Le processus de production de film

Le cinéma militant des années 1970 est souvent réduit à l’accompagnement et au soutien aux luttes. Pourtant, différents collectifs ont tenté de dépasser cette démarche. Parmi eux, Cinéthique, revue et collectif de réalisation d’orientation marxiste-léniniste, refusait tant l’approche « cinéphilique » des Cahiers du cinéma que la prise de parole directe des luttes. Ce texte de Jean-Paul Fargier, issu de la revue, met davantage l’accent sur l’articulation, dans certains films « minoritaires » entre le « travail du film » et celui du spectateur. Dans « Le processus de production du film », Jean-Paul Fargier reprend les outils théoriques de Louis Althusser, d’Alain Badiou ou de Pierre Macherey pour proposer une analyse du rapport entre le procès de production du film et la réception du spectateur. Le cinéma ne saurait se réduire à l’idéologie, c’est-à-dire à sa matière première. Fargier nous invite à regarder, au-delà des matériaux qui font le contenu d’un film, son mode de production.

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Par une pratique en général, nous entendons tout processus de transformation d’une matière première donnée déterminée, en un produit déterminé, transformation effectuée par un travail humain déterminé, utilisant des moyens (de « production ») déterminés. Dans toute pratique ainsi conçue, le moment (ou l’élément) déterminant du processus n’est ni la matière, ni le produit, mais la pratique au sens étroit : le moment du travail de transformation lui-même, qui met en œuvre, dans une structure spécifique, des hommes, des moyens et une méthode technique d’utilisation des moyens.
– Louis Althusser

De même qu’il faut se tenir à une coupure entre science et idéologie (« La science, traitant comme matériau l’interpellation idéologique, déplace incessamment la brèche qu’elle y ouvre » — Badiou), il importe d’inscrire une autre coupure entre idéologie et texte.
– Philippe Sollers

La baguette critique1

Définir le film, ainsi que nous l’avons fait2, comme produit c’est du même coup le désigner, non plus comme l’œuvre d’un créateur, expression de son génie et reflet de sa vision du monde, mais comme l’effet d’une pratique, le terme d’un processus (de production). Par là, on sort de la problématique idéaliste du sujet et de celle, non moins idéaliste, de la causalité expressive. Par là, on entre dans un nouvel espace théorique, car si le film n’est plus considéré comme l’expression (la traduction) d’une subjectivité toute puissante qui crée des œuvres comme Dieu crée le monde, un champ inédit de réponses s’ouvre à la question fondamentale dont procède le travail qui se fait dans cette revue. En sa forme spontanée, notre question peut se formuler ainsi : qui (ou quoi) détermine le sens d’un film ? Lui donner une forme plus théorique et lui apporter des réponses non moins théoriques, ce sera donner un contenu (enfin) scientifique au concept de film – objet de notre travail.

Parvenu à ce point de rupture, les interrogations ne manquent pas de surgir. Celle-ci par exemple : dès lors qu’il est établi que le cinéaste ne peut pas être dit auteur (c’est-à-dire : cause unique) qu’advient-il de la notion de reflet dans le discours sur le film ? Et si l’on continue à employer ce mot, de quoi, à juste titre, peut-on dire que le film est le reflet ? Et si l’on cesse de considérer le film comme effet d’une cause unique, quelle place le processus de production assigne-t-il au cinéaste ? Pour le consoler de sa « chute » est-il possible de lui décerner, sans rire, le titre de travailleur ? Il semble du moins qu’on ne puisse le faire sans établir de quel travail on peut attendre qu’il réponde, sans marquer des différences entre ceux qui, effectivement, travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Depuis que Marx a écrit la distinction entre travail et non-travail on ne peut employer à la légère le terme de travailleur. Et n’est-il pas léger ce coup de baguette critique qui métamorphose en travailleurs tous les auteurs d’antan. De Oury a Moullet en passant par Chabrol et Bergman, soudain que de travailleurs ! Mais changer son vocabulaire d’épaule ce n’est pas pour autant ajuster la place réelle que le cinéaste occupe (positivement ou négativement) dans le processus de production de « son » film.

C’est le dessin de cette place que nous allons essayer de tracer le plus rigoureusement possible après avoir établi le schéma du processus dans lequel elle s’insère.

Fenêtre, miroir, reflet

Le discours idéaliste sur le film ne désigne pas le film comme produit d’un processus (de production). Il ne le conçoit que comme un rapport simple à un dehors du film : le monde « extérieur » des êtres et des choses et le monde « intérieur » de l’individu (« âme », sentiment, psychologie). Il formule ce rapport par trois métaphores qu’il nous faut écrire (réécrire) car c’est leur critique qui fonde le discours matérialiste sur le film3.

La première est celle de fenêtre.

Que le film soit dit « fenêtre ouverte sur le monde » indique bien que le problème du sens est ici posé et résolu en termes de transparence. Et que le film n’a d’autre dehors que le monde (le réel concret). Le film c’est le monde. À l’évidence, on y est : ça bouge, ça parle, ça baise, ça meurt. Rien ne semble s’interposer entre le réel et le spectateur. Bien plus : la fenêtre a des vertus magiques, elle fait mieux voir le monde. Mais ce mieux que veut-il dire ? Rien d’autre que ce fameux retour à la vision première « comme au premier matin de la création ». On ne peut dire plus précisément que, dans cette perspective, le fin du fin est un retour aux origines, aux essences idéales. Ce que le film donne à voir – ou cache, s’il est « mauvais » – c’est l’invisible essence. Essence qui est présence de l’Universel dans le particulier ; essence éternelle, non historique. Aussi les choses montrées seront-elles jugées naturelles et les êtres seront dits vrais sans que soit formulé d’autre critère que l’impressionnisme vague des références à des idéalités invisibles.

Et l’auteur dans tout cela ? L’idéalisme le définit comme ce particulier où universel se réfléchit : en se peignant, il peint l’Homme et en peignant le monde c’est lui qu’il nous montre (c’est-à-dire encore l’Homme). Tous peuvent se retrouver en lui. Doué d’un génial regard l’auteur est, entre le monde et nous, un invisible intermédiaire. Dans l’échange subtil et obscur de l’objectivité et de la subjectivité il finit par devenir lui aussi transparent.

La métaphore de miroir semble marquer un pas en avant. Mais d’introduire un intermédiaire solide et visible entre le monde et le spectateur ne dissipe pas pour autant l’illusion fondamentale : l’impression de réalité. Qu’il y ait un tain à la vitre de la fenêtre ne fait que changer la transparence en duplication. Le film est perçu comme double du monde. Mais entre le monde et son reflet il n’y a pas de différence qualitative. Ce reflet n’est pas encore défini comme lecture du monde.

Par contre en désignant le film comme reflet et en définissant ce reflet comme idéologique on opère bien la distinction fondamentale entre le réel et les représentations idéologiques qu’on peut en avoir. On situe alors le film du côté des représentations, des images et non du côté du réel concret. La saisie du réel est ici perçue non plus comme saisie directe, mais comme saisie médiatisée. Mais la notion de reflet appliqué au film demeure équivoque tant qu’on ne précise pas que ces représentations idéologiques sont des représentations historiquement liées à une classe. Cette précision est nécessaire car le terme d’idéologie, en passant dans le langage courant, s’est déprécié au point de ne plus désigner que des idées inconscientes alors que le « conscient » fait aussi partie de l’idéologique, car la conscience est déterminée par l’être-de-classe. Pour faire partie d’un discours marxiste sur le film, la notion de reflet doit donc renvoyer à une définition précise de ce que le film reflète réellement. Pour l’idéalisme aussi, en effet, le film peut être dit reflet : le film est le reflet de la subjectivité de son auteur. Il y a donc, ici encore, un rapport simple entre un objet (le film) et sa cause (l’auteur.)

Le discours marxiste sur le film commence toujours par une critique radicale de cette notion (idéologique) de sujet, par une définition de la subjectivité en termes de déterminations historiques. Voir plus loin, comment Mao Tse Toung analyse les composantes d’un sujet (qui est aussi un « créateur » artistique).

Mais si l’on s’en tient là et que l’on pense avoir ainsi défini les déterminations du sens d’un film en renvoyant aux déterminations sociales et culturelle de son auteur, on demeure dans une conception de la production du film en termes de rapport simple et on ne fait que reporter la transparence à un autre niveau. Une pratique critique qui se fonderait sur ce rapport simple (film = auteur déterminé historiquement) peut, certes, être dite progressiste ou avancée, mais avancée seulement dans l’espace critique où il n’est pas encore tenu compte de la spécificité du processus de production de film. Cette pratique – dominante à ce jour dans le champ de la critique marxiste – consiste en une lecture du film au niveau des personnages, de leurs rapports (considérés, et c’est un progrès énorme sur la critique idéaliste, comme des rapports sociaux historiquement déterminés et non comme des rapports psychologiques ou dramatiques), de l’espace géographique et culturel (décors, lieux) dans lequel ils se meuvent ainsi que du temps historique où s’inscrit leur « existence ». Dans une telle perspective on pourra considérer par exemple « Cérémonie Secrète »4 comme la mise en formes de la décomposition de l’aristocratie, la saisie d’une classe et de son idéologie à un moment précis de son histoire (le déclin) ; saisie qu’on ne manquera pas de relier à d’autres opérées par le même auteur dans d’autres films. Cette analyse, juste en ses résultats immédiats (il est bien vrai que c’est du déclin d’une classe qu’il s’agit au niveau de ce qu’on peut appeler le « contenu ») est cependant faussée, au niveau théorique, par l’éludation de la spécificité du cinéma. Et ses effets peuvent être dangereux, car, à dire que tel film met à jour telle idéologie, on risque de l’innocenter au niveau de sa spécificité productive (de sens) comme si à ce niveau-là il ne faisait pas partie de l’idéologie qu’il rend visible. Tôt ou tard, on finira alors par réintroduire le vocabulaire de la causalité expressive en situant le sens hors du procès du film, lui préexistant. On dira alors que le sens est traduit et non pas qu’il est produit5.

Le reflet indice d’un procès

Si le dehors du reflet n’est pas séparable du reflet lui-même, il ne lui préexiste pas. Il est comme un signal produit par ce « dehors » pour s’indiquer lui-même. Le reflet ainsi conçu fonde une critique scientifique, rompt décisivement avec une notion idéologique du reflet comme rapport simple.

Ici, le reflet est (et n’est que) l’indice d’un processus.

Il faut citer cette conclusion que Jean-Louis Houdebine tire d’une lecture de Hegel par Lénine6. Lecture qu’il envisage du point de vue des rapports entre ces deux mots : reflet et procès.

« D’une manière générale on peut dire que le repérage d’un « reflet », à quelque niveau que s’effectue cette opération, signale toujours qu’un rapport d’articulation existe entre au moins deux systèmes de relations ; la notion de reflet fonctionne alors comme un indice (signal) de ce rapport d’articulation. Mais lorsqu’il s’agit de passer du stade de simple repérage indicateur : du rapport au stade où ce rapport sera effectivement connu (et non plus seulement signalé)… seul alors le concept de processus se révèle vraiment opératoire, c’est-à-dire capable de produire la connaissance d’un tel rapport ». Nous voudrions montrer qu’un film est (et n’est que) le reflet de son procès.

Mais comment s’établit ce procès ?

Le concept de structure à dominante

Pour définir le processus de production du film nous ne pouvons pas nous servir que de concepts produits par le matérialisme historique ; nous devons aussi (et à partir d’un certain moment, surtout) faire appel à ceux du matérialisme dialectique et plus particulièrement à ceux de structure à dominante et de causalité structurale.

Le matérialisme historique (dont l’objet propre est le concept d’histoire) ne nous permet de déterminer que le point d’ancrage spécifique du film à une formation sociale historiquement déterminée, car les films pas plus que les hommes, les sociétés ou les idées ne tombent du ciel. Et nous avons défini comme idéologique l’instance d’où part et où revient le film7. Ce qui se passe entre ces deux points ne peut être pensé qu’en termes d’autonomie relative et pour produire la figure conceptuelle du procès de production de film nous devons faire appel aux concepts de la causalité structurale tels qu’ils ont été produits par le matérialisme dialectique. Remarquons dès maintenant, pour qu’il n’y ait pas d’équivoque, que par autonomie nous entendons seulement qu’on ne peut pas réduire le processus de production de film à un processus idéologique ou à un processus scientifique. Nous ne disons pas non plus que le matérialisme dialectique pourrait avoir pour objet le concept de film. Le matérialisme dialectique – science de la scientificité des sciences – a pour objet la production des connaissances. Et à ce titre, il peut (il est) la référence critique pour établir les bases d’un nouveau système (ne disons pas encore science) de production de connaissances d’un objet qui n’a encore jamais été étudié scientifiquement : le film. Et d’abord, le matérialisme dialectique nous permet de passer du système de la causalité expressive (cause unique dont l’effet n’est qu’un phénomène) à la causalité structurale (détermination et surdéterminations) liée au concept de structure à dominante.

Comme tous nos lecteurs – et c’est bien dommage – ne sont pas forcément familiers de ce concept nous allons commencer par en donner une définition et par exposer, le plus simplement et le moins sommairement possible le système conceptuel qui en découle8.

Le concept de structure à dominante a été produit par Louis Althusser9 sur une lecture de l’essai de Mao Tse Toung intitulé « De la contradiction »10.

On part de la constatation qu’un processus n’est jamais simple, c’est-à-dire qu’il est est toujours composé de plusieurs contradictions ; on peut alors constater aussi que parmi ces contradictions il en existe une qui est plus importante que les autres, qui joue un plus grand rôle que les autres dans le développement du processus : c’est la contradiction principale. À l’intérieur de chaque contradiction (principale ou secondaire) il faut distinguer un aspect principal de la contradiction et un aspect secondaire. Un processus ainsi conçu est donc une totalité complexe. Pour définir selon quel principe d’unité s’unissent les divers éléments de cette totalité, on dira que « le tout complexe possède l’unité d’une structure articulée à dominante »11.

Une structure articulée à dominante est composée par la combinaison de plusieurs pratiques articulées les unes par rapport aux autres et dont l’une domine les autres. Ici deux remarques.

Premièrement il s’agit d’une combinaison et non d’une combinatoire. Par combinaison on désigne l’unité de parties qui n’existent pas en dehors de leur assemblement. Par exemple dans une formation sociale (structure à dominante) le prolétariat n’existe pas sans la bourgeoisie et vice versa ; ils n’existent, en tant que classes, que dans les rapports de classes qui fondent une société. Autrement dit, les éléments ne peuvent être définis en soi mais toujours dans leur rapport aux autres éléments, dans leur différence. Il n’est de définition que de différence.

Deuxième remarque. Le concept de pratiques articulées est un concept althussérien qui recouvre celui plus traditionnel, et que Mao Tse Toung emploie dans son essai, de contradictions.

Nous pouvons maintenant définir les deux concepts liés à celui de structure à dominante et explicitant le fonctionnement de la causalité structurale : la domination et la détermination en dernière instance par l’économie.

La domination est ce que Mao Tse Toung appelle la contradiction principale. Elle est essentielle à l’unité du tout. La domination (ou action de la dominante) est le rôle de détermination que joue la pratique principale par rapport aux autres pratiques articulées. Elle les définit comme secondaires. Elle les ordonne, les hiérarchise. La domination détermine donc la forme du tout complexe. Mais, à son tour, elle est déterminée. La détermination en dernière instance par l’économie se définit par son effet : le déplacement de la domination. La détermination par l’économie fait que c’est telle ou telle autre partie (pratique, élément) du tout qui domine. Par exemple dans une structure sociale, la détermination en dernière instance par l’économie s’entend en ce sens « qu’elle détermine celles des instances de la structure sociale qui occupe la place déterminante »12. Cette phrase de Balibar appelle deux remarques :

a) il parle d’une structure à dominante bien précise (une formation sociale) et non de la structure à dominante en général.
b) il désigne, on l’aura sans doute noté à la lecture mais mieux vaut encore l’écrire, sous l’expression « place déterminante » ce qui a été précédemment nommé : domination. Occasion de répéter que la domination est simplement le nom d’une action déterminante spécifique : celle de la pratique principale.

Enfin, on appelle surdétermination l’action déterminante des pratiques secondaires sur le tout.

Domination, surdétermination, détermination en dernière instance : tels sont les trois principes qui constituent la causalité structurale.

Pour que notre exposé, fort élémentaire, ne soit cependant pas trop incomplet, il faut faire cette dernière remarque. Dans une structure à dominante où entre un élément économique ce n’est pas toujours l’économique qui domine (qui est la pratique principale). Par exemple, dans une structure sociale, l’instance économique n’est pas toujours l’instance dominante. Dans une structure sociale dont le mode principal de production économique est capitaliste c’est l’économie qui est la déterminante et la dominante. Mais dans une société à base féodale, bien que l’économie reste déterminante en dernière instance, c’est l’idéologie qui est la dominante.

De tels déplacements de la contradiction principale (dominante) seront certainement à observer dans les différentes formes possibles du procès de production de film.

Le film comme structure dominante

Considérons le processus de production de film comme une structure à dominante, c’est-à-dire comme une combinaison de plusieurs pratiques articulées les unes par rapport aux autres et dont l’une domine l’autre.
Cela posé, apparaît une série de questions.

Dans le processus de production de film :

  • quelles sont les pratiques articulées ?
  •  quelle est la pratique principale (la dominante ou encore la contradiction principale) ?
  • quel est le moment décisif de cette pratique principale (ou aspect principal de la contradiction principale) ?
  • comment s’exerce sur l’ensemble du processus la surdétermination des pratiques secondaires ?
  • comment enfin s’exerce ici la détermination en dernière instance par l’économie ?

Le seul fait que ces questions soient posées bouleverse radicalement le discours sur le film et constitue un espace théorique de recherche qui ne peut qu’être extrêmement fécond. En commençant à répondre à ces questions nous ne faisons qu’inaugurer une plus importante production de connaissances sur le film. Autant dire que ces actuelles réponses ne sont ni complètes ni définitives et qu’elles devront être soumises à la critique d’autres axes de recherche.

Voici donc les réponses que nous pensons pouvoir donner aujourd’hui.

1) Les éléments de la structure

Recensement des pratiques articulées. Le processus de production de film met en jeu trois formes différentes de pratique :

une pratique économique. C’est à elle que l’on pense automatiquement quand on parle de production du film (producteur, budget, etc.). En gros, cela recouvre toutes les opérations financières nécessaires à la fabrication d’un film : investissements, prêts, crédits, avances diverses de l’État, de l’industrie privée, etc. (cf. Cinéthique 4 où cette pratique est mise en rapport avec les autres pratiques du procès).

un ensemble de pratiques techniques. On trouve là toutes les opérations optiques, mécaniques, physiques, chimiques nécessaires à la fabrication d’un film. Images et sons sont produits et assemblés en un certain ordre (sens ?) par des travailleurs du film, les techniciens. Travailleurs qui peuvent être plus ou moins nombreux selon l’importance des opérations techniques requises.

une pratique esthétique.

2) La pratique principale est la pratique esthétique

Nous employons le mot d’esthétique pour qualifier la pratique principale du procès de production de film bien que ce mot soit actuellement empoisonné par ses connotations idéalistes d’esthétisme, car il est rigoureusement nécessaire à la définition de notre procès. A partir du moment où l’on s’aperçoit que ce procès n’est ni un procès idéologique ni un procès scientifique mieux vaut appeler un chat un chat et le cinéma (celui du moins dont nous tentons de produire ici la théorie) un art. Si l’art a été « sacralisé » pat la bourgeoisie au moment même où elle se détournait du culte religieux, si le cinéma à son tour a été « sacré » (septième) art dans un but idéologique bien précis, il est vain cependant d’essayer de désacraliser l’art et le cinéma en le tramant dans la boue de la spontanéité. L’ineptie blasphématoire ne fait ici comme ailleurs, que rejoindre et renforcer l’ineptie religieuse. Pour subvertir cet état de « sacralisation » une seule chose est à faire, que Philippe Sollers nous rappelait13 : « mettre le sacré à distance », c’est-à-dire « en lire la syntaxe et l’expliquer sur sa base matérialiste, dans sa réalité signifiante décalée, fragmentaire, toujours mutilée ». Car « le sacré est une lacune du déchiffrement ». Pour barrer la route à toute tentative de retour en force des « artistes-cinéastes » et autres valets de la bourgeoisie, déchiffrons donc ce que signifie concrètement cette proposition ; dans le processus de production du film c’est la pratique esthétique qui est la pratique principale.

Et pour commencer, marquons ce procès au sceau de ses différences.

« L’art n’est pas l’idéologie. Il est tout à fait impossible de l’expliquer par le rapport homologique qu’il soutiendrait avec le réel historique. Le processus esthétique décentre la relation spéculaire ou l’idéologie perpétue son infinité fermée. L’effet esthétique est bien imaginaire : mais cet imaginaire n’est pas le reflet du réel, puisqu’il est le réel de ce reflet ».

« L’art n’est pas la science L’effet esthétique n’est pas un effet de connaissance. Cependant l’art en tant que réalisation et dénonciation différentiante de l’idéologie, est structurellement plus proche de la science que de 1idéologie. Il produit la réalité imaginaire de ce dont la science s’approprie la réalité-réelle »14.

Conclusion pour notre travail actuel ; le processus de production d’un film n’est pas un processus idéologique ; il n’est pas non plus un processus théorique. Ce qui est produit ce n’est pas un objet idéologique (représentation), ni un objet théorique (une connaissance). C’est un objet esthétique (cinématographique : un film). (Le cinéma : région de l’Esthétique).

Cet objet ne se donne pas comme reflet du réel (représentation idéologique spontanée, état de conscience ou système idéologique). Il se donne comme réel d’un reflet. Cela veut dire que l’image cinématographique se donne comme vérité du reflet, preuve de cette vérité, reflet vrai en acte. Ainsi le dehors du film ce n’est pas le réel-concret (le monde) c’est le concret-imaginaire. Partant de ce concret-imaginaire (les représentations idéologiques) il ne les reconduit pas simplement, perpétuellement ; il ne les redouble pas. Il les réalise. Il les donne pour vraies… ou pour fausses (c’est-à-dire, pour ce qu’elles sont : idéologiques). L’art n’est donc pas et ne peut pas être innocent : soit il se fait le complice des idéologies qu’il formalise en masquant qu’elles (ne) sont justement (que) des idéologies, soit il les dénonce comme telles. Il en va du cinéma comme de tous les autres arts. Mais dans son cas particulier, l’opération de décentrement est rendue plus complexe par la spécificité même de l’effet de caméra.

Reste maintenant à définir la pratique esthétique (cinématographique) par les éléments qui la composent. Autrement dit ; quelle est la matière première de cette pratique, quels sont ses moyens de production, selon quelle méthode réglée travaillent ces moyens, et quel est le produit fini ?

a) la matière première de la pratique esthétique est esthétique et non idéologique.

Cela signifie qu’il n’y a jamais, au départ d’un processus esthétique, d’éléments idéologiques au sens étroit et précis du terme. Attention : cela ne contredit pas ce qui a été écrit plus haut, que l’art (le film) est dénonciation differentiante de l’idéologie. Au contraire, cela le répète en le précisant et en l’affinant.

Cette matière première, ce n’est pas des représentations idéologiques telles que les structures d’une « conscience » : idées, notions, « pensées », fantasmes d’un « sujet » ; c’est un ensemble de formes esthétiques. Mais prenons garde : ces formes ne tombent pas du ciel, elles sont historiquement produites à partir des éléments idéologiques que nous venons d’énumérer. À partir du moment où ils sont dans un film, ces éléments idéologiques ne sont plus tels qu’ils sont « dans la vie ». Ce n’est plus du concret-imaginaire-idéologique, c’est du concret-imaginaire-esthétique. Autrement dit ; des formes esthétiques.

Ces formes sont historiquement produites par l’action transformatrice de « structures » ou éléments esthétiques généraux que nous appellerons15des généralités esthétiques. Si nous désignons par (i) un élément idéologique, et par (E) une Généralité Esthétique, nous pouvons écrire cette formule de production :

(E) (i) → (e)

La matière première du procès esthétique est composée par un ensemble de (e). On voit bien d’où provient cette matière première : de l’idéologie. Mais on voit bien aussi qu’elle n’est pas (plus) de l’idéologie simple. Dans un film, ces éléments sont par exemple ceux du scénario (structures de récit, cristallisation de fantasmes, dialogues stéréotypés – et tous les dialogues de film obéissent à des stéréotypes), du décor, des choses telles qu’elles sont représentées en quelque sorte, tout le contenu premier des images et des sons, ce qui est montré, ce qui est dit, ce qui est agi16.

Déjà, on commence à comprendre pourquoi une critique de contenu est une critique incomplète et limité, en porte a faux. C’est qu’elle n’atteint pas le produit tel qu’il est au bout du processus ; elle n’embrasse que la matière première sans savoir en quoi elle a été transformée.

b) les moyens de production de transformation sont les généralités esthétiques et de travail

– les généralités esthétiques

On ne peut mieux les définir qu’en les rapprochant des Généralités II et du rôle qu’elles jouent dans le procès de production de connaissances (voir note 14). C’est leur travail sur la matière première (e) qui produit le film comme objet esthétique fini.

(E) (e) → (film, par exemple)

Il faut bien remarquer ici, d’abord que les deux opérations par (E) sur (i) et sur (e) n’en font en réalité qu’une et qu’elles n’ont été séparées que pour la commodité de l’analyse. Ensuite, il faut noter que le produit-film est ainsi défini, pour l’instant, en faisant abstraction de sa valeur économique d’échange.

Un ensemble bien déterminé de Généralités Esthétiques fonctionnant selon une méthode réglée constitue un MODE DE PRODUCTION ESTHÉTIQUE. « Un mode de production esthétique n’est nullement un art, comme la musique ou la peinture. Les modes de production esthétiques sont transversaux à la classification des arts. L’espace figuratif, dont Francastel, dans « Peinture et Société », tente d’établir la généalogie, est un mode de production esthétique, non la peinture en général. Pareillement sans doute sont des modes de production le système tonal, le système de la métrique du vers grec, le système de la subjectivité romanesque ». (Alain Badiou)17.

Autrement dit : les Généralités Esthétiques sont historiquement déterminées. Mais elles ne sont pas déterminées de la même façon que des systèmes idéologiques ; elles vivent plus longtemps qu’eux. Cette détermination doit être pensée comme autonome par rapport aux déterminations de classes. Les Généralités Esthétiques se forment et se transforment à un niveau qui n’est pas directement dépendant de l’économie, un peu, sans doute, comme se forment et se transforment les connaissances au niveau du Théorique. Aussi faut-il dire des modes de production esthétiques ce que Staline disait de la langue : « la langue comme moyen de communication entre les hommes dans la société, sert également toutes les classes de la société et manifeste à cet égard une sorte d’indifférence pour les classes. Mais les hommes, les divers groupes sociaux et les classes sont loin d’être indifférents pour la langue »18 Et si l’on se souvient de la fameuse définition de Christian Metz : « le cinéma est un langage sans langue », on peut voir qu’elle est remise en cause par la distinction de plusieurs modes de production esthétiques traversant l’art cinématographique. Plusieurs « langages », une « langue ». Les guillemets sont nécessaires pour bien marquer le caractère métaphorique d’une telle proposition.

Ce qui explique la définition de Metz c’est qu’il n’y avait, jusqu’à une date récente (Méditerranée19 ) qu’un seul mode de production de film et que ce mode est encore si massivement dominant que très peu de films ont été produits dans l’autre mode. Et si avant Méditerranée il y avait d’autres films que l’on peut maintenant rattacher en partie à ce nouveau mode, il n’était pas alors possible de les voir (de les lire) hors du mode dominant ; et il n’est toujours pas possible de les lire autrement et ailleurs si l’on n’a pas compris la force de rupture (de « coupure ») de ce film. Un mode de production esthétique a une histoire qui est celle de la déformation et de la transformation des Généralités Esthétiques qui la composent. Tout travail scientifique sur le cinéma (et en particulier sur la production de la signification) doit passer par là, sous peine de n’être qu’idéologique, de donner à un système (un mode) l’alibi scientifique de la généralité. Écrire l’histoire du mode de production esthétique (cinématographique) dominant à ce jour et que nous pouvons qualifier dès maintenant d’idéaliste, ce sera voir quelles places des « corpus » tels que ceux signés Eisenstein ou Godard occupent dans la transformation (jusqu’à l’abolition) de la Généralité principale de ce mode : le raccord spatio-temporel.

Comment plus précisément se définissent l’un et l’autre mode de production esthétique cinématographique ?

L’ancien (qui n’a pas envie de trépasser) se rattache très certainement à l’espace figuratif défini par Francastel dans « Peinture et Société » et dans « La figure et le lieu », travaux décisifs dont nous aurons à reparler. Ce qui fonde ce mode de production c’est la reproduction du monde selon la perspective du quattrocento. Les caméras construites actuellement ne peuvent pas faire autre chose puisqu’elles sont faites pour ça. Ce qui spécifie le film c’est le rapprochement de nombreuses images, leur mise bout à bout par le tournage d’abord, puis par le montage. Ce qui spécifie ce mode de production c’est un certain type de raccord : le raccord dans l’espace et le temps « réels ». Peu importe que le raccord soit un raccord direct entre deux images venant de deux caméras tournant simultanément la scène comme à la télé (et on pourrait se demander quelle nécessité oblige à tourner les émissions avec plusieurs caméras) ou un raccord selon une ellipse. L’essentiel est qu’on ait et qu’on donne l’illusion du réel (du concret réel). On raccorde entre deux portes, entre deux regards, entre deux moments d’une durée prétendue réelle20. L’illusion fondamentale qui établit ce mode de production esthétique comme idéaliste, parce qu’il ne distingue pas fermement les processus esthétiques imaginaires des processus réels21 et comme naturaliste, pour les mêmes raisons.

Par contre, on pourra dire matérialiste le nouveau mode fondé par Méditerranée. Un autre type de raccord le définit :le raccord dans la texture. Et texture n’est pas à entendre dans un sens formaliste. Ce mot pourrait désigner le concret cinématographique (une diversité du concret-imaginaire-esthétique). Le raccord ne se fait pas dans le « réel » illusoire, mais dans les formes en tant que connotations culturelles. Si nous n’avions pas peur que cela soit mal entendu, nous dirions que le raccord se fait dans l’idéologie formelle. Le raccord ne vise plus à assembler des prises de vues optiques sur la nature de façon à enchaîner les éléments dune histoire, d’un état d’« âme ». Mais il vise à produire un sens par juxtaposition réglée de points (de vue). Au lieu de déplacer le cadre transparent devant un objet réel (le monde), il le retourne et additionne les points d ou l’on voit de telle sorte que le sens provienne de leurs articulations. Il n’essaie pas de se pencher par la fenêtre pour mieux voir ; il opère sur « chaque première vision erronée » l’action transformatrice du montage (culturel et pas seulement technique) pour atteindre l’espace de la seconde vue, des « choses vues sans vision ». À l’opposé du mode de la transparence se trouve donc ce nouveau mode qui est celui des greffes et des fusions, des articulations et des transformations.

– le travail (humain)

C’est ici que nous retrouvons le cinéaste, car tout de même les films ne se font pas tout seul. Mais nous le retrouvons non pas comme subjectivité créatrice mais comme travail spécifique. Et cela est décisif. Même dans le champ d’un discours marxiste sur le film ou tout autre produit esthétique.

Jusqu’à des travaux récents (Althusser : « Notes sur un théâtre matérialiste » ; Derrida : « l’Écriture et la différence », « De la grammatologie » ; le groupe Tel Quel :« Recherches sur la notion de texte ») la critique marxiste n avait fait, au mieux, qu’affiner la notion de sujet créateur. On définissait l’auteur non par son génie personnel mais par ses déterminations historiques. Ce travail d’affinement de la place du sujet culmine sans doute dans la production par Mao Tse Toung de quatre concepts destinés à élucider le rapport de l’artiste à sa classe22. II s’agit de :

l’etre-de-classe : c’est la classe à laquelle l’artiste appartient par sa naissance.

la Position-de-classe: l’artiste progressiste par exemple se tient « sur les positions de la classe ouvrière ». Autrement dit, il doit poser les problèmes selon le « voir » de la classe ouvrière. « La position est donc l’espace des questions23». Mais on peut être sur une position de classe sans pour autant que la pratique théorique particulière soit celle de la classe. D’où :

l’attitude-de-classe: c’est l’espace des réponses. « C’est l’investissement de la position-de classe dans un problème particulier » (Badiou).

L’étude-de-classe: « les travailleurs littéraires et artistiques doivent apprendre l’art de créer, cela va de soi ; mais le marxisme léninisme est une science que tous les révolutionnaires doivent étudier, et les écrivains et les artistes ne font pas exception » (Mao). C’est donc « la structure et les instruments du théorique, en tant qu’ils ont pour charge de produire la légitimation de la classe » (Badiou).

Pour fort utiles que soient ces concepts, il ne faudrait pas en faire des catégories absolues au risque d’oublier ce qui, historiquement, a déterminé leur production. À savoir :

– sauver ce qu’il y a de valable dans les œuvres anciennes en distinguant quatre niveaux de rapport entre artiste (œuvre) et idéologie de classe. Ce qui peut donner un résultat semblable à la reprise de Tolstoï par Lénine24, Dans l’analyse de Lénine on a, en quelque sorte « à l’état pratique » les concepts formulés théoriquement par Mao. On peut dire alors : que l’être-de-classe de Tolstoï est celui d’un propriétaire foncier. Par sa naissance il se rattache à la féodalité ; que sa position-de-classe est celle du paysannat ; que son attitude-de-classe est cohérente à sa position-de-classe quand il critique le régime foncier et, au contraire, cohérente à son être-de-classe quand il attaque le socialisme ; que sa culture-de-classe est essentiellement bourgeoise

– inciter à l’étude du marxisme et du léninisme les artistes qui se sont politiquement ralliés aux forces nationalistes et révolutionnaires chinoises en lutte contre les Japonais.

Ces remarques rendent moins étonnante la manière dont Mao Tse Toung règle par un « cela va de soi » le problème de la spécificité de la production artistique. Car ce problème ne va pas tellement de soi et faute de le régler on risque de tomber dans les pires déviations idéologiques. L’étude du marxisme-léninisme pour un artiste doit comporter aussi l’étude de sa pratique productive selon l’axe conceptuel du matérialisme (historique et dialectique). Passer à cette étude oblige alors à relativiser les concepts de Mao Tse Toung précédemment exposés, car ils ne sont opératoires que dans la mesure même où on ne tient pas encore compte de la spécificité du procès de production esthétique, ne serait-ce d’abord que parce qu’ils définissent la place de l’artiste dans ce procès comme celle d’un sujet (même s’il détaille minutieusement les déterminations historiques de ce sujet)25.

L’étude de la spécificité du procès de production esthétique amène au contraire à définir (la place de) l’artiste non pas comme sujet mais comme travail. Ce travail définit le moment décisif (aspect principal) de la pratique (contradiction principale). L’artiste (le cinéaste) est cela et n’est que cela. Le processus de production de film lui assigne donc cette place, qui est celle de la décision ; et ce, non pas en vertu de son génie ou de sa délibilité personnelle, mais de sa capacité de travail .

Essayons de préciser en quoi consiste ce travail spécifique.

Plus qu’une conscience (état idéologique) c’est une « science ». Ce travail est une pratique mais une pratique théorique, en quelque sorte : une pratique en connaissance de cause(s). L’activité « créatrice » de production de film ne s’exerce plus au hasard mais en connaissant la place, le rôle, l’articulation, le mouvement de chaque élément constitutif du procès. Contrôle rigoureux du déroulement du procès selon le jeu méthodiquement réglé de la causalité structurale, ce travail produit alors la transformation attendue de la matière première en objet esthétique. Cet objet produit (un film, en ce qui nous concerne) s’établit comme reflet. Comme reflet du procès. Car tel est l’effet, et le seul, du travail : rendre visible, lisible le procès dans lequel il est compris. On peut définir comme retournement26 l’activité transformatrice du travail, en précisant que ce retournement n’est pas autre chose que la mise sur la scène, aux yeux de tous ceux qui savent voir, de la complexité réglée des articulations du procès. Le travail agit donc comme un révélateur. Le travail est indissociable de l’inscription du travail.

À toute médaille son envers. Il faut maintenant admettre qu’il peut y avoir non-travail. Par méconnaissance, ignorance, paresse, incapacité théorique, intérêt économique, etc. le cinéaste n’occupe pas la place spécifique qui lui revient ; il persiste à considérer ses états d’âme (ses fantasmes) comme matière première et dernière de « son » film : il se trouve donc déplacé, mal placé, partout ailleurs qu’à sa vraie place : le travail décisif. Dans tous ces cas où il fait défaut en tant que travail il y a manque. Et manque décisif. Manque qui produit le film comme masque. Masque du procès. Il n’y a pas de retournement mais divertissement (diversion) : les regards sont invités à se porter ailleurs, dans la brume – des illusions et des rêves : le « je » de l’auteur par exemple.

Ainsi, c’est donc bien le couple travail/non-travail qui est décisif pour le sens du film. Car, en définitive, le sens d’un film se réduit à cela : rendre visible ou masquer son procès réel. Procès défini par toutes ses articulations ; internes et externes, car le film a un dehors. Et ce dehors n’est pas le monde mais une lecture du monde.

Le travail en question ici est directement lié à une activité théorique qui se manifeste par des traces, des marques décisives à l’intérieur du processus esthétique. Il produit le film comme objet esthétique – « scientifique » – en ce sens que le film est (et se donne comme) savoir juste sur lui-même. Le non-travail par contre est lié à une activité idéologique à l’intérieur d’un processus esthétique. Il « produit » le film comme objet esthétique – « idéologique » (en ce sens que le film est non-savoir sur lui-même, ou savoir erroné).

3) Les pratiques surdéterminantes

Si la pratique esthétique est la pratique dominante, les autres pratiques sont par là même désignées comme secondaires ; et le rôle de détermination qui leur est imparti est celui de surdétermination. Surdétermination ne signifie par super-détermination mais tout simplement : détermination sur une structure déjà déterminée de façon décisive.

La surdétermination d’une structure articulée à dominante consiste en la réflexion dans la pratique dominante (contradiction principale) des déterminations opérées par les pratiques secondaires. Déterminations qui peuvent jouer un plus ou moins grand rôle selon les cas concrets. C’est par le biais des pratiques secondaires, on le verra, que la détermination en dernière instance s’exerce sur le tout complexe qu’est le processus de production de film.

Pour secondaires que soient les pratiques économiques et les pratiques techniques à l’œuvre dans le procès de production de film, elles ne sont pas pour autant indifférente à la configuration générale du produit fini. Que le budget soit de 30 000 francs ou de 100 millions de dollars ; que l’argent vienne de l’État, de l’industrie privée ou du mécénat cela n’est pas indifférent au résultat final. Que l’on ait une caméra 16 ou une 35, un nagra, un perfecton ou un simple Uher d’amateur ; que l’on puisse disposer d’une grue, d’un rail de travelling, de plusieurs objectifs etc, etc. cela n’est pas sans modifier la fabrication du film. De même les problèmes d’acteurs.

En ce qui concerne plus particulièrement la caméra on a vu à quel point elle pouvait déterminer un mode de production esthétique cinématographique. Ou plutôt ce qui était déterminant, c’était le fait de ne pas penser cette détermination, de ne pas la voir, de continuer à tourner et à monter comme si ce n’était pas une détermination (historique) donc quelque chose de trans-formable. On peut dire alors que le nouveau mode de production de films se développera (et produira des films) au fur et à mesure que seront réduits les impensés de l’« ancien » mode de production esthétique (cinématographique).

Jusqu’à ce jour, un seul film – Octobre à Madrid27 – a produit sur la scène le jeu de ces éléments surdéterminants. Pas assez d’argent ; de l’argent venant d’un peu partout, au compte goutte ; pas l’actrice voulue ; pas de caméra synchro, etc. Ce qui est remarquable c’est que le film désigne ces éléments comme surdéterminants ; car en même temps est désigné comme déterminant le travail du cinéaste. Si cette indication prend la forme déroutante de l’affirmation insistante du « Je » c’est que l’état de la réflexion théorique sur le cinéma au moment où le film a été fait ne pouvait permettre d’autre forme. Mais il faut noter que ce « Je » n’est pas celui d’un sujet fantasmateux mais d’un « travailleur ». Et le film se fait contre tout obstacle, malgré toutes les surdéterminations économiques et techniques, car seul le travail du cinéaste venant à faire défaut pourrait empêcher que le film soit un film. Octobre à Madrid est réellement produit « en connaissance de causes ». C’est un des rares films qui n’occulte pas le travail, mais le constitue, inscription, en reflet.

4) La détermination en dernière instance par l’économie

Dans la mesure où nous avons défini le procès de production de film comme (relativement) autonome, il est assez difficile de penser la détermination économique (en dernière instance) sur ce tout complexe.

Pour voir comment s’exerce ici cette détermination il nous faut partir de quelques remarques élémentaires. Notons d’abord que l’économie qui est déterminante ce n’est pas la base économique du film (que nous avons définie seulement comme surdéterminante) mais la pratique économique au sens strict, c’est-à-dire la pratique qui a pour matière première la nature (fer, bois, etc.) et pour produits finis des produits économiques, et dont les moyens de productions (forces productives) sont des hommes et des machines. La spécification historique du rapport de production (hommes/machines) déterminent des rapports sociaux (classes définies et hiérarchisées selon le double rapport de propriété et d’appropriation). Ces rapports sociaux déterminent une formation sociale : structure économique/superstructure juridico-politique/superstructure idéologique. La détermination économique en dernière instance détermine laquelle des instances sociales domine les autres. L’économie féodale, par exemple, réclame que la dominante soit l’idéologie (la religion très précisément) tandis que l’économie capitaliste réclame que ce soit l’économique et l’économie socialiste que ce soit la politique.

Un film n’est pas produit en dehors d’une formation sociale, même si son procès de production se déroule selon d’autres règles de développement que celles qui régissent le développement d’une formation sociale. La détermination en dernière instance par l’économie va s’exercer sur le processus de production de film par le relais de la structure sociale dans laquelle il est historiquement produit et va fonctionner comme demande et comme censure. Selon par exemple, que cette formation sociale est dominée par l’économie ou par le politique le film sera réclamé comme objet esthétique à effet idéologique-économique ou à effet idéologique-politique, car, bien sûr, on le montrera plus loin, l’effet du film se produit d’abord dans l’instance idéologique. Ainsi la détermination économique c’est la détermination de la valeur d’usage. Selon les cas, il aura une valeur d’usage économique ou une valeur d’usage politique.

L’effet de cette détermination ne se traduit pas par un déplacement de la dominante : c’est toujours la pratique esthétique qui reste la pratique principale ; mais par une modification à l’intérieur de la dominante. Ce qui est réclamé ou au contraire censuré c’est le travail. Le capitalisme par le relais de l’idéalisme esthétique réclame le non-travail et censure le travail. Le socialisme (par le relais du matérialisme esthétique) réclame le travail et censure le non-travail.

Le capitalisme demande des objets esthétiques commercialisables. Or, Marx l’a montré, l’échange commercial efface le travail et ramène toutes les marchandises à une commune mesure : leur valeur (d’échange) calculée non d’après le travail (valeur d’usage) investi dans la production de la marchandise mais par référence à l’équivalent de la valeur : l’argent, le capital, le non-travail. Voilà pourquoi le capitalisme ne peut produire que des films « sans travail » ; pour lui, un film a d’autant plus de valeur qu’il est fait de non-travail (fantasmes, idéologies). On voit alors l’imposture majeure du système idéologique Art et Essai : distribuer comme « non commercial » (c’est-à-dire comme produit-travail) le film qui comme les autres n’est fait que de non-travail.

Le socialisme par contre réclame des produits politisables (c’est-à-dire, capables en dernier ressort de servir le politique). Il doit donc, s’il est cohérent avec le matérialisme, censurer le non-travail (les idéologies bourgeoises, etc.) et libérer le travail. Qu’il le fasse effectivement, dépend du développement de la production théorique sur le film et de l’étape de la dictature du prolétariat dans laquelle il se trouve historiquement. Le réalisme socialiste ne peut se justifier que comme une étape vers cette libération du travail spécifique. À vouloir s’instituer comme équivalent des modes de production esthétique il ne peut que, tôt ou tard, censurer à son tour le travail.

Toutes les indications fort schématiques qui précèdent n’ont été écrites que pour mettre en place l’espace problématique de travaux plus importants et plus précis sur la production de la valeur au cinéma (plus-value, plus-jouir). Mais déjà on peut tirer la conclusion suivante : le processus de production de film s’établit, autonome, comme un processus esthétique. Cela signifie seulement que le film (dont nous tentons ici la théorie, c’est-à-dire : le film comme fiction) n’est ni un produit scientifique, ni un produit idéologique. Mais cela ne signifie pas que le film, produit esthétique, introduit dans un processus de circulation et de consommation, ne puisse pas avoir des effets idéologiques ou des effets scientifiques. S’il est une chose certaine c’est que le film ne peut, socialement, déployer ses effets que dans l’espace idéologique. Il se meut dans le champ meurtrier de la guerre entre le matérialisme et l’idéalisme ; et de ce fait, il ne peut être neutre. Cette impossible neutralité se vérifie au niveau du spectateur dans l’attitude qu’il est mis en demeure de prendre. Cette attitude ne peut être formulée qu’en termes de lecture/non-lecture – couple homologue à celui de travail/non-travail. À moins que moins que l’on ne décide de produire en concepts adéquats à la lecture/non-lecture spécifique d’un film les métaphores pertinentes de Philippe Sollers (« Méditerranée ») de « seconde vue » et de « première vue erronée ».

Travail et plaisir spécifiques

Le rapport du spectateur au film est commandé par une double alternative.

Soit le film masque son procès parce qu’il y a non-travail et alors le film appelle toutes les projections possibles des spectateurs-consommateurs aliénés en mal de défouloirs. Et ça marche. La culture aidant, ça marche encore mieux. Tout le monde se retrouve en tout et se pâme de voir qu’il a si bien compris, qu’il est si bien compris et que ses petits fantasmes s’accordent si bien à ceux, extraordinaires, d’un autre et quel autre (un artiste, monsieur !).

Soit le film inscrit son travail dans le reflet de son procès et alors le film appelle une attitude de « seconde vue », de retraçage des traces du travail pour remonter jusqu’à la saisie esthétique du film, jusqu’à la compréhension (prendre ensemble) de toutes les pièces du jeu et de leur rôle respectif.

Et face à ces deux demandes différentes, à chacune deux réponses possible. Ce qui porte à quatre les attitudes imparties au spectateur.

À un film-produit fantasmateux on peut répondre en se projetant ou en refusant de se projeter. Le refus de projection ne peut venir que de spectateurs qui ont eu, au moins une fois dans leur vie, l’occasion de lire un texte ou de pratiquer la « seconde vue » d’un film. Et cela s’appelle la culture matérialiste : culture parce qu’une telle attitude n’est pas naturelle mais déterminée par le savoir, matérialiste parce qu’elle ne voit que ce qu’il y a. La « seconde vue » d’un film-non-travail c’est la vue du visage hideux sous le masque, la vue des ficelles du piège, de l’inconsistance du zombie à l’existence duquel pourtant beaucoup encore persistent à croire.

Mais devant un film-reflet du travail il n’y a pas automatiquement lecture, « seconde vue », parce que la « seconde vue » n’est pas naturelle ; il peut même y avoir, mais cela est rendu difficile par la texture même du film, projection fantasmatique, parce que, bien qu’un pont ne soit pas fait pour se suicider, il y aura toujours des gens qui s’en serviront pour le faire.

La « seconde vue » d’un film-travail produit du plaisir. La lecture d’un film-non-travail produit du déplaisir. La projection dans un film-fantasme produit des émotions aliénées et aliénantes. La tentative de projection dans un film-travail provoque de la fureur, du dépit, de l’ennui ou, la fuite : c’est selon les tempéraments, et quelque fois, un choc décisif.

Initialement publié in Cinéthique, n°6, janvier-février 1970, pp. 45-55. Republié ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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  1. Cinéthique (1969-1985, 37 numéros), revue de cinéma d’orientation marxiste-léniniste dont les fondateurs (d’abord Marcel Hanoun et Gérard Leblanc avant d’être refondé par celui-ci et Jean-Paul Fargier) partageaient le même refus de l’approche « cinéphilique » des Cahiers du cinéma, le même refus de la séparation entre le cinéma et la vie, ont fait reposer leur travaux théoriques sur l’articulation, dans certains films « minoritaires » (Méditerranée de Jean-Daniel Pollet, Octobre à Madrid de Marcel Hanoun ou Le Joueur de quilles de Jean-Pierre Lajournade), entre le « travail du film » et celui du spectateur. Le collectif s’est également donné pour tâche de diffuser les films qu’ils défendaient avant d’œuvrer eux-mêmes à la réalisation et à la diffusion de films « perpendiculaires » (en tant qu’ils se construisent à partir de la critique de la fonction sociale du cinéma dominant) qui se distinguaient des films d’accompagnements et de soutien des luttes en privilégiant le développement, par le cinéma, d’une contribution au raccordement des luttes sur des objectifs politiques, idéologiques et culturels. Pour approfondir les rapports théoriques et pratiques et pour prendre connaissance des analyses des films réalisés par Cinéthique, on se référera à l’entretien avec Gérard Leblanc (« Penser politiquement le film ») publié dans le hors-série n°4, 2007, de la revue Médiamorphoses, pp. 69-74, ainsi qu’au texte de Gérard Leblanc « Quelle avant-garde ? » et celui de David Faroult « Nous ne partons pas de zéro car « un se divise en deux » (Sur quelques contraditions qui divisent le cinéma militant) » dans Christian Biet et Olivier Neveux (dir.), Une Histoire du spectacle militant (1966-1981), Vic la Gardiole, L’Entretemps, 2007 ; ainsi que le dossier Cinéthique dans les numéros 22/23 de La Revue documentaire consacrée à « Mai 1968. Tactiques politiques et esthétiques du documentaire » et dirigée par Hélène Fleckinger et David Faroult. [NdE] []
  2. Cf. Cinéthique, n°4 et n°5. []
  3. On trouvera une formulation naïve de telles métaphores dans l’Essai sur les principes d’une philosophie du cinéma (1946) de Gilbert Cohen-Seat, type même du discours idéaliste sur le film. On y trouve l’origine des principaux lieux communs de la critique cinématographique. []
  4. C’est ce que fait Richard Demarcy. Cf. Nouvelle Critique de juillet 1969. []
  5. Cette éludation du procès de production du film à son niveau spécifique peut être faite dans une perspective tactique et pédagogique. Il s’agit de faire passer un certain nombre de spectateurs soumis à l’attitude idéaliste [projection, émotions, psychologisme, ravissement spectaculaire) à une étape de la lecture du film. Ce passage est très important (et ne peut sans doute pas être sauté), quand on sait à quel niveau de réception se joue le film chez la plupart des militants politiques révolutionnaires. La pratique qui guide ce passage est une pratique (critique) idéologique. Elle ne peut prétendre au statut de théorique. Mais elle n’est pas méprisable pour autant. Tant qu’elle ne prétend pas du moins à un autre statut que le sien. []
  6. Cf. « Sur une lecture de Lénine » in la Nouvelle Critique, n°18. []
  7. Cf. « La parenthèse et le détour ». Cinéthique n° 5. Ce texte est repris dans l’ouvrage de Jean-Paul Fargier, Ciné et TV vont en vidéo (avis de tempête), s. l., De l’incidence éditeur, 2010, pp. 117-136. [NdE] []
  8. Cette citation d’Althusser dit bien la nécessité de l’outil conceptuel : « Toute théorie se caractérise par l’abstraction de ses concepts, et le système rigoureux de ces concepts ; il faut donc apprendre à pratiquer l’abstraction et la rigueur : concepts abstraits et système rigoureux ne sont pas des fantaisies de luxe, mais les instruments même de la production des connaissances scientifiques, exactement comme les outils, machines et leur réglage de précision, sont les instruments de la production des produits matériels (automobiles, postes à transistors, avions, etc.). {In L’Humanité du 21 mars 1969). []
  9. Voir dans Pour Marx l’article : « Sur la dialectique matérialiste », p. 198. []
  10. Œuvres Choisies. Tome I. Éditions de Pékin 1967. Cet essai a été écrit en 1937 et présenté sous forme de conférence à l’École Militaire et Politique anti-japonaise. []
  11. Pour Marx, p. 208. []
  12. Lire le Capital, II, p. 110. []
  13. « Cinéma/inconscient/« Sacré »/Histoire », Cinéthique, n° 5. []
  14. Alain Badiou dans « L’autonomie du processus esthétique » article paru dans le numéro 12 et 13 des Cahiers marxistes léninistesd’Octobre 1966, intitulé : Art, langue, lutte de classes. À cet article écrit pour critiquer et préciser certaines des thèses de Macherey sur la production littéraire, nous emprunterons un certain nombre de concepts et de pro positions. []
  15. … à la suite de Badiou et en référence aux Généralités (II) d’Althusser. Cf. Pour Marx, p. 186. Althusser considère l’activité scientifique comme une pratique : la pratique théorique ou processus de production des connaissances. Dans ce processus, la matière première [notions de nature idéologique ou concepts scientifiques à un stade avancé d’une science] est appelée Généralités I et le résultat produit (une nouvelle connaissance) Généralités III. Quant aux moyens de production ce sont les Généralités II ; ce sont elles qui, en travaillant (si l’on fait « provisoirement abstraction des hommes ») transforment une Généralité I en Généralité III. La Généralité II est « constituée par le corps des concepts dont l’unité plus ou moins contradictoire constitue la « théorie » de la science au moment [historique) considéré ». []
  16. Attention : ces éléments esthétiques (e) ne sont pas des éléments empruntés à d’autres arts et les Généralités Esthétiques (E) ne sont pas ces forces capables de faire la synthèse de tous les arts. Vieux rêve idéaliste de l’Art Total repris par Eisenstein dans la postface lyrique à ses Écrits d’un cinéaste. « Ce sera une nouvelle et merveilleuse variété de l’art, fondant en un seul tout, identifiant en soi la peinture et le drame, la musique et la sculpture, l’architecture et la danse, le paysage de l’homme, l’image et le verbe… Et cet art nouveau a nom cinéma. » Rêve idéaliste, parce qu’il méconnaît la spécificité du processus de production du film. []
  17. op. cit. []
  18. Dans la Pravda du 20 juin 1950. Interview sur le marxisme en linguistique. Reproduit dans le numéro 12 et 13 des Cahiers Marxistes Léninistes. []
  19. Méditerranée, film de Jean-Daniel Pollet avec la collaboration de Volker Schlöndorff, sortie en 1963. Le texte lu en voix-off est de Philippe Sollers. Au sujet de ce film, Gérard Leblanc écrit : « vrai-faux film d’avant-garde qui fut rejeté par le public du festival de Knokke-le-Zoute, en Belgique, l’année de sa sortie. Tout le travail proposé par le film au spectateur consiste pour lui à atteindre ce point de vue où aucune image ne pourrait plus être constituée en représentation porteuse de significations préconstruites et générant des interprétations fondées sur la reconnaissance d’un déjà connu. À proprement parler, le spectateur ne se reconnaît plus dans les images qui sont offertes à sa reconnaissance. Il ne se reconnaît plus dans ces images bien qu’elles soient parfaitement identifiables, une pyramide, un temple grec, une corrida, une mandarine, le sourire d’une jeune femme, et d’autres motifs visuels apparemment tout aussi banals. Le spectateur n’a plus la maîtrise de ce qui lui est montré tout comme le cinéaste se sent dépossédé par ce qu’il filme. Le film nous fait passer, en un vertige constamment renouvelé, du connu à l’inconnu et exige, pour être compris, que le spectateur explore en lui de l’altérité. L’effet le plus décisif produit par Méditerranée est de permettre au spectateur de se découvrir autre qu’il n’est et, cela, en le renvoyant perpétuellement à lui-même. », in « Quelle avant-garde ? », art. cit., pp. 348-349. [NdE] []
  20. Noël Burch (Praxis du cinéma) en dresse la liste minutieusement, et puis ne sait plus quoi en faire ; évidemment pas une théorie, il est « contre toute théorie » nous claironne fièrement la bande annonce de son livre. Reste qu’il faut lire ce catalogue et s’en servir pour faire… une théorie. []
  21. De même qu’en philosophie, le matérialisme se définit par la distinction des processus réels et des processus de pensée, de même on pourrait, en Esthétique, définir le matérialisme par la distinction des processus réels et des processus imaginaires (esthétiques). []
  22. « Discours d’introduction aux causeries sur la littérature et l’art », Yenan 1942. []
  23. Badiou, op. cit. []
  24. « Léon Tolstoï, miroir de la révolution russe ». (Œuvres Complètes, Tome XV). []
  25. Qu’on nous comprenne bien : c’est une étape qu’on ne prétendrait vouloir sauter que par ignorance des processus de développements d’une théorie et par légèreté coupable^ vis-a-vis des tâches immédiates de telle étape des luttes révolutionnaires. []
  26. Concept produit par Macherey, Pour une théorie de la production littéraire, Maspéro []
  27. film de Marcel Hanoun réalisé en 1964 [NdE] []
Jean-Paul Fargier