Critique de théâtre, journaliste, éditeur – après avoir également été ouvrier, comptable, publicitaire, marionnettiste et éducateur – Émile Copfermann est une figure notoire à la croisée du militantisme, de l’édition, du théâtre et de l’éducation populaire. Directeur éditorial aux éditions Maspero, il est secrétaire de rédaction puis rédacteur en chef de la revue Partisans. Il publie également entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970 plusieurs ouvrages critiques sur la production théâtrale de l’époque et participe à la fondation de la revue Travail Théâtral aux côtés de Bernard Dort. Spectateur assidu de théâtre, il est même, un temps, le délégué des « Amis du Théâtre Populaire », l’organisation des spectateurs du Théâtre National Populaire de Villeurbanne. Dans son approche du champ théâtral, il se montre « critique envers la structure pyramidale de l’institution culturelle qui est, selon lui, à l’origine de la sclérose de toute politique culturelle. » Et, fidèle à l’idée d’un théâtre populaire qui puisse être théâtre d’éducation populaire, « il se place davantage du côté de l’action culturelle que de la création1. »
Émile Copfermann coordonne entre 1967 et 1969 deux numéros de la revue Partisans intitulés « Théâtres et politique » dans lesquels il publie également une analyse poussée du contexte et des enjeux politiques de l’art et du théâtre plus précisément. Le premier s’intitule « Un théâtre révolutionnaire », puis arrive Mai 68 et le suivant (un an après les événements de Mai), reprend la réflexion là où elle avait été arrêtée, car entre temps, « Quelque chose a changé… » (i.e. titre du second article). La même année, il publie Le théâtre populaire, pourquoi ?, puis en 1976, Vers un théâtre différent, aboutissement de sa lecture marxiste des modes de production du théâtre. Ses articles et ouvrages seraient à ranger aux côtés de ceux de Jean Jourdheuil (qui publie en 1976 L’artiste, la politique, la production et Le théâtre, l’artiste, l’État en 19792). Dans ces différents opus – compilations d’articles pour la plupart – la critique des créations théâtrales laisse la part belle à l’analyse des modes de production du théâtre, des institutions et des politiques culturelles. Selon Copfermann en effet :
La tâche du critique, lien de l’œuvre avec le public, devrait être d’introduire les termes d’un examen global aidant la compréhension de l’œuvre comme moment de la réflexion de l’homme, comme moment de son expérience, comme expression de sa conscience en se fondant sur ce fait que si les superstructures n’agissent pas ou peu sur l’œuvre, elles agissent sur le public et sur la conscience du public, ce que le critique peut révéler. Il devrait être l’introducteur dans le public des styles, des formes qui se développent en dehors de lui3.
Émile Copfermann analyse ainsi le théâtre par le prisme d’une réflexion politique menée sur la production, le statut de l’art et de l’artiste dans la société. Il envisage son travail de critique « en lien avec la construction d’une conscience politique de la pratique artistique4 ». Cette construction d’une conscience politique est fondamentale car pour lui :
L’analyse d’une œuvre dramatique quelle qu’elle soit, au même titre que des valeurs esthétiques, affirme aussi des valeurs idéologiques. Le répertoire, succession d’œuvres choisies dont les contenus s’additionnent, révèle plus sûrement une idéologie. Car la culture ne flotte pas, intemporelle dans un halo miraculeux. Elle naît des rapports que les artistes, les intellectuels d’une classe sociale entretiennent avec cette classe et c’est cela que le répertoire des théâtres révèle même lorsqu’ils s’en défendent5.
L’approche est résolument matérialiste et les références non seulement à Marx, mais aussi aux textes relatifs à l’art prolétarien et révolutionnaire et à la stratégie culturelle de Lénine, Lounatcharsky, Trotsky et Mao Tsé-Toung, abondent dans ses écrits et lui fournissent un cadre de pensée et des outils d’analyse des modes de production du théâtre et de sa portée politique.
La création théâtrale comme procès de production
La production théâtrale constitue l’un des enjeux majeurs de son ouvrage Vers un théâtre différent, dans lequel il entreprend d’étudier ce « en quoi la mise en forme théâtrale est atteinte par l’appareil de production » étant entendu que « le subventionnement par l’État s’impose moins pour « aider » les troupes que pour orienter la production. Et orienter doit être pris au sens plein : donner une orientation, ce n’est pas, platement, dresser la liste des pièces à jouer. C’est imposer, pour qu’elles soient respectées, des normes minimales et optimales : de fonctionnement, de permissivité (esthétique) de lecture (culture), dont ceux qui font « parler l’œuvre » ont à juger6. » Aussi la création théâtrale est-elle soumise à certains impératifs de forme comme de contenu mais surtout, le cadre dans lequel elle s’opère – c’est-à-dire l’institution et partant, sa mission dans le cadre de la politique culturelle de l’État, le public visé, etc. – constitue l’un des facteurs déterminants de l’œuvre qui en résultera.
Étudiant le théâtre par le prisme de la production – et non uniquement de la création – Copfermann considère l’artiste comme un producteur. L’adoption d’une telle posture critique est peu répandue dans le champ artistique et ce, d’autant plus qu’il est possible de parler d’une exceptionnalité de cette activité, comme on y reviendra par la suite. Le monde de l’art et notamment du théâtre est rarement pensé en tant que faisant partie du monde du travail et les artistes sont vus davantage comme créateurs que comme producteurs et même comme travailleurs. Cette distinction présuppose une singularité ontologique de l’art qui placerait cette activité au-delà de la situation concrète dans laquelle elle s’ancre, des idéologies et des modes de production qui régissent l’ensemble de la société. Dans cette vision idéaliste, les artistes, en tant que créateurs, viennent s’opposer aux fabricants du fait qu’ils distinguent bien les œuvres (création) des produits (fabrication). Pourtant, comme le rappelle à juste titre Jean Jourdheuil dans son article « L’artiste à l’époque de la production » (1975) :
leurs œuvres se vendent et sont commercialisées, et lorsqu’ils créent ces artistes font tourner et s’appuient sur de véritables appareils de production [qui] transforment ces œuvres en produits pour les présenter à un public de consommateurs-amateurs d’art, [et qui] sont partie intégrante des appareils idéologiques de la société bourgeoise7.
La tour d’ivoire dans laquelle serait retranché l’artiste-créateur loin des vicissitudes du monde terrestre s’effondre, l’œuvre redevient marchandise, les spectateurs des consommateurs et l’artiste… un producteur. L’artiste travaille non seulement dans un contexte donné, qui est celui propre à une société, une époque et aux rapports de force qui la traversent, à l’idéologie dominante mais aussi à la classe à laquelle il appartient. Plus encore, il crée à partir de ces données préalables. Ce contexte lui fournit le cadre et les contraintes, son statut autant que sa matière première. En outre, même si l’art peut être une tentative de s’élever au-delà des assises matérielles qui l’ont vu naître, l’artiste ne peut s’abstraire de son environnement ni des rapports de production qui régissent sa profession. Il convient donc de ne pas se leurrer sur les conditions concrètes de la production artistique.
Pour Copfermann, la sphère artistique et la création constituent cependant bien une activité singulière, faisant exception de par son mode de production inhabituel. Il développe en effet l’idée d’une « exceptionnalité de la production artistique »8. En effet, comme il le souligne dans « Un théâtre révolutionnaire », l’art, en tant que travail, diffère cependant des autres activités en ce qu’il « n’est pas directement productif »9. Activité individuelle, « ce travail particulier prend valeur en tant qu’art par cette unicité, opposée à la multiplicité conforme, produit du travail humain industrialisé, du moins tant que n’existent pas les moyens mécaniques de sa reproduction en de multiples exemplaires10 » (sur ce point précis, les réflexions formulées par Walter Benjamin dans « L’œuvre d’art à l’ère de la reproductibilité technique » restent essentielles). Mais à considérer l’art comme étant le fait de quelques individus, animés par un esprit de création, comme une activité en marge des autres activités humaines salariées qui répondent quant à elles à un impératif de production industrielle dans l’objectif de générer de la plus-value, il ne s’agit pas pour autant de sacrifier à la vision romantique (et bourgeoise) du génie créateur et libre, isolé et marginalisé ; vision qui ne fait pour Copfermann que cristalliser les « idées bourgeoises démocratiques » du XIXe siècle, car « quelle que que soit la liberté créatrice réelle de l’artiste, son œuvre n’en demeure pas moins l’objet de trafic. De telle sorte que l’artiste est moins maître d’elle que son protecteur, son commanditaire, son propriétaire. L’art devient « productif », sitôt qu’il acquiert cette valeur marchande11. » Et c’est la valeur marchande que va acquérir l’œuvre dans le cadre de ce trafic qui fait entrer l’art dans la sphère de la productivité. Ainsi – et bien que l’œuvre d’art soit considérée comme une marchandise « à part » et protégée de par son exceptionnalité – dans les régimes capitalistes « au même titre que le produit de n’importe quel travail salarié l’œuvre devient marchandise12. »
Par ailleurs, Copfermann s’appuie sur les Théories de la plus-value de Marx pour expliquer que :
la production capitaliste n’est pas seulement une production de marchandises, que le caractère spécifique du travail productif n’est en rien lié au contenu déterminé du travail, à son utilité particulière ou à la valeur d’usage spéciale dans laquelle il se présente. « Le même genre de travail peut être productif ou improductif13 », selon que celui qui s’y livre est ou non subordonné au capital et ne l’accomplit que pour son profit14.
Il revient ici à la définition du travail productif donnée par Marx en tant que travail salarié produisant de la plus-value, autrement dit « qui créé plus de valeur qu’il n’en coûte15 », mais surtout en tant qu’il est directement financé par le capital. Comme le développe en effet succinctement16 Marx dans les Théories sur la plus-value, dans le cas des « artistes exécutants » – catégorie dans laquelle il compte les acteurs, mais aussi les enseignants, les prêtres… – « la production n’est pas séparable de l’acte de production » et « il n’y a mode de production capitaliste que dans une mesure réduite et il ne peut avoir lieu, par la nature de cette activité, que dans quelques sphères. » Marx complète en précisant que « vis-à-vis du public, l’acteur se comporte ici comme un artiste, mais vis-à-vis de son entrepreneur il est un travailleur productif17. » Aussi l’artiste occupe-t-il une position qui participe à la fois d’une conception systémique des modes de production et du salariat, tout en conservant une certaine singularité qui le différencie de ses semblables. Le milieu de la production artistique est toujours en cela régit par des règles spécifiques, et le statut des artistes et professionnels du spectacle diffère de celui des autres salariés. Comme le relève Copfermann :
l’artiste apparaît un type particulier de producteur (devrait ou semblerait devoir être : un acteur qui ne joue pas n’est même pas un chômeur ; ne jouant pas, il n’existe pas socialement. Un peintre qui ne vend pas, qui n’expose pas, un écrivain qui ne publie pas peuvent continuer de peindre, d’écrire. Un acteur qui ne joue pas n’est pas un acteur. Mais son inexistence comme « artiste », créateur de sentiments, rend plus encore « cher » celui qui joue, pris ici non pas dans le sens coûteux mais d’exceptionnel, de différent)18.
Pour conserver son statut, l’acteur doit jouer, se donner en représentation en tant qu’acteur, devant un public, sans quoi nous dit Copfermann, il n’a pas d’existence sociale. Pour se maintenir, le statut de l’acteur requiert donc la confrontation de l’œuvre (comme produit) avec un public (consommateur). S’appuyant sur la Critique de l’économie politique, il évoque la dialectique entre le sujet et l’objet, c’est-à-dire, dans ce cadre-ci entre l’œuvre et le consommateur d’art19. Marx développe en effet dans cet ouvrage l’argumentaire suivant :
La production est donc immédiatement consommation, la consommation immédiatement production. Chacune est immédiatement son contraire. Mais il s’opère en même temps un mouvement médiateur entre les deux termes. La production est médiatrice de la consommation, dont elle crée les éléments matériels et qui, sans elle, n’aurait point d’objet. Mais la consommation est aussi médiatrice de la production en procurant aux produits le sujet pour lequel ils sont des produits. Le produit ne connaît son ultime accomplissement que dans la consommation20.
Ce passage sert de base argumentaire au critique pour aborder la question de la « récupération » des œuvres par l’institution théâtrale prenant en charge la production et la diffusion des œuvres et, partant, leur « entrée dans la production marchande » ainsi que leur alignement sur les normes salariales et la division du travail appartenant à ces mêmes institutions. Institutionnalisation que conteste également Jean Jourdheuil, qui regrette la récupération des quelques tentatives artistiques après 1968 de produire un « théâtre différent » en dehors d’une institution sclérosée, en mettant sur pied des « circuits parallèles ». Comme il le dit : « Ce qui était à l’époque marginal est aujourd’hui relativement intégré à l’appareil dominant (représentations en tournée, accueil des troupes qui offrent des spectacles relativement bon marché, etc.)21. »
L’artiste comme producteur : travailleur et homme libre
Dans son article « L’auteur comme producteur », Walter Benjamin explique que c’est « sur la base de sa place dans le procès de production22 » que se fonde la place de l’intellectuel dans la lutte des classes. C’est pourquoi le travail de l’auteur comme producteur « ne sera jamais uniquement le travail sur des produits mais toujours en même temps un travail sur les moyens de production23. » Pour Copfermann, qui considère également que l’artiste révolutionnaire doit agir sur les modes de production, ce dernier tente justement d’échapper à ce système production, cycle infernal dans lequel tout le procès de production est tourné vers la reproduction dudit système :
La loi première à laquelle l’artiste producteur semblerait devoir subordonner son activité, c’est la loi unique – contre la production calibrée – de la chose à produire. Il repousse ou tente de repousser l’autre loi, tente d’éviter de subordonner son activité à la loi de l’appareil de production, selon laquelle produire une chose signifie y inclure la reproduction des conditions globales de la production capitaliste, celles qui précisément amputent l’homme d’une part de lui-même : il tend, au contraire, à plus d’humanité tout de suite et non monnayable24.
Aussi l’artiste-producteur aspire-t-il, au contraire, à « créer des conditions où le produit de l’homme échappe à l’organisation totalitaire de la production capitaliste25 ». L’artiste se trouverait dans une situation ambivalente, double, à la fois travailleur et homme libre, producteur échappant partiellement au mode de production capitaliste, du fait que cette activité tend « à échapper à la productivité exploiteuse qui métamorphose l’homme en instrument de labeur » grâce au caractère unique, non calibré et non répétitif de ce qu’elle produit. Ainsi, l’art « apparaît travail et activités libres ; expression majeure de l’homme parce que au-delà du principe de rendement du travail obligatoire ; parce que, et aussi, au-delà de la force de travail vendue, c’est-à-dire, et enfin, par-delà le salariat26. »
Copfermann écrit en effet en ouverture de son article « Un théâtre révolutionnaire » que « l’art est travail et activité libres : l’expression de l’homme non-aliéné par le labeur et la force de travail vendue27. » Les artistes professionnels seraient à ce titre des « travailleurs libres ». Travailleurs, car « le travail de création est un travail sérieux : un vrai travail », mais un travail qui n’est plus sacrifice de la vie mais au contraire, propice à « l’autoréalisation de l’individu »28. Il résulte de cette caractéristique de l’art une difficulté que rencontre le champ de la création artistique, notamment théâtrale, à se penser comme partie intégrante du « monde du travail » et de penser la création aussi comme procès de production, ce qui l’empêche de voir l’exploitation, le sur-travail fournit par les artistes comme travailleurs, comme producteurs. Comme Marx le précise en annexe des Théories de la plus-value : « le procès de production capitaliste n’est […] pas non plus simplement la production de marchandises. C’est un procès qui absorbe du travail non payé, qui fait de la matière [première] et des moyens de travail – les moyens de production – des moyens d’absorber du travail non payé29. » Il importe de tenir compte de ces éléments, y compris dans le cadre de l’activité artistique, certes plus « libre », mais tellement « libre » qu’elle tend aussi à échapper aux gardes-fous établis pour réglementer le travail et limiter l’exploitation abusive des travailleurs. Par conséquent, pour Copfermann, « il faudrait certes et aussi se demander pourquoi le théâtre devrait se distinguer des autres activités humaines (devrait-il encore et toujours réclamer un travail « après six heures », plus d’engagement, plus de présence de la part du travailleur théâtral ?) ; en quoi peut-il échapper aux rapports marchands imposés par la société capitaliste et où se situe sa sphère particulière30 ? »
La production artistique serait également dotée de « vertus contestataires », menaçantes pour la bourgeoisie car s’inscrivant à l’opposé de ses vertus à elle, qui sont « vertus marchandes ». La « perversion » de l’art (Copfermann utilise lui-même les guillemets pour que sa posture critique ne soit pas assimilée à une posture morale), viendrait alors de sa mise sur le marché, étant entendu que ce qui constitue la perversion serait « le passage de la chose produite à la marchandise31 ». D’où une méfiance toujours vis-à vis de l’institution, du circuit officiel de la production et de la diffusion artistique, qu’il accuse de « récupérer » l’art et ainsi de désamorcer ses « vertus contestataires » en l »incitant à entrer dans des modes de production guidés par les seules « vertus marchandes ». Comme il l’explique :
La formation de l’institution théâtrale a semblé constituer une conquête des travailleurs du théâtre. Elle l’a été, dans la mesure où elle leur offrait les outils nécessaires au passage à une étape supérieure de la production. Mais le prix payé, c’est cet éloignement de l’œuvre. L’édification de lieux architecturaux spécialisés dans une représentation de l’imaginaire, puis leurs perfectionnements successifs calquant bientôt leur structure sur celles d’entreprises vendant n’importe quel produit, appelant des commandites, faisant miroiter de possibles profits, ont tourné de plus en plus le dos à la notion de travail libre à laquelle, comme art, production de l’imaginaire, le théâtre semblait lié32.
Il est intéressant de constater ici que Jourdheuil, qui se méfie tout autant de l’institutionnalisation, avance en plus l’argument de l’étatisation. Le processus qui verrait les compagnies s’institutionnaliser en centres dramatiques, en structures pérennes et dont les artistes seraient devenus « artistes d’État » renforcerait l’étatisation de l’art, rendant par ailleurs obsolète toute « politique culturelle » dès lors que l’État contrôle directement la production des œuvres et leur diffusion et « cela, en interdisant de facto toute problématique de la socialisation des pratiques artistiques en lui substituant le système, toujours plus perfectionné, de la diffusion des produits artistiques ». En suivant cette logique, en lieu et place des « créateurs » on ne trouverait plus que des « gestionnaires de la culture » dont le rôle est moins la « création » que la « production/diffusion des produits artistiques »33 .
L’art n’échappe donc pas à la sphère globale de la valeur marchande, bien que ses produits bénéficient d’un statut d’exception. Plus encore, « croire que l’art échappe à la sphère globale de la valeur marchande serait valider une croyance mythique, où la superstructure s’établit… sans infrastructure, ce serait participer de l’idéologie de l’art (la sphère autonome)34. » L’idée d’un artiste-artisan s’impose souvent comme approche idéalisée d’une pratique échappant ainsi aux impératifs liés à l’industrialisation. Or, d’après Copfermann, que l’on soit dans l’institution ou en dehors, « la tendance à l’industrialisation ou le maintien de l’artisanat sont subis. » Il ne s’agit d’ailleurs pas pas pour lui de défendre le primat de l’artisanat contre l’industrialisation, car l’artisanat « impose la polyvalence, une apparente plus grande liberté dans la structure de la représentation, à ceci près que le non-salariat des producteurs rend aléatoire le produit final, impose un surtravail inacceptable ailleurs. » Ainsi les deux modes de fonctionnement apparaissent comme difficilement tenables. L’attrait nostalgique pour l’artisanat, l’objet unique conçu par un producteur unique constitue pour lui un leurre, celui du fantasme d’une structure sociale rêvée – et donc en partie au moins irréelle et idéalisée – d’un « ordre micro- et macrocosmique, familial et social. Les voisins, les parents, les enfants. Le bonheur artisanal, à ce titre, c’est le bonheur figé d’un monde réduit au pas-de-porte, saisi à un moment historique indéfini, dans une strate idéalisée. » Une posture qui implique de fermer les yeux sur une partie de l’histoire (la concurrence n’existe-t-elle pas dans la production artisanale ? Quelle part d’asservissement au travail ce mode de production implique-t-il ?) ou d’effectuer des « raccourcis dans le temps et dans l’espace [qui] tendent à atténuer la réalité35 ».
Est-ce à dire qu’il n’y a point de salut hors de l’institution ? Les alternatives à l’institutionnalisation, telles qu’elles ont existé dans le sillage de Mai 68 (déjà amorcées dans les années précédentes), recouvrent ainsi diverses formes, de la production collective à la mise en place de « circuits parallèles » de diffusion, comme le fait le dramaturge et metteur en scène André Benedetto à Avignon dès 1966 en organisant des représentations en marge du festival d’Avignon pour contester cette manifestation officielle et la culture, tout aussi officielle, qu’elle représente. Ainsi naquit le off d’Avignon, lui-même finalement rattrapé par l’institutionnalisation rampante… Un autre théâtre existe qu’il s’agit de reconnaître et de soutenir. Théâtre politique appelant à un renouvellement tant des formes, des sujets, que des modes de production. Théâtre semi-professionnel parfois, militant souvent, venant mettre l’institution culturelle étatique face à ses contradictions, lui imposant de tirer le bilan de sa politique de démocratisation culturelle, s’engouffrant dans la veine du théâtre populaire pour en éclaircir ou en redéfinir les enjeux et les modalités.
Pour un théâtre populaire… de classe
De Roman Rolland, Firmin Gémier, Maurice Pottecher à Jean Vilar – réclamant quant à lui un « service public » du théâtre au même titre que le gaz ou l’eau – un véritable mythe s’est forgé autour de la notion de théâtre populaire, recouvrant en réalité une pluralité d’approches, de projets artistiques et politiques. Copfermann se détache quant à lui de la vision prédominante – bien que contestée – du théâtre populaire républicain, s’inscrivant dans l’objectif de rassembler la nation, toutes classes confondues, abolies au sein d’une même communauté culturelle et démocratique. Dans cette optique, l’art, la culture, transcendent les divisions sociales et le peuple est un. C’est justement ces deux éléments, aux fondements du théâtre populaire républicain, que conteste Copfermann, en commençant par la culture défendue par Vilar et ses émules, qu’il refuse en tant qu’il s’agit d’une culture bourgeoise. À rebours du théâtre bourgeois qui s’imposerait à tous comme culture nationale unificatrice, « il s’agit pour lui de construire en lien avec les classes populaires une culture critique36 ». Quel théâtre faut-il produire alors ? Et pour quelle définition du peuple ? À ce propos, on peut préciser avec Brecht :
Naturellement, il y a les plaintes de ceux qui sont déçus et disent que le peuple veut avant tout de la camelote et rien de plus. De là vient que certains des artistes « déçus » font justement de l’art qui n’est pas pour le peuple, ou de la camelote pour le peuple. Ce qu’il faut faire, c’est définir ce qu’est le peuple. Et le voir comme une multitude pleine de contradictions, en pleine évolution, et une multitude à laquelle on appartient soi-même. En face de l’artiste, en tant que public, le peuple n’est pas seulement l’acheteur ou celui qui passe une commande, il est aussi le fournisseur ; il fournit les idées, il fournit le mouvement, il fournit la matière et il fournit la forme. Tout cela sans unité, dans un perpétuel changement, à son image37.
Copfermann revendique un théâtre populaire qui soit un théâtre de classe et s’appuie pour cela sur Mao Tsé-Toung pour affirmer que :
« toute culture », toute littérature et tout art appartiennent à une classe déterminée et relèvent d’une ligne politique définie. Il n’existe pas, dans la réalité, d’art pour l’art, d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendante d’elle. La littérature et l’art prolétariens font partie de l’ensemble de la cause révolutionnaire du prolétariat ; ils sont, comme disait Lénine, « une petite roue et une petite vis » du mécanisme général de la révolution38.
Il va jusqu’à qualifier le « Lumpenthéâtre » et le « superthéâtre » de catégories à la fois « opposées et complémentaires agissant l’une sur l’autre et dont on aurait bien tort de dire qu’elles s’ignorent ; ils se nourrissent l’une de l’autre, à leur corps défendant39 ». Il s’agit donc de produire un théâtre de classe, de lutte. Quant à parler de « théâtre prolétarien », il reste sceptique car « ce serait d’abord supposer qu’il existe un tel répertoire ; par delà ce serait croire à l’existence actuelle d’une culture propre au prolétariat40. » La lecture de Littérature et révolution de Trotsky le rend méfiant quant à l’utilisation du terme d’« art prolétarien » pour désigner un théâtre adoptant le point de vue du peuple en tant que classe sociale exploitée. Trotsky explique en effet qu’il s’agit là d’une « fausse problématique » résultant du fait que la « culture prolétarienne » et l’« art prolétarien » « n’existeront en fait jamais, parce que le régime prolétarien est temporaire et transitoire. La signification historique et la grandeur morale de la révolution prolétarienne résident dans le fait que celle-ci pose les fondations d’une culture qui ne sera pas une culture de classe mais la première culture vraiment humaine41 ». Ce que poursuit Copfermann en y ajoutant que :
le prolétariat ne possède pas les moyens de production. Sa participation à la culture bourgeoise est très faible. Son aile consciente se fixe pour but l’appropriation de cette culture produisant, à la limite, une culture prolétarienne embryonnaire, mais sans perspective d’accomplissement. Car le but de la révolution n’est pas de renverser la domination d’une classe sociale par la domination d’une autre classe (le prolétariat à la place de la bourgeoisie), ni une culture par une autre (la culture bourgeoise par la culture prolétarienne). Il est : lutte pour la suppression des dominations, pour la disparition des classes sociales. Dans la période de transition entre l’ordre bourgeois et la société non-répressive, de toute manière trop courte pour faire naître une culture particulière, trop longue pour laisser survivre intacte l’ancienne, le prolétariat mobilisé pour ce combat acharné ne pourra consacrer de ses forces à la production d’une culture42.
Vers un art révolutionnaire
Théâtre populaire, de classe, il s’agit de tendre vers un théâtre révolutionnaire, bien que Copfermann soutienne que la question de l’art révolutionnaire se complique dans le cadre spécifique du théâtre, du fait qu’il s’agit « d’une expression collective et d’une manifestation sociale43 ». La finalité du théâtre étant sa représentation, le texte dramatique seul ne suffit pas, encore faut-il que la mise en scène, les choix formels, mais aussi les attentes du public convergent pour que l’œuvre finale ait une portée révolutionnaire. Par ailleurs, la notion de théâtre populaire coïncide-t-elle avec celle de théâtre révolutionnaire ? Pas nécessairement. Pour Copfermann : « Ce serait supposer au théâtre populaire une similitude de point de vue avec le mouvement ouvrier, et, dans la phase actuelle, une volonté révolutionnaire par le théâtre aux organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. Dans ce dernier cas, le théâtre populaire serait un élément de prise de conscience et ses animateurs, des militants politiques. » Or, d’après lui, « cela n’est pas le cas. La plupart des hommes du théâtre populaire sont d’abord des hommes de théâtre qui, par raison humanitaire, se réfèrent à un justicialisme culturel idéaliste sans pour autant remettre en question l’ordre établi44 ».
D’après Trotsky – et il faut tenir compte du fait qu’il définit l’art révolutionnaire dans une société qui vient d’achever sa révolution – l’idée d’un art révolutionnaire est liée à deux phénomènes artistiques différents : d’une part « les œuvres dont les thèmes reflètent la révolution » et d’autres part celles qui « en sont profondément imbues, colorées par la nouvelle conscience qui surgit de la révolution45 ». La question esthétique, loin d’être en reste, est même cruciale. Car il ne suffit pas d’aborder des thèmes révolutionnaires pour faire une œuvre qui le soit. Encore faut-il élaborer des formes, user d’une esthétique qui rompe elle aussi avec les valeurs de l’ancienne société. Ainsi, comme l’affirme à juste titre Brecht dans « Qu’est-ce que le formalisme » : « Ce serait pure folie de dire qu’en art il ne faut attacher aucune importance à la forme et à l’évolution de la forme. Il le faut, au contraire. Si elle n’apporte pas d’innovations formelles, la poésie ne peut apporter aux nouvelles couches de public les sujets et les points de vue nouveaux46. » Mais ce qui transparaît surtout des propos de Trotsky, c’est que les œuvres révolutionnaires naissent au sein de la révolution ou à la suite de celle-ci. Elles l’accompagnent et la prolongent. Par conséquent, un art révolutionnaire est-il envisageable sans révolution ? L’expérience qui constitue Mai 68 a été l’occasion de s’affranchir du modèle russe pour penser dans le cadre hexagonal les alliances entre le champ artistique et le mouvement politique, ainsi que les formes théâtrales qui en naquirent.
En 1969, l’heure est au bilan – aux règlements de compte aussi – et dans son article « Quelque chose a changé… », Copfermann attaque la position entretenue par le P.C.F. qui s’exprime notamment à travers la publication de l’article de Roland Leroy47 « La classe ouvrière, le marxisme et la culture nationale » paru en octobre 1968 dans France Nouvelle48, dans lequel le secrétaire fédéral de Seine-Maritime défend la spécificité et les fonctions sociales propres aux domaines de l’art et de la politique, appelant à les garder distincts sans quoi l’art comme la politique courraient le risque de s’appauvrir mutuellement. Leroy y défend également l’acquis des cultures passées, comme « point d’appui » d’une culture en constante progression, s’appuyant sur Lénine et Lounatcharsky en tant que partisans d’une « culture prolétarienne » qui ne nierait pas pour autant les œuvres du passé. Cette posture, allant à l’encontre de l’orientation prédominante du « Proletcult » qui revendiquait la rupture avec le passé et le refus de l’héritage, s’appuie sur l’idée que l’ancienne culture « servira temporairement à enfanter la nouvelle » et que la nouvelle culture ne saurait naître « de la liquidation brutale de l’ancienne »49. Or, Copfermann qualifie la référence à Lénine et Lounatcharsky en tant qu’argument d’autorité comme abusive, pouvant même s’apparenter « à la défense bourgeoise du passé »50. Abusive car, ainsi qu’il le rappelle, lorsque Lénine s’oppose à la liquidation de la culture ancienne, c’est « du pouvoir » qu’il le fait, en tant que « l ‘appareil d’État de la bourgeoisie a été détruit » – ce qui est bien évidemment loin d’être le cas en France – et dans ce cas seulement, celui de la « jeune Russie soviétique », il admet que s’impose « dans l’immédiat un compromis avec ce qui subsiste de la Russie ancienne capitaliste51 ». Mais un compromis cadré, temporaire et transitoire, le temps que naisse la nouvelle culture. Il cite pour cela longuement Trotsky, qui explique que : « La tâche du prolétariat qui a conquis le pouvoir consiste principalement à s’emparer maintenant de tout l’appareil culturel : l’industrie, les écoles, les maisons d’éditions, la presse, le théâtre qui autrefois desservirent sa cause et à s’ouvrir ainsi la voie vers la culture… » et, dit-il, « c’est en partant des matériaux anciens de l’ancienne société que le communisme sera bâti », c’est-à-dire « avec la somme de connaissances, d’organisations et d’institutions, avec la réserve de forces humaines et les ressources qui nous sont restées de l’ancienne société52 ».
Cette défense du caractère « sacré de la tradition » qu’il s’agit de préserver ne camoufle, selon Copfermann, que la peur des classes dominantes de se voir déborder et arracher le pouvoir par les « forces nouvelles ». Peur ravivée en 1968 et qui explique sans doute la parution de l’article de Leroy en réaction. Copfermann attaque le P.C.F. et dans son sillage quelques-uns des directeurs de théâtres et institutions prônant également, pour d’autres raisons, la perpétuation de la culture ancienne, afin de sauvegarder les vestiges de la culture bourgeoise au nom d’une union nationale – et culturelle – que l’on retrouve chez une partie des défenseurs du théâtre populaire. La « condamnation du politique au théâtre » de Leroy s’attaque quant à elle ouvertement à la « Déclaration de Villeurbanne », signée le 25 mai 1968 par des directeurs de théâtres et de Maisons de la Culture, énonçant leurs revendications quant à l’avenir du service public culturelle en France. Le P.C.F. refuse ainsi aux artistes ainsi qu’aux intellectuels la possibilité de développer un discours politique qui leur soit propre, tout en niant leur compétence dans le domaine politique, leur unique fonction et compétence étant « de faire œuvre de culture ». Copfermann ironise à ce propos :
En d’autres termes : aux politiciens la politique, au théâtre l’art. Le P.C.F. – qui ne donne pas de directives aux artistes – leur demande tout de même – même s’ils sont révolutionnaires et dès lors, comme tels, même s’ils sont tentés de faire passer la révolution dans leur œuvre – de s’en tenir aux limites qu’il leur désigne53.
Ce que conteste également Copfermann à travers la position du P.C.F. sur l’art et les artistes, c’est sa politique d’alliances « avec tous les démocrates et autres républicains » et sa politique culturelle en tant qu’ elle « n’est pas un facteur de division » mais au contraire « d’union », correspondant « aux intérêts de la nation ». Bref, comme il le conclut avec cynisme : « Une seule nation, une seule culture et tous pour elles, en quelque sorte54. »
Ainsi, s’il critique la politique du P.C.F. consistant à distinguer les fonctions artistiques et politiques – quand bien même elles concourraient à la même finalité – tout en édictant à ses artistes et intellectuels affiliés la politique culturelle à suivre, Copfermann se montre très clair sur les rapports que doit entretenir l’art avec les partis politique, y compris d’avant-garde. À la question : « La valeur révolutionnaire de l’œuvre dépend-elle, en effet, de la subordination de l’artiste au parti ? » La réponse est sans appel : « le parti n’a pas à enrégimenter l’art55 ». Plus encore, il revendique, en s’appuyant sur le manifeste Pour un art indépendant révolutionnaire l’absence totale de contrainte pour la création artistique, « même au nom de la révolution »56. Breton, Rivera et Trotsky – bien que son nom n’ait pas figuré, pour des raisons tactiques, en signature du manifeste – affirment en effet que : « En matière de création artistique, il importe essentiellement que l’imagination échappe à toute contrainte, ne se laisse sous aucun prétexte imposer de filière57. » Allié de la révolution, l’artiste ne pourra servir la lutte émancipatrice que s’il est – et de façon inconditionnelle – libre.
Mais un théâtre révolutionnaire doit aussi être un théâtre qui remet en cause les modes de production traditionnels du théâtre dans la société capitaliste. L’élaboration d’un tel art ne se fera qu’en rupture avec le mode de production actuel. Pour Copfermann :
Sont différents les théâtres qui tentent de produire et de se produire en des conditions remettant en cause le statut de la production théâtrale marchande ; qui s’efforcent de rompre avec l’économie de la représentation fixiste de l’imaginaire ou du symbolique (discours répétitif qui double les choses en les imageant) ; qui ne se laissent pas happer par le schème de l’identique, mais qui ouvrent au contraire, en permanence, de nouveaux champs de possibilités dans un espace aux significations changeantes, en un travail incessant sur lui-même, dans la perspective d’une libération de l’imaginaire (des contraintes du capitalisme)58.
Lucide, il ne prétend aucunement substituer l’art à la lutte, mais l’intégrer à celle-ci. C’est pourquoi il précise que « le théâtre politique révolutionnaire est un élément, parmi d’autres, d’une lutte et s’il ne provoque pas de manifestations, il peut parfaitement figurer dans une manifestation59. » Et s’il affirme qu’il existe une nécessité « de chercher à développer cet art révolutionnaire qui s’opposera aux idées de la classe dominante », il temporise cependant en ajoutant que :
le théâtre ne se produit pas comme un discours politique et que la façon première de s’opposer aux idées de la classe dominante est d’abord la lutte révolutionnaire. Aussi, dans l’immédiat, l’illusion s’effondre d’elle-même qui consiste à voir dans le théâtre l’élément de politisation déterminant, faute de pouvoir rattacher l’action politisante du théâtre à une organisation politique de lutte de classe. Le placage du discours révolutionnaire sur une forme théâtrale est à peu près aussi efficace pour la politique et pour le théâtre qu’un cautère sur une jambe de bois60.
Ainsi, pour lui et avant toute chose, « ce qui fait la valeur révolutionnaire d’un art c’est l’inspiration et la personne de l’artiste, leur force négatrice des valeurs anciennes et sa capacité de transcender l’univers établi dans une forme qui lui soit propre61. » Théâtre populaire, théâtre prolétarien, théâtre révolutionnaire, il s’agit avant tout d’élaborer un projet artistique qui soit aussi projet politique et qui tienne compte de tous les aspects de la création – du mode de production aux choix esthétiques – pour les renouveler en profondeur, afin que la production théâtrale s’inscrive dans une démarche militante et participe de la lame de fond qui renversera la société capitaliste et sa culture bourgeoise.
L’avenir de l’art c’est l’avenir de la société et cette société d’avenir doit transformer radicalement et les fondements de l’industrie, et les rapports que les hommes entretiennent avec l’art : pour cette raison il devient impossible que l’art se détourne de ses propres responsabilités. Il doit contribuer, de sa propre autorité à l’émancipation humaine et, ainsi, à sa propre émancipation. Il doit lui aussi, avec ses moyens, avec ses techniques, selon ses propres lois, aider au renversement du vieil ordre. Il doit refuser cette fausse alternative : art de masse altéré, art d’élite purifié. A long terme l’avenir du théâtre, c’est sa disparition en tant que sphère réservée d’activité, selon les mots de Marx non pas parce que tout le monde sera Raphaël mais parce que tout le monde pourra le devenir62.
Il fait ici bien sûr référence à la critique formulée par Marx et Engels, dans L’Idéologie allemande, de « la concentration exclusive du talent artistique chez quelques individualités, et corrélativement son étouffement dans la grande masse des gens » qui est « une conséquence de la division du travail ». Ce à quoi s’oppose le projet d’une société communiste dans laquelle « il n’y aura plus de peintres, mais tout au plus des gens qui, entre autres choses, feront de la peinture63. » Ainsi, la sphère artistique ne se transformera et permettra à un art nouveau – reflet de la société nouvelle – d’advenir, que lorsque la société elle-même sera engagée dans cette transformation globale, que le rapport de force sera tout autre et que le pouvoir sera en passe de changer de mains… Aussi le projet d’un art révolutionnaire ne doit-il jamais faire oublier que « l’avenir du théâtre ne s’appréhende pas qu’au théâtre64. »
- Léa Valette, « Émile Copfermann ou la question du théâtre populaire. Analyse d’un parcours militant à travers la décentralisation théâtrale », in Études théâtrales, n°40, Théâtre populaire, Actualité d’une utopie, 2007, p. 23. [↩]
- Le second a d’ailleurs été édité par Émile Copfermann, qui travaillait alors aux éditions Hachette et dirigeait la collection l’Échappée belle dans laquelle fut publié Le théâtre, l’artiste, l’État. [↩]
- Émile Copfermann, Le théâtre populaire pourquoi ?, Paris, Maspero, Petite collection Maspero, 1969, p. 144. [↩]
- Léa Valette, op. cit., p. 18. [↩]
- Émile Copfermann, Le théâtre populaire pourquoi ?, op. cit., p. 161. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, Paris, Maspero, Petite collection Maspero, 1976, p. 7. [↩]
- Jean Jourdheuil, L’artiste, la politique, la production, Paris, Union Générale d’Édition, 1976, p. 258-259. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 48. [↩]
- Émile Copfermann, « Un théâtre révolutionnaire », Partisan, n°36, 1967, p. 5. [↩]
- Ibid. [↩]
- Ibid., p. 6. [↩]
- Ibid., p. 5. [↩]
- Karl Marx, Théories sur la plus-value, tome I, Paris, Éditions sociales, 1974, p. 469. Accentuation de l’auteur. [↩]
- Émile Copfermann, « Quelque chose a changé… », Partisan, n°47, 1969, p. 11. [↩]
- Karl Marx, Théories sur la plus-value, op. cit., p. 163. [↩]
- Succinctement car comme Marx le précise à la fin du paragraphe concernant les « Manifestations du capitalisme dans le domaine de la production non matérielle » : « Tous les phénomènes de la production capitaliste dans ce domaine sont si insignifiants comparés à l’ensemble de la production, qu’on peut les laisser totalement de côté. », Ibid., p. 480. [↩]
- Ibid. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 49-50. [↩]
- Ibid., p. 44. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 49-50. [↩]
- Jean Jourdheuil, Le théâtre, l’artiste, l’État, Paris, Hachette, 1979, p. 18. [↩]
- Walter Benjamin, Essais sur Brecht, Paris, La fabrique, 2003, p. 131-132. [↩]
- Ibid., p. 137. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 50. [↩]
- Ibid., p. 51. [↩]
- Ibid., p. 47-48. [↩]
- Émile Copfermann, « Un théâtre révolutionnaire », op. cit., p. 5. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 53. [↩]
- Karl Marx, Théories sur la plus-value, op. cit., p. 469. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 46. [↩]
- Ibid., p. 44. [↩]
- Ibid., p. 54-55. [↩]
- Jean Jourdheuil, Le théâtre, l’artiste, l’État, Paris, Hachette, 1979, p. 19-20. Accentuation de l’auteur. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 51. [↩]
- Ibid., p. 47. [↩]
- Léa Valette, « Émile Copfermann ou la question du théâtre populaire. Analyse d’un parcours militant à travers la décentralisation théâtrale », op. cit., p. 20. [↩]
- Bertolt Brecht, Les Arts et la révolution, Paris, L’Arche, 1970, p. 154. [↩]
- Émile Copfermann, « Quelque chose a changé… », op. cit., p. 23. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit.,p. 57. [↩]
- Émile Copfermann, Le théâtre populaire pourquoi ?, op. cit., p . 163-164. [↩]
- Léon Trotsky, Littérature et révolution, (1924), Paris, 10/18, 1964, p. 28. Accentuation de l’auteur. [↩]
- Émile Copfermann, Le théâtre populaire pourquoi ?, op. cit., p. 164. Accentuation de l’auteur. [↩]
- Émile Copfermann, « Un théâtre révolutionnaire », op. cit., p. 8. [↩]
- Émile Copfermann, Le théâtre populaire pourquoi ?, op. cit., p. 163-164. [↩]
- Léon Trotsky, Littérature et révolution, op. cit., p. 261. [↩]
- Bertolt Brecht, Les Arts et la révolution, op. cit., p. 150. [↩]
- Roland Leroy est alors membre du bureau politique et du secrétariat du P.C.F.. Il prendra la direction de l’Humanité en 1974. [↩]
- En prolongation de cet article, Roland Leroy publiera en 1970 un ouvrage, La Culture au présent, qui récapitule la position officielle du P.C.F. vis-à-vis de l’art et de la culture. [↩]
- Émile Copfermann, « Quelque chose a changé… », op. cit., p. 20. [↩]
- Ibid. [↩]
- Ibid. [↩]
- Léon Trotsky, « Discours au IIIe congrès panrusse des Jeunesses communistes de Russie, 2 octobre 1920 », cité par Émile Copfermann, Ibid. [↩]
- Émile Copfermann, « Quelque chose a changé… », op. cit., p. 18. [↩]
- Ibid., p. 20. [↩]
- Ibid., p. 7. [↩]
- Émile Copfermann, « Un théâtre révolutionnaire », op. cit., p. 15. [↩]
- André Breton, Diego Rivera, Léon Trotsky, « Pour un art révolutionnaire indépendant », in Léon Trotsky, Littérature et révolution, op. cit., p. 505. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 161. [↩]
- Émile Copfermann, « Quelque chose a changé… », op. cit., p. 14. [↩]
- Ibid., p. 28. [↩]
- Émile Copfermann, « Un théâtre révolutionnaire », op. cit., p. 7. [↩]
- Émile Copfermann, Le théâtre populaire pourquoi ?, op. cit., p. 193-194. [↩]
- Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 2012, p. 397. [↩]
- Émile Copfermann, Vers un théâtre différent, op. cit., p. 111. [↩]