L’Uzeste de Bernard Lubat : un front culturel de résistance populaire

Bernard Lubat est l’une des figures emblématiques du jazz engagé aujourd’hui. Fondateur de la Compagnie Lubat et de d’Uzeste musical, il a fait de ses formations une expérimentation politique et esthétique ancrée dans une ruralité de Sud-Gironde. Dans ce texte, issu d’un recueil d’entretiens parus chez Outre Mesure, Fabien Granjon présente la pensée-pratique de Lubat. Dans le prisme de Gramsci et de la théorie de l’hégémonie, Granjon décrit le projet lubatien comme un travail musical éclectique, traversé par les traditions occitanes, paysannes, mais aussi par les musiques improvisées et le jazz. Il en émerge une conception de la musique comme travail collectif de condensation d’un vécu collectif et populaire.

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« Je serai cru, une fois que je serai cuit. »
Bernard Lubat

« Ici café l’Estaminet d’Uzeste
Ziste zeste, c’est la geste d’Uzeste
Village hommage sans âge en nage
Aciu Jazz
Aciu jazzcogne, occitanique
Océanique, l’économique
Uzeste manifeste
Uzeste manifeste. »
Bernard Lubat, André Minvielle

« Le spectacle anéantit la perspective historique dans laquelle
peut s’inscrire une connaissance de type stratégique. »
Daniel Bensaïd, Le Spectacle stade ultime du fétichisme de la marchandise

De quoi Uzeste est-il le nom ? Va savoir ! Bernard Lubat affirme qu’il ne s’agit pas d’un lieu, mais d’un acte. Il souhaiterait sans doute qu’Uzeste soit le nom de quelque chose qui vient à peine de commencer : une New Thing, un manifeste qui met en mouvement, la maïeutique Dada d’une ruralité critique dont la Compagnie Lubat et Uzeste Musical (CL/UM) seraient les contra(di)ctions. Il n’est pas certain d’avoir réussi à inventer l’obstétrique poïélitique qu’il estime devoir être la spécialité utile aux accouchements « d’ici d’en bas », mais il n’est, pour autant, pas mécontent de ce qui a été, à ce jour, accompli. Pier Paolo Pasolini diagnostiquait la disparition des Lucioles1, c’est-à-dire des résistances ordinaires ; force est de constater que les LUZioles bazadaises, espèces rares et fragiles, semblent rayonner – certes, non sans difficulté –, d’une lumière qui tend à nous éclairer. Aussi, y a-t-il quelque chose de pasolinien ou de leopardien chez Bernard Lubat dans la persistance qu’il a à déplorer le déclin de son village natal, le « génocide » de la culture populaire dont il est issu (langue d’Oc, traditions rurales, etc.), mais aussi dans la mauvaise foi dont il fait montre quand il s’agit de tirer le bilan de ces quarante ans d’engagement amusicien. Bernard Lubat est un intranquille qui tend à « inquiéter son temps par le fait d’avoir lui-même un rapport inquiet à son histoire comme à son présent2 », un présent dont les nécessités le conduisent à effectuer une relecture du passé tournée vers l’avenir. Et si Uzeste est tout de même un lieu, il est peut-être d’abord celui de cette intranquillité .

Le projet lubatien hérite de la culture intranquille qui était celle de l’Estaminet d’Alban et Marie Lubat, sorte de Cabaret Voltaire paysan3, où se (dé)jouaient les contradictions d’une ruralité porteuse de contraintes structurelles, mais aussi d’imaginaires utopiques. Bernard Lubat essaie, aujourd’hui, d’actualiser ces potentiels émancipatoires par un travail de politisation au principe duquel se trouve un art des mots, du rythme, de l’improvisation, de la Relation et de la créolisation. L’engagement dans cet art qui se veut libératoire est également le précipité d’un parcours personnel singulier. À l’instar de la trajectoire du musicien brésilien Caetono Veloso4, celle de Bernard Lubat trace une révolte radicale, c’est-à-dire enracinée dans un contexte social régional et une culture locale, mais qui a pour ligne de fuite des ailleurs vers le Tout-Monde. Comme la bossa nova de João Gilberto, la Musique Populaire Brésilienne et, surtout, le mouvement tropicaliste5 qui émerge au Brésil à la fin des années 1960 – en mélangeant avant-garde et tradition, samba et jazz cool –, la production artistique de CL/UM est fidèle à l’esprit frappeur et à l’expressivité du free ou des expérimentations de la musique contemporaine, sans pour autant renoncer aux idiomes des cultures traditionnelles occitanes. On l’aura compris, l’ancrage de l’art lubatien dans les traditions populaires d’Occitanie ne relève évidemment pas d’un penchant folkloriste ; il en est même la négation la plus affirmée dans la mesure où il s’oppose à ce que Pasolini concevait comme la normalisation de cultures « particulières » qui seraient autant de « petites patries6 ». L’activité artistique et citoyenne de CL/UM ne participe aucunement aux nostalgies déploratoires des passéismes pittoresques et traditionnalistes. Elle s’attache à réinventer une mémoire populaire qui refuse d’être déterminée par le haut et qui s’efforce de constituer une ressource permettant aux subalternités uzestoises de s’appuyer sur un passé qui leur permettrait de se créer un avenir, c’est-à-dire de ne plus se considérer comme objets de l’histoire, mais comme sujets de celle-ci. La ruralité n’est pas une culture sans valeur, inférieure à la « haute culture » – par ailleurs rendue caduque par la culture marchande –, dont il faudrait être complexé et se défaire, mais une culture historique qui porte des aspirations progressistes, une mémoire des luttes sociales, au nom desquelles d’autres luttes peuvent être aujourd’hui menées. Depuis le dispositif CL/UM émerge la volonté de créer un lieu de passage d’une identité atavique qui, parce qu’elle n’est jamais totalement sédimentée, peut se transformer en identité critique. Faire en sorte que les groupes subalternes uzestois « invités à prendre sur eux-mêmes le point de vue des autres, à porter sur eux-mêmes un regard et un jugement d’étrangers […] toujours exposés à devenir étrangers à eux-mêmes7 », cessent de constituer une classe objet pour s’instituer en classe mobilisée : un groupe de résistants forcément intranquilles, parce que s’opposant à l’hégémonie dominante passée et présente tout en ayant conscience de leur dépendance vis-à-vis de celle-ci.

De même, l’intérêt de CL/UM pour la chanson n’est pas une concession à la musique « en boîte » des industries culturelles, mais une manière de travailler des sensibilités correspondant à la culture de masse par des contenus qui s’en font l’écho, mais qui en déplacent également l’actualisation. Il s’agit de travailler « à récupérer des formes déjà établies, ou du moins influencées ou infiltrées [par des cultures dominantes]8 » pour en faire le support d’une expression critique nouvelle. Se mettre à apprécier quelque chose qui, relevant d’un identique, porte une différence dont il est fait le pari qu’elle peut constituer un exorde au sens rhétorique du terme – un (re)commencement et la captation d’une attention habituellement dirigée vers un autre type de cibles –, est le type de médiation qui pourrait caractériser l’art lubatien. Un art qui invite celles et ceux qui s’y exposent à s’interroger sur leurs goûts et, partant, de faire le pari de nourrir de nouvelles dispositions qui pourraient les faire se questionner sur ce qu’ils croient, la société civile, l’État et les appareils d’hégémonie qui leur sont liés en tant que dispositifs organisant rapports sociaux, imaginaires, sensibilités, etc. ; les faire prendre conscience des potentiels de transformation de la société.

CL/UM conçoit son intervention comme un travail sur le sens commun ou ce qu’Antonio Gramsci nommait le folklore philosophique, c’est-à-dire la philosophie spontanée et plutôt partagée par tout un chacun, via le langage, les formes de catégorisation, les croyances, les opinions, les dispositions à agir, penser et sentir, lesquelles s’avèrent historiquement, culturellement et socialement situées. Parce qu’il n’est jamais entièrement figé, le sens commun constitue une matière culturelle, gnoséologique et organique, en mouvement, sur laquelle il est possible d’intervenir pour lui faire prendre des directions allant dans un sens qui, pour autant qu’il est commun, est également progressiste. Ce travail est politique et laborieux. Lubat & Cie s’y adonnent dans une attitude polémique qui dénonce les modes d’action, de pensée et d’affect qu’ils jugent aller dans le sens d’un statu quo assurant la reproduction des modes de domination. La manière dont ils s’y opposent ne relève en rien d’une action de ravalement qui viendrait combler les fissures de la façade d’un édifice existentiel dont les fondations resteraient entières. Elle tient plutôt à une opération de démolition de ces dernières pour les reconstruire sur un terrain critique : faire advenir un autre sens commun populaire qui envisagerait le quotidien comme un problème politique. Mais travailler le sens commun nécessite, en amont, de lutter contre le bon sens empirique qui, précisément, invite à ne pas s’exposer, à ne pas prendre (sa) part, d’une quelconque manière, à ces activités artistiques qu’un Uzestois nous décrira, amusé, comme lui faisant penser à celles d’un « asile de fous qui travaillent trop du chapeau9 ». Être de l’aventure, rétorquent Bernard Lubat et ses œuvriers, permet pourtant de réintroduire de la créativité dans le quotidien, opération dont il est estimé qu’elle constitue possiblement le premier pas vers une conscience politique et une production culturelle autonomes : « organisation, discipline du véritable moi intérieur, […] prise de possession de sa propre personnalité, […] conquête d’une conscience supérieure grâce à laquelle chacun réussit à comprendre sa propre valeur historique, sa propre fonction dans la vie, ses propres droits et ses propres devoirs10. »

Depuis cette dialectique mélangeant ruptures et attachements, contre-culture et culture traditionnelle, l’expérimentation artistique pastorale d’Uzeste souhaite, en donnant une forme artistique à la totalité sociale, se constituer en culture populaire oppositionnelle11 du présent. En se construisant depuis une esthétique de l’absurde, du scandaleux, de la résistance, des possibles et de la rencontre ; en proposant un nouveau modèle de rapport social au cœur de la vie quotidienne, cette culture populaire en résistance cherche à ouvrir une brèche dans le système dominant des valeurs culturelles qui imprègne la société uzestoise. Elle se pose systématiquement, depuis l’art, comme « la négation déterminée de ce qui suscite sans cesse le contraire de la chose possible qu’on espère12 ». De facto, les créations CL/UM se présentent (au public) comme des agencement de sons, de bruits, de cris, de songes, de réflexions, c’est-à-dire l’expression multiple de pensées en acte dont le souci tient à la nécessité critique de la conscientisation et de l’émancipation. Depuis leur persévérance à organiser stages, Uzestivals, hestejadas de las arts, etc., les œuvriers « d’ici d’en bas » écrivent, à leur manière, le manifeste qu’évoque Alain Brossat à propos des Écrits corsaires de Pasolini, une sorte d’Uzeste manifeste « en faveur de la défense des espaces politiques, des formes politiques (le débat, la polémique, la lutte) contre l’indifférenciation culturelle. Contre le régime généralisé de la tolérance culturelle 13 ».

Le « pack » CL/UM résiste et proteste donc depuis cet objectif politique, dresse le « procès du monde réel » selon les mots d’André Breton et tente de fertiliser l’imaginaire pour en faire une arme d’intervention sur la réalité sociale. À l’instar de ce qu’avance Édouard Glissant quant à la prise de conscience du peuple antillais, Bernard Lubat mène, à Uzeste, une révolution culturelle, c’est-à-dire conduit « un combat pour déclencher la participation initiative de tous à une expression réellement collective14 ». Le théâtre du poète martiniquais et la « mosique » de l’Amusicien d’UZ se fondent, il est vrai, sur des attendus relativement identiques :

– se dégager des « folklores vécus » pour se diriger vers une conscience représentée de soi, une expression du peuple ; proposer une critique globale des situations vécues et subies ;

– l’articuler à des dynamiques collectives visant des changements concrets : un peuple politique qui agit15 ;

– « ne revêtir aucun caractère d’apparat social mais être doté de solennité populaire16 » : se prendre au sérieux. « À Uzeste, la meilleure des accusations c’est “Pour qui vous prenez-vous ?”, comme si nous ne pouvions pas nous prendre. Mais bien sûr, nous nous prenons ! Nous nous en prenons plein la gueule, mais nous nous prenons. Nous aussi nous sommes des intellectuels » ;

– partir des existences concrètes pour y puiser les cadres formels d’un art à produire et à théoriser depuis une critique interne.

Bernard Lubat a aussi lu Gramsci – certaines des pensées du philosophe italien sont, en bonne place, reproduites sur la façade de l’Estaminet. Peut-être est-ce même son batteur préféré… Aussi, n’est-il pas insensé de considérer que CL/UM a l’ambition de se constituer en intellectuel collectif (Togliatti), en centre contre-hégémonique de création artistique, en « Art Ensemble » critique qui, de fait, n’a eu de cesse d’œuvrer, sur une période presque quadragennale, à faire vivre un « pays » en tentant de mettre en capacité les individus présents dans son périmètre d’action, à s’y inventer. À Uzeste, CL/UM joue en quelque sorte le rôle du Parti chez Gramsci : organisation pratique et idéologie générale de résistance. Il tente de provoquer un intérêt et un engagement politiques de ses adhérents, publics et concitoyens, d’en faire des intellectuels capables d’exercer sur leur vie et les collectifs auxquels ils participent, des fonctions organisationnelles, éducatives, intellectuelles allant dans le sens de la réalisation de soi et de celle du plus grand nombre. CL/UM fait vivre et prospérer un espace de construction de résistances qui offre les conditions de possibilité d’une intellectualité nouvelle, d’un pouvoir culturel populaire pouvant conduire à une réforme intellectuelle et morale (Renan), donnant donc les moyens d’une conscience politique élargie. S’opposant notamment aux intellectuels traditionnels, petits fonctionnaires des superstructures sociales, politiques et culturelles qui, à Uzeste et en ses entours, ressemblent pour une bonne part à ces intellectuels moyens du « bloc agricole » que Gramsci décrivait dans son étude sur la région du Mezzogiorno (techniciens et fonctionnaires publics, élus locaux, bourgeois ruraux exerçant des professions libérales, etc., commis organiquement reliés aux propriétaires fonciers, dont le vote est conservateur, mais qui se vivent comme indépendants du groupe social dominant et représentants d’une continuité historique), les œuvriers-tauliers de CL/UM apparaissent, en contrepoint, comme les intellectuels organiques d’un combat politique visant la construction critique des individualités et des subjectivités uzestoises.

En s’appuyant toujours sur le philosophe sarde, on peut considérer que les « poly-vaillants » de CL/UM essaient de mettre en œuvre un front culturel en faisant travailler « moment artistique » et « moment politique » : d’une part, en donnant aux artistes avec lesquels ils (se) produisent, la conscience de leur propre fonction critique dans les domaines économique, politique et social ; d’autre part, en essayant de construire, par leurs activités artistiques, une volonté collective de « formation polyvalente de l’individu », en faisant prendre conscience au peuple qui manque (Deleuze/Glissant), qu’il a la responsabilité de s’inventer, car chaque homme est bien « un “philosophe”, un artiste, un homme de goût, il participe à une conception du monde, il a une ligne de conduite morale consciente, donc il contribue à soutenir ou à modifier une conception du monde, c’est-à-dire à faire naître de nouveaux modes de penser17 ». Les activités de CL/UM proposent, ainsi, des actes de parole « pro-vocateurs » constituant les aspects sensibles et théoriques du lien critique théorie-pratique. Toutefois, de la même manière que les culturèmes marchandisés ne sont pas directement aliénants ou réifiants, en tant qu’ils auraient des effets plus ou moins directs sur les comportements – mais sont agissants en tant qu’ils font plutôt correspondre des dispositions utiles à la rationalité d’un système (sensibilités, valeurs, manières de penser, etc.) avec des productions symboliques qui les maintiennent en quelque sorte actives18–, la culture populaire ne peut être immédiatement émancipatrice. On « ne passe pas de la vision d’un spectacle à une compréhension du monde et d’une compréhension intellectuelle à une décision d’action19 ». Les effets attendus d’une culture en résistance relèvent également de la mise en résonance de ferments ou de penchants critiques avec des esthétiques, des pratiques et des théories qui en maintiennent ou en développent l’efficience, en en faisant des ressources au principe desquelles se créent des relations sociales, des mobilisations, des identités collectives, des raisonnements, des désirs, etc., susceptibles de s’opposer à l’hégémonie dominante. La terre arable composée de critiques esthétiques, théoriques et sociales a besoin, pour produire des résistances désindividualisées, d’être fertilisée par un autre politique qui organise, tranche et met en marche.

Bernard Lubat a pleinement conscience, dans le sillage de l’auteur des Cahiers de prison, que si l’orientation de la culture intellectuelle et morale est l’un des leviers de l’organisation du changement social, les luttes qui y prennent corps sont des plus difficiles à mener, indexées qu’elles sont à un bloc historique, notamment constitué de rapports socio-économiques et d’appareils d’État (de gouvernance territoriale). Le défi d’organiser la vie quotidienne à partir d’un sens commun constitué de valeurs alternatives et d’édifier une émancipation par la culture des arts à l’œuvre n’est donc, de fait, répétons-le, pas simple à relever, tant il est difficile de faire avancer les consciences, depuis cet engagement dans l’art, par-delà les bases réelles de la vie sociale. La constitution d’une société civile uzestoise/sud-girondine fondée sur des cohésions et des solidarités de groupe nouvelles, se heurte aux hégémonies locales organisant le consentement d’un nombre non négligeable d’habitants aux valeurs et à l’arbitraire culturel de l’ordre social hérités de la ruralité de servage/métayage et retravaillés par l’idéologie des classes dominantes actuelles. Toutefois, cette servitude structurée par le poids des identités ataviques et des mythologies marchandes se voit également fragilisée par la « cultivature » de capacités de résistance. La connivence culturelle entre les groupes locaux, dominants et subalternes, qui naturalise et légitime des rapports sociaux largement asymétriques, est mise à mal par la guerre de position que mène Bernard Lubat et ses œuvriers, même s’il faut constater que celle-ci n’a pas conduit à une crise profonde et durable de l’hégémonie locale.

CL/UM n’est arrivé que partiellement à se trouver à l’initiative d’une volonté collective permettant d’unir ses publics, soutiens et concitoyens autour d’une conception du monde qui, en l’occurrence, ne relève pas d’un programme politique d’ensemble, mais d’un programme micropolitique d’individuation pour chacun et dont l’improvisation serait en quelque sorte l’attitude décisive, l’acte libérateur par excellence. Pour Bernard Lubat, l’improvisation est une proposition incontestablement politique en ce qu’elle appelle une attitude qui conduit à la transformation de soi et, idéalement, de son environnement social ; une proposition qui est faite « à des populations macérées de devenir un peuple à inventer ». L’intellectuel collectif est censé unir la pensée et l’action, élaborer une pédagogie et organiser la lutte collective. CL/UM s’y livre avec grande efficacité en ces situations très particulières, liées aux attaques étatiques qui visent à retirer à l’artiste une partie toujours plus grande de sa capacité à mettre en œuvre le processus de production duquel il relève. Les hestejadas, par deux fois en grève, ont par exemple, en ces occasions, mobilisé et fédéré autour des « artistisants » uzestois développant une critique du grand partage entre travail intellectuel de conception et travail manuel d’exécution, cette division sociale du travail qui institue une séparation entre ceux qui sont censés savoir/parler/représenter/décider et ceux qui ignorent/se taisent/sont représentés/subissent. Mais en dehors de ces périodes de conflictualité sociale spécifiques, qui organisent le collectif autour du travail artistique et produisent des modes de subjectivation singuliers par l’invention d’une unité, la résistance d’UZ entend plutôt instaurer des logiques individuelles de subjectivation critiques. Si ces dernières restent articulées à un collectif pour celles et ceux qui évoluent au sein de CL/UM (artistes, techniciens, etc.), elles relèvent, en dehors de cette communauté professionnelle relativement restreinte, de processus individuels de libération qui ne participent d’aucun appareil contre-hégémonique susceptible de les faire converger en une puissance sociale plus générale. La formation de l’individu par l’élévation de la conscience et la culture des imaginaires personnels, les micro-résistances quotidiennes et les détournements spontanés du pouvoir en ses marges sont une (bonne) chose ; l’organisation des diverses subalternités uzestoises en un ensemble politique cohérent et agissant à une échelle collective, et non plus seulement individuelle, en est une autre.

La dialectique organique qui instaure une relation pédagogique réciproque entre l’intellectuel collectif qui apprend de ceux auxquels il s’adresse et qu’il « instruit » dans le même mouvement semble à tout le moins délicate à instituer : « ce processus d’unification est long, difficile, plein de contradictions, de marches en avant et de retraites, de débandades et de regroupements20 ». Le cas uzestois illustre bien cet embarras à unifier les intérêts et le champ d’action privilégié (artistique) des pratiques de résistance de l’intellectuel collectif CL/UM avec ceux des sujets sociaux qu’il « représente », en un « bloc socioculturel ». Pour fonctionner, la relation doit être organique, composée de sentiments (« régionaux-populaires ») partagés, nourrie de passions conjointes et d’analyses communes. C’est à ces conditions seulement que des formes collectives de résistance, de « nouvelles façons de sentir, penser et vivre » peuvent être envisagées en lien avec une stratégie de changement social de portée collective :

L’erreur de l’intellectuel consiste à croire qu’on peut savoir sans comprendre et surtout sans sentir et sans être passionné (non seulement du savoir en soi, mais de l’objet du savoir) c’est-à-dire à croire que l’intellectuel peut être un véritable intellectuel (et pas simplement un pédant) s’il est distinct et détaché du peuple-nation, s’il ne sent pas les passions élémentaires du peuple, les comprenant, les expliquant et les justifiant dans la situation historique déterminée, en les rattachant dialectiquement aux lois de l’histoire, à une conception du monde supérieure, élaborée suivant une méthode scientifique et cohérente, le « savoir » ; on ne fait pas de politique-histoire sans cette passion, c’est-à-dire sans cette connexion sentimentale entre intellectuels et peuple-nation. En l’absence d’un tel lien, les rapports de l’intellectuel avec le peuple-nation se réduisent à des rapports d’ordre purement bureaucratique, formel ; les intellectuels deviennent une caste ou un sacerdoce (qu’on baptise centralisme organique). Si le rapport entre intellectuels et peuple-nation, entre dirigeants et dirigés – entre gouvernants et gouvernés – est défini par une adhésion organique dans laquelle le sentiment-passion devient compréhension et par conséquent savoir (non pas mécaniquement, mais d’une manière vivante), on a alors, et seulement à cette condition, un rapport qui est de représentation et c’est alors qu’a lieu l’échange d’éléments individuels entre gouvernés et gouvernants, entre dirigés et dirigeants, c’est-à-dire que se réalise la vie d’ensemble qui seule est la force sociale ; c’est alors que se crée le « bloc historique »21.

Pour Gramsci, le « nouvel intellectuel » doit ainsi se mêler concrètement de la vie pratique en tant qu’organisateur et non simplement en tant que producteur de « discours » sur cette vie ou simplement articulé à celle-ci. L’artiste, en tant qu’il endosse le rôle d’intellectuel organique doit développer des pratiques concrètes d’organisation de la vie quotidienne depuis son propre espace de production, mais aussi depuis d’autres lieux de la vie sociale qu’il entend mobiliser à sa cause. Sa participation à la mission de promotion d’une réforme intellectuelle et morale visant à faire accéder le plus grand nombre au statut d’intellectuel « en brisant l’ancienne subordination du peuple à la culture traditionnelle et en le réconciliant avec sa propre culture22 », ne porte qu’à la condition de tenir compte de formes de conscience préexistantes, lesquelles ne sont pas seulement subordonnées, mais peuvent aussi porter des subjectivités rebelles qui nécessitent d’être prise en compte pour s’accomplir.

En tant qu’intellectuel collectif, CL/UM propose bien un « faire ensemble » politique, mais dont les acteurs principaux sont pour l’essentiel constitués des « artistisants » uzestois et de leurs publics. Dans ce cadre, se développe sans nul doute un modèle-du-devenir-soi-en-commun23 – qu’il faudrait analyser précisément au regard des formes d’individuation issues des relations entre artistes et entre artistes et publics24–, mais celui-ci ne sort pas des limites d’une configuration artistico-centrée. On peut faire, à l’instar du projet lubatien, l’hypothèse que ce qui est expérimenté dans ce cadre puisse servir de modèle ou de ferments à d’autres processus de libération/singularisation, mais il s’agit là d’un pari dont le dénouement positif semble ne pouvoir se passer d’un politique qui tranche précisément entre les possibles. Or le politique dont il est ici question ne saurait se contenter d’être celui de la mise en « sCène » de la représentation de la liberté et de la « résurrection de soi ». La création artistique libre et collective dessine bien les contours d’une politique de l’individuation par la confrontation à la différence de l’autre/de soi. Elle ouvre effectivement des espaces locaux et momentanés d’autonomie ; elle enjoint à un engagement dans et par la pratique, mais diffère la question – qui n’est pas, à proprement parler, de son ressort –, de la mise en disposition de cet engagement et de son éventuel déport vers des situations et des épreuves relevant d’autres domaines que celui de l’art, et pouvant conduire à des formes libératoires plus générales et pérennes. Si des changements dans l’ordre intérieur des corps (des artistes et auditeurs) sont à l’œuvre, de quelle manière viennent-ils heurter l’ordre extérieur des choses ? Par ailleurs, CL/UM ne peut prétendre (et il n’en a pas la prétention !) produire ou porter à lui seul les esthétiques et identités culturelles naissant des mobilisations « d’ici d’en bas ».

Aussi, l’unité entre les subalternités uzestoises débouchant sur du politique conçu comme forme élaborée d’échange culturel ne saurait faire l’économie d’alliances, d’ententes, de compréhension mutuelle, seules capables de permettre la création de ce substrat idéologique/éthique conduisant à la formation locale d’un nouveau bloc contre-hégémonique. Celui-ci s’organise sur un plan idéologique autour de la question de l’exercice du pouvoir culturel, lequel ne saurait être, à Uzeste, le fait unique de l’art et des œuvriers de CL/UM, bien que ces derniers y jouent à l’évidence le rôle le plus central et qu’il s’agit donc de les envisager depuis cette hauteur de vue : « Toute action culturelle doit ouvrir ici à l’action politique, seule en mesure de réaliser cette union des foyers, implicites ou déclarés, de résistance. [Et] l’action politique ne sera capable d’opérer une telle jonction qu’à partir des analyses assemblées dans une théorie de ce réel25. »

L’organicité se travaille dans un partage du sensible26, dans l’épreuve d’un mode d’être au monde commun qui est apporté par le fait de partager les réalités d’une même localité, mais elle doit aussi s’enraciner plus profondément dans les existences, les aspirations et les problèmes individuels et collectifs. Aussi, l’expérience politique ne saurait dissocier sensibilité et savoir27 : l’inscription d’un sens critique dans la communauté ne peut en effet s’envisager sans la médiation d’un vécu sensible dont l’art peut évidemment être un véhicule utile, permettant d’instaurer du jeu – i.e. de l’imaginaire en composition avec un futur –, dans le rapport qu’entretient le perçu et le pensé et que les logiques hégémoniques tendent à fixer dans un consensus qu’elles naturalisent. LeRoi Jones insiste par exemple sur le fait que la musique « est le fruit de la pensée. D’une pensée parachevée dans ce qu’elle a de plus empirique, c’est-à-dire transformée en attitude ou état d’esprit ». Aussi, ajoute-t-il, il s’agit de « considérer la musique [noire] comme le produit de certains modes de pensée spécifiques appliqués au monde (et seulement par la suite aux moyens de créer de la musique)28 ». La musique se présente donc, selon Jones, comme une forme d’expression sensible de la raison, une transcription dont il faut questionner l’efficacité avec laquelle celle-ci joue son rôle de représentante de la vision du monde (de la préoccupation fondamentale) dont elle est le précipité. La musique peut être critique dans ses formes sur le plan strictement esthétique, mais cette charge spécifique la rend-elle critique au regard d’autres champs de l’existence ? Plus spécifiquement, le sensible que produit CL/UM est-il en adéquation avec les subalternités populaires uzestoises ? Pas nécessairement, puisque ce décalage est précisément théorisé comme essentiel à la provocation d’une rupture dispositionnelle avec les goûts et cultures dominants. Toutefois, de par les imaginaires qu’il ouvre, peut-on penser qu’il intensifie le présent par des possibles dont ces subalternités peuvent se saisir ? CL/UM se trouve-t-il en capacité de porter le répertoire varié des revendications uzestoises ? A priori, pas davantage, dans la mesure où ce sont les mondes de l’art qui l’occupent en premier lieu et qu’il envisage l’artiste comme figure emblématique du résistant. Sa position d’intellectuel collectif tend à lui faire endosser le battledress du combattant montant au front (culturel), mais sa vocation est moins celle d’un formalisateur des expériences de lutte collectives que celui d’un opérateur précieux d’individuation critique qui arme les fantassins d’un équipement intellectuel et sensible (une micro-politique), mais n’organise ni ne dirige stratégiquement les armées que ceux-ci pourraient constituer : « logique émancipatrice de la mise en capacité » et formation d’une nouvelle personnalité, davantage que « logique de la captation collective »29 et formation d’une nouvelle direction. « La guerre de l’art plutôt que l’art de la guerre » aime à répéter Bernard Lubat !

Avec l’aimable autorisation de l’auteur, Fabien Granjon. Orignellement paru dans Les UZ-topies de Bernard Lubat, paru chez Outre Mesure (coll. « Jazz en France » – 2016). 

Archives Compagnie Lubat Manuscrit de Bernard Lubat – s.d.

Archives Compagnie Lubat
Manuscrit de Bernard Lubat – s.d.

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  1. PASOLINI (Pier Paolo), « L’article des lucioles (1975) », in Écrits corsaires, Paris, Flammarion, 1976, p. 180-189. []
  2. DIDI-HUBERMAN (Georges), Survivance des Lucioles, Paris, Éditions de Minuit, 2009, p. 57. []
  3. Initialement, le Cabaret Voltaire, lieu historique du mouvement Dada, s’appelait La Métairie hollandaise. Il était situé à Zurich dans la Spiegelgasse, rue où habita par ailleurs Vladimir Ilitch Lénine. []
  4. Cf. l’autobiographie de Caetano Veloso : Pop tropicale et révolution, Paris, Le Serpent à Plumes, 2003. []
  5. « Le “tropicalisme”, qui se manifeste aussi dans le théâtre, la poésie et les arts plastiques de 1967 à 1969, s’inspire des idées du poète philosophe iconoclaste Oswald de Andrade qui a publié en 1928 un Manifesto antropolfàgico (“manifeste anthropophagique”) sous l’influence de Francis Picabia, Marcel Duchamp et autres dadaïstes français. Le manifeste d’Andrade se résume au calembour “ Tupi, or not Tupi, that is the question ”, c’est-à-dire savoir si, pour re-définir la culture du XXe siècle, il est préférable ou non de retourner aux cultures originelles, comme celle des Indiens tupis, ou si l’on doit au contraire acquérir et assimiler les éléments d’autres cultures, quelle que soit leur origine. Cette assimilation est préférable, bien sûr, et justifie, pour les musiciens du “tropicalisme”, leur absorption (donc au sens figuré du “cannibalisme” culturel) d’expériences musicales étrangères qu’ils adaptent à leurs besoins ». (Gérard BÉHAGUE, Musiques du Brésil. De la Cantoria à la Samba-Reggae, Paris/Arles, Cité de la Musique/Actes Sud, 1999, p. 101-103.) []
  6. PASOLINI (Pier Paolo), « En quel sens parler d’une défaite du PCI au ‘‘référendum’’ (1974) », op. cit., p. 112-113. []
  7. BOURDIEU (Pierre), « Une classe objet », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 17-18, novembre 1977, p. 4. []
  8. SAID (Edward W.), Culture et impérialisme, Paris, Fayard/Le Monde diplomatique, 2000, p. 301. []
  9. On pourrait d’ailleurs, voir là, une allusion (inconsciente ?) au fait que Bernard Lubat porte le plus souvent un couvre-chef. []
  10. GRAMSCI (Antonio), « Socialisme et culture » [1916], Marxists.org, https://www.marxists.org/francais/gramsci/works/1916/01/gramsci_19160129.htm. []
  11. Cf. WILLIAMS (Raymond), Culture & Matérialisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009. Le populaire « n’est plus une catégorie sociologique ou esthétique distincte, mais le terrain, occupé par des individus, sur lequel doit se dérouler la lutte politique ». (Lawrence GROSSBERG, « contribution à une généalogie de l’état des cultural studies. la discipline des communications et la réception des cultural studies aux états-unis », dans Claustres (A.) (éd.), Le Tournant populaire des Cultural Studies. L’histoire de l’art face à une nouvelle cartographie du goût (1964-2008), Dijon, Les presses du réel, 2013, p. 239-240.) []
  12. BLOCH (Ernst), « Sur les contradictions propres au désir d’utopie », Europe, n° 949, 2008, p. 54. []
  13. BROSSAT (Alain), « De l’inconvénient d’être prophète dans un monde cynique et désenchanté », Lignes, n° 18, 2005, p. 62. []
  14. GLISSANT (Édouard), Le Discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, p. 708. []
  15. « Nous pensons à un peuple militant, et donc à un sens militant du mot “populaire”. “Populaire” veut dire : compréhensible aux larges masses ; adoptant et enrichissant leurs modes d’expression ; adoptant leur point de vue, le consolidant et le corrigeant ; représentant la partie la plus avancée du peuple de telle sorte qu’il puisse accéder au pouvoir, c’est-à-dire dans des formes compréhensibles aux autres fractions du peuple ; renouant avec les traditions et les continuant ; transmettant à la partie d u peuple qui aspire à la direction les conquêtes de celle qui assume cette direction actuellement. » (Bertold BRECHT, « L’esprit des Essais (extraits) », in Écrits sur la littérature et l’art 2. Sur le réalisme, Paris, L’Arche, 1970, p. 115-116.) []
  16. GLISSANT (Édouard), op. cit.,p. 712. []
  17. GRAMSCI (Antonio), « Problèmes de civilisation et de culture. 1. La formation des intellectuels » [1930-1932], Marxists.org, https://www.marxists.org/francais/gramsci/intell/intell1.htm. []
  18. « Les acteurs sont plus souvent “socialement raisonnables” qu’on ne le croit. Ce qui ne leur est pas accessible ne devient plus désirable, et ils finissent par n’aimer que ce que la situation objective les autorise à aimer. Sans s’en rendre compte, ils prennent non pas leurs désirs pour la réalité, mais la réalité des possibles, que fixe le réseau des relations d’interdépendance dans lesquelles ils sont pris, pour leurs désirs les plus personnels ». (Bernard LAHIRE, Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue « culture de l’excuse », Paris, La Découverte, 2016, p. 107. []
  19. RANCIÈRE (Jacques), Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 74. []
  20. PIOTTE (Jean-Marc), La pensée politique de Gramsci, Montréal, Lux, 2010, p. 100. []
  21. GRAMSCI (Antonio), « La philosophie de la praxis face à la réduction mécaniste du matérialisme historique. L’anti-Boukharine (cahier 11) » [1932-33], Marxists.org, https://www.marxists.org/francais/gramsci/works/1933/antiboukh4.htm. []
  22. MACCIOCCHI (Maria-Antonietta), Pour Gramsci, Paris, Seuil, 1974, p. 217. []
  23. CITTON (Yves), « L’utopie jazz entre gratuité et liberté », Multitudes, n° 16, 2004, p. 139. []
  24. S’agissant de ce qui se joue, sous cet aspect, dans les groupes d’improvisation libre au tournant des années 1960-1970, cf. Matthieu SALADIN, Esthétique de l’improvisation libre. Expérimentation musicale et politique, Dijon, Les Presses du réel, 2015. []
  25. GLISSANT (Édouard), op. cit.,p. 800. []
  26. RANCIÈRE (Jacques), Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000. Il faut ici préciser que l’acception du politique chez Rancière n’a toutefois pas grand-chose à voir avec la vision qu’en développe Gramsci, laquelle serait sans doute jugée par le philosophe français comme relevant de la police, c’est-à-dire de ce qui institue les hiérarchies, les asymétries et instaure un partage inégalitaire du sensible. []
  27. « L’élément populaire “sent”, mais ne comprend pas ou ne sait pas toujours ; l’élément intellectuel “sait”, mais ne comprend pas ou surtout ne “sent” pas toujours. » (Antonio GRAMSCI, « Le matérialisme historique et la philosophie de Benedetto Croce (extrait) », in Œuvres choisies, Paris, Éditions sociales, 1959, p. 120.) []
  28. JONES (LeRoi), Le Peuple du blues, Paris, Gallimard, 1968, p. 227-228. []
  29. RANCIÈRE (Jacques), Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 54. []
Fabien Granjon