouvant être corrompu par le marché. Je tiens à porter une attention minutieuse aux différents mécanismes conflictuels mentionnés ou impliqués dans les diverses théories de la production artistique, ainsi que dans la diffusion et la consommation de l’art au sein du capitalisme. Les mécanismes du marché sont certainement présents dans le monde de l’art, tout comme le sont d’autres mécanismes. Je ne présumerais pas du fait que les mécanismes du marché vont toujours dominer les mécanismes discursifs ou les mécanismes d’État, ou encore les mécanismes scolaires. La question de savoir si les mécanismes du marché parviennent ou échouent à faire ressentir leur présence dans l’art doit rester ouverte, en attendant que le succès et l’échec des contre-mécanismes que développent les institutions artistiques afin de protéger l’art de la menace apparente que constituent la commercialisation, la marchéisation (marketisation) et la marchandisation, soient analysés.

Cet ouvrage tente d’analyser dans le détail l’hypothèse selon laquelle la production artistique est semblable à la production marchande au sein du capitalisme. Mon étude consiste à analyser les arguments avancés au sein de l’ensemble de documents qui composent les deux grandes traditions de l’économie de l’art et l’analyse marxiste occidentale des rapports qu’entretient l’art avec le capitalisme. Je ne suis, cependant, ni un économiste ni un marxologue. Je suis un artiste. Ce qui signifie, bien sûr, que je suis précisément le genre d’individu qui, au sein du monde de l’art, fait intrusion dans l’économie culturelle, ce que Ruth Towse déplore dans l’expression « sauvez-nous des amateurs9 ! » L’objectif de ce livre peut, dans une large mesure, se caractériser par son opposition directe à ce slogan technocratique. Bien que mon slogan, en réponse, pourrait bien être « Sauvez-nous des experts ! », je ne m’inscris certainement pas dans la tradition du gentleman esthète amateur qui se sent légitime à exprimer son opinion sur tous les sujets. J’ai tenté bien au contraire d’apprendre tout ce que je pouvais sur les sciences économiques, sans pour autant que l’acquisition de ce savoir ne fasse de moi un expert. En d’autres termes, j’ai saisi toutes les opportunités possibles de mettre à profit mon savoir et mon expérience en tant qu’artiste critique pour défaire les certitudes des sciences économiques, d’autant plus que celles-ci ont été appliquées à l’art sans aucun recul critique. Je me suis également confronté à la tradition du marxisme occidental sans pour autant souscrire à son hypothèse centrale en ce qui concerne les rapports que l’art entretient avec le capitalisme. Il ne fait aucun doute que j’ai commis des erreurs en tentant d’adopter l’analyse de l’économie de l’art de ces deux traditions mais, en même temps, j’espère que ma critique dialogue suffisamment avec celles-ci pour surmonter les accusations qu’elles essuient habituellement et ainsi soulever de nouvelles questions.

Je ne suis pas le premier artiste à essayer d’aborder la question des rapports entre l’art et le capitalisme. Parmi mes prédécesseurs, il est essentiel de souligner l’importance de Bertolt Brecht, qui a écrit sur la transformation de l’art en lien avec l’essor de la culture de masse capitaliste. Asger Jorn, l’artiste avant-gardiste danois qui a été l’un des membres fondateurs du COBRA et de l’Internationale Situationniste, a écrit en 1961 Valeur et économie (Værdi og Økonomi), qui se voulait simultanément critique de l’application de la valeur d’échange à l’art et rejet anti-staliniste des théories marxistes dominantes sur l’art et la production. Au milieu des années 1970, à New York, une génération d’artistes incluant Sarah Charlesworth, Adrian Piper, Mel Ramsden et Ian Burn, ainsi qu’un groupe apparenté, basé à Coventry, auquel participaient Terry Atkinson, Mike Baldwin et David Bainbridge, ont minutieusement réfléchi aux effets de l’art contemporain d’avant-garde en tant que marché en voie de développement. « Alors que cela a pu apparaître autrefois comme une exagération du déterminisme économique que de considérer les œuvres d’art comme de “simples” marchandises dans un échange économique », écrit Ian Burn en 1975, « il est maintenant clairement démontré que notre vie entière est devenue si largement établie en ces termes que nous ne pouvons prétendre le contraire plus longtemps10 ». Ici, Burn pointe en partie du doigt le fait quelque peu choquant que l’Art Conceptuel — qui n’était pas uniquement avant-gardiste et au sein duquel on trouvait, typiquement, parmi les œuvres, des photocopies et textes imprimés auxquels manquaient toutes les qualités reconnaissables du commerce de luxe — a commencé à atteindre des prix jusqu’alors réservés aux toiles et sculptures uniques. Dans le même temps, les constatations de Burn sont sous-tendues par une connaissance des débats sur l’esthétique marxiste depuis les années 1930, mêlant théorie et pratique de telle façon que les deux se supportent mutuellement. Ce n’est pas à ceux que Cowen appellerait « les optimistes de marché » (market optimists) que Burn se confronte, mais à deux positions diamétralement opposées et pourtant tout aussi naïves l’une que l’autre : le déterminisme économique et la négation du marché. Tout au long du livre, nous serons amenés à rencontrer à maintes reprises des variations de ces positions, à travers l’affrontement entre des arguments insistant sur les avantages que peuvent revêtir les tendances du marché pour l’art et a contrario des arguments soutenant l’idée que l’art, dès lors qu’il est aux prises avec les mécanismes du marché, souffre ; mais aussi une opposition entre l’assertion selon laquelle l’art a été réduit à l’état de marchandise, et la posture, inverse, d’une impossible marchandisation de l’art. Mel Ramsden, qui écrit dans le même temps sur un sujet similaire, admet qu’il s’approche « dangereusement près des faiblesses du déterminisme économique » en affirmant que « l’art aventuriste des années 1970 […] [est] devenu un élément fonctionnel du système de marché11 ». L’analyse de Burn concernant la transformation de l’art sous l’effet du business et d’« un marché si puissant que même l’œuvre la plus iconoclaste peut aisément être connue12 » est plus pertinente que la simple affirmation de la récupération et de la marchandisation générale de l’art. Il comprend, par exemple, l’importance du « fait que le temps de l’artiste n’a jamais été considéré comme une marchandise13 ». Burn admet également que l’art n’a pas été placé sous la coupe du capital en étant assujetti aux procédés de productivité, de management et de mécanisation standards : « on respecte donc l’esprit corporatif de l’organisation bureaucratique sans aucune de ses structures explicites14 », dit-il. De telles anomalies, et d’autres du reste, constituent les points nodaux que ce livre est bien déterminé à démêler.

Comment va-t-on pouvoir déterminer si l’art a été affecté, et de quelle manière, par le capitalisme ? Il ne fait aucun doute que le capitalisme a pénétré le champ de l’art de bien des façons, les artistes faisant face aux évolutions de la vie urbaine moderne, aux nouvelles technologies, au développement de la culture pop, à l’existence de l’abondance privée et de la misère publique, etc., etc. Le tourisme mondial à moindre coût et la communication globale instantanée ont transformé l’artiste qui, de bohème et solitaire, travaille dorénavant en réseau international, et le nombre croissant de galeries, musées, curateurs et collecteurs, a ajouté à la vitesse accélérée avec laquelle circule l’information concernant les artistes, des dispositifs pour que l’artiste en souffrance, qui jadis ne rencontrait le succès qu’après sa mort, soit dorénavant déniché, à peine diplômé, par le marché et le musée d’art. Une étude spécifique serait nécessaire pour aborder les nombreuses façons dont l’art et les artistes se sont adaptés à la société capitaliste, je dois cependant laisser de côté tout ce qui ne permet pas de déterminer si l’art correspond au mode de production capitaliste. La nature du mode de production capitaliste, tout comme ses rapports aux modes de production précapitalistes, a été explicitée au cours des débats marxistes sur la transition du féodalisme au capitalisme dans les années 1950 et du « Brenner Debate » dans les années 197015. Si nous adoptons une analyse marxiste du mode de production de l’art, il faut reconnaître que ces débats, qui ne mettaient en aucune façon l’accent sur l’art, ont eu des répercussions énormes sur la question de l’économie de l’art et de l’ontologie politique.

Les différents arts que sont la peinture, la sculpture, la poésie et le théâtre sont antérieurs à cette transition, mais la période qui s’étend entre le XIVe et la fin du XVIe siècle — au cours de laquelle le féodalisme s’est effondré, laissant place à l’émergence du capitalisme — coïncide avec le bouleversement de la Renaissance, qui a mis fin à la domination du système des guildes et a remplacé l’artisan (artisan) par l’artisan (artificer) individuel. Dès le début du XIIIe siècle, tout d’abord dans le champ de la sculpture puis dans celui de la peinture, avec le naturalisme de Giotto, peintres, sculpteurs et architectes ont produit des œuvres qui, dans les termes d’Arnold Hauser, deviennent « non-gothiques », « non métaphysiques », « non symboliques » et « non cérémonielles »16. On pourrait ajouter « non aristocratiques » et « non rurales ». Non seulement le caractère de classe du mécénat a connu un glissement de l’aristocratie à la bourgeoisie, mais à la fin de la période de transition se sont également manifestés des rapports économiques entièrement nouveaux, au sein desquels les collectionneurs, les marchands d’art et la spéculation dans le négoce des œuvres d’art ont fait leur première apparition.

Si, avant à la transition entre le féodalisme et le capitalisme, les peintres et les sculpteurs appartenaient à une guilde et produisaient de l’artisanat pour les clients et les mécènes, à la fin de celle-ci, peintres comme sculpteurs concevaient des œuvres dans un style personnel indépendamment du consommateur. De prime abord, il y a matière à conclure que la progression du capitalisme a transformé l’art, à l’instar d’autres formes de production, et nombre de théories marxistes de l’art tiennent cela pour acquis, mais il nous faut observer de plus près les détails de la transition, de manière à établir les rapports que l’art entretient avec celle-ci. À cette époque, les marchands, qui n’étaient plus des colporteurs se déplaçant de ville en ville, ont accumulé richesse et pouvoir dans les grandes cités et ont, par conséquent, réfuté l’idée physiocratique selon laquelle, dans la théorie économique — et politique — du mercantilisme, toute la richesse provenait des terres et des huissiers.

La première phase du débat sur la transition a été initiée par un échange entre Maurice Dobb et Paul Sweezy après que ce dernier ait contesté la définition du féodalisme ainsi que la théorie de son déclin élaborées par Dobb. D’après Sweezy, Dobb expliquait la chute de la société féodale en insistant trop sur ses contradictions internes, affirmant notamment que le développement des villages et des villes indépendantes des seigneurs féodaux a permis d’établir un pouvoir externe, le marché, dont, en définitive, l’opposition au féodalisme a introduit le capitalisme. De telles questions n’affectent pas l’étude des rapports entre l’art et la transition. Je suis d’avis que la nature même de la transition et son résultat sont plus importants. Il faut tout particulièrement pouvoir distinguer, dans la transition entre le féodalisme et le capitalisme, les deux systèmes sociaux et c’est là un point crucial pour pouvoir déterminer si l’art passe par la même métamorphose. Ce devrait être possible car la controverse, qui s’est principalement concentrée sur les causes et les agents de l’émergence du capitalisme, n’impliquait aucun désaccord quant à la nature même du capitalisme telle que présentée par Dobb. En tant que méthode d’identification du capitalisme, son analyse du mode de production, tirée de Marx, est restée inchangée.

Dans son ouvrage, devenu classique, Études sur le développement du capitalisme, publié pour la première fois en 1947, Dobb différencie le mode de production capitaliste des modes de production précapitalistes en fonction de « la manière dont les moyens de production étaient appropriés, et les relations sociales qui s’établissaient entre les hommes du fait de leur relation avec le procès de production17 ». L’argent et le profit, de même que le marché, le capital et « la thésaurisation monétaire18 », ont précédé le capitalisme. « Ainsi, le capitalisme n’était pas uniquement un système de production pour le marché — un système de production marchande, comme le nommait Marx —, mais surtout un système dans lequel la force de travail était “elle-même devenue une marchandise”, acquise et vendue sur le marché, comme tout autre objet d’échange19 ». Dobb cible en particulier l’opinion largement répandue selon laquelle le capitalisme a été instauré à travers l’introduction et l’extension du libre marché, de l’échange de marchandises et de l’entreprise. Des siècles durant, avant l’avènement du capitalisme, c’est grâce au marché que les marchands ont réalisé des bénéfices. Dobb dit que « la seule existence du commerce et des prêts monétaires et la présence d’une classe spécialisée de marchands ou de financiers […] ne suffit pas à constituer la société capitaliste20 ». Robert Brenner reprend cet axe dans sa propre contribution au débat sur la transition, rejetant ce qu’il nomme le « modèle de la commercialisation ». Brenner soutient que les origines de cette théorie sont à chercher chez Adam Smith et que celle-ci présente des lacunes du fait qu’elle échoue à établir correctement la distinction entre « richesse » et « capital »21. Brenner explique : « Si l’expansion à travers le commerce et l’investissement n’a pas entraîné la transition vers les rapports capitalistes sociaux productifs — qui se manifestent dans l’émergence totale de la force de travail comme marchandise — il ne pourrait y avoir d’accumulation du capital à grande échelle22 ».

À la suite de Marx, Dobb définit le capitalisme « ni dans un esprit d’entreprise, ni dans l’utilisation de monnaie pour le financement d’un ensemble de transactions dont l’objet serait la réalisation d’un gain, mais dans un mode de production spécifique23 ». Ce qui a amorcé l’avènement du capitalisme, ce n’est pas le fait que ces poches isolées de comportements capitalistes se soient répandues au point de dominer, mais que la production soit subordonnée au capital par la marchandisation du travail. Le mode de production a été défini par Marx comme étant constitué des forces de production (essentiellement l’état de la capacité technologique) et des rapports de production. Puisque le mode de production capitaliste n’est pas déterminé par les développements technologiques, ce sont les rapports de production, principalement la division entre une classe de propriétaires ne travaillant pas et une classe de travailleurs non propriétaires, qui caractérisent le capitalisme. Le surplus n’est pas propre au capitalisme. C’est la façon dont le surplus est extrait qui différencie les modes de production. Le mode de production capitaliste est caractérisé par les rapports entre le capitaliste et le travailleur salarié. C’est pourquoi Dobb situe la naissance du capitalisme durant la deuxième moitié du XVIe siècle, avec « la subordination à un capitaliste des artisans travaillant à domicile dans ce que l’on appelle le système du “putting-out”24 », dans lequel les marchands, qui avaient jusque là fait le commerce des matières premières et des produits finis, déposent les matières premières aux artisans, dans leurs maisons, puis viennent récupérer les produits finis afin de les vendre. Que ce soient les marchands qui se sont transformés en producteurs capitalistes ou les producteurs qui se sont transformés en marchands capitalistes, c’est à l’évidence sur les technologies existantes, les formes économiques établies (travail salarié et commerce), et les marchandises déjà familières (textile, chaussures, serrures, pistolets, etc.) que le capitalisme a établit ses fondations, et pourtant, pour reprendre Marx, la mise hors service du système n’a pas entraîné « [la révolution de] l’ancien mode de production et même il le conserve et s’appuie sur lui25 ». Aucun élément du mode de production capitaliste en particulier n’est novateur, mais la façon dont ceux-ci sont organisés socialement est sans précédent. « Nous ne devons rechercher le début de la période du capitalisme qu’au moment où se produisent des transformations du mode de production, au sens d’une subordination directe du producteur au capitaliste26 », écrit Dobb. Plutôt que de théoriser les rapports qu’entretiennent l’art et le capitalisme à travers les concepts de marchandisation, d’industrie culturelle, de spectacle et de subsomption réelle, lesquels sont tous empreints, en surface du moins, de vérité, la clef de compréhension des rapports de l’art au capitalisme doit être issue d’un questionnement destiné à déterminer si l’art a subi la transition du féodalisme au capitalisme. Si cela ne permet pas d’offrir une description complète de la façon dont l’art a été pénétré par la société capitaliste, ce doit être le fondement de toute explication adéquate de l’exceptionnalisme économique de l’art ainsi que de toute politique de l’art, au sein du capitalisme et contre le capitalisme. Cela signifie qu’à la suite de Dobb, il convient d’examiner le mode de production de l’art, plutôt que de se laisser distraire par quelques conceptions impressionnistes de l’implication profonde de l’art dans le marché, de sa proximité avec le corporatisme capitaliste, de sa globalisation et de ses superprofits manifestes. Examiner le mode de production de l’art implique, principalement, de prêter une attention particulière aux rapports sociaux de production et non à ses modes de consommation, de distribution, d’échange et de circulation. Si nous commettons l’erreur de « suivre l’argent », l’étude de l’économie de l’art sera détournée du mode de production et mènera à des conclusions erronées, inspirées de la façon dont la société capitaliste est capable de tout transformer en marchandise pouvant s’échanger pour du profit. L’existence des marchands d’art, des collectionneurs, des maisons d’enchères et des gestionnaires de fonds artistiques ne nous apprend rien du mode de production de l’art. S’il paraît raisonnable de croire que les vendeurs, collectionneurs, etc., exercent une influence sur les artistes, ou s’il semble justifié de supposer que l’artiste, comme n’importe quel autre producteur de marchandises, sera enclin à suivre la demande du marché, alors les rapports entre l’art et le capitalisme peuvent apparaître comme aisés. Cependant, ce qu’indique le débat sur la transition, c’est que ce n’est pas simplement en observant certains éléments capitalistes à l’œuvre dans la production ou la circulation de l’art que la question de la conformité de l’art au mode de production capitaliste pourra être être résolue, mais que celle-ci dépend entièrement du fait que l’art intègre les rapports sociaux dans lesquels le capitalisme assujettit la production à travers la possession des moyens de production et l’achat de la force travail par le biais du paiement de salaires.

Voilà ce que j’ai en tête lorsque je parle des rapports de l’art au mode de production capitaliste. De plus, la lucidité du contraste que dessine Dobb entre le mode de production capitaliste et la production artisanale indépendante l’ayant précédée s’avère utile, non seulement pour identifier le mode de production capitaliste, mais aussi, me semble-t-il, pour identifier la production artistique, comme n’étant généralement pas conforme au mode de production capitaliste : « Il apparaît clairement qu’une telle définition exclut du même coup le système de la production artisanale indépendante où l’artisan possédait ses propres outils de production et vendait lui-même les biens qu’il produisait27 ». Dobb explique que la simple production de marchandises « ne différait des activités artisanales effectuées sur les domaines féodaux qu’en ce que l’artisan des villes produisait ses marchandises pour les vendre sur un marché et non comme obligation de service pour un seigneur28 », ajoutant que rien « dans ce mode de production ne le rendait capitaliste : bien que les artisans prirent des apprentis et parfois jusqu’à deux journaliers pour les aider29 ». Dans la mesure où l’artisan producteur indépendant vendait ses propres productions et les produisait spécialement pour les vendre, il est clair qu’il était un producteur de marchandises. Aujourd’hui, l’artiste est lui aussi un producteur de marchandises dans la mesure où il possède ses propres « petits instruments » et, contrairement au travailleur salarié, continue de posséder ce qu’il produit. Cependant, puisque l’artisan indépendant n’était ni un capitaliste ni un travailleur salarié, et que la production artisanale ne correspond pas au mode de production capitaliste, alors l’artiste peut être un producteur de marchandises sans que rien ne vienne attester du fait que l’artiste ait été transformé, économiquement, par le mode de production capitaliste. Ainsi, la « marchandisation » évidente de l’art ne constitue pas une preuve du fait que l’art soit devenu capitaliste. En fait, le concept de marchandisation a été inventé par les marxistes occidentaux pour rendre compte spécifiquement du destin de l’art au sein du capitalisme, tout comme la notion d’« industrie culturelle », développée par l’École de Francfort, a œuvré comme force de persuasion pour asseoir la conviction, chez les marxistes et dans la gauche en général, que l’art a des assises fermes, bien que dérangeantes, au sein du mode de production capitaliste. Néanmoins, le concept de marchandisation échoue à distinguer la « production marchande simple30 », la « production marchande capitaliste » et le concept d’industrie culturelle appliqué à l’art uniquement, en ne tenant pas compte du mode de production de l’art, resté inchangé (particulièrement en ce qui concerne les rapports sociaux de production) depuis sa forme artisanale précapitaliste.

Les économistes mainstreams ont eu recours à plusieurs nouveaux concepts afin de faire entrer l’art dans les standards de l’analyse économique ou de s’en approcher, dont celui de « capital humain », développé en premier lieu par Gary Becker. Dans ce concept, l’éducation et la formation sont envisagés moins comme la simple acquisition de connaissance et de compétence, que comme un « capital » particulier que possède le travailleur et qui peut être mis à profit sur le marché du travail (ainsi, visiter des galeries peut être considéré comme l’un des « investissements » dont les artistes « bénéficient » lorsqu’ils font leur travail de façon avisée) ; et le concept néoclassique de « coût d’opportunité », dans lequel des biens apparemment gratuits, comme faire une promenade ou un dessin pour son propre amusement, se révèlent avoir un « prix » équivalent à la meilleure alternative, comme ce que l’on aurait gagné ou ce que la société aurait gagné si l’on n’avait pas, comme on dit, « pris un congé » (« taken the time off »). Chacun de ces arguments présuppose une configuration spécifique des rapports entre les œuvres, les institutions, les artistes et la société dans son ensemble. J’analyserais les conséquences dès lors que l’on met l’accent, alternativement, sur un aspect plutôt qu’un autre, en traquant les différences qui résident entre le fait d’étudier l’économie de l’art à travers, d’un côté, les œuvres ou, de l’autre, les choix des artistes, ou bien à travers les manières dont les institutions artistiques assurent la médiation dans les rapports entre les artistes et le capital ou encore la façon dont la société consumériste s’infiltre dans les convictions et les décisions des artistes et des collectionneurs. Au cours de cette étude, pour des raisons qui deviendront évidentes par la suite, je ne chercherai pas à déterminer si l’art est ou non économique, ou bien si l’art est échangé ou non comme marchandise, mais de quelles façons précisément l’art est assujetti ou reste libre par rapport à la rationalité économique et comment précisément l’art s’inscrit dans la marchandisation ou lui résiste. Pour ma part, j’affirme que la meilleure façon d’éprouver les rapports entre l’art, l’économie et le marché, s’effectue à travers l’examen des mécanismes par lesquels les décisions sont prises dans le domaine de l’art.

Il y a certaines anomalies dans l’économie de l’art qui requièrent que l’on s’y intéresse. Bien que les artistes conceptuels du milieu des années 1970 n’aient pas été persuadés du fait que l’art pouvait, d’une façon ou d’une autre, garder son indépendance vis-à-vis du marché, le mode de production de l’art est resté largement préservé de l’industrialisation ainsi que de la transformation de l’artisanat en travail salarié, ce qui constitue le socle de la production de marchandise capitaliste. Burn, par exemple, était conscient du fait que « [son] travail comme [ses] moyens de production continuent de [lui] appartenir et [qu’il] ne vend que le produit de [son] travail31 ». Burn fait ici référence au fait que, dans la mesure où l’artiste tend à ne pas recevoir de salaire et à posséder à la fois les moyens de production et le produit issu de son travail, aucun capitaliste productif ne joue alors de rôle direct dans la production artistique. Du fait que les capitalistes ont non seulement pris possession de la production déjà existante mais qu’ils ont également transformé la production à travers la mécanisation, la division du travail et l’organisation scientifique de la production, l’absence du capitaliste productif dans la production artistique pourrait laisser supposer que le travail artistique pourrait ou devrait rester exempt des procédures capitalistes. D’après Burn, cette hypothèse n’est pas corroborée par les faits. Malgré l’inhabituelle indépendance économique de facto de l’art, Burn soutient que les artistes ont adopté « un mode de production profondément capitaliste32 ». Cela n’est sans doute pas vrai pour tous les artistes, mais on peut dire sans prendre le risque de se tromper que bon nombre d’artistes parmi ceux ayant connu le plus de succès ont adopté certaines pratiques capitalistes, ou bien, peut-être pouvons-nous dire que les artistes ont appris des capitalistes comment diriger leurs ateliers, utiliser le marketing, produire leurs œuvres de manière plus efficiente, ceci parmi toute une palette d’autres techniques. Les mécanismes du marché n’interviennent pas dans la production artistique de la même manière qu’ils le font traditionnellement dans la production de marchandises destinées au marché et pourtant, Burn admet que ce serait « pure folie pour [lui] de soutenir que [ses] rapports au marché sont simplement fortuits33 ». Les artistes ont, semble-t-il, simplement fait ce que le capitalisme aura voulu qu’ils fassent sans qu’aucun capitaliste n’ait jamais besoin de les diriger. Bien que cette curieuse forme de capitalisme soulève immédiatement la question de savoir pourquoi les artistes se soumettraient eux-mêmes au mode de production capitaliste s’ils n’étaient pas forcés économiquement de le faire, la question la plus intéressante est de savoir comment le capitalisme a été activement intégré aux pratiques artistiques. Plutôt que de focaliser notre attention sur le choix qu’on fait certains artistes individuels de « devenir commerciaux » (« going commercial ») ou d’« être cyniques », l’étude de la manière dont le capitalisme a infiltré l’art en dépit du fait que l’actuel mode de production de l’art continue de n’être pratiquement pas affecté par le mode de production capitaliste implique de prêter attention à toute la gamme des mécanismes sociaux présents dans la production et la reproduction de l’art.

Premièrement, je tiens à avertir du fait qu’il est essentiel de comprendre la diffusion des techniques capitalistes au sein de la production en même temps que le maintien de techniques appartenant à la production artistique précapitaliste et la diffusion de techniques issues de la science, de l’érudition, du divertissement, de l’activisme politique, de la vie quotidienne et d’autres pratiques encore. Deuxièmement, je soumets l’idée que la meilleure façon de jauger l’impact du capitalisme sur l’art est d’analyser les processus par lesquels les techniques capitalistes ont été appliquées à l’art. Il y a une différence hautement significative entre l’application des méthodes capitalistes à travers les mécanismes du marché et l’application de ces mêmes méthodes à travers des mécanismes extérieurs au marché tels que l’étude de manuels traitant des affaires commerciales. Si les mécanismes du marché ne sont pas directement impliqués dans la production de l’art, alors à travers quels mécanismes le capitalisme a-t-il transformé la production artistique ? Burn affirme que les artistes ont « assimilé34 » le mode de production capitaliste et « la méthode bureaucratique35 ».

[I]l est difficile pour moi d’être aveugle au fait que ce qui est arrivé à l’art ces dernières années constitue un parallèle étroit avec l’ancrage des entreprises multinationales géantes. Mais je veux rappeler que cela a principalement été réalisé par des accords tacites et non par des techniques qui, typiquement, sont manifestement bureaucratiques — prouvant encore une fois combien un système comme celui-ci a si peu besoin de surveillance dès lors que les principes en ont été assimilés et que tout le monde a « les mêmes » intérêts36.

Ainsi donc, si l’art constitue un « parallèle » avec les entreprises internationales, ce n’est pas dû au fait que l’art opère à travers les mêmes mécanismes et techniques, mais à travers d’autres forces sociales, qualifiées ici d’« accords tacites ». Burn établit également un lien entre l’innovation artistique et la nouveauté commercialisable (marketable novelty), affirmant que « le marché capitalise sur l’“innovation”, pour son propre bien, uniquement comme facteur de maximisation du profit37 », ce à quoi il ajoute : « je suis certainement délibérément (self-consciously) familier avec la façon dont le “grand art” a été contaminé de façon rhétorique par le besoin d’innover et personnellement conscient de ressentir la pression qui pousse à innover, sous peine d’extinction38 ». Il semble que l’internalisation des incitations du marché ne soit pas une chose que l’artiste fasse toujours seul, avec réticence ou sous la contrainte. Plutôt que de focaliser entièrement notre attention sur le résultat apparent — que l’art a été transformé en marchandise indépendamment de la manière dont cela est arrivé — il importe d’expliquer les différents processus à travers lesquels les artistes adaptent la production artistique en fonction de la société capitaliste et par conséquent comment l’art est confronté au capital, aux marchés, aux consommateurs et ainsi de suite. Si les artistes ont « internalisé » les techniques capitalistes, alors le résultat — à savoir la marchandisation de l’art — s’est produit à travers des mécanismes ne relevant pas du marché. Il y a cependant un conflit entre le résultat et le processus d’incorporation historique de l’art au capitalisme : l’art est, paradoxalement, devenu une marchandise sans devenir une marchandise.

L’historien de l’art Paul Wood, dans une étude qui porte sur les rapports entre l’art et le concept économique de la marchandise, affirme que « [d]u point de vue d’une analyse de l’art et de la culture, l’observation la plus significative de Marx sur la marchandise apparaît à la section 4 du chapitre 1, intitulée “Le Fétichisme de la marchandise”39 ». Cette lecture sélective de Marx suit le schéma établi par Lukács et Adorno, que j’étudierai longuement dans le chapitre 7, « sur l’absence d’une économie marxiste de l’art ». Pour les marxistes occidentaux, depuis les années 1920, le concept de fétichisme de la marchandise — ainsi que les concepts connexes tels que la réification et le spectacle — a été la clef de compréhension des rapports entre l’art et le capitalisme. L’analyse que fait Marx du fétichisme de la marchandise constitue de toute évidence le point de départ naturel d’une analyse marxiste des rapports de l’art au capitalisme du fait que cela concerne la vie culturelle de la marchandise, ce qui inclut ses significations, nos croyances sur les marchandises, leurs mystères, leurs secrets et leurs apparences. Wood dit que, dans le concept de la marchandise, « Marx a tracé la route allant d’une catégorie économique à des éléments affectifs (intensive features) de notre expérience40 ». Cependant, ajoute Wood, « on peut plaider en faveur de l’idée que l’art moderne ait été poussé vers le terrain caractéristique de la subjectivité, de l’expression, de l’authenticité et de l’abstraction, à cause de la prédominance absolue de la marchandise dans l’expérience historique de la modernité41 ». Comme le montre Étienne Balibar, cela est dû au fait que « le fétichisme n’est pas […] un phénomène subjectif, une perception faussée de la réalité. Il constitue plutôt la façon dont la réalité […] ne peut pas ne pas apparaître42. » Georg Lukács affirmait que « cette illusion fétichiste, dont la fonction consiste à cacher la réalité […] enveloppe tous les phénomènes de la société capitaliste43 », et que la « légitimité historique de son existence tient au fait que la grimace de l’homme […] est un produit nécessaire de la société capitaliste44. » Si une société organisée autour de l’échange de marchandises génère nécessairement des « illusions fétichistes » et que ces illusions se rattachent à l’art, alors peut-être le concept de fétichisme est-il une méthode permettant de comprendre l’énigme de l’art devenant marchandise sans devenir marchandise. Mais nous devons nous demander comment exactement l’œuvre d’art endosse le caractère énigmatique de la marchandise. Quels sont, le cas échéant, les mécanismes qui enrôlent l’art dans le fétichisme de la marchandise si l’art n’a pas été soumis au mode de production capitaliste ?

Wood résume les rapports complexes qu’entretiennent l’art et l’économie capitaliste :

Il semble plus évident que jamais que l’art est une forme de production de marchandises à l’intérieur d’un champ plus vaste de production de biens culturels. Cependant, la mesure dans laquelle les significations générées par les produits finis peuvent accroître la valeur ajoutée reste sujette à discussion. C’est-à-dire la mesure dans laquelle elles peuvent maintenir et articuler une distance critique avec le système marchand en général ; ou alors si la « résistance » à l’intégration, au niveau économique, aux circuits de production, d’échange et de consommation entache la possibilité de distance au niveau imaginatif symbolique45.

Il s’agit là en effet d’une version réduite de l’argument d’Adorno. Ses deux composantes, la marchandisation de l’art et l’indépendance interprétative de l’art vis-à-vis de la marchandisation, sont l’antagoniste l’une de l’autre. Si la marchandisation de l’art est considérée comme une norme, alors l’indépendance critique de l’art par rapport à la société marchande — qui est atypique — ne peut être expliquée par la marchandisation imputée à l’art. Le marché impose une discipline de la marchandise de telle façon que celle-ci est soumise à la « souveraineté du consommateur », mais il apparaît que la marchandisation de l’art permet à l’artiste d’être un auteur critique plutôt qu’un producteur de marchandises répondant aux exigences du marché. La condition préalable au fétichisme de la marchandise est la réorganisation de la production sociale conformément au principe d’accumulation du capital. Les marchandises n’entrent pas dans le mode de production capitaliste par les machinations du fétichisme de la marchandise ; le fétichisme de la marchandise est le résultat de la fragmentation sociale engendrée par la spécialisation, la division du travail et les rapports entre le travailleur salarié et ce qu’il produit. Par conséquent, le fétichisme de la marchandise ne peut pas relier les œuvres d’art au capitalisme sans soulever la question du processus anormal et incomplet de marchandisation. Un argument plus plausible, selon moi, serait d’expliquer l’indépendance cruciale de l’art — la possibilité même d’une critique par l’art de la société marchande — comme étant ancrée dans ses rapports anormaux et paradoxaux avec le mode de production capitaliste en général. Les remarques les plus significatives de Marx sur la marchandise ne se limitent pas au chapitre sur le fétichisme de la marchandise et c’est vers l’analyse complète du mode de production capitaliste de Marx qu’il nous faut nous tourner afin d’identifier les rapports entre l’art et le capitalisme.

Dire que la société dans son ensemble génère des illusions fétichistes (ce qui signifie que rien n’échappe au fétichisme de la marchandise) c’est, parmi d’autres choses, affirmer que les pratiques qui ne sont pas réorganisées par le capitalisme, comme la pratique artistique, sont rendues conformes par d’autres moyens. Des mécanismes non marchands, tels que les processus sociologiques ou idéologiques, doivent, peut-être, être à l’œuvre. Le concept de Lukács de « réification » est l’exemple parfait d’une théorie selon laquelle le capitalisme s’accroît à travers des mécanismes non marchands, dans la mesure où la réification contient, en substance, la théorie du « fétichisme de la marchandise » de Marx, à travers des processus principalement subjectifs, intellectuels, empiriques ou esthétiques. Wood aborde cette difficulté en les liant l’un à l’autre.

Même s’il est possible que l’art moderne ait été en mesure de préserver une part de vérité dans le contenu exprimé, à travers un retrait stratégique du terrain de la marchandise, le mal était fait à un niveau plus profond. Car, du fait que l’art se retire de la particularité du monde des marchandises comme objet de représentation, sa propre manière d’être au monde comme production (« création ») spirituelle putative était amoindrie par la marchandisation croissante de l’objet d’art lui-même. La marchandisation de l’esprit n’a pas fait d’exception pour l’art46.

Wood ne ressent pas le besoin de prouver l’affirmation selon laquelle l’objet d’art a été réduit à l’état de marchandise, vraisemblablement parce que ce débat a eu lieu de nombreuses fois depuis les années 1930 et que les preuves de transactions économiques concernant l’art à travers le marché de l’art et les maisons de ventes aux enchères sont accablantes. Wood explique que « l’art moderne a été fondamentalement et doublement marqué par la marchandisation47 », premièrement à travers la représentation et la formalisation des thèmes du monde des marchandises et du marketing, ce qui inclut les effets subjectifs de la culture marchande sur les consommateurs et, deuxièmement, dans la mesure où « dans la période moderne, le système de production de l’art lui-même a été réduit à l’état de marchandise48 ».

Alors même que le tournant général de la description à l’expression camouflait en réalité la marchandisation en principal sujet de l’art moderne, le discours accru de l’autonomie a maquillé la marchandisation comme étant l’une de ses conditions49.

Je pense que le geste qu’effectue Wood vis-à-vis de la marchandisation, dans laquelle quelque chose qui n’était pas différent de la production artisanale indépendante affronte la marchandise qui en résulte, peut seulement être défait en accordant autant d’attention aux moyens qu’aux fins de la marchandisation. La conclusion qu’en tire Wood est que l’art a malgré tout été réduit à l’état de marchandise, mais il expose cette affirmation comme s’il s’agissait de la résolution magique d’un problème tenace. Je refuserai pour ma part, tout au long de ce livre, de me contenter du type d’argument abstrait pouvant résoudre ce genre de problèmes à l’aide de fioritures philosophiques ou de renversements dialectiques.

On trouve également, dans le concept de « subsomption réelle », un autre exemple manifeste de la façon dont les marxistes ont pensé l’extension du capitalisme à l’art ainsi qu’à d’autres pratiques, en s’appuyant sur des mécanismes extérieurs au marché. Dans les années 1970, Antonio Negri affirmait qu’avec « la subsomption réelle de la société par le capital, tout ce qui est produit-distribué-consommé n’est qu’un simple rouage dans le mécanisme de la reproduction de ce qui existe déjà50 ». Steward Martin admet l’idée reçue, issue de la théorie post-fordiste, selon laquelle le capitalisme n’opère plus selon les vieilles méthodes conformément à l’économie de la production matérielle et soutient, par conséquent, qu’au sein d’un « capitalisme culturel », il y a eu une « subsomption rampante de la vie51 ». La subsomption réelle est le nom donné au processus par lequel les pratiques sociales, qui ne se limitent pas aux pratiques productives mais s’étendent aux activités domestiques et intimes, apparaissent comme étant façonnées par le mode de production capitaliste. Negri explique :

La subsomption est un vilain concept. C’est un terme marxien qui décrit les rapports entre le capital et la société. Il est important, cependant, d’établir une distinction entre deux types de subsomption : réelle et formelle. À un moment donné du développement du capitalisme, les formes de production qui n’avaient rien à voir avec le capital (les formes de production agricole, de pêche, de fabrication artisanale) ont été subsumées ; elles ont été incorporées et réorganisées par l’hégémonie capitaliste naissante quand les structures des grosses usines, d’abord textiles puis automobiles, ont commencé à organiser l’ensemble de la société. Ce type de subsomption est connue sous le nom de subsomption formelle. C’est l’aspect formel du capital qui inclut les diverses activités productives.

La subsomption réelle, d’un autre côté, est une hégémonie sans limites du capital. Ici, la forme de la production capitaliste est intervenue dans et a occupé tous les espaces de la société. La société elle-même a été transformée en usine52.

Cela fait désormais partie d’une certaine orthodoxie pour la théorie contemporaine de la subsomption réelle, bien que, à strictement parler, Negri réunisse subsomption formelle et réelle, entre lesquelles Marx avait opéré une distinction (la première correspondant à la subsomption économique de la production ; la seconde consistant en une réorganisation de la production — usines de textiles, manufactures, etc. — afin d’établir un mode de production spécifiquement capitaliste) sous la dénomination de « subsomption formelle » et garde le concept de « subsomption réelle » pour la « phase » additionnelle dans laquelle le capitalisme prend le contrôle général de la vie sociale.

Si l’on peut valider la théorie de la subsomption réelle, alors cela contribuerait fortement à expliquer la possibilité même, pour l’art, d’être transformé en marchandise sans l’être, parce que l’art pourrait être subsumé par le capitalisme sans que le capitalisme ne subsume formellement la pratique artistique par la possession de ses moyens de production, le paiement de salaires aux producteurs d’art, et la réalisation d’une plus-value grâce aux ventes sur le marché. Je n’entends pas réfuter l’affirmation selon laquelle les techniques capitalistes ont pénétré la production, la distribution et la consommation de l’art par des processus non économiques et des mécanismes extérieurs au marché. Cependant, à la place d’une remise en question complète du déploiement du concept de subsomption réelle dans l’explication marxiste de la marchandisation anormale de l’art — que je fournirai dans la deuxième partie de ce livre — il est vital de comprendre que Marx fait exclusivement référence à la subsomption formelle et réelle du travail sous le capital. Marx n’écrit pas sur la subsomption de la société, pas plus que sur d’autres abstractions. Cela signifie, selon moi, que pour Marx, la subsomption est un mécanisme à travers lequel le capital exerce son pouvoir, d’abord en acquérant la force de travail et ensuite en réorganisant la production en fonction de ses propres besoins spécifiques, par la division du travail, le recours à la mécanisation et ainsi de suite. À aucun moment il n’est affirmé par un autre théoricien de la subsomption réelle de l’art, que le travail artistique a été subsumé par le capital. En fait, l’argument de la théorie de la subsomption réelle, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est que celle-ci dépasse la subsomption formelle du travail. Les théoriciens de la subsomption réelle posent une question plus générale et plus abstraite, afin de savoir si l’art a été subsumé. Cela laisse la question de la subsomption de l’art entièrement ouverte. Les œuvres d’art sont-elles subsumées, ou bien les artistes ont-ils été subsumés ? Les institutions artistiques ont-elles été subsumées, et des institutions de contre-subsomption peuvent-elles être construites ? De telles questions pourraient constituer un terrain propice à des recherches plus poussées, à condition de surmonter d’abord une incertitude fondamentale. Comment la subsomption réelle de l’art explique-t-elle la façon dont l’art est ou non transformé par les processus d’industrialisation, de centralisation, de technologisation, de division du travail et par l’application consciente de la science qui caractérise le mode de production capitaliste ? Dès lors que nous posons la question de la subsomption en général plutôt que celle de la subsomption du travail par le capital, alors, me semble-t-il, on tend à perdre le mécanisme par lequel le capital prend le contrôle de la société. Ces pistes de recherche seront examinées en détail dans la deuxième partie de ce livre.

Le concept de subsomption réelle n’opère pas seulement comme intermédiaire entre les mécanismes extérieurs au marché et le mode de production capitaliste, il comble également l’espace qui sépare l’économie de la philosophie. Selon Peter Osborne : Adorno et Horkheimer « utilisent l’idée de subsomption afin de lire Marx à travers Kant, réduisant ainsi la subsomption à […] la logique générale d’équivalence d’une rationalité instrumentale qui caractérise aussi — principalement en fait — l’administration53 ». Osborne explique :

Il est plus crédible de penser l’intégration de l’art à l’industrie culturelle en termes de mutation du caractère de sa subsomption formelle, comme conséquence des évolutions survenues dans l’économie politique et les technologies de la production culturelle de façon plus générale. Par exemple, il y a à la fois une différenciation des secteurs du marché et une intégration des fonctions culturelles (art, mode, culture de masse, publicité, design, tourisme) plus fortes au sein de l’industrie culturelle que ce qui avait cours jusqu’ici. L’art autonome fonctionne clairement, structurellement, comme recherche et développement pour d’autres branches de l’industrie de la culture ; cela se fait d’une manière analogue à la façon dont l’expérimentation formelle était conçue comme un travail de laboratoire à la fin du constructivisme soviétique. Il s’agit là d’une fonctionnalisation systémique de l’art autonome au sein de l’industrie de la culture. Bien que cela ait certainement modifié les conditions de la production artistique, cela n’a pas remis en cause la possibilité d’œuvres autonomes. Au contraire, c’est là son ambition. (L’autonomie parvient seulement au niveau du travail individuel, le fonctionnalisme au niveau global)54.

Osborne exploite ici conjointement différentes idées, faisant référence à l’intégration et à la fonctionnalisation comme étant synonymes ou presque de la subsomption, et parlant de l’évolution des « conditions de la production artistique », considérée comme un hybride du contexte de production social et culturel croisé avec les changements actuels dans l’économie de l’art. Lorsqu’il fait référence à des changements survenus dans les « technologies de la production culturelle », Osborne affirme que l’art a été transformé en fonction du mode de production capitaliste, du fait que les artistes adoptent des outils développés pour la production capitaliste. Osborne scelle encore davantage ce qui avait déjà été noué par Woods, avec comme conséquence le fait que la séparation de l’économique et du non économique, ainsi que la distinction entre les mécanismes de marché et les mécanismes extérieurs au marché, devient impossible ou alors n’est pas judicieuse. La question semble, au contraire, partir de l’hypothèse d’une combinaison indissociable du social et de l’économique — plus proche du concept d’« économie politique » que de l’« économie » néoclassique — dans laquelle les objectifs économiques sont poursuivis par des moyens sociaux (comme la législation, l’éducation et la culture) alors que les objectifs sociaux sont poursuivis par des moyens économiques (tels que l’affaiblissement du pouvoir des syndicats à travers le chômage). S’il est possible pour l’art d’être foncièrement et amplement reconfiguré par le capitalisme sans pour autant que ses rapports économiques ne soient reconvertis selon le mode de production capitaliste, alors il apparaît que l’étude des rapports économiques de l’art n’est pas un leurre mais pourrait bien être préjudiciable dans la mesure où des preuves de non-conformité avec le mode de production capitaliste pourraient déresponsabiliser le capitalisme quant au fait qu’il a fait de l’art un business mondial standardisé, spectaculaire, commercialisé et industriel.

En quoi est-ce important, pourrions-nous demander, que l’art ait été intégré socialement ou culturellement plutôt qu’économiquement par le capitalisme ? Le résultat n’est-il pas le même ? Si des mécanismes sociaux, plutôt que des mécanismes économiques étaient responsables de la marchandisation manifeste de l’art, alors il serait justifié de parler de marchandisation de l’art sans marchandisation. C’est-à-dire que si l’économie de l’art fait exception, celle-ci n’est pas pour autant libérée de la société capitaliste de façon générale. De plus, il est possible pour l’art de ne pas avoir évolué économiquement pendant le développement du mode de production capitaliste et, dans le même temps, pour les artistes, de passer par le marché de l’art pour vendre leurs œuvres, d’employer des assistants et d’avoir recours aux technologies modernes. Bien que ces dernières soient importantes et dignes d’études qui leur seraient spécifiquement consacrées, cet ouvrage n’explore pas toutes les facettes du fonctionnement de l’art au sein du capitalisme et se concentre entièrement sur les rapports de l’art au capital et au travail. E.P. Thompson a, jadis, critiqué Marx pour avoir étudié le capital plutôt que le capitalisme, négligeant les processus historiques et sociaux afin de se focaliser entièrement sur la logique d’accumulation55. Nous trouvons cependant, dans l’analyse marxiste des rapports de l’art au capitalisme, la situation inverse, dans laquelle l’analyse sociale des rapports que l’art entretient avec le capitalisme a complètement supplanté toute tentative de compréhension des rapports de l’art au capital. Ce livre cherche à tirer cela au clair et défend l’idée que l’exceptionnalisme économique de l’art, en particulier les rapports inhabituels entre l’art et le capital ainsi que le mode de production capitaliste, ne doit pas être négligé dans la précipitation des économistes mainstream à faire de l’art un sujet d’analyse économique, ou dans la condamnation marxiste de la mise sur le marché de l’art et de la colonisation de l’art par le capitalisme. Dans l’ensemble, le principe marxiste d’élaboration d’une analyse économique sur laquelle serait basée une politique semble avoir été suspendu dans le cas de l’art et de l’esthétique. Par conséquent, exposer plus précisément le rapport entre l’art et le capital ne peut se faire sans provoquer des conséquences politiques. Le rapport de l’art avec le capital peut être analysé avec davantage de précision que celui de l’art au capitalisme, du fait que ce dernier peut être compris non seulement en tant que société correspondant au mode de production capitaliste mais aussi comme société du spectacle, société du contrôle, modernité liquide (liquid modernity), société opulente, société de consommation et société post-industrielle, entre autres. C’est-à-dire que le capitalisme a été saisi à travers ses cultures, technologies, rapports sociaux, formes de pouvoir, styles de vie, etc., spécifiques, et tout cela suggère différents rapports entre l’art et le capitalisme. Mon but n’est pas de montrer que l’art doit être traité comme étant exceptionnel, ou que l’art est exceptionnel dans un sens qui ne serait pas économique, mais plutôt de démontrer que l’art est en fait économiquement exceptionnel. La possibilité d’une analyse économique marxiste de l’art qui serait en mesure de distinguer la production artistique de la production capitaliste de marchandise n’est pas à confondre avec des arguments anti-capitalistes romantiques. Le cas économique de l’exceptionnalisme économique de l’art (et de certains autres biens) doit être développé à partir d’une analyse économique de la production, de la circulation et du financement artistiques.

L’ouvrage de Diedrich Diederichsen On (Surplus) Value in Art, paru en 2008, contient quelques analyses économiques de l’art mûrement réfléchies et solidement ancrées dans la tradition marxiste. C’est un essai en trois parties, très court et délibérément provocateur, qui explore la signification du terme allemand Mehrwert, que Marx utilise et qui est traditionnellement traduit par « plus-value ». Diederichsen explore le concept de plus-value exclusivement en rapport avec l’art, ce qui constitue un fait unique dans l’histoire du marxisme et de la marxologie. Il fait volontairement s’entrechoquer les deux legs du marxisme, non seulement thématiquement mais aussi méthodologiquement. Le texte est un montage stylistique d’une pièce poétique et de théorèmes analytiques, débutant avec le geste presque scandaleux de confusion de l’utilisation technique du Mehrwert par Marx avec l’usage familier du mot en allemand, le second venant éclairer le premier. La première partie du livre applique le sens prosaïque du Mehrwert à l’art, demandant où est le « gain ». Il caractérise ce « gain » en termes de phrase clef, qu’il lie non seulement aux blagues racontées, mais aussi à la publicité, à la marque ainsi qu’au besoin de légitimation. La culture populaire est organisée autour de tels gains mais l’art, dit-il, l’est également, dans un mode spécifique. Diederichsen invente le terme de « Mehrwert artistique » qui fait référence à la différence entre l’art et le reste. Y a-t-il un supplément requis pour appartenir en toute légitimité à la catégorie de l’art ? Le Mehrwert artistique est ce qui distingue l’art, « ce qui fait de quelque chose de l’art56 », comme il l’écrit à propos de la qualité ou du mérite, qui font de l’art une « sphère bonus » (bonus realm), quelque chose de spécial ou de différent. Les rapports qu’il entretient avec la plus-value économique sont, cependant, plutôt inhabituels. D’un côté, Diederichsen dit que, « le Mehrwert est le pain et le beurre quotidiens de l’économie capitaliste », et le Mehrwert artistique, par contraste, est davantage comme un « “bonus” qui se voit accordé le statut d’exception57 ». Toutefois, Diederichsen soutient que cette exception à la norme est quelque chose qui est exigé de l’art. L’art « doit toujours générer du Mehrwert, tout comme le capitalisme et les capitalistes58 ». Diederichsen a sans doute raison d’associer l’art au surplus (la différence entre le readymade et l’objet avant qu’il ne soit désigné comme étant de l’art apparaît comme une forme de surplus) mais son argument selon lequel ce serait analogue au surplus capitaliste ne repose sur rien d’autre qu’un jeu de mots. Diederichsen omet le fait qu’il existe deux types de plus-value, « la plus-value absolue » et « la plus-value relative », dont je parlerai longuement dans le chapitre 7. De plus, Diederichsen échoue à expliquer comment l’art produit de la plus-value sans l’élément, nécessaire à l’analyse marxiste de l’accumulation capitaliste, de l’excédent de main-d’œuvre. L’excédent de main-d’œuvre et par conséquent la plus-value ne peuvent être obtenus sans l’existence du rapport capitaliste-travailleur. Seuls les travailleurs salariés produisent de la plus-value, car c’est seulement dans les conditions où le travail est la marchandise à vendre que l’existence d’un excédent de main-d’œuvre est possible.

À un moment donné, Diederichsen affirme que la production de nouvelles œuvres « fraîches » par les artistes représente « un capital variable incluant le Mehrarbeit [ou excédent de main-d’œuvre]59 », comme si un travailleur pouvait fournir un excédent de main-d’œuvre en dehors des rapports entre travailleur salarié et capitaliste. Il ajoute que la production de nouvelles œuvres se fait toujours « sur la base d’une notoriété et d’un savoir déjà existants (capital constant)60 », qui complètent le transfert du mode de production capitaliste tout entier dans le corps de l’artiste. L’économie de l’art de Diederichsen s’apparente à un poème dada fait de morceaux du Livre I du Capital. La distinction opérée par Diederichsen entre le prix et la valeur devient parfois floue, son application de la formule marxiste du « temps de travail moyen socialement nécessaire » à l’art est pour le moins maladroite, son traitement du savoir comme « capital constant » et de la production saisonnière comme « capital variable » est inepte, et l’affirmation selon laquelle l’art de la scène produit davantage de plus-value du fait que cela consiste en « travail vivant » est stupide. Sa référence à la « force de travail artistique » est, au mieux, un écho du concept de force de travail de Marx. Si Negri a raison de dire que l’art rencontre le capital non au moment de la production, mais à travers le système de distribution du marché, ce qui montre que l’art est exceptionnel d’un point de vue économique (entrant en contact avec le capital marchand et le capital d’investissement mais jamais avec le capital productif), alors la recherche de plus-value de Diederichsen dans les œuvres d’art, l’éducation artistique, le style de vie des artistes, etc., n’est pas dirigée dans la bonne direction. Toutefois, Diederichsen, ne fournit pas le chapitre manquant relatif à une analyse économique marxiste de l’art.

L’un des thèmes abordés dans l’ouvrage de Diederichsen est l’exceptionnalisme de l’art. Il désigne à maintes reprises l’économie de l’art comme étant exceptionnelle, mais combine l’idée d’exceptionnalisme économique avec l’usage familier du mot renvoyant à quelque chose ayant un mérite particulier. Il parle, par exemple, de « la normalité de l’exceptionnalisme qui détermine le quotidien de l’art61 ». Diederichsen mélange cette dialectique de l’exceptionnalisme avec l’emploi usuel du mot, dans des formules telles que « retombées exceptionnelles62 », quand il décrit les sommes élevées que les œuvres d’art peuvent rapporter. En même temps, il invente des formules en apparence techniques qui contiennent le mot, tel que les « aspects quotidiens de l’exceptionnalisme artistique », « un exceptionnalisme “domestiqué” » et « le double exceptionnalisme de la spéculation », dont aucune n’est expliquée. Dans la première partie de ce livre, je proposerai une lecture compréhensive du concept d’exceptionnalisme économique de l’art à travers la littérature économique mainstream et, dans la seconde partie, j’étendrai cette étude à une théorie marxiste de l’exceptionnalisme économique de l’art. Cela équivaut à ce que j’appelle un exceptionnalisme de l’art réévalué, qui revient à opérer un glissement d’une théorie de l’exceptionnalisme de l’art basé sur les prix et l’attitude du consommateur, à une théorie de l’exceptionnalisme de l’art fondé sur la production artistique et les rapports qu’entretient l’art avec le capital.

Mon objectif, dans ce livre, est d’élaborer le schéma d’une nouvelle analyse économique de l’exceptionnalisme économique de l’art. Je mettrai à l’épreuve l’argument principal selon lequel l’art fonctionne comme une marchandise presque standard au sein du marché de l’art et comme un atout dans l’économie de la finance. Je m’emploierai également à réexaminer la théorie marxiste de la marchandisation de l’art. Cet ouvrage ne valide aucune tradition et, à la place, établit la preuve d’un exceptionnalisme économique de l’art. Si ce terme est moderne, le concept a été développé dès le XVIIIe siècle en faisant référence à des biens rares et uniques tels que les antiquités et les vins rares. Le concept comme la formule ont été utilisés à tort dans l’économie traditionnelle63 et aucune théorie de l’exceptionnalisme économique n’a jamais été développée. Les marxistes n’ont jamais appliqué le concept d’exceptionnalisme économique à l’art de façon systématique, pour des raisons que j’expliquerai dans le chapitre 7. Par conséquent, il s’agit de la première étude de l’exceptionnalisme économique à laquelle un livre complet est dédié, à travers les sciences économiques classique, néoclassique et marxiste. En proposant cette étude, j’espère atteindre deux objectifs apparentés : fournir une nouvelle base à une science économique de l’art, et développer une théorie cohérente de l’exceptionnalisme économique en général, en utilisant l’art comme un prisme à travers lequel peut être compris l’exceptionnalisme. Cet ouvrage contient également les toutes premières considérations relatives à une théorie marxiste de l’exceptionnalisme économique de l’art, développant l’idée selon laquelle l’art est spécifiquement exceptionnel par rapport au mode de production capitaliste. L’exceptionnalisme économique de l’art — c’est-à-dire, la marchandisation anormale, incomplète et paradoxale de l’art — explique l’incorporation de l’art au sein du capitalisme comme le fondement même de l’indépendance de l’art vis-à-vis du capitalisme, du fait que cela montre que l’art n’a pas été totalement transformé par le mode de production capitaliste. Dans l’ensemble, les produits sont transformés en marchandises à travers l’imposition des mécanismes du marché, mais cela ne s’est pas produit dans le cas de l’art et d’autres mécanismes ont besoin de se substituer aux mécanismes économiques. Quels sont les mécanismes et processus non économiques qui conduisent l’art dans l’orbite de l’échange de marchandise ? La réponse à cette question n’est pas seulement au fondement de toute bonne compréhension des rapports entre l’art et le capitalisme, mais aussi au fondement de l’engagement politique de l’art vis-à-vis de la société. De surcroît, toute politique de financement ou d’institution de l’art, ce qui inclut toute campagne politique de défense de l’art, de l’éducation artistique et des institutions artistiques répondant aux motivations lucratives anonymes des forces du marché et de l’instrumentalisation de l’art par l’État, si elles ne constituent pas des projections normatives, doivent êtres basées sur l’économie effectivement exceptionnelle de l’art.

J’aborderai, dans ce livre, la complexité et la contestation des sciences économiques en examinant une large sélection de textes issus de la littérature économique, du classicisme et du néoclassicisme, à l’économie sociale et à la critique marxiste de l’économie politique. Il n’y a pas qu’une seule science économique de l’art. Puisqu’au sein des arts, les économies ne sont pas uniformisées, l’analyse économique d’un secteur ne peut se substituer à l’analyse économique d’un autre. Au sein des arts, différentes disciplines dont le théâtre, la littérature et les arts visuels ont des modes de production, de diffusion et de consommation différents. Il y a un marché du travail pour le cinéma et le théâtre (les acteurs sont des travailleurs salariés) et une industrie de spécialistes qui appuient la production (également composée de travailleurs salariés), mais les poètes, les romanciers et les artistes plasticiens ne sont, en général, pas des travailleurs salariés. Il y a également un marché de masse pour le cinéma, le théâtre, la poésie et les romans, les individus achetant directement tickets ou livres, alors que les arts visuels peuvent souvent être consommés gratuitement non seulement dans les musées publics mais aussi dans les galeries commerciales qui exposent des œuvres destinées à la vente. L’art est aussi constitué des fanzines, badges, posters distribués gratuitement et des performances publiques, aussi bien que des vidéos produites spécialement pour être vues sur YouTube, des œuvres qui n’existent plus excepté à travers les photographies documentaires, des œuvres créées dans des endroits reculés qui sont davantage observés dans des livres ou en ligne, du net-art, de l’art contestataire, de l’art public et des événements participatifs qui continuent uniquement à exister sous la forme de la discussion et de l’action partagée. En tant qu’artiste travaillant de façon collaborative et critique au sein de la sphère publique, ce qui inclut fréquemment la publication ou l’impression commerciale de matériel, ma conception de l’art ne se restreint pas au « choix orthodoxe d’objets d’étude, accompagné d’une confiance incontestée dans la catégorie largement inexplorée de l’“art64” », typique des sciences économiques mainstream de l’art. Mes recherches se penchent plutôt vers une analyse de ce que l’on connaît comme étant « l’art visuel », d’une part, parce que cela s’appuie sur mon expérience et d’autre part du fait que les économistes classiques reconnaissent le caractère exceptionnel de l’économie de l’art visuel — qui constitue par conséquent la base de l’élaboration du concept d’exceptionnalisme économique de l’art — et, de plus, parce que l’art visuel apparaît comme étant davantage exceptionnel vis-à-vis de l’économie capitaliste que ne le sont le cinéma, le théâtre, la musique ou l’édition littéraire.

Par conséquent, en abordant l’art visuel, je ne présume pas du fait que, par exemple, l’art implique nécessairement la production d’objets, ou qu’un artiste individuel en soit toujours le producteur. Je n’identifie pas davantage l’art avec la gamme de produits approuvés par le marché de l’art ou par les institutions artistiques publiques nationales et internationales. Une grande partie de l’art produit ne rencontre pas de succès ni d’un point de vue commercial, ni auprès de la critique, mais doit se voir accorder un rôle proportionnel au sein de l’économie de l’art. Suivre l’argent mène à une approche économique biaisée autant qu’à une conception réductrice de l’art qui mériterait d’être soumis à une analyse économique. L’étude économique de l’art ne devrait pas se limiter seulement au grand art ou à l’art en échec, juste à l’art que l’on trouve sur le marché ou alors dans le secteur public. L’art ne devient pas économique en étant vendu (les coûts les rendent économiques indépendamment des ventes) et c’est pourquoi aucune analyse économique convenable ne peut se limiter au marché de l’art ou à certains types d’art — les plus frappants étant les peintures, les gravures et les sculptures — qui parviennent à être vendues. L’économie de l’art ne doit pas être limitée aux rencontres entre l’art et l’argent, que ce soit sur le marché ou à travers l’État, mais doit englober tout le travail gratuit qui participe de la production artistique, toutes les manières de consommer l’art gratuitement, les valeurs qui rivalisent avec la valeur économique dans les décisions prises au sein du milieu artistique, et l’usage péjoratif de termes tels que « commercial » et « vente » dans l’appréciation de l’art. Ce sur quoi je voudrais insister, c’est que le légendaire manque de rationalité économique des artistes et la demande sociale d’un art accessible à tous gratuitement sont en eux-mêmes des facteurs économiques et, s’ils peuvent être entérinés par l’étude de la production et de la consommation de l’art, ils doivent être au centre de l’économie de l’art. Si les artistes ne sont pas professionnels (unbusinesslike) et la consommation de l’art non déterminée par la capacité à payer, alors l’art a développé des rapports tendus avec la pratique et la théorie de l’économie. Ainsi, ce livre cherche à étudier les bases économiques de la tension entre l’art et l’économie. J’offrirai la synthèse la plus complète à ce jour sur l’exceptionnalisme économique de l’art, cet exceptionnalisme étant attesté à chaque étape des transactions économiques concernant l’art, aussi bien que par la façon dont cela a été — ou peut être — articulé dans les sciences économiques classique, néoclassique et marxiste.

Le principe de l’exceptionnalisme économique de l’art se trouve exprimé dans les textes fondateurs des sciences économiques et il y est sans cesse fait référence jusqu’à la fin du XIXe siècle. Après 1870, lorsque les sciences économiques ont subi une révolution, la doctrine néoclassique venant remplacer le volet classique, l’argument de l’exceptionnalisme économique de l’art a à peu près entièrement disparu. Cependant, j’entreprends de montrer qu’une nouvelle théorie de l’exceptionnalisme économique de l’art peut être développée spécifiquement en lien avec les sciences économiques néoclassiques, ce qui n’avait encore jamais été tenté. Alors que les économistes classiques ont généralement observé l’existence de l’exceptionnalisme économique sans analyser sa logique fondamentale, les économistes néoclassiques nient habituellement son existence d’une façon dogmatique. Aucun n’a développé de théorie substantielle de l’exceptionnalisme économique. C’est pour cette raison que j’ai dû reconstituer une théorie à partir de fragments épars présents dans la littérature spécialisée. J’accomplis cela de trois façons distinctes. Premièrement, en ce qui concerne l’économie classique, j’assemble une théorie de l’exceptionnalisme économique à partir de remarques faites en passant, de clauses limitatives, de faits anecdotiques et d’observations troublantes trouvés dans les écrits de Smith, Ricardo, Mill et d’autres. Deuxièmement, dans le cas des sciences économiques néoclassiques — dans lesquelles il n’existe pas de telles références fortuites à l’exceptionnalisme —, j’ai identifié les grandes doctrines néoclassiques dans lesquelles l’économie de l’art peut être perçue comme anormale. Troisièmement, en ce qui concerne l’économie marxiste, j’effectue une extrapolation d’une analyse de l’exceptionnalisme économique de l’art à partir d’une étude du mode de production capitaliste dans les trois volumes du Capital, les Grundrisse et la Contribution à la critique de l’économie politique. Ce livre-ci contient par conséquent l’histoire la plus complète à ce jour de l’exceptionnalisme économique, une extension du concept d’exceptionnalisme approprié aux sciences économiques contemporaines mainstream, ainsi qu’une reconsidération de l’exceptionnalisme à travers la critique marxiste de l’économie politique.

L’économie marxiste fournit les outils permettant d’aller plus loin que l’économie mainstream dans la théorisation de l’exceptionnalisme économique de l’art. Le marxisme est la seule tradition économique ayant établi une distinction entre production capitaliste et production non capitaliste. Par conséquent, une analyse économique marxiste de l’art est la seule à avoir la capacité d’identifier la production artistique en tant que celle-ci n’est pas conforme au mode de production capitaliste et ainsi permettre d’étendre le concept d’exceptionnalisme économique de l’art afin d’interroger non seulement le rendement économique de l’art mais également son rapport au capitalisme. Néanmoins, il serait tout à fait erroné d’affirmer que le marxisme a été pionnier de l’analyse de la marchandisation, de l’industrialisation, de la commercialisation, de la spectacularisation et de l’incorporation de l’art. Les évolutions actuelles au sein de la théorie marxiste tirent parti des fondements mêmes qui ont empêché le marxisme de s’appuyer sur ses racines classiques pour théoriser l’exceptionnalisme économique de l’art. Les concepts marxistes occidentaux tels que la réification et l’industrie culturelle restent au cœur de la pensée marxiste contemporaine de l’art, particulièrement dans ses branches (heartlands) sociologiques et philosophiques. L’économie marxiste subsiste, mais aucun économiste marxiste ne s’est attaqué à la question spécifique de l’économie de l’art. En outre, l’économie marxiste classique a été critiquée au sein même du marxisme comme étant déconnectée des changements historiques du capitalisme depuis les années 1960.

Mon intention, tout au long de cet ouvrage, est d’explorer les rapports qu’entretien l’art avec le capitalisme sans m’en remettre aux méthodes sociologiques du marxisme occidental qui ont soutenu l’affirmation selon laquelle l’art a été incorporé au capitalisme sans fournir aucune preuve économique du fait que la production artistique ait été transformée en production de marchandise capitaliste. Ma méthode, ici, consiste à établir le rapport de l’art au capitalisme à travers une analyse de son rapport au capital. Pour investiguer l’économie de l’art, je m’appuie sur les bases classiques du marxisme et en particulier sur les trois volumes du Capital. Je soutiendrai que les arguments avancés par le marxisme occidental concernant la marchandisation de l’art au sein de l’industrie de la culture ont besoin d’être évalués par rapport aux conditions économiques actuelles de la pratique artistique, qui donne à voir les caractéristiques d’une marchandisation qui n’a pas été transformée par le processus de marchandisation à travers l’imposition des mécanismes économiques dans la production. Bien sûr, les artistes comme les œuvres d’art sont confrontés à l’argent sous diverses formes, mais, comme nous le verrons, le capital au sens strict joue un rôle extrêmement limité dans la production et la circulation de l’art et, dans la majorité des cas, aucun rôle du tout. Alors que les économistes mainstream et marxistes occidentaux se satisfont de l’affirmation selon laquelle l’art est une marchandise comme une autre, les pionniers des sciences économiques classiques et l’analyse économique marxiste de l’art démontrent non seulement que l’art est exceptionnel économiquement parlant mais, dans le second cas, qu’il est exceptionnel vis-à-vis du mode de production capitaliste en particulier.

Aujourd’hui, au sein des sciences économiques mainstream, la principale objection à l’affirmation selon laquelle l’art est exceptionnel économiquement parlant se fonde sur l’observation du fait que l’art est manifestement rentable. L’erreur ici n’est pas l’assertion en elle-même, qui est indéniable. L’art est rentable. Même l’art qui échoue à vendre entraîne inévitablement des coûts pour l’artiste dans l’achat de matières premières, la location d’un atelier et le coût d’une formation ou, tout du moins, du temps. Et nombre de ces transactions consisteront nécessairement en échanges de marchandise standards. Le marché des toiles n’est pas économiquement exceptionnel, l’achat de caméras vidéo n’est pas différente pour un artiste ou toute autre personne, et les loyers des ateliers d’artistes sont fixés par les mêmes mécanismes que tous les autres loyers (ce qui inclut les prix du parc immobilier, les subventions ainsi que d’autres facteurs). L’erreur est de nier l’exceptionnalisme économique de l’art en pointant du doigt le fait que l’art est manifestement rentable selon l’hypothèse que, si l’art est rentable, alors il ne peut pas être économiquement exceptionnel. L’exceptionnalisme économique n’a jamais désigné quelque chose qui serait en dehors ou au-delà de l’économie. Les économistes classiques ont défendu l’idée que l’art affichait des tendances atypiques en matière de tarification, dues à l’existence de limites dans l’augmentation de l’offre, comme la mort d’un artiste. L’exceptionnalisme économique est un phénomène économique.

L’art est économiquement exceptionnel mais il reste économique. L’art est onéreux, les artistes dépensent de l’argent et du temps en produisant des œuvres, des ateliers sont loués, des galeries font des profits, les investissements dans l’art augmentent et perdent de la valeur, les musées obtiennent des fonds et emploient les outils du marketing, des millions de personnes de par le monde sont employées dans le secteur artistique et l’art est un gigantesque business à l’échelle mondiale. Cependant, le fait que l’art soit économique ne prouve en aucune façon que l’art se trouve dans la norme économique. Les anomalies nécessitent d’être expliquées. Parmi les principales d’entre elles se trouvent les suivantes : l’art n’est pas une marchandise capitaliste ordinaire, les artistes ne sont pas des travailleurs salariés et, lorsqu’ils rencontrent un succès commercial, les artistes ne sont pas des entrepreneurs ordinaires. S’il peut être établi que de telles anomalies sont vérifiables empiriquement ou bien robustes théoriquement parlant, alors l’exceptionnalisme économique de l’art doit être intégré à l’étude des rapports que l’art entretient avec le capitalisme, ainsi qu’au statut de l’art au sein de l’économie culturelle. Ce postulat selon lequel l’art peut être étudié suivant les méthodes issues des sciences économiques marxistes ou mainstream de référence, ou bien que l’art n’est pas significativement différent des marchandises, marchés et industries ordinaires, ne peut être établi que par une analyse économique des rapports entre l’art et le capital. Si, comme je l’affirme, l’art est économiquement exceptionnel, alors une grande partie de la littérature sur l’économie de l’art et la place de l’art dans le capitalisme devra être fondamentalement reconsidérée.

L’exceptionnalisme de l’art ne constitue pas un argument économique en faveur de l’autonomie de l’art. Puisque Adorno a défendu l’idée que la marchandisation de l’art est la précondition de l’autonomie de l’art — c’est-à-dire, la libération de l’art vis-à-vis de l’Église, de l’État et de la tradition — une démonstration spécifique devrait être réalisée afin de démontrer si l’exceptionnalisme économique de l’art (pris particulièrement dans le sens d’un art non conforme au mode de production de marchandise capitaliste) constitue ou non le terrain propice à l’autodétermination de l’art. De tels débats ne sont pas développés dans ce livre, et aucune hypothèse n’est émise selon laquelle des débats de ce genre résultent de l’analyse économique de l’art. L’exceptionnalisme de l’art ne devrait pas non plus être compris comme l’affirmation que l’art ou les artistes ne sont aucunement, d’une manière ou d’une autre, affectés par le capitalisme, que ce soit à travers une solide indépendance d’esprit ou bien la favorisation d’une indépendance des moyens. La non-participation au capitalisme, en tant que société, est impossible, mais nombre de pratiques et de formes d’échanges au sein du capitalisme ne sont pas capitalistes au sens strict de se livrer à l’échange, c’est-à-dire d’accumuler des richesses. Cet ouvrage défend l’idée que l’art est l’une de ces pratiques. L’idée que l’art est lié au capitalisme mais ne se conforme pas au mode de production de marchandises capitaliste occupe une place centrale dans la thèse défendue dans ce livre. Par conséquent, l’exceptionnalisme économique de l’art n’est pas le résultat de la force héroïque de la volonté de l’artiste, de son irrationalité, de son détachement du monde ou de son mode de vie flamboyant. L’exceptionnalisme n’est pas idéal ou romantique mais réel et sous-tendu par l’analyse des faits économiques.

En 1974, Étienne Balibar et Pierre Macherey écrivaient que le marxisme a toujours été préoccupé par deux questions en rapport avec la littérature et l’art65. La première est l’ontologie de l’art et de l’esthétique, entendue comme investigation à l’intérieur de son caractère idéologique, et la seconde est la « position de classe » de l’auteur et du texte. Ils soutiennent ces propos en s’appuyant sur les écrits de Marx et Engels sur Balzac et ceux de Lénine sur Tolstoï. Ils auraient pu y ajouter les textes de Trotsky sur la littérature futuriste, ou de Plekhanov sur le théâtre français. Il convient de noter, cependant, que Balibar et Macherey se montrent très précis dans leur description du contenu de ce traitement initial de l’art par des marxistes. Aucun d’entre eux n’examina l’art à l’aide des méthodes de critique de l’économie politique de Marx. Ce qu’est l’art et de quelle façon il est rattaché au capitalisme a été l’une des préoccupations constantes de la pensée marxiste, mais la réponse n’a jamais été cherchée dans une analyse économique de la production et de la consommation de l’art. Au contraire, cela a été un élément incontournable de l’interprétation et de l’explication marxiste de l’art que de chercher à savoir si l’artiste est un travailleur, un entrepreneur, un manager, etc., mais en le faisant principalement à travers une analyse idéologique de sa « position de classe » telle qu’exprimée dans le texte, et non dans ses rapports économiques effectifs. Le marxisme a une réputation de « réductionnisme économique » mais, en réalité, le marxisme a constamment et vigoureusement préservé l’art des sciences économiques. Les auteurs marxistes comptent parmi les plus éminents théoriciens de l’« autonomie » de l’art — son indépendance tout à la fois vis-à-vis du contrôle de l’État et des forces du marché. Ce qui est, bien sûr, parfaitement cohérent avec les principes centraux d’une tradition fondée sur la critique de l’économie politique.

Steward Martin a rassemblé les deux en disant que le « communisme artistique », qui prend ses racines dans la philosophie romantique allemande après Kant, présente l’art comme « la réalisation de la liberté66 ». Plutôt que de suivre à la trace la circulation des objets d’art des producteurs jusqu’aux consommateurs en passant par les vendeurs, ainsi que toutes les autres opérations de l’art liées au monde du commerce et du profit, les marxistes se sont tournés vers l’art comme une sorte d’anticipation du communisme : « l’autonomie ou l’autodétermination aspire à l’inconditionnel ou l’absolu, et l’absolu est révélé dans l’art67 ». En forgeant une analyse économique marxiste de l’art, je ne conteste pas l’engagement dans le « communisme artistique ». Je suis plutôt convaincu que l’analyse de l’économie de l’art devrait en être la base. Je soutiendrai que l’antagonisme avec le capital que le « communisme artistique » appelle de ses vœux, est manifeste dans l’exceptionnalisme économique de l’art tout comme il doit être réexaminé à travers la théorie économique marxiste. Mais, paradoxalement, les marxistes ne plaidant pas pour l’analyse économique marxiste de l’art, je romps ainsi avec le marxisme dans l’acte même de retourner aux analyses de Marx contenues dans le Capital.

Ce livre se divise en deux parties. La première consiste en une évaluation de ce qu’ont apporté les sciences économiques mainstream quant au développement d’une approche économique de l’exceptionnalisme économique de l’art. La seconde consiste en une évaluation de l’apport de la tradition esthétique marxiste suivie d’une analyse économique marxiste de l’art. Cette séparation est en partie méthodologique et en partie le résultat du gouffre séparant en permanence les deux traditions. Il est impossible de mener simultanément à bien une appréciation cohérente des deux traditions sans se heurter à des conjectures incommensurables et à des contradictions méthodologiques. Et pourtant, aucune description adéquate de la littérature sur l’économie de l’art ne peut être établie à partir d’une seule tradition. En définitive, cet ouvrage présente une approche économique marxiste de l’art, mais les questions et les enjeux par lesquels une telle théorie doit être considérée incluent ceux soulevés au sein des sciences économiques mainstream. La confrontation entre une critique marxiste de l’économie politique et une approche économique mainstream de l’art ne constitue pas l’horizon de l’étude de l’art et de la valeur. Ce qui traverse plutôt le livre, c’est l’antagonisme entre les questions relatives à la qualité dans l’art et celles relatives au prix au sein de l’économie et des forces du marché. Ma démarche est celle d’une double interrogation de l’art et de la valeur, combinant une étude détaillée de (a) les conditions préalables aux pratiques artistiques d’attribution de la valeur avec (b) l’analyse des conséquences économiques des œuvres d’art auxquelles est attribuée de la valeur à travers des mécanismes extérieurs au marché. Tandis que chacune est elle-même en mesure d’ouvrir de nombreuses perspectives importantes et des observations pertinentes, tout argument qui n’est pas basé sur les deux est nécessairement unidimensionnel. Dans ce sens restreint, il est évident, comme ce livre s’emploie à le démontrer, que les sciences économiques mainstream comme le marxisme occidental ont compris les rapports de l’art au capitalisme seulement de façon unidimensionnelle.

L’analyse de l’art en termes de fonctions standards de marchés autoréglementés et de leurs mécanismes d’allocation des ressources en fonction de la demande se heurte, dans le cas de l’art, à de sérieux obstacles, et les économistes ont été conscients de ces obstacles dès l’instauration d’une théorie classique de l’économie. J’analyserai certaines des clefs permettant de répondre aux questions que posent ces obstacles dans le chapitre 1, en commençant par l’examen de l’argument selon lequel les sciences économiques se sont pas en mesure d’intégrer la valeur esthétique dans leurs calculs et en terminant par deux débats notoires quant au fait que l’économie et les forces du marché sont préférables à la bureaucratie, au règne des experts et à l’élitisme du goût. Dans le chapitre 2, je suivrai l’analyse de l’art mise en œuvre dans les sciences économiques classiques, celle-ci étant dominée par le postulat de l’exceptionnalisme économique de l’art. Dans le chapitre 3, j’examinerai l’absence du concept d’exceptionnalisme économique au sein des sciences économiques néoclassiques et plaiderai en faveur de plusieurs théories de l’exceptionnalisme spécifiquement néoclassiques. Le chapitre 4 se penche sur le destin de l’exceptionnalisme après 1945, avec l’introduction de l’économie du bien-être (welfare) et de l’État providence pour subventionner l’art, alors que le chapitre 5 examine les débats et stratégies politiques venus contester le consensus du bien-être après 1966. Ayant suivi les théories de l’art dans les sciences économiques classiques, néoclassique et du bien-être, le chapitre 6 introduit la critique marxiste de la tradition économique mainstream de façon à proposer une complète réévaluation du concept d’exceptionnalisme économique. Le chapitre 7 interroge les raisons pour lesquelles il n’y a jamais eu d’analyse économique marxiste de l’art en dépit du fait que les trois volumes du Capital de Marx offrent une boîte à outils permettant justement de s’acquitter d’une telle tâche. Les chapitres 8, 9 et 10 appliquent à l’économie de l’art l’analyse de Marx relative au capital productif, au capital marchand ainsi qu’au capital financier. Le chapitre 11 détermine si l’analyse établie par Marx concernant le capitalisme a été rendue obsolète par les récentes évolutions survenues au sein du capitalisme et de la théorie du capitalisme. Pour finir, la conclusion apporte, pour la première fois, une théorie cohérente de l’exceptionnalisme économique s’appliquant à l’art.

Introduction de l’ouvrage de Dave Beech, Art and Value : Art’s Economic Exceptionalism in Classical, Neoclassical and Marxist Economics, Brill, 2015 traduit de l’anglais par Sophie Coudray.

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  1. McAndrew Clare, The International Art Market 2007–2009 : Trends in the Art Trade during Global Recession, Helvoirt : The European Fine Art Foundation, 2010, p. 19. []
  2. Stallabrass Julian, Art Incorporated, Oxford : Oxford University Press, 2004, p. 200. []
  3. Cowen Tyler, In Praise of Commercial Culture, Cambridge, Massachusetts : Harvard University Press, 1998, p. 2. []
  4. Adorno Theodor, « L’industrie culturelle », in Communications, n°3, 1964, p. 13. []
  5. Cowen Tyler, In Praise of Commercial Culture, op. cit., p. 3. []
  6. Sholette Greg, Dark Matter : Art and Politics in the Age of Enterprise Culture, London : Pluto Press, 2011, p. 45. []
  7. Ibid., p. 1. []
  8. Cowen Tyler, In Praise of Commercial Culture, op. cit., p. 9. []
  9. Towse Ruth, « Art and the Market : Roger Fry on Commerce in Art », The Economic Journal, 112, 2002, p. 153. []
  10. Burn Ian, « The Art Market : Affluence and Degradation », in Alberro Alexander et Stimson Blake, Conceptual Art : a critical anthology, Cambridge, Massachusetts : MIT Press, 1999, p. 320. []
  11. Ramsden Mel, « On Practice », The Fox, 1, 1975, p. 66. []
  12. Burn Ian, « The Art Market : Affluence and Degradation », art. cit., p. 325. []
  13. Ibid., p. 322. []
  14. Ibid., p. 325. []
  15. Voir Hilton Rodney, The Transition from Feudalism to Capitalism, London : Verso, 1976 et Aston Trevor Henry et Philpin C.H.E. The Brenner Debate : Agrarian Class Structure and Economic Development in Pre-Industrial Europe, Cambridge : Cambridge University Press, 1985. []
  16. Hauser Arnold, The Social History of Art, Volume II : Renaissance, Mannerism, Baroque [1951], London : Routledge, 1992, p. 27. []
  17. Dobb Maurice, Études sur le développement du capitalisme, Paris, Maspero. 1979, p. 18. []
  18. Ibid., p. 19. []
  19. Ibid., p. 18. []
  20. Ibid. Accentuation du traducteur. []
  21. Voir Brenner Robert, « The Origins of Capitalist Development : A Critique of Neo-Smithian Marxism », New Left Review, 1977, 104 : 25–92. []
  22. Ibid., p. 26-27. []
  23. Dobb Maurice, Études sur le développement du capitalisme, op. cit., p. 18. []
  24. Ibid., p. 29. []
  25. Marx Karl, Le Capital, Livre III, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_19.htm []
  26. Dobb Maurice, Études sur le développement du capitalisme, op. cit., p. 28. []
  27. Ibid., p. 18. []
  28. Ibid., p. 83. []
  29. Ibid., p. 83-84. []
  30. Ibid., p. 83. []
  31. Burn Ian, « The Art Market : Affluence and Degradation », art. cit., p. 321. []
  32. Ibid., p. 320. []
  33. Ibid., p. 325. []
  34. Ibid. []
  35. Ibid. []
  36. Ibid., p. 326. []
  37. Ibid., p. 324. []
  38. Ibid., p. 325. []
  39. Wood Paul, « Commodity », in Nelson Robert et Schiff Richard, Critical Terms for Art History, Chicago : University of Chicago Press, 1996, p. 388. []
  40. Ibid., p. 392. []
  41. Ibid., p. 388. []
  42. Balibar, La Philosophie de Marx, Paris, La Découverte, 1993, p. 60. []
  43. Lukács, Histoire et conscience de classe, Essais de dialectique marxiste (Geschichte und Klassenbewußtsein: Studien über marxistische Dialektik), 1960, Paris : Éditions de Minuit, p. 33. []
  44. Lukács, La Signification présente du réalisme critique (Die Gegenwartsbedeutung des kritischen Realismus), 1960, Paris : Gallimard, p. 148. []
  45. Wood Paul, « Commodity », art. cit., p. 404-5. []
  46. Ibid., p. 397. []
  47. Ibid., p. 382. []
  48. Ibid. []
  49. Ibid. []
  50. Maurizio Viano in Antonio Negri, Marx beyond Marx : Lessons on the Grundrisse, traduit par Harry Cleaver, Michael Ryan et Maurizio Viano, New York : Autonomedia/Pluto, 1991, p. xxxvii. []
  51. Martin Stewart, « Artistic Communism – A Sketch », Third Text, 23, 2009, p. 482. []
  52. Negri Antonio, « N for Negri : Antonio Negri in Conversation with Carles Guerra », Grey Room, 11, 2003, p. 105. []
  53. Osborne Peter, « Living with Contradictions : The Resignation of Chris Gilbert », Afterall, 16, 2007, p. 110. []
  54. Ibid., p. 111. []
  55. Thompson E. P., The Poverty of Theory [1978], London : Merlin Press, 1995, p. 80-2. []
  56. Diederichsen Diedrich, On (Surplus) Value in Art, traduit par James Gussen, Berlin : Sternberg Press, 2008, p. 24. []
  57. Ibid., p. 21. []
  58. Ibid., p. 22. []
  59. Ibid., p. 37. []
  60. Ibid. []
  61. Ibid., p. 39. []
  62. Ibid., p. 46. []
  63. Paul Samuelson a inventé le terme « sciences économiques mainstream » dans son manuel d’économie. Il l’a utilisé pour faire référence au type d’économie enseigné dans les universités. J’utilise le terme « sciences économiques mainstream » en faisant référence à la fois aux sciences économique classique et néoclassique, qui constituent la base des manuels d’économie aujourd’hui. Les trois livres du Capital de Marx n’appartiennent pas totalement à l’économie classique traditionnelle du fait qu’ils constituent une critique de l’économie politique et sont, au mieux, marginaux dans les manuels de savoir économique académique. Tout au long de ce livre, le terme « sciences économiques mainstream » fera par conséquent référence non seulement à ce qui est actuellement l’idéologie économique dominante du néolibéralisme, mais également à ses adversaires néoclassiques. Les sciences économiques mainstream ont une branche orthodoxe (l’École de Chicago, à la suite de Milton Friedman) et de nombreuses branches hétérodoxes (incluant un éventail plus large de positions économiques dont de nombreuses tendances économiques de « concurrence imparfaite » [imperfect market] par Galbraith, Stiglitz, Robinson, Sraffa et d’autres). Le keynésianisme appartient actuellement à la catégorie hétérodoxe des sciences économiques mainstream. L’usage que je fais du terme « sciences économiques mainstream » n’a pas pour but d’être généralisé de quelque façon que ce soit, mais préserve ses divisions internes tout en insistant sur la distinction fondamentale entre les sciences économiques mainstream et le marxisme. []
  64. Jonathan Harris in Hauser Arnold, The Social History of Art, Volume I : From Prehistoric Times to the Middle Ages [1951], London : Routledge, 1999, p. xii. []
  65. Balibar Étienne et Macherey Pierre, « Sur la littérature comme forme idéologique. Quelques hypothèses marxistes », in Littérature, n° 13, 1974, pp. 29-48. []
  66. Martin Stewart, « Artistic Communism – A Sketch », art. cit., p. 484. []
  67. Ibid. []
Dave Beech