Introduction
Le premier congrès de l’Internationale communiste, tenu en mars 1919, a donné lieu aux « Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat », qui résument le contenu du célèbre État et révolution de Lénine, à savoir les différences qui séparent les révolutionnaires du réformisme parlementaire de la Seconde Internationale.
Cette césure entre les partis socialiste et communiste, historiquement nécessaire étant donné que la plupart des organisations de la sociale-démocratie étaient passées dans le camp du nationalisme bourgeois lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale en août 1914, a néanmoins attiré vers le camp des révolutionnaires un certain nombre de tendances politiques qui, malgré leur internationalisme, avaient peu à voir avec le bolchévisme : elles appelaient, entre autres, au boycott des élections et à la désertion des syndicats réformistes par principe. Ces tendances ultra-gauchistes furent exclues du Parti communiste allemand (la Ligue spartakiste) lors de son second congrès, organisé à Heidelberg du 20 au 24 octobre 1919 et où furent adoptés les « principes fondateurs des préceptes et tactiques communistes » (connus sous le nom de « Thèses de Heidelberg »), à la demande de Paul Levi, héritier politique de Rosa Luxemburg après son assassinat en janvier 1919. Cinq mois plus tard, Lénine entreprit une campagne internationale contre ces tendances dans La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») (avril 1920). Les « Thèses de Heidelberg » sont désormais disponibles en Anglais, accompagnées de vingt-cinq autres documents rédigés par Paul Levi, dans une anthologie éditée récemment par David Fernbach et publiée dans la collection Historical Materialism des éditions Brill1. L’anthologie de Levi, nommée In the steps of Rosa Luxemburg, est une addition majeure au nombre déjà croissant de travaux anglophones sur les événements cruciaux de la révolution allemande2, dont l’échec, avec celui de la révolution italienne, fut la cause ultime du glissement de l’Union soviétique vers le stalinisme.
L’extraordinaire enthousiasme que la révolution bolchévique suscita parmi les masses laborieuses a mené certaines organisations de masse – comme le Parti socialiste italien [Partito socialista italiano, PSI] et le Parti socialiste indépendant d’Allemagne [Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands, USPD] – à tenter d’intégrer l’Internationale communiste. Dans Moscou sous Lénine, Alfred Rosmer se souvient qu’en 1920, « le Parti socialiste italien et le Parti communiste allemand étaient, en dehors du Parti communiste russe, les deux partis importants de l’Internationale »3. Ce qui devint cependant un problème lorsqu’il s’agit d’exclure les leaders de l’aile réformiste de ces organisations, tels que Eduard Bernstein, Rudolf Hilferding et Karl Kautsky pour l’USPD, et Filippo Turati pour le PSI. Cette stratégie a été codifiée dans les vingt-et-une « conditions d’admission à l’Internationale communiste », rédigées par Lénine et Zinoviev et adoptées par le second congrès de l’Internationale communiste en juillet 1920.
La purge visant à débarrasser l’Internationale communiste de ses éléments opportunistes ou sectaires, cependant, n’était qu’un pré-requis à sa tâche principale, qui était de gagner la majorité de la classe laborieuse à la cause communiste. Cela était nécessaire pour élaborer une tactique visant à donner aux masses la possibilité de découvrir la véritable nature des formes de commandement qu’ils subissaient et d’aborder le communisme à travers leur propre expérience. L’initiative qui consista à mettre en place la tactique du front unique ne vint pas du Parti communiste russe mais du Parti communiste allemand, à la demande de Paul Levi. Cette étude vise à analyser les événements qui ont conduit au développement de la politique du front unique par le Parti communiste d’Allemagne entre mars 1920 et janvier 1921, ainsi que les raisons de l’expulsion consécutive de Paul Levi par le KPD et l’Internationale.
La Révolution allemande, le congrès fondateur du KPD, la montée du spartakisme et la République soviétique de Bavière
La Révolution allemande a connu trois phases majeures entre 1918 et 1923. La première commence en novembre 1918 à l’occasion d’une série d’événements, à commencer par la mutinerie de Kiel au sein de la marine allemande, l’effondrement de l’armée allemande et la fin de la Première Guerre mondiale, la formation de conseils [Räte : soviets] de délégués des travailleurs et des soldats, l’abdication du Kaiser Whilhelm II et la proclamation de la République. Un congrès national des travailleurs et soldats [Reichskongress der Arbeiterund Soldatenräte], fut tenu entre le 16 et le 21 décembre 1918 et se dissout après que le chef du Parti social-démocrate allemand [Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD], Friedrich Ebert, persuada ses membres de donner le pouvoir à un gouvernement provisoire bourgeois, ironiquement appelé, d’après l’exemple soviétique, Concile des commissaires du peuple [Rat der Volksbeauftragten]. L’USPD, formation centriste et pacifiste née d’une scission avec le SPD survenue en avril 1917, fit également partie de cette organisation jusqu’au 29 décembre 1918. Elle incluait, à ses débuts, la Ligue spartakiste [Spartakusbund] de Rosa Luxembourg.
Le premier congrès du Parti communiste d’Allemagne (Ligue spartakiste) [Kommunistische Partei Deutschlands (Spartakusbund), KPD(S)], créée après la séparation de la Ligue spartakiste avec l’USPD, eut lieu du 30 décembre 1918 au 1er janvier 1919. À la demande de Rosa Luxemburg, Paul Levi y fit un discours appelant à la participation du KPD(S) aux élections de l’Assemblée constituante qui devait rédiger la constitution de Weimar, non en raison d’illusions parlementaristes de la part de Levi, mais afin d’atteindre les travailleurs par un message qui viendrait briser le consensus contre-révolutionnaire noué autour d’une république démocrate-bourgeoise se présentant comme une alternative au mouvement des conseils qui avait alors cours en Allemagne. Malheureusement, le congrès fondateur du KPD(S) rejeta cette position, se condamnant elle-même à l’isolement politique à un moment crucial de l’histoire de l’Allemagne et du monde4.
Quatre jours plus tard, le 5 janvier 1919, la révolte spartakiste [Spartakusaufstand] avortée de Berlin eut pour conséquence l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht par des groupes paramilitaires [Freikorps] le 15 janvier 1919. Encore quatre jours après, le 19 janvier, se tinrent les élections de l’Assemblée constituante à Weimar, ville de province que l’on avait choisie pour son éloignement de l’agitation révolutionnaire de la capitale, ce que confirme par ailleurs le choix d’Erbert comme Reichspräsident.
Parmi les répercussions de la révolte spartakiste, on compte notamment une série de révoltes qui éclatèrent à Munich entre le 7 avril et le 2 mai 1919 (on leur donne le nom de « République soviétique de Bavière », ou encore « République soviétique de Münich »), et dont le point culminant fut l’éphémère régime communiste mené par Eugen Leviné et Max Levien. La répression de la République soviétique de Bavière, qui mit un terme à la première phase des révolutions allemandes, fit de Munich un terreau fertile pour toutes sortes d’organisations d’extrême-droite, y compris le Nationalsozialistische Deutsche Arbeitpartei (NSDAP). Levi critiqua avec véhémence la République soviétique de Bavière et vit le rôle des communistes dans sa seconde phase comme un acte d’aventurisme politique pouvant nuire aux intérêts du prolétariat5. Ce document, de même que la polémique avec Karl Radek sur « Les leçons de la révolution hongroise »6, a fourni à Levi le rôle qu’il jouerait durant la majeure partie de cette période, celui de plaie des tendances d’ultra-gauche (Levi les appelait « syndicalistes ») à l’intérieur du KPD et de l’Internationale. Ces tendances se séparèrent finalement du KPD ainsi que du Parti communiste des travailleurs (Kommunistische Arbeitpartei Deutschlands, KAPD] le 3 avril 1920 après l’adoption, à l’initiative de Levi, des « Principes fondateurs des préceptes et tactiques communistes » par le second congrès du KPD.
Paul Levi et les « Thèses de Heidelberg » (24 octobre 1919)
Entre le 20 et le 24 octobre 1919, le KPD tint son second congrès à Heidelberg. C’est là que furent approuvées, à l’initiative de Paul Levi, les « Thèses de Heidelberg », officiellement appelées « Principes fondateurs des préceptes et tactiques communistes » [Leitsätze über kommunistische Grundsätze und Taktik]7.
Levi développa en détail sa critique de la gauche syndicaliste du KPD(S) dans un discours d’octobre 1919 appelé « La situation politique et le KPD » et prononcé au cours de ce congrès8. Le congrès de Heidelberg expulsa les tendances d’ultra-gauche gravitant autour de Heinrich Laufenberg et Fritz Wolffheim, que Levi appelait « les Hambourgeois » — groupe qui, après son expulsion, glissa vers le « national-bolchévisme », puis, finalement, vers l’aile gauche du parti nazi. Les lecteurs américains noteront que, dans cette section du discours, Levi critique l’idée d’un « syndicat général des travailleurs », « nouveauté que les Hambourgeois ont importée d’Amérique »9 — référence au fait que Wolffheim avait été en contact avec les Industrial Workers of the World (IWW) en Californie en 1912-1913. Plus précisément, Levi affirmait que « l’idée ‘d’une seule grande union’ » était née en Angleterre avec le mouvement chartiste, puis était tombé dans l’oubli avec lui10. Leur penchant syndicaliste a poussé les Hambourgeois à « prêcher le fédéralisme comme forme de l’organisation politique ». Le fédéralisme, cependant, « est synonyme de mort pour l’unité et la détermination du Parti, ainsi que pour l’action résolue du prolétariat ». C’est exactement ce que les Hambourgeois voulaient faire selon Paul Levi : remplacer le parti politique comme instrument révolutionnaire par « une seule grande union ». Le document se conclut par sept « principes fondateurs des préceptes et tactiques communistes », ou « Thèses de Heidelberg », et est tout entier dirigé contre « l’opinion qu’une révolution économique mène à une révolution politique », demandant une « la plus stricte centralisation » du parti11.
Pierre Broué a mis en lumière la portée des « Thèses de Heidelberg » de la façon suivante :
Le congrès fondateur du KPD (Spartakistes) le 1er janvier 1919 offre le spectacle d’une organisation qui avait peu à voir avec un parti, et rien en commun avec ce qu’un parti communiste en Allemagne aurait pu et dû être. En d’autres termes, le KPD(S), à sa formation, réunissait deux caractères parfaitement contradictoires : le spartakisme et l’[ultra-]gauchisme. Cependant, le second congrès, tenu à Heidelberg en 1919, marqua une profonde transformation, du moins dans les attitudes de l’équipe dirigeante. Ces résolutions furent la première tentative de garantir l’adoption des principes et tactiques que les bolchéviques mettaient en œuvre en Russie. Ce fut une avancée considérable comparé aux résultats du premier congrès12.
L’adoption de ces thèses, qui indiquaient que le parti ne saurait renoncer à une participation de principe aux élections parlementaires, était un appel à la formation de sections communistes au sein des syndicats bureaucratisés, et condamnait toute forme de fédéralisme dans l’organisation du Parti, contre ce que proposait la frange syndicaliste du KPD(S), ce qui mena à leur scission et à la formation du Kommunistiche Arbeitpartei Deutschlands (KAPD) le 3 avril 1920. Otto Rühle, chef du KAPD, pensait que les « Vingt-et-une conditions d’admission à l’Internationale communiste » n’étaient qu’une version rénovée des thèses adoptées par le congrès de Heidelberg : « Elles étaient seulement présentées plus généreusement, légèrement maquillées au point de vue théorique et quelque peu recentrées sur une ligne aux accents centralisateurs et dictatoriaux »13 — même s’il faut noter que, tandis que les « Vingt-et-une conditions d’admission » étaient surtout dirigées contre les chefs centristes des partis qui avaient été intégrés au sein de l’Internationale ou avaient demandé à l’être (comme Turati, Kautsky, Hilferding, etc.), les « Thèses de Heidelberg », elles, visaient plutôt les ultra-gauchistes.
La scission de Heidelberg fut une sérieuse perte pour le KPD : selon Helmut Gruber, « le nombre d’inscrits passa de 107 000 à moins de la moitié »14 — un lourd prix que Levi était prêt à payer pour combattre le sectarisme. Attribuer à Levi quelque idée boiteuse sur le « spontanéisme luxemburgiste » serait donc une erreur.
Karl Radek avait défendu les mêmes arguments que Levi avant le congrès de Heidelberg, qualifiant les idées de l’opposition de « méli-mélo d’anarchisme et de syndicalisme »15, mais s’opposa à l’initiative prise par Levi d’éliminer les anarcho-syndicalistes du KPD(S). Il était soutenu en cela par Lénine, qui voyait dans le KAPD un « membre sympathique de l’Internationale communiste », décision qu’il regretterait plus tard comme une erreur, selon ses propres mots de 1921 : « Je me rends clairement compte de l’erreur que j’ai faite en votant pour l’admission du KAPD. Cela devra être rectifié aussi rapidement et complètement que possible »16.
Le Putsch de Kapp et les « Neuf points des syndicats » (19 mars 1920)
Du 13 au 17 mars 1920 eut lieu le putsch de Kapp, un coup d’État militaire en réponse à l’exigence, formulée dans le Traité de Versailles, de dissoudre les Freikorps, et en premier lieu ceux des Baltiques, qui avaient combattu l’Armée rouge et avaient pris Riga en mai 1919. Le putsch échoua en raison d’une grève générale décidée par Carl Legien, l’éternel Président de la Fédération des syndicats sociaux-démocrates.
Conséquemment à la grève générale dirigée contre le putsch de Kapp, l’Allemagne fut recouverte d’un réseau de conseils exécutifs [Vollzugsräte] formé par les partis ouvriers et les syndicats au cours du mois de mars 1920. Dans la lutte contre le putsch, ces comités jouèrent le rôle de centres révolutionnaires, posant ainsi, dans la pratique, le problème du pouvoir en général, et la question plus immédiate de la nature du gouvernement. Le chef du bureau du Syndicat social-démocrate, Carl Legien, avança la possibilité de former immédiatement un gouvernement ouvrier (réformiste) avec des représentants tirés des syndicats et des deux partis sociaux-démocrates. Mais dans les faits, ni l’USPD ni le KPD ne saisirent l’opportunité, et aucun gouvernement de cette sorte ne fut formé.
Dans son Histoire de la révolution allemande, qui demeure le meilleur ouvrage sur le sujet, Pierre Broué offre une version condensée du texte des « neuf points des syndicats », soutenu par la Fédération générale des syndicats allemands [Allgemeine freie Angestelltenbund, AfA] et la Fédération générale des fonctionnaires allemands [Allgemeine Deutsche Beamtenbund, ADB]17, et que Legien avait imposé au gouvernement le 19 mars 1920 comme condition de levée de la grève générale18. Voici la version complète, tirée de Die Kommunistische Internationale, organe du Comité exécutif de l’Internationale communiste :
Les représentants des partis gouvernementaux rassemblés ici recommanderont à leurs groupes parlementaires :
1. Que, dans la formation prochaine de gouvernements au sein du Reich et de la Prusse, le personnel soit sélectionné par les partis après consultation avec les organisations syndicales d’ouvriers, d’employés et de fonctionnaires qui ont pris part à la grève générale, et que l’on accorde à ces organisations une influence décisive sur la réorganisation de la législation économique et sociale, tout en respectant les droits du parlement.
2. L’arrestation et la condamnation de tous les coupages du putsch ou du renversement de gouvernement constitutionnels, ainsi que des fonctionnaires qui se sont mis à disposition de gouvernements illégitimes.
3. La purification de l’ensemble de l’administration publique et de la direction des entreprises de leurs éléments contre-révolutionnaires, notamment de ceux qui occupent un poste élevé, et leur remplacement par des personnes fiables. Le rétablissement de tous les représentants d’organisations du service public persécutés pour leurs activités politiques et syndicales.
4. La diligente mise en place d’une réforme administrative sur des bases démocratiques, avec la participation des organisations économiques de travailleurs, d’employés et de fonctionnaires.
5. L’extension immédiate des lois sociales existantes et la mise en place de nouvelles, assurant une égalité économique et sociale totale pour les travailleurs, les employés et les fonctionnaires. L’introduction immédiate d’une loi sur le fonctionnariat libéral.
6. L’introduction sans délai d’un processus de socialisation dans toutes les industries arrivées à maturité, sur la base des décisions de la Commission de socialisation, en consultation avec les associations professionnelles. La convocation immédiate de la Commission des socialisations et paris en charge du syndicat du charbon et du syndicat du potasse par le Reich.
7. Le rassemblement effectif et, si nécessaire, l’expropriation de toutes les denrées alimentaires disponibles, et l’intensification de la lutte contre l’usure et le mercantilisme dans les zones urbaines et rurales, afin d’assurer l’accomplissement des obligations de livraison à travers l’établissement d’organisations de livraison et l’imposition de pénalités élevées pour toute violation malicieuse de ces obligations.
8. La dissolution de toutes les formations militaires contre-révolutionnaires et déloyales envers la Constitution, et leur replacement par des formations recrutées dans les rangs de républicains fiables, notamment les travailleurs, employés et fonctionnaires syndiqués, sans s’en prendre à la moindre propriété. [Stand] Dans la réorganisation, les droits acquis par les troupes et les forces de sécurité demeurées loyales demeureront inchangés.
9. La démission de[s ministres] Noske et Heine, qui ont déjà soumis leurs lettres de démission19.
L’enjeu crucial était alors l’armement des travailleurs et le désarmement de la contre-révolution, comme le souligne le point 8.
La critique de Paul Levi adressée aux positions sectaires du KPD durant le putsch de Kapp (16-17 mars 1920)
Lorsque le putsch de Kapp eut lieu, Levi purgeait une peine à la prison de Moabit, d’où il sortit le 24 mars 1920. C’est là qu’il avait appris la réaction du Zentrale à la déclaration de grève générale par les syndicats : l’organe du KPD(S) affirmait que « la classe laborieuse [était] incapable d’agir » et que « le prolétariat ne lèvera[it] pas le petit doigt pour la république démocratique ». Levi leur écrivit une lettre furieuse dénonçant le contenu des tracts rédigés par la direction du KPD(S) le 13 mars 1920, lettre qui fut publiée plus tard dans Die Kommunistische Internationale. Nous reproduisons ici les passages les plus importants de ce document passionnant, entièrement traduit dans l’appendice documentaire de cet article :
Mon verdict : le KPD est menacé de faillite morale et politique. Je ne comprends pas comment l’on peut, dans une telle situation, écrire des phrases comme celles-ci : « La classe laborieuse est incapable d’agir pour le moment. Il est nécessaire de le dire clairement. » « Le simple fait que Lüttwitz et Kapp aient pris la place de Bauer et Noske… n’a eu aucun effet immédiat… sur l’état général de la lutte des classes. » […] Après avoir nié [à la classe laborieuse] toute possibilité d’action, le parti publie, le jour suivant, un tract [où l’on peut lire] : « Désormais, le prolétariat allemand doit s’engager dans la bataille pour la dictature du prolétariat et la République soviétique communiste. » Ensuite, le tract parle de… la grève générale (la classe laborieuse s’était vue dénier sa capacité d’action). Au même moment (lorsque la grève générale avait fait sortir les masses de l’usine) [le tract appelle à l’]élection de soviets [Räte], [et la convocation d’un] congrès soviétique central. Pour faire court, nos « pontes » rompent le cou de la grève générale aux points de vue organisationnel et politique. Ils le font également à un niveau moral. Je vois cela comme un crime, de briser l’action [de la grève] en disant : « Le prolétariat ne lèvera pas le petit doigt pour la république démocratique ». Savez-vous ce que cela veut dire ? C’était un coup de poignard dans le dos du plus grand combat du prolétariat allemand ! »20
Levi poursuit en faisant quelques observations générales sur l’attitude à adopter face à ce genre d’événements, rappelant le comportement des bolchéviques avant la tentative de coup d’État du général Kornilov :
J’ai toujours cru que nous étions clairs et en accord sur le point suivant : si une révolte éclate — même avec un objectif idiot ! (la Révolution de Novembre n’avait aucun but raisonnable, voire aucun but du tout) — nous devons soutenir cette révolte, et la soulever au-delà de cet objectif idiot à travers nos mots d’ordre, [de manière à] amener les masses vers l’objectif véritable par l’intensification de la révolte ! Et non pleurer dès le commencement parce que « nous ne lèverons pas le petit doigt » dès lors que nous n’aimons pas le but poursuivi. Entre temps, nous devons trouver des mots d’ordre concrets. Dites aux masses ce qui doit absolument arriver au bon moment ! Les mots d’ordre, bien-sûr, doivent être intensifiés, [mais] graduellement intensifiés. La République soviétique vient à la fin, non au début. Il semble que personne n’ait commencé à réfléchir à l’élection de soviets. Le mot d’ordre, pour le moment, ne peut être que : Armons le prolétariat21.
Contre le Zentrale et sa conviction métaphysique qu’un gouvernement social-démocrate resterait toujours égal à lui-même, Levi indiqua que son caractère serait déterminé par les forces sociales sur lesquelles il s’appuie :
Il ne doit faire aucun doute que si, après la neutralisation du coup d’État militaire, un gouvernement Bauer-Ebert-Noske venait à renaître, il ne serait plus le même, parce qu’il aurait perdu ses soutiens à droite, tout comme il n’était plus le même en janvier 1919, après avoir perdu ses soutiens à gauche. Dès lors, il est impératif de faire tout ce que nous pouvons pour intensifier l’action, de manière à briser le putsch sans compromis ! Si nous réussissons, toute « république démocratique » à venir glissera vers la gauche, parce qu’elle perdra ses bases à droite. Ce n’est qu’à cette occasion que nous pourrons nous développer ! Nous devons désormais [entreprendre] ces actions ensemble — et même avec le SPD — [tout en gardant] les mots d’ordre séparément de l’USPD. […] Le coup d’État, dans tous les cas, [doit être] brisé, car tout le reste doit suivre, presque par nécessité[, de son échec]. Mot d’ordre immédiat : Contre tout compris [entre le gouvernement et les meneurs du coup d’État !]22.
Dans une lettre rédigée le jour suivant, Levi précisa le mot d’ordre (« Arrestation immédiate des meneurs du putsch et jugement par une cour prolétarienne, parce qu’une cour militaire [serait] une plaisanterie »), ajoutant :
Ce que le Zentrale du Parti communiste écrit dans son pamphlet du 16 mars [1920] est inutiles. « République soviétique » et « Congrès de soviets » ne sont pas des revendications tant que le peuple ne travaille pas à leur accomplissement ; d’autant plus que ce ne sont pas des revendications [dirigées] contre nos opposants. « À bas la dictature militaire ! », « À bas la démocratie bourgeoise ! », pour la même raison, ne sont pas des revendications que l’on formule lors d’une grève, ce ne sont que des formules. Ce qu’il y avait de revendications positives dans le tract avant d’être (et pourquoi ?) supprimé une fois de plus, était également inutile. Non pas la « démission » du gouvernement Kapp, mais son « arrestation » ! Les grands traîtres ne « démissionnent » pas ! Le « désarmement de l’armée » ! Pour le moment cela n’a aucun sens, parce que cette exigence envoie au camp d’en face les éléments de l’armée qui étaient, au départ, opposés au coup d’État. Cette exigence est dirigée contre une partie des forces sur lesquelles le prolétariat doit compter pour l’instant. La confiscation immédiate des armes de la bourgeoisie, la formation d’une armée du prolétariat, sont autant de revendications qui ne sauraient être satisfaites du jour au lendemain, leur mise en œuvre demande des semaines — dès lors [elles ne sont] pas les mêmes revendications que lors d’une grève23.
Levi conclut sa lettre par une série d’indications pratiques sur les actions que le parti devait mener à bien :
(1.) Une à deux fois par jour, selon la situation, un tract général — pas un « compendium communiste », mais quatre phrases sur la situation, l’une d’entre elles contenant la conclusion et les demandes du piquet de grève. [Le tract doit inclure,] notamment, la critique de la direction de la grève, qui voudra conclure un accord [avec les meneurs du putsch]. [Nous devrions également faire paraître] un tract pour les soldats. Un tract pour le SPD. Un tract pour les fonctionnaires, rédigé de manière pédagogique. Un tract pour les travailleurs du ferroviaire, de la poste et du télégraphe. (2.) L’intensification de l’action. Des réunions de manifestations au parc de Treptower [à Berlin]. Pas d’affrontements. (3.) Une suppression [militaire] des cadres, mais sans armes. Lorsque les troupes venant de l’extérieur affrontent les troupes locales, la ville ne doit pas rester calme24.
La publication de la lettre de Levi dans Die Kommunistische Internationale indique clairement que la direction de l’Internationale communiste était alors disposée à adopter une position relâchée face aux infractions à la discipline du parti, dès lors que ces infractions visaient à combattre les tendances sectaires dans ses sections nationales. Ce soutien de la direction de l’Internationale communiste à son combat contre les tendances d’ultra-gauche encouragèrent Levi à faire un pas supplémentaire, qui susciterait une très grande opposition au sein de son propre parti et de l’Internationale elle-même.
Paul Levi et la Déclaration d’ « opposition loyale » du KPD (21 mars 1920)
À l’incitation de Levi, le 21 mars 1920, le KPD(S) fit paraître dans Die Rote Fahne une Déclaration d’ « opposition loyale » au gouvernement ouvrier (réformiste) proposé par Legien à la suite du putsch de Kapp. Il s’agissait, pour la première fois, de lancer un mot d’ordre central transitoire appelant, sous certaines conditions, à la création d’un gouvernement formé par des organisations et partis ouvriers et réformistes — une tactique qui serait formellement adoptée par l’Internationale communiste lors de son deuxième congrès en 192225. La Déclaration n’a pour l’instant jamais été publiée en Anglais ; en voici la traduction intégrale, basée sur « Erklärung de Zentrale der KPD » (21 mars 1920)26 :
1. Le putsch militaire de Kapp et Lüttwitz signifie l’effondrement de la coalition bourgeoise-socialiste27. La lutte du prolétariat contre la dictature militaire était une lutte contre la coalition bourgeoise-socialiste, et son but est d’augmenter le pouvoir politique de la classe ouvrière jusqu’à l’élimination totale de la bourgeoisie.
2. La dictature du prolétariat ne peut être érigée qu’en tant que dictature des éléments cruciaux du prolétariat, et elle exige un Parti communiste fort, soutenu par la conscience révolutionnaire de la population ouvrière, dévouée à la dictature du prolétariat.
3. Le stade actuel de la lutte, où le prolétariat n’a toujours pas de pouvoir militaire suffisant à disposition, où le parti de la majorité socialiste a une forte influence spirituelle sur les agents publics, les employées et certaines sections de la classe ouvrière, où l’USPD a le soutien de la majorité du prolétariat urbain, est le signe que les fondements objectifs de la dictature du prolétariat ne sont pas encore en place.
4. Pour aller plus loin encore dans la conquête des masses laborieuses en vue de la cause communiste, une situation où l’on peut jouir d’une liberté politique sans restrictions, et où la démocratie bourgeoise ne peut imposer la dictature du capital, est, au point de vue du développement de la dictature du prolétariat, de la plus grande importance.
5. Le KPD voit dans la formation d’un gouvernement socialiste d’où les partis bourgeois-capitalistes seraient exclus une condition souhaitable pour l’auto-affirmation des masses prolétariennes et leur maturation en vue de l’exercice de la dictature du prolétariat. Le KPD jouera, vis-à-vis du gouvernement, le rôle d’une opposition loyale tant que le gouvernement garantit les moyens de l’action politique à la classe ouvrière, tant qu’il combat la contre-révolution bourgeoise avec tout ce qui est à sa disposition, et tant qu’il n’entrave pas le renforcement social et organisationnel de la classe travailleuse.
Par « opposition loyale », nous voulons dire : pas de préparation en vue d’une révolution violente, tout en conservant au parti son droit d’agitation politique afin de remplir ses objectifs et d’élaborer ses mots d’ordre.
La « Déclaration d’“opposition loyale“ » au gouvernement travailliste-réformiste proposé par le chef du bureau du syndicat social-démocrate Carl Legien fut rejetée par le Zentrale du KPD(S) par douze voix contre huit28, et trouva également une opposition au sein de l’Internationale communiste en les personnes de Béla Kun, Nikolai Bukharin et Karl Radek29. Elle fut cependant soutenue sans réserve par Lénine dans La maladie infantile du communisme, comme nous allons le voir à présent.
Les raisons d’adopter cette tactique sont exposées dans un article portant sur le putsch de Kapp publié dans Die Kommunistische Internationale sous le pseudonyme Spartakus, mais rédigé par le communiste polonais Miechislaw Bronski, qui défendait la position de Levi30. Il avança que la controverse autour de la « Déclaration d’ “opposition loyale“ » au sein du KPD était un « désaccord tactique » :
La question qui est posée est la suivante : le Parti communiste peut-il avoir pour tâche, dans la lutte, de donner son accord à une proposition de compromis, qui représenterait une amélioration comparée à la situation antérieure, mais qui serait loin de remplir les objectifs et de se conformer aux mots d’ordre du parti ? Aux critiques qui voudraient que le calendrier de la Déclaration du Zentrale était mauvais, nous ne pouvons que répondre : la Déclaration n’était pas une initiative du KPD, mais elle est la réponse à une question que l’aile gauche de l’USPD posait au Parti communiste31.
S’agissant du meilleur résultat possible d’une telle initiative, le remplacement du gouvernement Eber-Bauer par « un gouvernement Hilferding-Legien »32 — Bronski expliqua comme suit la logique politique de Levi :
Si l’aile droite de l’USPD avait formé, avec l’aile gauche de la Majorité socialiste [le SPD], un gouvernement purement socialiste, cela n’aurait en aucun cas signifié la réduction, par la direction de l’aile droite de l’USPD, de l’influence de l’aile gauche sur les masses, comme cela a pu être dit, mais au contraire, aurait engendré un déplacement massif des travailleurs actuellement sous l’égide de l’USPD vers le KPD. Les Hilferding et autres Kautsky auraient alors pu s’effondrer aux yeux des masses à cause de leur activité concrète, tout comme le Parti de la majorité socialiste s’est effectivement compromis et effondré à cause de son activité gouvernementale33.
Le document rassurait ceux des activistes du parti qui craignaient que le KPD s’aliène en « jouant les sage-femmes dans le développement d’un gouvernement aussi purement socialiste » et même en lui « prêtant allégeance » :
Peut-on dire, dès lors, que notre comportement est dénué de toute critique envers le gouvernement soi-disant « purement socialiste », que nous nous attendons à ce qu’il résolve tous les problèmes, que nous pensons que ce gouvernement est capable de réaliser le socialisme tel que nous l’entendons ? Absolument pas ! Au contraire ! Le gouvernement socialiste qui essaie de supprimer démocratiquement l’opposition entre le capital et le travail se retrouve dans une situation où sa faillite est inévitable. Il sera incapable de porter sérieusement la socialisation. Il sera incapable de résorber pleinement et sérieusement le chômage et l’inflation. Mais ce qu’il peut et doit faire consciencieusement, c’est montrer par l’exemple l’impossibilité d’atteindre le socialisme sans dictature du prolétariat. Il s’agit là d’un enseignement si précieux pour le parachèvement de la préparation idéologique de la classe ouvrière à la dictature des soviets que nous avons toutes les raisons de faire advenir cet situation politique, précisément au point de vue du parti qui s’appuie invariablement sur le terrain de la dictature du prolétariat34.
La tactique du « gouvernement purement socialiste » avançait la même logique que le mot d’ordre bolchévique : « À bas les dix ministres capitalistes ! » durant la révolution russe :
La Russie, après le putsch de Kornilov, a également connu une situation où le Parti bolchévique avait appelé le gouvernement Kerensky à briser la coalition avec la bourgeoisie, en retour de quoi le Parti avait promis de ne pas renverser le gouvernement par la violence. Cependant, Kerensky et les menchéviques refusèrent d’abandonner la coalition avec la bourgeoisie, et durent assumer les conséquences de leur politique35.
Étonnamment, le document use de l’expression « front unique [Einheitsfront] », qui réapparaît dans l’article de Clara Zetkin sur le putsch de Kapp, rédigé peu de temps après36.
Lénine et la « Déclaration d’“opposition loyale“ » (avril 1920)
Dans l’appendice de La maladie infantile du communisme (le « gauchisme »), Lénine écrit :
Cette déclaration est assez juste, aussi bien dans ses prémices que dans ses conclusions pratiques. La prémisse fondamentale est qu’il n’y a pas, pour le moment de « base objective » à la dictature du prolétariat parce que la « majorité du prolétariat urbain » soutient les Indépendants. La conclusion est la promesse de constituer une « opposition loyale » (ce qui veut dire renoncer à la préparation d’un « renversement par la force ») à un « gouvernement socialiste, à condition qu’il exclue les partis bourgeois-capitalistes ».
Pour l’essentiel, cette tactique est incontestablement juste. Cependant, même s’il ne faut pas s’appesantir sur d’insignifiantes inexactitudes dans la formulation, il est impossible de passer sous silence ceci, qu’un gouvernement composé de sociaux-traîtres ne mérite pas (comme le Parti communiste l’a explicitement exprimé) le nom de « socialiste » ; qu’il ne faut pas parler d’exclusion des « partis bourgeois-capitalistes » lorsque les partis de Schneidermann, de Kautsky et de Crispien sont des partis petits-bourgeois-démocrates ; que tout ce qui est dit dans la section 4 de la déclaration n’aurait jamais dû être écrit : « … Une situation où l’on peut jouir d’une liberté politique sans restrictions, et où la démocratie bourgeoise ne peut imposer la dictature du capital, est, au point de vue du développement de la dictature du prolétariat, de la plus grande importance ».
Une telle situation est impossible. Les meneurs petits-bourgeois, le Henderson allemand (Scheidemann) et le Snowden allemand (Crispien), ne sauraient dépasser les limites de la démocratie bourgeoise, qui, à son tour, ne peut être qu’une dictature du capital. Pour atteindre aux résultats en vue desquels le Comité central du Parti communiste a travaillé à juste titre, il n’était pas besoin d’écrire de telles choses, qui sont fausses au point de vue des principes, et politiquement dangereuses. Il aurait été suffisant de dire (si l’on voulait ménager les institutions parlementaires) : « Tant que la majorité du prolétariat urbain soutient les Indépendants, nous, communistes, ne devons rien faire pour empêcher ces travailleurs de perdre leurs dernières illusions philistines-démocratiques (i.e., “bourgeoises-capitalistes“) en passant par l’expérience de leur « propre » gouvernement ». » Voilà une base suffisante pour un compromis, par ailleurs tout à fait nécessaire, consistant à renoncer temporairement à toute tentative de renversement violent d’un gouvernement qui jouit de la confiance d’une majorité des ouvriers des villes. Mais dans l’agitation quotidienne des masses, pour laquelle personne n’est contraint par les instances parlementaires officielles, on pourrait ajouter : « Laissons les scélérats comme Scheindermann, les philistins comme Kautsky et Crispien montrer, par leurs actions, à quel point ils ont eux-mêmes été dupés, et à quel point ils dupent les travailleurs ; leur gouvernement “propre“ fera lui-même le travail le plus “propre“ qui soit, c’est-à-dire “nettoyer“ les écuries d’Augias du socialisme, de la social-démocratie et d’autres formes de traîtrise »37.
Nous avons cité les passages où Lénine parle de la « Déclaration d“opposition loyale“ » en entier pour montrer le soutien critique qu’il apportait aux initiatives politiques de Levi au cours des années 1919 et 1920.
Paul Levi et le second congrès de l’Internationale communiste (juillet-août 1920).
Les organisations de gauche manquèrent l’occasion de transformer le putsch de Kapp en pas en avant pour la révolution allemande ; néanmoins, la grève générale des masses contre le putsch marqua le début d’une nouvelle période dans le militantisme ouvrier. Les mois de mars-avril 1920 furent également le théâtre de la lutte de la soi-disant « Armée rouge de la Ruhr » [Rote Ruhrarmee] contre les Freikorps et l’Armée régulière. Levi et Zetkin furent élu au Reichstag en juin 1920, et le KPD engrangea plus de 442 000 votes. Selon Helmut Gruber :
L’USPD, où Levi voyait la future source de la force communiste, reçut 4,9 millions de votes. Le SPD tomba des 11,5 millions de 1919 à 5,6 millions. En juin [1920], Levi partit pour le second congrès du Komintern à Moscou avec de bons espoirs d’y remporter l’approbation pour son programme. Quatre représentants de l’USPD furent invités comme observateurs. Dans la discussion autour du rapport de Levi au congrès, ses actions furent jugées saines38.
Lors du second congrès de l’Internationale communiste, Levi intervint six fois : la première fois durant la séance d’ouverture du 19 juillet, la dernière durant la séance de clôture du 4 août. Il y défendit les tactiques adoptées au congrès de Heidelberg en ces mots :
Le Parti dépérira et deviendra une secte s’il néglige la recherche de moyens d’entrer dans la vie des masses révolutionnaires. […] La question essentielle pour nous est de trouver le chemin qui mène aux masses, et je suis d’avis qu’il faut emprunter tous les chemins qui mènent aux masses : les syndicats, les conseils ouvriers où ces syndicats viennent à naître, le champ de bataille parlementaire et même les organisations non-partisanes, du moins tant qu’elles demeurent attachées au sous-sol de la vie sociale, à la stratification sociale et économique de la société. Ce sont ces seules réserves qui me mettent en désaccord avec le principal intervenant, lorsqu’il affirme, au point six de ces Thèses : « Les communistes soutiennent, par tous les moyens, la formation de grandes organisations non-partisanes de travailleurs en dehors du Parti communiste »39.
Levi s’inquiétait en effet de ce dernier point, qui marquait selon lui la renaissance de l’idée selon laquelle il fallait mettre en place des « syndicats rouges » comme ceux que promouvaient ses anciens rivaux, désormais rassemblés au sein du KAPD :
Je crois qu’il faut dire quelque chose sur ces lignes, afin que la formation de factions de travailleurs et d’organisations ouvrières non-partisanes ne devienne pas un simple jeu, et que nous ne fassions pas apparaître de nouvelles formes d’organisation parfaitement détachées de toute nécessité économique et sociale. Nous devons faire preuve de la plus grande prudence dans la création de nouvelles organisations, et, lorsqu’elles existent déjà, nous devons veiller à ne pas les étendre arbitrairement et inconditionnellement. Je pense particulièrement à l’Allemagne lorsque je dis cela, où les syndicats ont atteint jusqu’à neuf millions de membres et où, cependant, certains camarades sont allés si loin dans la conduite de ces nouveaux types d’organisation qu’ils ont essayé de nous faire croire que nous n’avions plus besoin d’œuvrer sur ce terrain important40.
D’autre part, dans la polémique qui l’opposa aux représentants de l’USPD, Levi fit remarquer que le Parti ne pouvait pas se contenter d’appuyer les masses, mais devait les mener à la confiscation révolutionnaire du pouvoir :
En vérité, quel est le sens profond des controverses qui m’ont opposé à Dittman et Crispien hier ? C’est cette idée, répétée jusqu’à l’épuisement : « Nous avions une relation avec les masses, nous nous sommes tenus là où ils se tenaient, notre attitude avait leur approbation. » C’est là une erreur fondamentale concernant le rôle du parti envers les masses. Car, même s’il est vrai que le parti ne peut pas se lancer dans la lutte révolutionnaire sans les masses, il est tout aussi fatal au parti d’être réduit à se demander, en toute occasion : « Que font les masses ? », et à ne dire, à chaque instant, que ce qui peut les flatter. Jusqu’à maintenant, cela a été la tactique politique de l’USPD, qui s’est même toujours vanté de ne représenter que ce que les masses voulaient. Son histoire, ne peut être, dès lors, qu’une suite d’erreurs et d’échecs : c’est l’histoire de l’échec des masses allemandes en général. Là où les masses ont échoué, les Indépendants allemands ont aussi échoué. Là où les masses n’ont pas eu conscience de leur force, les Indépendants ne leur ont pas demandé d’être fortes, mais se sont sont rendus faibles avec elles41.
Levi critiqua le « Programme d’action » de l’USPD, jugé si vague que tout le monde pouvait « être en accord » avec, ajoutant : « Plutôt qu’un Programme d’action pouvant s’étirer jusqu’à Hilferding et Stöcker et plein de formules qui ne sont que des formules, présentez-nous un véritable programme politique. » L’Internationale communiste dut forcer les chefs de l’aile droite de l’USPD de dire aux masses ce qu’ils voulaient vraiment :
Et je pense que ce sera la plus grande tâche du congrès que de s’exprimer en termes clairs et compréhensibles auprès travailleurs allemands dont nous avons la sympathie, et de leur dire ce qu’est vraiment l’aile droite, et comment elle a réussi à le cacher en trouvant des formules révolutionnaires lorsque les masses en avaient besoin. C’est dans cette perspective que j’ai toujours conçu le combat contre les Indépendants allemands. Nous devons exposer en termes clairs la critique que les membres de l’USPD n’ont jamais eu le courage ni la force d’énoncer, la sombre insatisfaction de lutter en dehors du cadre que l’USPD nous a fourni jusqu’à maintenant. C’est ainsi que nous devons servir notre parti et les masses acquises à l’USPD, et c’est ainsi que nous devons poursuivre notre critique. Nous devons dire aux masses qu’elles n’ont encore jamais entendu leurs véritables leaders, même à gauche42.
À l’occasion de son différend avec le représentant néerlandais, qui s’était opposé à ce que les quatre représentants de l’USPD soient invités au congrès, Levi fit une déclaration dont la portée ne s’éclaircirait qu’au lendemain de l’ « Action de mars » :
Il reprend l’argument de l’aile gauche de l’USPD, que nous n’avons jamais cessé de combattre. Cette frange dit aussi : « Nous ne voulons pas dévoiler nos désaccords ; nous ne voulons rien en dire en la présence de tiers. » Nous disons que cette position implique une incompréhension fatale de la portée des controverses qui agitent le prolétariat allemand. Si des erreurs ont été commises, elles doivent être dévoilées, que les ennemis soient présents ou non43.
La publication d’un rapport rédigé par Levi sur la situation politique allemande dans Die Kommunistische Internationale en septembre 1920 est le signe évident que la direction de l’Internationale, à la demande de Lénine, continuait de soutenir sa ligne politique juste avant le congrès de l’USPD tenu à Halle, qui fut le grand triomphe politique de Levi44.
Le congrès de Halle (octobre 1920) et la « Lettre ouverte » du Zentrale du VKPD (8 janvier 1921)
Du 12 au 17 octobre 1920, l’USPD tint un congrès à Halle qui eut pour conséquence la scission entre son aile gauche et son aile droite, ainsi que la naissance du Parti communiste unifié d’Allemagne [Vereinigte Kommunistische Partei Deutschlands, VKPD] après l’unification de la gauche de l’USPD et de la Ligue spartakiste en décembre 1920. L’USPD, avec ses 700 000 membres et sa cinquantaine de quotidiens, était la plus grande formation centriste du mouvement ouvrier mondial. Ce gigantesque contingent d’ouvriers militants choisirait-il de rejoindre la Troisième Internationale ou continuerait-il à balancer entre le communisme et la social-démocratie ? Voilà la question cruciale que trancha le congrès de Halle. Y prirent la parole, non seulement les représentants du communisme et de la social-démocratie allemands, mais aussi Martov et Zinoviev, ce qui montre l’importance mondiale de cet événement45. La tactique développée par Paul Levi résultait donc à la formation du second plus grand Parti communiste du monde, après le Parti communiste russe : le VKPD, dont Paul Levi et Ernst Däumig partageaient la présidence, atteint les 350 000 membres avant même l’ « Action de mars » de 1921.
L’action politique de Levi se poursuivit par la « Lettre ouverte [Offener Brief] » publiée le 8 janvier 1921 dans Die Rote Fahne. La « Lettre ouverte » fut la première déclaration publique de ce qui serait un jour connu sous le nom d’Einheitsfrontpolitik, ou « politique du front unique ». Comme le montre Broué, la première initiative d’importance dans le sens de la politique que Levi avait esquissée vint de la base de l’USPD, plus précisément du syndicat des métallos de Stuttgart. Selon Broué :
À Stuttgart, le Parti communiste a conquis de solides positions dans le syndicat des métallos, que préside l’un des siens, Melcher, et dans le cartel local. Sensibles aux revendications qui se font jour dans les rangs des travailleurs non communistes et surtout leur aspiration à l’unité, ils font prendre aux organismes syndicaux qu’ils animent l’initiative de demander aux directions nationales du D.M.V. et de l’A.D.G.B. d’entreprendre immédiatement une lutte d’ensemble pour l’amélioration concrète du sort des travailleurs. Après une assemblée au cours de laquelle Melcher et ses camarades réussissent à mettre en minorité Robert Dissmann en personne, ils réclament, au nom des 26 000 métallos syndiqués de Stuttgart, l’organisation, dans l’unité, d’un combat de classe pour les cinq revendications ouvrières qu’ils jugent essentielles : baisse des prix des produits alimentaires, inventaire de la production et augmentation des allocations de chômage, diminution des impôts sur les salaires et imposition des grosses fortunes, contrôle par les ouvriers des fournitures de matières premières et de ravitaillement, ainsi que de leur répartition, désarmement des bandes réactionnaires et armement du prolétariat. La centrale, qui approuve cette initiative, publie l’appel des métallos de Stuttgart1952 et incite en outre à l’organisation, dans toutes les localités et entreprises, d’assemblées ouvrières qui auraient à formuler ainsi les revendications communes et à décider des moyens à engager pour les arracher. Une nouvelle tactique prend forme[…]46.
Dans sa « Lettre ouverte », le VKPD proposa à tous les syndicats, partis et organisations d’ouvriers d’entreprendre une action commune à partir des points sur lesquels un accord était possible. Leur programme d’action commune inclut : la revendication d’une pension plus élevée pour les mutilés de guerre ; l’élimination du chômage ; l’amélioration des finances du pays au détriment des monopoles ; l’introduction d’un contrôle, par un comité d’usine, de tous les stocks de nourriture, des matières premières et de l’essence ; la remise en marche de toutes les entreprises fermées ; le contrôle des semailles, des récoltes et de la mise en vente de tous les produits agricoles par le Conseil des paysans et les organisations d’ouvriers agricoles ; le désarmement et le dispersement immédiats de toutes les organisations bourgeoises militarisées ; la mise en place d’une légitime défense ouvrière ; l’amnistie pour tous les prisonniers politiques ; la reprise sans délai du commerce et des relations diplomatiques avec la Russie soviétique.
Malgré le rejet de la « Lettre ouverte » par les chefs de l’aile droite des organisations auxquelles elle était adressées, Lénine la qualifia de « tactique parfaitement correcte », ajoutant : « J’ai condamné l’opinion contraire de nos “gauchistes“, qui s’opposaient à cette tactique »47. Ailleurs, Lénine s’exprima avec encore plus de force sur ce problème. Dans une lettre à Zinoviev datée du 10 juin 1921, il écrit :
La tactique de la Lettre ouverte devrait être appliquée partout. Cela doit être dit sans ambages, clairement et exactement, parce que les hésitations regardant la « Lettre ouverte » sont extrêmement dangereuses, extrêmement honteuses et extrêmement répandues. Autant l’admettre. Tous ceux qui ont échoué à saisir la nécessité de la tactique de la Lettre ouverte devraient être exclus de l’Internationale communiste dans le mois qui suivra son troisième congrès. Je vois bien l’erreur que j’ai commise en votant pour l’admission du KAPD. Cela devra être rectifié aussi rapidement et pleinement que possible48.
Étant donné la portée historique de la Lettre ouverte, nous l’avons traduite intégralement dans l’appendice documentaire du présent article.
La scission de Livourne (15-21 janvier 1921) et la création du Parti communiste italien.
Le 21 janvier 1921 eut lieu la scission du Parti socialiste italien lors de son congrès de Livourne. Deux envoyés du Komintern encourageaient cette scission : le Hongrois Mátyás Rákosi et le Bulgare Hristo Kabachkiev. Le congrès de Livourne mena à la formation du Parti communiste italien par l’aile gauche du PSI, menée par le sectaire Amadeo Bordiga — une mesure à laquelle Levi, qui assistait au congrès en tant que représentant du VKPD, s’opposa si fortement qu’il démissionna du Comité central du VKPD. La position de Levi mérite ici un examen minutieux, car son intérêt pour la gauche italienne ne s’est jamais relâché49, mais aussi parce qu’on ne peut prétendre qu’il était une âme sensible, rebelle à toute forme de scission. En effet, durant les quatre ans qui avaient précédé Livourne, il avait pris part à pas moins de quatre scissions : celle de l’USPD vis-à-vis du SPD en 1917, celle du KPD vis-à-vis de l’USPD en 1918, l’expulsion des ulra-gauchistes du KPD au congrès de Heidelberg en 1919, et enfin la scission entre les ailes gauche et droite de l’USPD lors du congrès de Halle en octobre 1920.
Levi était présent au congrès de Livourne et apparut même sur l’estrade en tant que représentant du Parti communiste unifié d’Allemagne, afin d’ouvrir les débats en demandant l’expulsion des réformistes. Il affirmait que « dans l’histoire du prolétariat, il est temps de reconnaître que celui qui était notre frère hier ne l’est plus aujourd’hui, et ne le sera pas non plus demain »50. Palmiro Togliatti, qui faisait paraître L’Ordine Nuovo en l’absence de Gramsci, fit paraître la déclaration de Levi en gras et en une de L’Ordine le 16 janvier 192151. Levi s’opposa cependant à la maladresse et au sectarisme qui entachaient la scission sous l’influence Mátyás Rákosi et Hristo Kabachkiev — notamment l’expulsion, non seulement de l’aile droite menée par Filippo Turati, mais aussi de la frange centriste menée par Giacinto Serrati, qui était suivie par la majorité du prolétariat italien organisé.
Le 20 janvier 1921, à la veille de la scission, Levi envoya un rapport sur le congrès de Livourne au Comité exécutif de l’Internationale communiste. À cet instant, Levi ne s’adressait pas encore au Comité exécutif comme opposant, et encore moins comme dissident, mais comme chef du Parti communiste allemand et membre de ce même Comité exécutif, où il avait été élu par le Second congrès du Komintern. Selon les éditeurs de la version anglaise du rapport :
Paul Levi comprit, dès le début, que le cas de Livourne n’était pas un problème seulement italien, mais impliquait le Komintern dans son entier. Ses interventions à Livourne, ses vives réactions lors de son retour à Berlin, et son discours sur le même sujet le mois qui a suivi (février 1921) devant le « Zentrale » du Parti communiste allemand, ne peuvent être compris que sous cet angle52.
Levi s’aligna sur l’objectif du Komintern touchant aussi bien le congrès de Tours du Parti socialiste français que le congrès des indépendants socialistes allemands de Halle en octobre 1920 — savoir, provoquer une scission dans des partis non affiliés au Komintern et attirer leurs majorités au sein du Komintern (objectif qui, par deux fois, fut atteint). Mais le but, à Livourne, était « de provoquer une scission dans un parti qui avait fait partie du Komintern depuis 1919 et, de plus, d’attirer seulement une minorité vers le Komintern et de perdre une grande partie des adhérents. Cette erreur tactique était impardonnable pour Levi » parce qu’il « reconnaissait que la majorité du prolétariat socialiste ne suivrait pas les dissidents communistes »53. Il se demandait également « quels effets aura[it] cette scission dans d’autres pays, où nous portons déjà le fardeau de la scission du prolétariat »54.
Levi pensait que « le noyau dur de la gauche de l’USPD en Allemagne [était] l’équivalent du groupe de Serrati », et que cela avait, conséquemment, « une grossière erreur de la part de l’Internationale communiste que de pousser ce noyau dur vers la droite de force, par entêtement »55. Selon lui, « les camarades se compliqueraient incommensurablement la tâche si, dans les conditions que connaît l’Italie, ils excluaient non seulement les réformistes mais également le camp de Serrati »56, concluant que « sans l’aile gauche du groupe de Serrati, le parti [serait] privé de l’essentiel », et que « si l’aile gauche ne [pouvait] être captée sans payer le prix de l’admission de Serrati, Serrati [devrait] être inclus dans les négociations, quand bien même d’autres auraient pour lui encore moins d’estime que je n’en ai moi-même »57.
Mátyás Rákosi, Karl Radek, Béla Kun et la démission de Paul Levi du Comité central du VKPD (22 février 1921)
Levi développa ces idées dans un discours prononcé au congrès du Comité central du VKPD58 le 24 février 192159, convoqué à la demande du délégué de l’ECCI Mátiás Rákosi, qui faisait escale à Berlin pendant son voyage entre l’Italie et la Russie. Rákosi fut aidé dans ses initiatives par Karl Radek, qui, après s’être d’abord opposé à la scission de Livourne, avait changé de camp. Radek s’en prit à Levi pour son attitude à Livourne et organisa une faction anti-Levi à l’intérieur du VKPD60.
Le désaccord de Levi quant à la scission de Livourne, publiée dans Die Rote Fahne le 22 janvier 1921, donna lieu à une dispute publique avec Radek, qui défendit la position de l’ECCI dans le même journal quatre jours plus tard, et eut des mots avec lui lors d’une réunion agitée du Zentrale. Radek accusa Levi de soutenir le centriste Serrati (qui, lui-même, « refusait de se défaire de la bureaucratie syndicale réformiste »), et de l’aider « à saboter les mêmes résolutions du Second Congrès de l’Internationale communiste qu’il avait contribué à mettre en place »61. Cependant, certains membres éminents du Zentrale, comme Clara Zetkin et le co-président Ernst Däumig, soutenaient Levi.
Le 22 février 1921, Mátyás Rákosi (connu plus tard sous le nom de « meilleur disciple de Staline ») s’adressa au Comité central du Parti communiste allemand dans son entier pour défendre l’initiative de Livourne, insistant sur le besoin d’appliquer aux leaders centristes ces tactiques sécessionnistes.
Dans son discours prononcé devant le Comité central, Levi avait critiqué la manière « mécanique » dont la scission de Livourne avait été orchestrée, ce qui voulait dire que l’Internationale communiste s’était débarrassée de Serrati, mais aussi des masses qui le suivaient. Cela menait à « la question fondamentale : comment construire un Parti communiste pour l’Europe de l’Ouest ? »62 Selon Levi,
une chose doit être claire comme de l’eau de roche : il existe deux manières de faire accéder les masses liées à la Troisième Internationale à un plus haut degré d’expérience. La première façon d’organiser cette éducation implique de nouvelles scissions ; la seconde implique d’entraîner politiquement les masses qui sont parvenues jusqu’à nous, de faire avec elles l’expérience de notre époque, de la révolution, et ainsi d’atteindre ensemble le stade supérieur, avec les masses et en elles63.
L’Internationale communiste avait élevé au rang de principe l’idée de créer des partis « non pas à travers une croissance organique avec les masses, mais à travers des scissions délibérées »64. À l’inverse, disait Levi, « les scissions dans un parti de masse (…) ne peuvent être menées à bien lorsqu’elles reposent sur des résolutions : elles doivent reposer sur une expérience politique »65. Les débats devaient porter sur des questions politiques plutôt qu’organisationnelles afin de donner lieu à un procès d’éducation politique. Levi prédit que « si l’Internationale communiste [fonctionnait] en Europe de l’Ouest sur un modèle d’admission-expulsion, comme un fusil à recul », elle connaîtrait « le pire revers possible »66.
Rákosi obtint le soutien du Comité central par une courte majorité. Levi et Däumig démissionnèrent du Zentrale, ainsi que Clara Zetkin, Otto Brass, Adolf Hoffmann et Curt Geyer (qui se trouvait alors à Moscou), tandis que Heinrich Brandler — l’un des leaders de la faction anti-Levi organisée par Radek au sein du VKPD — devenait le leader effectif du parti.
Lénine, qui faisait grand cas des avis de Levi, critiqua son attitude dans ces mots :
Je considère que ta tactique vis-à-vis de Serrati est erronée. Toute défense, ou même semi-défense de Serrati était une erreur. Mais se retirer du Comité central !!?? Cela, à coup sûr, fut la pire erreur de toutes ! Si nous acceptons de voir des membres responsables du Comité central le quitter à chaque fois qu’ils deviennent minoritaires, les Partis communistes ne se développeront jamais normalement ni ne se fortifieront. Au lieu de se retirer, il aurait mieux valu discuter du problème plusieurs fois, à l’aide du Comité exécutif67.
Maintenant que ceux que Radek appelait les « Leviten » étaient exclus de la direction du parti, il était possible de déployer une stratégie basée sur la « ligne offensive », alors encouragée dans le Komintern par Zinoviev. Selon Gruber,
Heinrich Brandler, August Talheimer et Paul Frölich avaient pris le pouvoir après la démission de Levi en février, et ils avaient l’intention de mettre en place un programme d’action. Ils dirent de la politique du front unique qu’elle était opportuniste, et cherchèrent à lui opposer une « théorie de l’offensive ». […] Cette vision des événements semble avoir été partagée par Zinoviev et l’exécutif du Komintern ; durant les premiers jours du mois de mars [1921], Béla Kun, Pogany et Guralski furent envoyés de Moscou pour encourager la gauche allemande à l’action68. Avec l’aide et les conseils de Kun, une offensive fut planifiée par les leaders du VKPD pour une offensive censée commencer peu de temps après Pâques69.
La lettre de Levi à Lénine et les origines de « l’Action de mars »
À en croire une lettre de Levi à Lénine datée du 27 mars 1921, c’est-à-dire après le putsch, « l’Action de mars » avait été orchestrée par le délégué de l’ECCI Béla Kun de sorte à « soulager » la Russie de la crise du communisme de guerre :
Tu sais qu’il y a quatre ans, un camarade de l’Internationale communiste [Béla Kun] avait été envoyé en Allemagne. Je me suis moi-même entretenu avec lui il y a environ dix jours — notre seule entrevue jusqu’à aujourd’hui. Avant de me voir, il avait plusieurs rendez-vous rendez-vous avec des membres du Comité central, rendez-vous dont je ne connais pas la teneur, que je ne peux donc que déduire de la conversation que j’ai eue avec la camarade Clara [Zetkin] neuf jours avant de le rencontrer lui. Voici le contenu des conversations qu’il a eues avec moi et avec Clara (qui m’en avait immédiatement informé) : le camarade [Béla Kun] a déclaré que la Russie était dans une situation extrêmement compliquée. Il est absolument nécessaire que la Russie soit soulagée par des mouvements à l’Ouest, et pour cette raison, le Parti allemand doit immédiatement passer à l’action. Le VKPD compte désormais 500 000 membres, auxquels on pourrait ajouter un million et demi de travailleurs, ce qui suffit pour renverser le gouvernement. Il était donc favorable au déclenchement immédiat de la lutte, avec ce mot d’ordre : Renversons le gouvernement ! La camarade Clara et moi-même avons tous les deux répondu au camarade que nous aussi connaissions la situation en Russie (bien que de nombreux détails nous échappent encore), et qu’outre cela, nous voulions nous aussi abréger, autant que faire se peut, cette phase dans laquelle la Russie se trouve, d’une certaine manière, esseulée. Mais nous étions tous les deux d’avis que lancer en Allemagne des actions sans victoire non seulement ne serait d’aucune aide à la Russie soviétique, mais serait pour elle le pire revers possible. Le camarade, au contraire, continuait de croire en la nécessité d’agir immédiatement, quand bien-même ces actions demeureraient « partielles », comme il le disait, et, devant son insistance, le Zentrale convint d’une réunion du Comité central tenue le 17 mars de cette année, et où l’on demanda à la « classe ouvrière » de commencer à entreprendre des actions en vue d’une série de revendications, au premier rang desquelles le renversement du gouvernement.
Les événements ont donc pris le tour suivant : le 17 mars, la réunion du Comité central eut lieu, et les suggestions et instructions des camarades envoyés de là-bas furent transformées en stratégie. Le 18 mars, Die Rote Fahne prit acte de cette nouvelle résolution et appela à la lutte armée sans dire d’abord pour quels objectifs, et ce pendant quelques jours. Cela, ainsi que les instructions du représentant de l’exécutif [Comité exécutif de l’Internationale communiste, Béla Kun], constitua la seule préparation politique à ce qui vint par la suite. […] Avec cette action, ce ne sont pas seulement les actions partielles, au meilleur sens du terme, qui ont été foulés au pied : ce sont les fruits d’une lutte de deux ans, d’un travail de deux ans du Parti communiste en Allemagne qui ont été, à mon sens, détruits70.
Une rumeur politique voulait alors que Kun ait suivi les instructions de Zinoviev, que les difficultés internes de la Russie effrayaient (il présidait le soviet de Petrograd durant la rébellion de Kronstadt), et qui désirait « contraindre » l’Allemagne à une crise révolutionnaire afin d’aider les communistes russes à ne pas céder sur la Nouvelle politique économique (NEP), adoptée finalement par le dixième congrès du Parti communiste russe tenu durant la révolte de Kronstadt (7-17 mars 1921) :
Dans l’entourage de Zinoviev, on disait sans restriction que, même dans le cas où elles ne seraient pas victorieuses, de grandes luttes menées par le prolétariat international permettraient à la Russie d’éviter d’avoir à s’en remettre à la Nouvelle politique économique. […] On peut tenir pour plausible que les partisans de la « ligne offensive » dans l’Internationale avaient le sincère désir, en forçant au besoin le développement et en accélérant artificiellement le rythme de la révolution, de rompre coûte que coûte l’isolement qui condamnait les bolcheviks au coûteux repli stratégique de la NEP71.
L’ « Action de mars » en Allemagne (17-29 mars 1921)
Le 16 mars 1921, Otto Hörsing, le gouverneur [Oberpräsident] social-démocrate de la Saxe, annonça qu’il avait l’intention de faire occuper plusieurs zones industrielles, dont le district minier de Mansfeld-Eisleben, par la police, dans le but évident de désarmer les travailleurs (qui avaient gardé leurs armes après le putsch de Kapp), et de briser une place forte du communisme. Les leaders du Parti à Halle, qui comprenait Mansfeld, reçurent l’ordre d’appeler à une grève générale dès que la police occuperait une usine, et de préparer la résistance armée toutes affaires cessantes. Cet appel parut le 20 mars 1921, et fut un ultimatum lancé aux travailleurs non communistes. Cependant, le matin du 22 mars, la grève fut limitée. Il était évident que l’écrasante majorité des travailleurs ne suivait pas l’avant-garde communiste, et, dès lors, que les conditions n’étaient pas réunies pour l’organisation d’un soulèvement. Ce qui n’empêcha pas les leaders du VKPD de déclencher une révolte avec l’appui du KAPD (Kun avait obtenu à Berlin un accord sur une action conjointe entre les deux Partis communistes). Le résultat fut désastreux.
Le 24 mars 1921, les communistes utilisèrent tous les moyens à leur disposition, y compris la force, pour tenter de lancer une grève générale. Des groupes de militants essayèrent d’occuper les usines par surprise afin d’empêcher la majorité non communiste (qu’ils appelaient « les crapules ») d’entrer. Ailleurs, des groupes de chômeurs affrontèrent des travailleurs sur le chemin du travail ou dans les usines. Le résultat général fut insignifiant. Les estimations les plus pessimistes parlèrent de 200 000 grévistes ; les plus optimistes, un demi million. À Berlin, la grève n’eut pratiquement pas lieu, et la manifestation du VKPD et du KAPD n’atteint même pas les 4000 personnes, tandis que les élections du Landtag prussien, quelques semaines plus tôt (le 20 février 1921) avaient vu 200 000 votes exprimés pour le VKPD. Contre les ordres du Zentrale, les leaders communistes de la Ruhr donnèrent le signal du retour au travail, mais ce n’est que le 1er avril 1921 que le Zentrale lui-même appela à cesser la grève.
Les jours qui suivirent la défaite de l’Action de mars montrèrent l’étendue du désastre que les leaders du VKPD avaient infligé à leur parti. Ce dernier fut déclaré illégal pendant quelques temps ; ses journaux furent interdits et ses leaders arrêtés, y compris Brandler. Pire encore, le nombre de membres chuta de 375 000 avant l’Action de mars à 160 000 en août 1921, puis 140 000 en novembre de la même année72. Cette perte massive d’adhérents du VKPD marqua la fin de la seconde phase de la révolution allemande — la troisième et dernière phase commençant avec l’occupation franco-belge de la Ruhr en janvier 1923 et se clôturant sur l’échec de l’ « Octobre allemand » de 1923.
Notre voie : contre le putschisme de Levi (3-4 avril 1921)
Paul Levi livra sa critique de l’Action de mars dans son pamphlet Notre voie : contre le putschisme 73, rédigé entre le 3 et le 4 avril 1921, ainsi que dans un discours intitulé « Quel est le vrai crime : l’Action de mars, ou la critique de l’Action de mars ? », prononcé lors d’une session du Comité central du Parti communiste allemand du 4 mai 192174. L’introduction de Notre voie montre le ton cinglant choisi par Levi pour critiquer l’action du VKPD, et le rôle qu’y a joué le Komintern : « Le jeu irresponsable auquel on a joué avec l’existence d’un parti, avec les vies et les destins de ses membres, doit prendre fin. Il doit prendre fin par la volonté de ces mêmes membres, puisque ceux qui en sont responsables refusent de voir ce qu’ils ont fait »75.
Selon Levi, le VKPD disposait d’un cinquième du vote pour les partis ouvriers, et ses membres représentaient environ un seizième du prolétariat organisé en syndicats. En dehors de l’Allemagne centrale, où le VKPD bénéficiait d’une majorité numérique, aucun district dans toute l’Allemagne ne voyait le VKPD dans une situation aussi favorable, d’autant qu’il ne contrôlait aucun district essentiel, comme Berlin, ou la Rhénanie-Westphalie, où une action pouvait anéantir d’un seul coup l’État bourgeois. De plus, le VKPD n’avait aucun soutien d’importance dans l’armée (qui était devenue « professionnelle », comme l’exigeait le Traité de Versailles) ou parmi les cheminots, et, d’une manière générale, son influence était bien plus grande chez les chômeurs que chez les travailleurs syndiqués. Il était dès lors contraint de collaborer avec le prolétariat dans son ensemble, et ne pouvait agir comme avant-garde si la classe ouvrière elle-même passait à l’action. Enfin, le VKPD n’avait aucun soutien véritable parmi les classes moyennes, qui tendaient à rallier les partis et groupes armés de la droite nationaliste. Dans ces circonstances, affirma Levi, lancer un soulèvement comme celui de mars 1921 n’était que pure folie.
« Quelle relation doit-il y avoir entre les communistes et les masses au moment de l’action ? », demanda-t-il.
Une action qui correspond simplement aux besoins politiques du Parti communiste, et pas aux besoins subjectifs des masses laborieuses, est perdue d’avance Les communistes n’ont pas la capacité d’agir à la place du prolétariat, sans le prolétariat, et finalement contre le prolétariat, surtout lorsqu’ils sont à ce point minoritaires à l’intérieur du prolétariat. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est créer des situations, à l’aide des moyens politiques décrits plus haut, où le prolétariat puisse voir la nécessité de la lutte, puis engager la lutte. Dans ces luttes, les communistes peuvent ensuite mener le prolétariat avec des mots d’ordre76.
Les ultimatums tels que celui qui avait été envoyé aux travailleurs non communistes pendant l’Action de mars (« Qui n’est pas avec moi est contre moi ! ») passaient complètement à côté du problème. Un contributeur de Die Rote Fahne, sous l’autorité du Zentrale, avait
déclaré la guerre aux travailleurs dès le début de l’action, afin de les pousser à l’action. Et la guerre a commencé. Les chômeurs furent envoyés en première ligne, en colonnes d’assaut. Ils ont bloqué l’entrée des usines. Ils ont forcé l’entrée dans les usines, provoqué des incendies à certains endroits, et essayé d’évacuer les travailleurs des lieux. Une guerre ouverte s’est alors engagée entre les communistes et les travailleurs77.
Les « caractéristiques anarchiques du soulèvement de mars », dit Levi, « la lutte des chômeurs contre ceux qui ont un travail, la lutte des communistes contre les prolétaires, l’émergence d’un lumpenproletariat, les attentats à la dynamite », n’étaient que les conséquences de cette attitude première. « Tout cela caractérise le mouvement de mars comme le plus grand putsch bakouniniste de l’histoire à ce jour. […] Appeler cela du blanquisme serait insulter Blanqui. »78 Levi tira les conclusions politiques suivantes de cette débâcle : « Plus jamais, dans l’histoire à venir du Parti communiste, les communistes ne doivent déclarer la guerre aux travailleurs. […] Le parti communiste n’est que l’avant-garde du prolétariat, et jamais une matraque tournée contre le prolétariat ; il ne peut pas progresser s’il perd ses connexions avec sa principale force »79.
Levi blâma les émissaires de l’ECCI en Allemagne, qu’il jugeait responsables du soulèvement. Faisant clairement référence à Zinoviev, il avança que « certains cercles de l’ECCI exprimaient quelques réticences quant à l’“inactivité“ du Parti allemand. Si l’on exclut les graves erreurs qui ont été commises lors du mouvement contre le putsch de Kapp, cependant, on ne saurait lui imputer de véritables échecs. Et une forte influence a donc été exercée sur le Zentrale pour passer à l’action maintenant, immédiatement et à n’importe quel prix »80.
Levi rejeta la « ligne offensive » de Boukharine et Zinoviev, qui s’appuyait sur l’argument selon lequel la Russie soviétique était à un carrefour déterminant de son développement, et qu’elle avait un besoin urgent d’être soulagée de l’extérieur. Selon Levi, il était nécessaire de mettre un terme au « système des agents confidentiels » qui avaient fait tant de mal en Italie et en Allemagne. L’Europe de l’Ouest et l’Allemagne étaient devenues « un laboratoire pour toutes sortes d’hommes d’État duodecimo » comme Mátyás Rákosi, plénipotentiaire de l’ECCI à Livourne. « Je n’ai rien contre les turkestanais », affirma Levi, se moquant de Béla Kun — dont les exécutions de Russes blancs prisonniers durant la guerre civile avaient rendu Lénine furieux, ce qui lui avait valu d’être envoyé en mission au Turkestan — mais « leurs petits tours feraient moins de dégâts dans leur propre pays »81.
Levi qualifia « la méthode qui consiste à envoyer des irresponsables, et qui peut ultérieurement être approuvée ou désapprouvée selon les besoins » de « jeu frivole » qui serait « fatal à la Troisième Internationale ». Un effet encore plus désastreux du « système de délégation » fut « le contact direct et secret entre ces délégués et le commandement, à Moscou ». Ces délégués de l’ECCI
n’ont jamais travaillé avec le Zentrale du pays en question, mais toujours derrière son dos, et souvent contre lui. Eux trouvent des personnes disposées à les croire à Moscou, d’autres n’ont pas cette chance. C’est un système qui sape inévitablement toute confiance en vue d’un travail en commun des deux côtés, celui de l’ECCI aussi bien que celui de partis affiliés. Ces camarades sont le plus souvent inaptes au commandement politique, en plus de n’être pas assez crédibles. La situation désespérée qui en résulte, c’est qu’il n’y a aucun centre de décision effectif82.
La dureté des mots de Levi laisse déjà présager son départ à venir du Komintern : « L’ECCI fonctionne un peu comme une Tchéka projetée au-delà des frontières russes — situation impossible. La revendication claire que cela doit changer, et que le commandement, dans certains pays, ne devrait pas être accaparé par des délégués incompétents et leurs sbires incompétents, l’appel à un commandement politique et à la mise à bas de cette police de parti, n’est pas une revendication d’autonomie »83.
Le discours de Levi devant le Comité central du Parti communiste lors de l’Action de mars (4 mai 1921) et sa rupture avec l’Internationale communiste
Dans son discours prononcé à la réunion du Comité central du VKPD le 4 mai 1921 (« Quel est le vrai crime : l’Action de mars, ou la critique de l’Action de mars ? »), Levi développa les idées contenues dans son pamphlet : Notre voie : contre le putschisme. Il compara le développement du communisme en Russie et en Europe de l’Ouest, affirmant que, en raison des chemins historiques très différents empruntés par ces deux sociétés, des divergences organisationnelles étaient de mise. Tandis que le bolchévisme s’était développé dans une société majoritairement féodale où la part de la bourgeoisie demeurait très faible, en Europe de l’Ouest « le prolétariat fait face à une bourgeoisie entièrement développée, et en affronte les conséquences, à savoir la démocratie, et, dans une démocratie, ou dans ce qu’on appelle « démocratie » sous le joug de la bourgeoisie, l’organisation des travailleurs prend des formes différentes de celles qui se développent dans une société de féodale, agricole et étatique, c’est-à-dire absolutiste »84. En Europe de l’Ouest, dès lors, la forme organisationnelle ne peut qu’être « celle d’un parti de masse qui ne reste pas fermé sur lui-même. Les partis de masse de ce genre ne peuvent jamais se mouvoir sur les ordres d’un comité central, d’un Zentrale : la seule façon de les mettre en marche se trouve dans le fluide invisible où ils se tiennent, dans l’interaction psychologique avec la masse prolétarienne dans son entier »85.
Il y avait, de plus, une autre différence fondamentale : tandis que le marxisme en Russie s’était développé au sein d’une classe ouvrière politiquement vierge, en Allemagne et en Europe de l’Ouest, une large portion du prolétariat était déjà organisé. Cela créait une dangereuse possibilité de séparation entre les travailleurs syndiqués d’un côté, qui restaient attachés aux vieux partis et syndicats réformistes, et les non syndiqués et les chômeurs de l’autre, qui étaient communistes. Dans un tel scénario, « le Parti communiste n’est pas ce qu’il devrait être, savoir, l’organisation d’une partie du prolétariat — la partie la plus avancé, et qui traverse tout le prolétariat ; au lieu de cela, il se divise verticalement selon les facteurs sociaux de différenciation »86.
L’Allemagne, dès lors, se présentait comme un laboratoire historique où les tactiques nécessaires à la victoire sur les prolétaires amassés autour des organisations de masse réformistes devaient être développées et testées. À cette fin, les communistes devaient obtenir, « en termes politiques, une certaine connexion avec ces organisations » pour « gagner en influence politique sur elles ». Le KPD avait emprunté ce chemin avec la « Lettre ouverte » qui avait fait émerger l’exigence d’unité parce que « on ne peut approcher des masses organisées de travailleurs que si, en plus de lutter contre elles, on se rapporte à leurs propres idées, même si elles sont fausses, et on les aide à dépasser cette erreur par leur propre expérience »87.
Levi clôtura son discours par la dénonciation des ruses utilisées dans les polémiques que l’on montait contre de lui, et notamment celles de Radek : « Si quelqu’un a fait une erreur, attaquer trois fois plus fort la personne qui critique cette erreur tout en lui donnant satisfaction sur le fond. Voilà la tactique que tu utilises pour maintenir ta propre infaillibilité »88. Il dénonça toutes les tentatives pour atteindre un accord privé, affirmant que « les erreurs et les fautes des communistes font autant partie de l’expérience politique de la classe prolétarienne que leurs succès. Ni les unes ni les autres ne sauraient être retirées aux masses »89.
Dans une lettre à Paul Levi et Clara Zetkin datée du 16 avril 1921, Lénine réaffirma son soutien à la tactique du front unique initiée par Levi, arguant que la lettre ouverte était « une tactique parfaitement correcte (j’ai condamné l’opinion contraire répandue parmi les « gauchistes » qui s’y étaient opposés) », et reconnut la justesse de la critique que Levi avait faite de l’Action de mars : « je suis tout disposé à croire que le représentant du Comité exécutif [Béla Kun] défendait la tactique idiote, et trop à gauche, d’entreprendre une action immédiate afin “d’aider les Russes“ : ce représentant est très souvent trop à gauche »90. Pourtant, l’effort concédé par Lénine en vue d’un compromis entre les factions du VKPD échoua.
L’expulsion de Levi du VKPD et de l’Internationale communiste
Le 15 avril 1921, le Zentrale vota pour l’expulsion de Levi du VKPD pour insubordination, et exigea qu’il abandonne son poste de député au Reichstag. Levi fit immédiatement appel de cette décision auprès du Comité central. Le 16 avril 1921, huit leaders et membres reconnus du Parti affichèrent leur solidarité avec lui, et se portèrent garants de ses propos — Ernst Däumig, Clara Zetkin, Otto Brass et Adolf Hoffman, qui avaient démissionné du Zentrale avec lui en février 1921 ; Curt Geyer, le délégué du Parti de Moscou ; et trois figures majeures de la commission des synidcats, anciens leaders des Délégués révolutionnaires [Revolutionäre Obleute], Paul Neumann, Heinrich Malzahn et Paul Eckert. Un pan entier de la direction communiste allemande, dès lors, refusa d’accepter l’expulsion de Levi et les raisons avancées par ceux qui l’avaient demandée.
Lors de sa session du 29 avril 1921, le Comité exécutif de l’Internationale communiste adopta une motion approuvant l’expulsion de Paul Levi du VKPD et, par voie de conséquence, de l’Internationale communiste. Dans un appel adressé au Présidium du troisième congrès mondial daté du 31 mai 1921, Levi écrivit : « Ma critique de l’Action de mars ordonnée par le Parti communiste allemand est elle-même communiste », affirmant qu’il n’avait critiqué l’Action de mars que parce qu’elle avait été « une rupture avec l’histoire de ce parti »91. Levi pensait que « ces « nouveaux principes » [représentaient] l’abandon de la conception communiste des choses »92. Il défendit le contenu de Notre voie : contre le putschisme et de son discours du 4 mai, ajoutant que « les faits n’ont pas été contestés sérieusement par qui que ce soit, où que ce soit »93. Il offrit également une évaluation nuancée du rôle du Comité exécutif tout au long de cette affaire sordide :
Quant à ce que j’ai dit à propos de l’influence de l’exécutif, , je persiste, même si certaines choses doivent être dites à sa décharge que je n’ai pas mentionnées dans ce que j’ai écrit. En réalité, l’exécutif a seulement provoqué un stimulus. (Cela ne s’applique pas à ses représentants en Allemagne, qui sont allés beaucoup plus loin.) L’exécutif partait du principe que ce stimulus serait évalué en Allemagne, peut-être adopté ou rejeté, par des personnes indépendantes et compétentes, capables d’arriver par elles-mêmes à une décision. Je concède la possibilité que l’exécutif n’ait pas envisagé que le Zentrale du VKPD accepterait, sans exception, tout ce qu’on lui présenterait devant les yeux au nom de l’exécutif. Mais, quant au fait que les représentants de l’exécutif aient exercé une influence sur ceux dont je viens de parler, et même, qu’ils soient intervenus de leur propre chef, sans l’accord du Zentrale, voire derrière son dos — il n’y a à ce sujet aucun doute possible94.
Concernant l’accusation selon laquelle le pamphlet avait paru à un moment où l’Allemagne était bloquée par la terreur blanche et constituait une preuve accablante dans les mains des poursuivants de Levi, ce dernier y répondit en affirmant qu’il s’était senti obligé de le publier car le VKPD « était loin d’avoir retrouvé le bon sens touchant la folie d’une telle action », et que, dès lors, « le danger était la réitération de telles absurdités ». Il se rappela également que « l’accusation n’[avait] jamais pris de mesures à causes d’un pamphlet par le passé », pour soulever finalement une question de principe :
Nous avons tous reconnu, dès le début, que le bien-être du parti ne doit pas être sacrifié au prétexte qu’il faudrait préserver à tout prix la liberté, voire plus, de camarades. C’est cette idée qui guidait également le Zentrale, quand il a lancé l’Action de mars, qui a coûté à beaucoup de camarades leur liberté ou leur vie. S’il est vrai que l’Action de mars était une erreur désastreuse et qu’il était politiquement essentiel pour le parti de corriger cette erreur, alors cela aurait dû se faire au risque même de pousser les responsables vers la clandestinité. Je ne saurais accepter que, au sein du Parti communiste les conséquences d’erreurs désastreuses ne doivent être assumées que par les membres et jamais par les chefs qui en sont à l’origine95.
Levi pensait qu’en conséquence de l’Action de mars, « le Zentrale du Parti allemand et, avec lui, le Parti tout entier s’étaient compromis aux yeux du prolétariat allemand et international », concluant :
Si le parti avait eu le courage de reconnaître publiquement ses erreurs, d’accepter toutes les conséquences, et de réparer les dommages qu’il a causés, il aurait effacé une partie du mal infligé par l’Action de mars. Ces dégâts correspondent à une perte de prestige et d’autorité morale parmi les masses prolétaires ; une perte subie par les communistes, le Parti communiste et l’Internationale communiste — une perte qui dépasse toute mesure et tout calcul. C’est au congrès de décider s’il veut réparer le mal qu’il a fait. Il pourrait accomplir de grandes choses s’il choisissait d’identifier librement et ouvertement quelles erreurs ont été commises, de nommer les responsables, et de prendre ses distances avec eux. C’est pourquoi je considère qu’il est de mon devoir de défendre aussi mon « cas » devant le congrès96.
Ses espoirs furent malheureusement déçus.
Le compromis du troisième congrès de l’Internationale communiste
On a peine à y croire, mais on peut lire, dans les « Thèses sur les tactiques et sur la stratégie » adoptées par le troisième congrès, les mots suivants : « Le troisième congrès de l’Internationale communiste considère l’Action de mars comme un pas en avant »97. Cela, rappelons-le, à la suite d’une insurrection ratée, lancée sans le consentement de la majorité de la classe ouvrière allemande, avec, comme résultat, la perte pour l’Internationale communiste de 200 000 militants ouvriers du cœur industriel de l’Europe en quelques semaines seulement. La résolution sur « Les événements de mars et le Parti communiste unifié d’Allemagne » adoptée par le même congrès, l’affirme à son tour :
Le troisième congrès mondial se réjouit de ce que toutes les résolutions importantes, notamment celles sur les tactiques et la stratégie englobant la très discutée Action de mars, aient été adoptées unanimement. Les représentants de l’opposition allemande, dans leur résolution sur l’Action de mars, partagent pour la plupart le point de vue du congrès. […] Le congrès attend du Zentrale et de la majorité du VKPD qu’ils jugent l’ancienne opposition avec clémence dès lors qu’elle aura accepté loyalement les décisions du troisième congrès. Le congrès est convaincu que le Zentrale fera tout ce qui est en son pouvoir pour réunir toutes les forces au sein du parti. Le congrès ordonne l’ancienne opposition de dissoudre immédiatement toute structure séditieuse à l’intérieur du Parti, de se soumettre pleinement et complètement à la fraction parlementaire du Zentrale, de se soumettre complètement ses organes de presses au comité compétent, et de cesser immédiatement toute collaboration politique (dans leurs publications, etc.) avec ceux qui ont été exclus du Parti et de l’Internationale communiste98.
Pour quelle raison le troisième congrès a-t-il adopté cette attitude ? Souvenons-nous en effet qu’après le putsch de Kapp, le comité exécutif de l’Internationale communiste avait publié dans Die Kommunistische Internationale, son organe officiel, une lettre furieuse de Paul Levi adressée au Zentrale du KPD de sa prison de Moabit (un manquement à la discipline non moins sérieux que la publication de Notre voie : contre le putschisme), accompagnée de cette note :
Nos ennemis vont naturellement vouloir exulter des désaccords au sein du KPD. Laissons-les faire ! Nous, communistes, n’avons jamais eu peur de l’auto-critique. Les éditeurs de Die Kommunistische Internationale sont d’accord avec la plupart des critiques contenues dans les trois lettres [le numéro présentait également des lettres à Clara Zetkin et à Ernst Meyer], et dans l’article du camarade Radek imprimé immédiatement après99.
La question de la discipline était donc secondaire. La raison du refus de l’Internationale communiste de tirer un bilan critique de l’Action de mars fut l’adoption « unanime » de ces résolutions, c’est-à-dire dans le cadre d’un compromis entre les factions qui coexistaient au sein de l’Internationale communiste. Tandis que le Zentrale était seul responsable de la position sectaire du KPD durant le Putsch de Kapp, tout le commandement de l’Internationale communiste s’était compromis dans l’Action de mars, et en faire un bilan critique aurait impliqué de nettoyer les écuries d’Augias de l’Internationale. Cela aurait eu des répercussions dévastatrices sur la réputation et l’autorité d’individus tels que Zinoviev, Boukharine, Karl Radek, Béla Kun, Mátyás Rákosi et August Thalheimer, qui, à leur tour, étaient soutenus par d’importantes sections nationales. Étant donné la déstabilisation qui en aurait résulté pour l’Internationale, Lénine et Trotsky jugèrent que le moindre mal consistait à sauver la tactique du front unique (le slogan adopté par le troisième congrès fut « Aux masses », indiquant la nécessité de conquérir la majorité de la classe ouvrière avant de considérer la conquête du pouvoir politique), au prix même du sacrifice de celui qui l’avait théorisée en premier.
Même après l’expulsion de Levi du Komintern, Lénine affirmait : « Essentiellement, la plus grande partie de la critique qu’a fait Levi de l’Action de mars était correcte », même si « la forme de sa critique [avait été] formulée d’une manière inadmissible et dangereuse. […] Je défendais, je devais défendre, Levi, dans la mesure où je voyais devant moi certains de ses opposants hurler au « menchévisme » et au « centrisme » et refuser de voir leur erreur lors de l’Action de mars et la nécessité de les expliquer et de les corriger »100.
Le Kommunistische Arbeitsgemeinschaft (été 1921-2)
Le congrès du Parti communiste allemand qui se tint à Iéna du 22 au 26 août 1921 expulsa Curt et Anna Geyer, précipitant le départ de trois députés qui n’étaient pas encore pas parvenus à se décider : Ernst Däumig, Marie Mackwitz et Adolf Hoffmann, lequel rejoint Levi dans la formation de l’éphémère Collectif des travailleurs communistes au Reichstag [Kommunistische Arbeitsgemeinschaft, KAG]. Ces départs furent une sévère saignée pour la représentation parlementaire du Parti, Levi emmenant avec lui la majorité de sa délégation au Reichstag.
Les revendications du KAG, reproduites dans l’anthologie de Gernbach, se composaient de cinq points qui, en plus de rejeter le putschisme et l’ingérence extérieure irresponsable dans le commandement des Partis communistes, soulignaient l’hostilité de Levi envers l’Internationale syndicale rouge (Profintern), formellement établie en juillet 1921. Elles valent la peine d’être reproduites dans leur intégralité :
1. Indépendance matérielle absolue vis-à-vis de l’Internationale communiste ;
2. Toute littérature en provenance d’organisations communistes étrangères (y compris les organes de l’Internationale communiste et de l’Internationale syndicale rouge) doit être placée sous le contrôle de la direction du Parti allemand ;
3. Le KAG doit être protégé de toute intervention publique ou secrète, directe ou indirecte de l’ECCI sur sa section allemande ;
4. La mise en place, dans son programme, d’une politique rendant possible la collaboration de tous les travailleurs allemands, et le renoncement exprès à toute velléité putschiste similaire à l’Action de mars ;
5. La mise en place d’une politique syndicale qui, indépendamment de tout objectif révolutionnaire, maintiendrait l’unité organisationnelle et la cohérence des syndicats allemands101.
On peut voir dans ce plaidoyer pour une « autonomie nationale » le passage d’une défense de la politique du front unique contre les tactiques putschistes de Zinoviev à une première version de l’ « eurocommunisme », ouvrant la voie au retour de Levi dans le sillon social-démocrate.
Conclusion
Paul Levi fut un tacticien politique de talent, contraint, à son corps défendant, d’abandonner sa volonté de porter une tâche historique pour laquelle il n’était pas adapté, tant théoriquement que par son tempérament. Il fut un éminent leader communiste quelques années durant jusqu’à ce qu’il décide de rompre avec le Komintern. Selon Trotsky, « pendant les conférences à huis clos sur les événements de mars 1921 en Allemagne, Lénine dit de Levi : “Cet homme a complètement perdu la tête“ Certes, il ajouta sournoisement : “ Lui, au moins, avait quelque chose à perdre ; on ne peut même pas dire ça des autres “ »102.
Le glissement final de Levi vers la social-démocratie, cependant, n’exonère pas l’Internationale communiste de sa responsabilité dans la catastrophe qui a frappé le prolétariat allemand durant l’Action de mars de 1921. Premièrement, parce qu’elle a permis à Zinoviev et Boukharine de développer en son sein la « ligne offensive ultra-gauchiste »103, dont le point d’orgue fut logiquement le putsch de mars en Allemagne. Deuxièmement, parce qu’elle a envoyé Mátyás Rákosi (« l’un des plus bornés et des plus brutaux individus qu’ait jamais produit le mouvement communiste » selon Broué)104 afin de torpiller le congrès de Livourne, puis celui de Berlin, poussant Levi, Ernst Däumig, Clara Zetkin, Otto Brass, Adolf Hoffmann et Curt Geyer à quitter le Zentrale du Parti communiste unifié d’Allemagne. Troisièmement, parce qu’elle a permis à Karl Radek de former une faction anti-Levi à l’intérieur du KPD, incluant Paul Fröhlich, August Thalheimer, Walter Stöcker et Heinrich Brandler, ce dernier prenant la place de Levi à la tête de la direction du parti après l’intervention de Rákosi105). Quatrièmement, en envoyant un autre individu borné et brutal, Béla Kun, et un aventurier politique comme József Pogány, afin d’organiser un coup d’État en Allemagne. Et, enfin, à cause de la manière dont l’Internationale communiste a évité de faire l’examen critique de la désastreuse expérience allemande.
Nous avons mentionné le fait que, lors du troisième congrès de l’Internationale communiste, Lénine et Trotsky avaient trouvé un compromis avec les ultra-gauchistes, compromis selon lequel la tactique du front unique avait été sauvée au prix du sacrifice de celui qui l’avait développée en premier lieu. Il est raisonnable de se demander si cette décision était sensée, étant donné le message qu’elle envoyait aux militants communistes : ceux qui obéissaient aux directives de Moscou étaient récompensés, même lorsqu’ils faisaient du mal aux intérêts du prolétariat, tandis que leurs détracteurs étaient vilipendés et expulsés (Zinoviev systématiserait plus tard cette pratique avec la politique de la soi-disante « bolchévisation », qui mènerait à l’expulsion des soutiens de Trotsky de l’Internationale communiste et de ses sections nationales). En outre, la nouvelle direction du Parti communiste allemand, établie au prix des sacrifices qu’on connaît, fut incapable de saisir l’occasion lorsque l’histoire lui donna une seconde chance, en octobre 1923106. Cependant, les éléments positifs de l’expérience allemande furent repris dans deux résolutions adoptées par le quatrième congrès de l’Internationale communiste : les « Thèses sur le front unique des travailleurs »107 de décembre 1921, applicables dans les pays impérialistes, et les « Thèses sur la question de l’Est », dont la section 6 donne les contours des tactiques à mettre en œuvre dans les pays semi-coloniaux, « le front unique anti-impérialiste »108.
Traduit de l’anglais par Nadir Basille.
Ce texte a initialement paru dans Historical Materialism, Volume 25, Issue 1, pp. 131 – 174.
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- Levi 2011. [↩]
- Notamment Broué 2005. [↩]
- Rosmer 2009. [↩]
- Voir la version anglaise de ce discours dans Levi 2011, pp. 35-42. L’historien Hermann Weber considérait sa découverte des procès-verbaux du congrès fondateur du KPD comme sa plus grande contribution à l’histoire universitaire. Voir son édition de ces documents dans Weber (éd.), 1960. [↩]
- « The Munich experience: an opposing view », Levi 2011, pp. 47-53. [↩]
- ibid. pp. 70-8. [↩]
- ibid. pp. 67-9. [↩]
- L’ensemble de ce qui fut dit pendant le Second Congrès du Parti communiste d’Allemagne (Ligue spartakiste), tenu entre le 20 et le 24 1919 à Heidelberg, a été retranscrit dans KPD 1919. [↩]
- Levi 2011, p. 59. [↩]
- ibid. p. 60. [↩]
- ibid. pp. 67-9. [↩]
- Broué 2005, pp. 854-5. Souligné par nous. [↩]
- Cité dans Bock 1969, p. 255. [↩]
- Gruber (ed.) 1967, p. 395. [↩]
- Radek, 1919, p. 9. [↩]
- Lenin 1977, p. 319. [↩]
- La Fédération générale des syndicats allemands fut fondée le 5 juillet 1919 à Nuremberg, après le premier congrès des syndicats libres (sociaux-démocrates) d’après-guerre, organisme-cadre succédant à la Generalkommission der freien Gewerkschaften Deutschlands [Commission générale des syndicats allemands]. Legien fut son premier président. Il s’agissait d’une fédération de cinquante-deux unions affiliée à l’Allgemeiner freier Angestelltenbund [Fédération générale des employés indépendants] et à l’Allgemeiner Deutscher Beamtenbund [Fédération générale des fonctionnaires allemands]. [↩]
- Broué 2005, p. 365. [↩]
- Spartakus 1920, p. 157. [↩]
- Levi 1920a, pp. 147-8. [↩]
- ibid. p.147-8. [↩]
- ibid. p. 147-8. [↩]
- ibid. p. 149. [↩]
- ibid. p. 150. [↩]
- Riddell (ed.) 2011. [↩]
- Réimprimé dans Spartakus 1920, p. 161. [↩]
- Le texte fait ici référence au gouvernement présidé par le membre du SPD Gustav Bauer, qui consistait en une coalition du SPD, du Zentrum catholique et du Deutsche Demokratische Partei (DDP), libéral. Se faisant nommer « Kabinett Bauer », ce gouvernement dura du 21 juin 1919 au 27 mars 1920. Il tomba dix jours après le putsch de Kapp et fut remplacé par un gouvernement présidé par Hermann Müller. Le Kabinett Müller était lui aussi composé du SPD, du Parti centriste et du DDP. [↩]
- Broué 2005, p. 371. [↩]
- Voir l’article ultra-gauchiste de Radek condamnant la « Déclaration d’ « opposition loyale » », où il déclarait, de manière inquiétant, qu’ « une activation de la politique communiste allemande est une question vitale pour l’Internationale », et conclu par un avertissement « contre le danger du possibilisme communiste » (Radek 1920, pp. 165, 173). [↩]
- La note biographique dans La révolution allemande de Broué indique : « Braun, M.J. (Miechislaw Bronski, dit) (1882-1937). Polonais, social-démocrate en 1902, participe à la révolution de 1905 et fait un an de prison. Émigré en Suisse en 1907, milite dans le P.S.D. suisse et se lie, contre Luxemburg et Jogiches, au comité du parti de Varsovie, que soutient également Radek. Proche de Lénine, participe aux conférences de Zimmerwald et Kienthal et est l’un des dirigeants de la gauche zimmerwaldienne. Compagnon de Lénine dans son voyage de retour en avril 1917. Participe à la révolution russe. Nommé en 1918 représentant consulaire à Berlin, assure des contacts avec les révolutionnaires allemands. Expulsé en novembre. De retour en 1919, il fait partie du secrétariat d’Europe occidentale et de la direction du K.P.D. (S) sous un pseudonyme. Il sera vivement critiqué pour la position prise par la centrale au début du putsch de Kapp, et rappelé peu après. (À Moscou, chargé d’enseigner à l’université de Moscou, il milite au sein du parti communiste polonais, devient membre de son bureau politique. Il est arrêté et exécuté pendant les grandes purges staliniennes.) » (Broué 2005, p. 579). [↩]
- Spartakus 1920, p. 164. [↩]
- ibid. p. 165. [↩]
- Ibid. p.165. [↩]
- Spartakus 1920, pp. 166-7. Souligné par lui. [↩]
- ibid. p. 167. [↩]
- « Die einmal geschaffene Einheitsfront, die Machtentfaltung der Arbeiterschaft in nie dagewesener Tiefe ermöglichte, kann durch gegenrevolutionäre Maßnahmen der bürgerlich-sozialistischen Regierung nicht ausgetilgt werden (Spartakus 1920, p. 169). « Die sozialpatriotischen Drahtzieher suchten die Bedeutung der revolutionären Einheitsfront des Proletariats geflissentlich zu verwischen und zu verhüllen » (Zetkin 1920, p. 157). [↩]
- Lénine 1976a, p. 110. [↩]
- Gruber (ed.) 1967, p. 397. [↩]
- Komintern 1977, p. 65. [↩]
- ibid. p. 65. [↩]
- ibid., p. 278. [↩]
- ibid. pp. 283-4. [↩]
- ibid. p. 277. [↩]
- Levi 1920b. [↩]
- Voir les annexes dans Lewis et Lih 2011. [↩]
- Broué, pp. 468-9. [↩]
- Lenin 1976b, souligné par lui. [↩]
- ibid. souligné par lui. [↩]
- Voir la position de Levi sur l’occupation des usines (septembre 1920) dans l’entretien qu’il a accordé à Avanti! les 14 et 15 septembre 1920, sa déclaration d’ouverture au congrès de Livourne reproduit dans L’Ordine Nuovo le 16 janvier 1921, son rapport au Comité exécutif de l’Internationale communiste sur le congrès de Livourne, écrit peu après son retour à Berlin, reproduit dans Drachkovitch et Lazitch (éd.) 1966, pp. 271-82, et son article sur le congrès de Livourne dans Die Rote Fahne, 23 janvier 1921. [↩]
- Cammett 1967, p. 144. [↩]
- ibid. p. 258. [↩]
- Levi 1966, p. 272. [↩]
- ibid. p. 273. [↩]
- ibid. pp. 281-2. [↩]
- Cité dans Cyr 2012, p. 148. [↩]
- Levi 1966, p. 278. [↩]
- ibid. p. 281. [↩]
- « Le Comité central, ou Zentralausschuss, composé de délégués des vingt-huit districts du parti, était un nouvel instrument de commandement créé par le KPD fin 1920. Par la suite, les décisions politiques majeures furent prises lors réunions conjointes du Comité central et du Zentrale, qui prirent peu à peu la forme d’un bureau exécutif. Non seulement le Comité central s’employait à surveiller le Zentrale, mais, de par sa plus grande représentation, il finit par accueillir et encourager les factions dissidentes » (Gruber (éd.) 1967, p. 313). [↩]
- Publié plus tard sous le titre : « Le début de la crise du Parti communiste et de l’Internationale », reproduit dans Levi 2011, pp. 92-112. [↩]
- Voir les documents reproduits dans Gruber (ed.) 1967, pp.346-50. [↩]
- Radek 1967, pp. 310, 312, souligné par lui. [↩]
- Levi 2011, p. 103. [↩]
- ibid., p. 106. [↩]
- ibid. p. 108. [↩]
- ibid. p. 109. [↩]
- ibid., p. 108. [↩]
- Lenin 1976b. [↩]
- August Guralsky était le pseudonyme d’Abraham Heifetz et de József Pogány, lequel jouerait plus tard un rôle indigne dans le Parti communiste américain en tant que John Pepper (voir Cannon 1962). [↩]
- Gruber (ed.) 1967, p. 403. [↩]
- Bayerlein et Albert (éd.) 2014, pp. 141-2, Dok. 35 : « Die Frucht eines zweijährigen Kampfes wird zerstört » : Paul Levis Brief an Lenin zur Kritik der « Marzaktion », [Berlin], 27.3.1921. Béla Kun confirma que ces entrevues avaient eu lieu dans une lettre envoyée à Lénine de vienne le 6 mai 1921, ajoutant que « la vieille femme » Clara Zetkin « souffrait de « démence sénile » et [était] la preuve vivant que Lofargne [Lafargue] avait fait ce qu’il fallait faire en se suicidant dans son vieil âge » (Bayerlein et Albert (éd.) 2014, p. 155, Dok. 43 : « Persönlicher Brief des « Spaniers » (d.i Béla Kun) an Lenin über die gescheiterte Märzaktion in Deutschland », [Wien], 6.5.1921. [↩]
- Broué 2005, pp. 494, 532. [↩]
- Bayerlein et Albert (éd.) 2014, p. 156, note, citant Koch-Baumgarten 1986, pp. 315-444. [↩]
- Levi 2011, pp. 119-65. [↩]
- Levi 2011, pp. 166-205. [↩]
- Levi 2011, pp. 119-20. [↩]
- Levi 2011, p. 146. [↩]
- Levi 2011, p. 148. [↩]
- Ibid. [↩]
- Levi 2011, p. 157. Souligné par lui. [↩]
- Levi 2011, p. 138. Souligné par lui. [↩]
- Levi 2011, p. 163. Souligné par lui. [↩]
- Levi 2011, p. 163. Souligné par lui. [↩]
- Levi 2011, p. 164. [↩]
- Levi 2011, pp. 182-3. [↩]
- Levi 2011, p. 183. [↩]
- Ibid. [↩]
- Levi 2011, p. 184. [↩]
- Levi 2011, p. 203. [↩]
- Levi 2011, p. 204. [↩]
- Lénine 1976b. [↩]
- Riddell (éd.) 2015, pp. 1094, 1090. [↩]
- Riddell (éd.) 2015, p. 1092. [↩]
- Riddell (éd.) 2015, p. 1094. [↩]
- Ibid., pp. 1994-5. [↩]
- Ibid., p. 1095. [↩]
- Ibid., p. 1096. [↩]
- Ibid., p. 941. [↩]
- Ibid., p. 951. [↩]
- Levi 1920a, p. 147. [↩]
- Lénine 1965. Souligné par lui. [↩]
- Levi 2011, p. 213. [↩]
- Trotsky 1932, p. 103. [↩]
- « La surestimation des états d’esprit « nationaux » de la classe ouvrière correspond au cri des opportunistes sur les insurrections dites prématurées. » (Boukharine 1921, p. 220) [↩]
- Broué 1997, p. 207. [↩]
- Citons ici l’opinion que Rosa Luxemburg avait de Radek : « Radek est de la catégorie des putains. Tout peut arriver lorsqu’il est là, et il vaut donc mieux garder ses distances. » (Nettl 1969, p. 317 [↩]
- Broué 1997, pp 293-349. [↩]
- Riddell (éd.) 2011, pp. 1164-73. [↩]
- Riddell (éd.) 2011, pp. 1187-8. [↩]