Théâtre et révolution

En 1971 les éditions François Maspero publient Théâtre et révolution, un ouvrage regroupant vingt-deux articles publiés par Anatole Vassilievitch Lounatcharsky. Émile Copfermann, directeur éditorial chez Maspero mais aussi critique de théâtre en rédige la préface. Revenant sur sa trajectoire politique et les divergences l’ayant opposé notamment à Lénine, Émile Copfermann s’emploie à retracer le parcours de celui qui deviendra après la révolution de 1917 Commissaire du peuple à l’Instruction publique. Contribuant à définir ce que pourrait être une « culture prolétarienne » – qui ne renierait pas pour autant les œuvres du passé –, Lounatcharsky prend position dans le débat artistique, soutenant une partie des artistes avant-gardistes tout en s’opposant fermement au formalisme « issu de la décomposition de la culture bourgeoise ».

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I

Anatole Vassilievitch Lounatcharsky est né en 1875, à Poltava, d’une famille de fonctionnaires – d’aristocrates disent certains de ses biographes1. Il est mort en se rendant en Espagne, occuper en 1933 le poste d’ambassadeur d’U.R.S.S. que le gouvernement de Staline venait de lui accorder – à Paris disent la plupart de ses biographes, à Menton écrivent quelques autres2.

1875 : Le populisme russe en échec, ses débris passent à l’action directe, au terrorisme dont l’apothéose, l’assassinat d’Alexandre II en 1881, marque aussi la fin, avec la répression extrêmement dure qui le suivra. En 1883, Georges Plekhanov et Paul Axelrod forment le groupe marxiste « Pour la libération du travail ». Au lycée de Kiev, dès l’âge de quinze ans, Lounatcharsky participe à des distributions de tracts révolutionnaires. Il adhère au Parti ouvrier social démocrate de Russie (P.O.S.D.R.) un an après sa création, en 1899.

1933 : Staline achève son installation au pouvoir en U.R.S.S., il a liquidé les opposants, leur déportation est déjà passée dans la pratique courante. Zinoviev et Kameniev viennent d’être exclus pour la seconde fois. Et le désastre économique justifie apparemment la centralisation du pouvoir en contradiction flagrante, pourtant, avec les objectifs de la République des conseils. L’échec de la IIIe Internationale finit de s’accomplir : Hitler devient chancelier du Reich allemand, démantelant le plus puissant des partis communistes européens.

1875-1933 : Entre ces deux dates, la vie d’un homme liée à tous les espoirs de la révolution montante et à tous ses échecs ; à toutes les luttes du mouvement ouvrier international, à ses victoires et à ses défaites.

Jusqu’à son arrivée au pouvoir en 1917, l’itinéraire politique d’A.V. Lounatcharsky peut être décomposé en trois périodes :

– avant 1907 ;

– de 1907 à 1917 ;

– pendant la Première Guerre mondiale jusqu’à la Révolution.

Avant 1907

Jusqu’en 1907, Lounatcharsky participe aux activités du P.O.S.D.R., pour lesquelles il est arrêté à plusieurs reprises, une première fois en 1900, une seconde en 1901. Déporté pour trois ans, dans la province de Vologda, il s’y trouve lorsque Lénine publie à Stuttgart le premier numéro de L’Iskra et il demeure relativement à l’écart des premières discussions concernant le parti. Rappelons qu’après avoir été mêlé aux activités révolutionnaires du lycée de Kiev, Lounatcharsky, surveillé par la police, est contraint de s’expatrier. Il part pour Zurich, étudier la philosophie. En Russie il s’intéressait à Richard Avenarius. En Suisse, il suit les conférences du philosophe de l’empiriocriticisme, « critique moderne de la science ». La philosophie d’Avenarius, professeur de philosophie à Zurich en 1877, se situe dans le courant de dépassement du transformisme-évolutionnisme positiviste. Dans Kritik der reinen Erfahrung (1888-1890) son « empiriocriticisme » veut s’en tenir aux faits de connaissance dans un sujet. En cela il tente, à partir des travaux de physiologistes et de biologistes, d’établir des lois de perception en relation avec le milieu. Par ce qu’Avenarius appelle introjection l’homme transmet à ses semblables les sensations et les perceptions des choses qu’il connaît. La « chose » expérimentée se sépare de la perception éprouvée par lui. Il y a, dès lors, le monde effectivement reçu par l’homme et son reflet en l’autre ; un monde extérieur fait de choses et un monde intérieur fait de perceptions. L’homme opère de même à son propre égard, sépare la réalité du phénomène qui est en lui. Les théories de la connaissance se heurtent toujours, en cet endroit, au subjectivisme. L’empiriocriticisme veut se placer avant l’introjection, veut montrer la coordination de la chose et du moi au même titre dans l’expérience.

S’appuyant sur la physique plutôt que sur la biologie, l’œuvre d’Ernest Mach à laquelle s’intéresse également Lounatcharsky rejoint celle de Richard Avenarius. Professeur de physique puis de philosophie à Vienne (1867 à 1875), auteur de Die Mechanik, d’Analyse der Empfindungen und das Verhälttniss des Physischen zum Psychischen (1900), Ernest Mach considère que la physique se passe du principe de causalité pour le remplacer par celui de concept mathématique de fonction qui lie la variation d’un phénomène à celle d’un autre. Du même coup se trouvent éliminés les concepts de substance, de chose en soi, de moi. Le monde de l’expérience peut être décrit intégralement avec les sensations et les fonctions qui les relient. Il n’existe aucun fossé entre le physique et le psychique.

Cette curiosité philosophique conduit Lounatcharsky à s’interroger sur le matérialisme tel qu’il s’est développé en Russie d’autant que le marxiste orthodoxe P.B. Axelrod l’héberge puis l’introduit à Genève auprès de Plekhanov. Lounatcharsky a, avec les deux hommes, de sérieux différends, notamment, avec ce dernier. Lounatcharsky trouve le matérialisme plekhanovien trop influencé, par les philosophes français du « Siècle des Lumières ». En outre son intérêt pour une approche marxiste de la religion ne rencontre par leur adhésion. Mais c’est sur les conseils de Plekhanov qu’il étudie l’esthétique et la culture. Voyageant en France et en Italie, il y étudie également l’art et la religion, et c’est à son retour en Russie, qu’il adhère définitivement à Moscou au P.O.S.D.R. Cette absence puis la déportation, outre qu’elles l’éloignent des lieux de lutte, le lient au groupe puis à l’homme dont le nom va revenir régulièrement dans sa vie politique. C’est en effet à Kalouga, en 1900, qu’il rencontre le médecin A.A. Malinovski, connu plus tard sous le nom de Bogdanov. Avec d’autres déportés politiques, Bazarov, Skorcov-Stepanov, Lounatcharsky forme un cercle qui cherche à donner au marxisme les éléments d’une éthique, d’une esthétique et d’une épistémologie indépendantes du kantisme et libérées des encyclopédistes français, rompant ainsi avec Plekhanov. Lounatcharsky retrouve encore Bogdanov, dont il épouse une sœur, à Vologda, où il a été transféré et polémique avec Nicolas Berdiaev, qui vient de rompre avec la social-démocratie, auquel il reproche son mysticisme tout en opposant, à la religion des croyants, la croyance des athées en la religion du socialisme.

À son retour à Kiev, en 1903, la discussion sur la tactique a déjà pris de l’ampleur. Au IIe congrès du P.O.S.D.R., le courant rassemblé autour de L’Iskra est majoritaire. Lénine et Plekhanov font adopter le mot d’ordre « dictature du prolétariat ». Mais les iskristes se divisent à propos des statuts, dans une discussion qui prend des allures byzantines ; un courant plus « ouvert », sous la direction de Martov, veut considérer comme membre du parti celui qui y collabore tandis que la motion de Lénine exige une participation personnelle. Les deux courants iskristes s’étaient pourtant mis d’accord pour refuser au Bund juif l’autonomie organique que celui-ci réclamait. Le départ des bundistes du congrès laisse alors, face à face, une nouvelle majorité, les iskristes léninistes majoritaires – bolcheviks – et les partisans de Martov minoritaires – mencheviks. Les mencheviks contestent la majorité et la validité des décisions que Lénine a fait prendre au Congrès. Ils se regroupent, avec la volonté de reconstituer l’ancien comité de rédaction de L’Iskra. Plekhanov, hier d’accord avec Lénine, penche pour la conciliation avec eux, les mencheviks reprennent le contrôle politique du journal et le comité central, formé majoritairement de bolcheviks, suit son exemple. Lounatcharsky est d’abord, lui aussi, « conciliateur ». Lénine isolé reprendra la lutte, avec l’organisation clandestine russe, il constitue une véritable fraction bolchevique qui publie Vperiod (En avant), à partir de janvier 1905. Bogdanov, parti au printemps rejoindre Lénine à Genève, y appelle Lounatcharsky qui les retrouve et collabore à Vperiod puis à Proletarii (Le prolétaire).

Durant cette période Lounatcharsky permet à Lénine de rompre son isolement en renouant pour lui de multiples contacts.

À la fin de 1904, la maladie me contraint à partir pour Florence. C’est là que me surprit l’annonce de la révolution et l’ordre du C.C. de partir rapidement pour Moscou, ordre auquel j’obéis avec enthousiasme », raconte Lounatcharsky dans son autobiographie3. À Petersbourg, il est rédacteur à Novaïa Jizn (La nouvelle vie), participe à de nombreux meetings, établit la réputation de tribun que Trotsky lui reconnaît « […] sachant en imposer par sa tenue et sa voix, éloquent déclamateur, pas très certain mais souvent irremplaçable […]4.

Après l’échec de la révolution de 1905, il est de nouveau arrêté et, après sa libération, sur les conseils des responsables du parti, il quitte la Russie. Ce n’est qu’après le IVe Congrès, dit d’unification, tenu à Stockholm, auquel il assiste qu’il s’éloignera de Lénine pour se rapprocher de Bogdanov. Durant cette période, l’importance des deux hommes dans le parti est au moins égale. Bogdanov avait été élu au Comité central bolchevique du IIIe Congrès. Il avait constitué à Petersbourg, au moment de la Révolution, le bureau permanent du Comité central et participé de manière active à la constitution du soviet. Au congrès de réunification, il est élu au Comité central alors que Lénine n’y figure pas. Les divergences politiques entre les deux hommes se sont accentuées. Après la dissolution de la seconde Douma (assemblée législative dont le rôle sera tout à fait formel), dont la fraction avait été dirigée par Bogdanov, la majeure partie des bolcheviks était favorable à un appel à la révolte populaire et au boycottage de la troisième Douma, préconisés par Bogdanov. Le « bolchevisme de gauche » triomphait – momentanément – contre Lénine, Lounatcharsky derrière son ami Bogdanov.

De 1907 à 1914

«Sous la réaction (1907-1910) il s’écarta du marxisme, participa au groupe antiparti « Vperiod », réclama l’union du marxisme et de la religion. Dans son ouvrage Matérialisme et Empiriocriticisme, Lénine mit à nu les erreurs de Lounatcharsky et les soumit à une critique sévère […]5

Une lettre adressée à Gorki et datée du 25-11-1908, donne une version différente de celle adoptée depuis par l’historiographie stalinienne. Tout en retraçant l’origine de ses désaccords philosophiques… avec Bogdanov, qui dataient de 1903, Lénine expose que des désaccords sur la philosophie n’excluent pas un accord politique :

En été et en automne 1904, nous nous mîmes définitivement d’accord avec Bogdanov, en tant que bolcheviks, et nous formâmes un bloc tacite – et qui écartait tacitement la philosophie comme étant un domaine neutre –, un bloc dont l’existence se prolongea durant toute la révolution et qui nous donna la possibilité d’appliquer conjointement dans la révolution, la tactique de la social-démocratie (c’est-à-dire du bolchevisme) […]6.

Bogdanov publie en 1906 L’Empiriomonisme, qui donne du monde, suivant ses propres termes, une image du point de vue organisationnel, c’est-à-dire en tant que processus de formation, de lutte et d’action réciproque des complexes et des systèmes de différents types et des diverses étapes de l’organisation. Le livre met Lénine en fureur, il écrit à son auteur qu’il a foncièrement tort et Plekhanov raison. La publication en 1908 du recueil collectif Essais de philosophie marxiste par Bazarov, Bogdanov, Bermann, Guelfond, Iouchkevitch et Lounatcharsky « le fait bondir d’indignation » :

Non, ce n’est pas du marxisme ! Et nos empiriocriticistes, empiriomonistes et empiriosymbolistes s’enlisent dans un marécage. Convaincre le lecteur que la « foi » dans la réalité du monde extérieur est une « mystique » (Bazarov), confondre de la façon la plus révoltante matérialisme et kantisme (Bazarov et Bogdanov), prêcher une variété d’agnosticisme (empiriocriticisme) et d’idéalisme (empiriomonisme), enseigner aux ouvriers l’«athéisme» religieux et l’«adoration» des plus hautes facultés humaines (Lounatcharsky), assimiler à une mystique l’enseignement d’Engels sur la dialectique (Bermann), puiser à la source nauséabonde de je ne sais quels « positivistes » français, agnostiques ou métaphysiques, le diable les emporte avec une « théorie symbolique de la connaissance » (Iouchkévitch) !

Cette indignation l’incite à rédiger puis à publier en mai 1909, Matérialisme et Empiriocriticisme, sans perdre de vue l’important :

Je considère aujourd’hui comme absolument inévitable une certaine empoignade entre bolcheviks sur les questions philosophiques. Mais il serait à mon avis stupide d’en arriver à une scission à cause de cela. Nous avons constitué un bloc pour promouvoir dans le parti ouvrier une tactique bien définie. Jusqu’à présent nous avons appliqué et nous appliquons cette tactique sans différends […]7

La scission, outre l’affaiblissement du parti qui en résulterait, ne provoquerait pas, dans cette période très difficile, un regroupement sur ses positions et Lénine manœuvre plus habilement.

En 1907, la publication de Religion et Socialisme a alimenté la lutte philosophico-politique. Le livre est presque unanimement condamné par les critiques du parti, à la suite d’un imbroglio, affirme Lounatcharsky. Gorki, s’étant emparé de quelques-unes de ses idées, les avait développées dans un récit, Confession, qui élabore sa « construction-de-dieu » selon laquelle le socialisme est une religion. Plekhanov l’attaque, dénonçant la théorie comme profondément idéaliste. Religion et Socialisme voulait pourtant révéler « le grand trésor d’idéaux cachés dans le marxisme » : il opposait le marxisme aux religions de l’histoire humaine, surtout au christianisme historique et voulait définir la place du socialisme par rapport aux systèmes religieux. Les religions surnaturelles avaient résolu le problème de la contradiction entre le désir de liberté de l’homme et les nécessités imposées par la nature en interprétant le monde ; la nouvelle religion, le socialisme, le résout en le refaisant. « Les mythes sont remplacés par la science, la magie par la technologie. Mais le but reste le même : maîtriser la nature et développer la vie au maximum […]8. » Le socialisme scientifique comble le besoin religieux. Pour Lounatcharsky, il ne s’agissait nullement de réintroduire en contrebande l’idée religieuse mais de tenter une approche nouvelle de la religion. Toute sa tentative est rejetée en bloc. Moins polémique à son égard, Trotsky n’ironise pas moins : « Lounatcharsky, avec Gorki à qui le liait une profonde amitié, paya son tribut à la recherche mystique. Sans rompre avec le marxisme, il se mit à présenter l’idéal socialiste comme une nouvelle forme de religion et s’occupa sérieusement de rechercher un nouveau rituel. Sarcastique, Plekhanov le baptisa saint Anatole et ce surnom lui resta longtemps […]9. » Il est certain que, en la circonstance, Lounatcharsky est visé comme au billard. Plutôt que d’attaquer directement Gorki qui avait rendu d’éminents services aux bolcheviks et qui continuait d’ailleurs, Lénine et Plekhanov s’en prennent à Bogdanov et à ses amis.

Lounatcharsky n’est pas le premier visé dans la bataille philosophique et Bogdanov, particulièrement attaqué l’est autant pour des raisons politiques. Lénine s’appuie pour cela sur Plekhanov bien qu’il ait déjà mesuré les limites politiques de cet appui. L’été 1909, Bogdanov et Krassine sont écartés du Centre bolchevique puis en 1910 du Comité central comme « bolcheviks de gauche ». Lounatcharsky reste sur l’expectative. Il s’oppose à Plekhanov au congrès socialiste international de Stuttgart sur la question de la signification des syndicats en y défendant la position bolchevique-léniniste et une nouvelle fois en 1910, au congrès de Copenhague mais rejoint Bogdanov.

C’est encore avec Bogdanov que Lounatcharsky se retrouve chez Gorki à Capri puis à Bologne pour l’organisation de l’école destinée au parti aux travailleurs. L’« école de Capri » sera accusée par Lénine de mener un travail fractionnel : il lui reconnaît une influence certaine sur des ouvriers russes sociaux-démocrates qu’il ne renonce pas à séparer des intellectuels nourris d’illusions sur la culture prolétarienne10. Il ne se trompait guère puisqu’en 1909 Bogdanov et Lounatcharsky rédigent en commun, au nom du groupe Vperiod, une plate-forme, Position actuelle et tâches du parti, formulant le mot d’ordre nouveau de culture prolétarienne. Pour le premier il ne s’agit alors que d’un groupe littéraire tandis que le second parle d’un parti, que tentent de mettre sur pied en 1911 K. Kalinine, Manouilski, Alexinski. C’est à Paris qu’est créée la Ligue de culture prolétarienne. Bogdanov rompt avec elle, lorsque le groupe, selon Bogdanov, passe au printemps « de la propagande culturelle à celui de la politique […] ». Ce qui n’empêche pas Lénine – mal renseigné ? – d’écrire à Gorki en 1913, « si l’on séparait Lounatcharsky de Bogdanov sur l’esthétique, comme Alexinski a commencé de s’en séparer sur la politique… si les poules avaient des dents […]11 ».

Les idées de Bogdanov

Lénine attache donc encore une certaine importance à Bogdanov, en 1914, alors que théoriquement il l’a « liquidé ». C’est que son influence subsiste qui a laissé voir à certaines étapes de la lutte bolchevique des divergences profondes sur la tactique léniniste (boycottage ou participation à la Douma, par exemple). Mais c’est aussi qu’il a théorisé largement.

Au début du siècle, Bogdanov avait entrepris de poser les fondements théoriques d’une future science universelle, la tectology12. Une énorme masse d’activités créatrices spontanées et conscientes est nécessaire pour accomplir la troisième étape principale de l’Histoire, « celle d’une économie collectiviste autosuffisante » assurant la « fusion des vies personnelles dans un tout colossal harmonieux ». Cette tâche demande non pas l’effort d’un seul homme mais de l’Humanité et c’est en œuvrant à cette tâche que l’Humanité se réalise. Pour Bogdanov, à ce stade, toutes formes idéologiques y compris la philosophie et les sciences se fondent en « une science de l’organisation universelle nécessaire à l’harmonisation des efforts de l’humanité ».

La transition vers la société future collectiviste comprend le problème de la Révolution dont Bogdanov montre ainsi le processus. Même considérables, des différences entre éléments d’un tout ne signifient pas pour autant que les contradictions sont nécessaires. Les contradictions n’apparaissent ainsi que lorsque ces éléments non seulement diffèrent mais se développent dans des directions différentes. Cependant, dans ce cas aussi, la possibilité d’éliminer les contradictions par des ajustements d’organisation ne disparaît pas. Il n’existe qu’un cas où ces différences entre éléments d’un tout social deviennent forcément contradiction insoluble, c’est celui où les groupes sociaux se développent dans les directions opposées. L’un, dans une direction progressiste pour l’élargissement contre la nature et pour le perfectionnement des moyens de production, l’autre dans une direction régressive, vers le parasitisme et vers la consommation des produits du travail des autres. La révolution se produit dans ce type de situation. La classe progressiste prend la direction de la société à condition qu’elle ait préalablement développé des capacités d’organisation suffisantes (cf. la bourgeoisie dans la Révolution française). Faute de quoi, l’élimination de la classe parasitaire durant la révolution mènera à une régression et à un déclin général de la société, semblable à celui qui marque la transition de l’Antiquité au Moyen-Âge.

Bogdanov hésitait, dans ses premiers écrits, sur un point qui demeurera crucial : les nouvelles formes peuvent-elles, ou non, être créées dans la révolution elle-même ? En 1902, il écrivait qu’en aucun cas les révolutions « […] ne peuvent être des moments de création directe de nouvelles techniques et de nouvelles idéologies ; toutes deux doivent être prêtes dans la classe nouvelle développée par la production […] » Plus tard, revenant à l’exemple de la Révolution française, il estimait que tout instrument de la nouvelle société est déjà inclus dans l’ancienne. Mais la vie active des formes nouvelles est enchaînée par la domination des anciennes et ne peut s’exprimer tant qu’elles subsistent. En 1906, il revient à des idées qu’il avait abandonnées : la révolution est simultanément une critique sociale et une création sociale. Son travail critique – le déplacement des contradictions générales de l’existence sociale et de la conscience – et son travail créateur – la création de nouvelles formes de vie collective – ne sont qu’une seule et même intention, qu’un seul et même objectif.

Dans l’essai publié en 1910, La culture que réclame notre temps, qui préfigure le programme de culture prolétarienne de la Ligue créée l’année suivante, il expose les deux tâches à ses yeux nécessaires : la création d’une Encyclopédie prolétarienne qui jouerait le rôle de la Grande Encyclopédie de Diderot dans la Révolution française et l’ouverture d’une Université ouvrière qui serait une institution éducative et scientifique, se développerait en dehors du système existant et destinée à le supplanter.

Après 1914

Lorsque la guerre mondiale est déclarée, Lounatcharsky semble devoir rejoindre les mencheviks dont il était rapproché. Dans son autobiographie, il raconte qu’il se joint aux internationalistes, ce que d’autres sources vérifient. En l’occurrence il rédige avec Trotsky, Manouilsky, son compagnon de Vperiod, et Antonov-Ovseenko, le périodique Nache Slovo (Notre parole), dont le rôle après la parution de Golos (La voix), sera important de 1915 à 1916 pour regrouper les socialistes restés internationalistes, au moment où sociaux-démocrates allemands et français ont capitulé dans l’union sacrée avec leur bourgeoisie, isolant du même coup les émigrés russes de la révolution.

Parti en Suisse, Lounatcharsky se lie avec Romain Rolland ; sa grande culture, son insatiable curiosité intellectuelle séduisent les artistes, les écrivains. Leur amour commun du théâtre les rapproche. L’un et l’autre ont écrit pour le théâtre essais et pièces. Romain Rolland quelques années auparavant publiait13 sa définition de la dramaturgie naissante qu’il liait à un rapport particulier avec le public : « Faire sortir de cette forme nouvelle, le peuple, une forme nouvelle, un théâtre nouveau. » Il analysait également le détail des fêtes de la Révolution française qui devaient inspirer Octobre.

Trotsky se pique d’avoir obtenu son ralliement aux bolcheviks en 1917. Lounatcharsky situe ce ralliement à la révolution de février : « […] Je me rendis immédiatement auprès de Lénine et de Zinoviev, déclarai partager irrévocablement leur point de vue et proposai de travailler selon les directives du C.C. des bolcheviks. Cette proposition fut acceptée […]14 » Il rentre en Russie en passant par l’Allemagne comme le feront Lénine et Trotsky. Son adhésion ne sera pas annoncée publiquement. Il demeurera dans l’organisation social-démocrate interdistricts, créée en 1913 à Petersbourg (Mejraionka) et adhérera au VIème congrès d’unification en même temps que Trotsky, avec le maximum de partisans politiques.

Élu à la Douma de Petrograd, il devient l’un des leaders de la fraction bolchevique puis participe aux journées de Juillet, ce qui lui vaudra d’être arrêté et d’être accusé de trahison au profit de l’Allemagne. Après les nouvelles élections, il devient maire-adjoint de Petrograd chargé des affaires culturelles. Au VIème congrès, comme convenu, il rejoint les rangs des bolcheviks. Et le 25 octobre au « parlement le plus démocratique de tous ceux qui ont existé dans l’histoire mondiale » il est élu :

Avanéssov lit la liste des candidats bolcheviks au bureau : Lénine, Trotsky, Zinoviev, Kamenev, Rykov, Noguine, Sliansky, Krylenko, Antonov-Ovseenko, Riazanov, Mouranov, Lounatcharsky, Kollontaï et Stoutchka […] Comme noms faisant autorité dans le parti, Zinoviev et Kamenev sont inclus dans le bureau, bien qu’ils se soient opposés à l’insurrection ; Rykov et Noguine sont là comme représentants du Soviet de Moscou ; Lounatcharsky et Kollontaï comme agitateurs populaires en cette période […]15

II

À quarante-deux ans, Anatole Vassilievitch Lounatcharsky devient ainsi commissaire du peuple à l’Instruction publique. De ses services dépendent l’éducation nationale d’un pays peuplé d’une majorité d’analphabètes ; les beaux-arts, la culture, le théâtre d’une jeune république chétive, menacée encore par la guerre mondiale toujours en cours puis par la guerre civile qui la relaiera bientôt. Lounatcharsky n’en demeure pas moins Lounatcharsky, c’est-à-dire écartelé et hésitant. Au moment de la bataille des conciliateurs pour une coalition des partis socialistes, il penche en leur faveur. Et même, bien que favorable, il a montré quelque réticence devant l’insurrection, espérant toujours quelque arrangement. Tout de suite après sa nomination au commissariat à l’Instruction publique, il en démissionne pour protester contre la destruction par l’artillerie bolchevique de l’église Sainte-Basile à Moscou, démission reprise lorsque la nouvelle est démentie.

Les tâches d’instruction seront surtout prises en main par Kroupskaïa, la compagne de Lénine. Lounatcharsky dramaturge et amateur de théâtre se soucie surtout du théâtre.

Politique théâtrale

La politique théâtrale que tente de définir puis d’appliquer A.V. Lounatcharsky peut, sommairement, être résumée ainsi :

– soutien aux professionnels, venus sur les positions de la révolution, dont Meyerhold représente l’exemple marquant, et aux novateurs, Taïrov, Vakhtangov même si leurs recherches formelles ne coïncident pas avec la dramaturgie nouvelle que la Révolution appelle ;
– soutien aux amateurs, prolétariens ou non, aussi bien dans leurs tentatives théâtrales que para-théâtrales : représentations d’agitation révolutionnaire, fêtes de masse.

Elle subit les contrecoups des conditions dans lesquelles la jeune république des soviets tente de s’imposer. La guerre internationale puis la guerre civile, la famine, la pénurie généralisée puis la nouvelle économie politique (NEP) en modifient sensiblement le cours. Cette politique prend son essor en 1919, avec le décret du 9 septembre de nationalisation des théâtres qui institue la création d’un Comité central des théâtres, auprès du commissariat du peuple à l’Instruction publique. Une section théâtrale (TEO) en constitue l’exécutif – Meyerhold sera son responsable – dont l’autorité s’exerce sur les théâtres d’État.

Le décret déclare national tout bien théâtral ayant valeur culturelle. Il donne au Comité des théâtres toute autorité pour la fixation des prix de places et pour la direction de ces théâtres.

Les théâtres reconnus utiles et artistiques, divisés en différentes catégories, sont subventionnés par l’État. Certains d’entre eux, donc la valeur est reconnue, obtiennent l’autonomie : le Comité peut néanmoins leur donner des indications concernant le répertoire. L’autonomie n’est aliénable que par le commissaire à l’Instruction publique.

Le décret traite également des théâtres d’État (Le Grand et le Petit théâtre, à Moscou, Mariinski, Alexandrinski et Mikhaïlovski à Petrograd) administrés, désormais, suivant les mêmes principes.

Grâce à ce droit, chaque collectif qui en fait la demande peut obtenir la direction d’un théâtre. S’ajoutant à la mesure du 21 août qui exonère de la taxe d’État les spectacles publics, il ouvre ainsi la porte à la génération de jeunes metteurs en scène, d’acteurs qui avaient fait leurs armes et chez Stanislavski et chez Meyerhold, près des déjà connus Taïrov, dont le Théâtre Kamerny (de chambre) ouvert en 1914 voulait montrer la « vérité de l’art », Vakhtangov et Michel Tchékhov, découverts par le « Premier Studio16 » du Théâtre d’Art de Moscou.

Ainsi le Théâtre de la Nouvelle comédie de Serge Radlov, Soloviev, Miklachevski dont le répertoire va de M. de Pourceaugnac aux Joyeuses commères de Windsor en utilisant les moyens du cirque, clowns, acrobaties et ceux de la commedia dell’arte (1920) : le théâtre expérimental de V. Vsevolodski (1923) ou le théâtre héroïque expérimental de Ferdinandov (1921) : le Théâtre des masques, créé à partir de l’école d’improvisation de Mtchédelov (1923) qui joue d’abord des œuvres de Gozzi puis des scénariis à canevas, chaque acteur conservant son « type » ; le Théâtre des rites créé en 1922 ou le Théâtre du Proletkult de Moscou dirigé par V. Smychliaëv puis par Serge Eisenstein (1922) qui mettra en scène sous forme de clownerie Il n’est sage qui ne faille d’Alexandre Ostrovski, œuvre considérée jusque-là comme réaliste.

Le théâtre se joue partout. « Chaque soviet, chaque commissariat du peuple, chaque comité, chaque section qui se respecte, raffole de la politique théâtrale et se sent appelé à créer une scène à son idée […] Un chaos et une anarchie complète règnent partout. La passion du spectacle, comme jadis au Moyen Âge certains genres de folie collective, est devenue un véritable fléau populaire […]17. »

À côté de ce secteur traversé par les influences divergentes des futuristes du Proletkult se développent également par les clubs ouvriers des formes de représentations plus modestes mais plus largement diffusées. Courtes séquences inspirées d’œuvres littéraires, de discours politiques, de décrets, de situations historiques, lectures, conférences, jugements dramatisés (procès de Rosa Luxemburg, de Wrangel), joués par deux, trois acteurs amateurs dont le but premier était politique. Le journal vivant part du principe, devenu banal, depuis, du montage de scènes extraites de la vie quotidienne. Il supplée l’absence d’infirmations, de journaux et « dramatise » les faits. La technique de l’agit-prop des Blouses bleues, créées à Moscou en 1923 par Youjanine transpose scéniquement l’ordonnance du journal quotidien, bulletin, éditorial, faits divers, informations politiques. Après une parade introductive, à vue, se levant de leurs chaises les Blouses bleues se costument sous les yeux des spectateurs, miment, chantent, racontent. Le récitant est alors « illustré » par ses camarades. « Le ton fondamental est satirique et grotesque […] Les décors sont tout à fait simples, la figuration du lieu est obtenue au moyen de combinaisons de chaises ordinaires […] Le collectif, toujours déambulant d’une fabrique à une usine, d’un club à une réunion, d’une ville à la campagne, ne peut se servir que d’accessoires légers et portatifs […]18 ». Les acteurs sont vêtus de blouses de travail. Les personnages peuvent être identifiés par l’inscription qu’ils portent ou par des masques.

Les Blouses bleues – qui suscitèrent des Chemises rouges, des Cravates grises –, réparties en cinq groupes : modèle fondamental, de base, combatif, industriel, le jeune léniniste, obtiennent un succès considérable en URSS (de 1923 à 1928 ils donnèrent treize mille représentations atteignant plusieurs millions de spectateurs) qui traverse les frontières. Les Blouses bleues jouèrent chez Piscator en 1927 en Allemagne et même en Chine. Leur technique de représentation aura une influence mondiale. Elle est à rapprocher de celle qu’utilise Brecht dans La mère, créée en janvier 1932 à Berlin.

Lounatcharsky souhaite qu’une étude du spectateur prélude à son organisation : il pense que de la formation des rabcors (correspondants d’usines) naîtra la nouvelle génération des critiques de théâtre. Les spectateurs ne doivent pas subir passivement la représentation. La théâtralisation de la révolution victorieuse, en attendant, renoue avec les grandes fêtes de la Révolution française dont quelques-unes des idées reprises par Romain Rolland inspireront les animateurs de la TEO. En mars 1919 des gardes rouges jouent à Petrograd La Chute de la Monarchie ; puis ce seront La Prise du Palais d’Hiver, le 7 novembre 1920 ; Le Mystère du travail affranchi le 1er mai 1920, Vers la Commune mondiale le 19 juin. Ces manifestations ont en commun leur caractère de masse. Elles ont aussi leur théoricien, Kergentsev qui, visiblement influencé par le Proletkult, repousse toute référence au théâtre qu’il estime être du musée. Et lui veut quelque chose au-delà du musée. Il s’agit de renoncer résolument à tout ce qui est ancien, ensuite d’édifier un mur entre le nouveau théâtre du peuple et le professionnalisme. C’est à la création « de formes de vie nouvelles, conformes aux buts de transfiguration sociale et politique de la société qu’il doit servir ». Kergentsev veut également favoriser les rapports ville-campagne, la propagande éducative auprès des paysans.

Les Théâtres de la jeunesse ouvrière (TRAM) accomplissent la fusion que Lounatcharsky évoquait. Leurs clubs sont rattachés à l’entreprise qui emploie ses membres. Ceux-ci sont dégagés chaque jour de quelques heures du travail pour des études théâtrales réparties sur trois ans qui aboutissent au théâtre-atelier. Cet atelier est un instrument d’aide des comités de propagande de l’Union des jeunesses communistes, au moyen de formes artistiques et expressives dont le but est l’éducation communiste de la jeunesse. Le TRAM prépare des « ouvriers artistiques entraînés, organisateurs de culture ». Son répertoire est étudié par le laboratoire dramaturgique central. Les TRAM se développeront considérablement, s’inspirant d’abord des techniques des Blouses bleues puis peu à peu traiteront des sujets réalistes par exemple La bourrasque à l’usine, par un TRAM de Léningrad dirigé par Michel Sokolovski.

TRAM, fêtes du peuple, proletkult, il s’agit de susciter l’activité créatrice des masses : l’« autoactivité » des masses, pour reprendre le terme qu’emploie Rosa Luxemburg.

1. Proletkult ? …

Lounatcharsky raconte que Lénine lui suggéra une « propagande monumentale », d’utiliser l’art comme moyen de propagande. « Il exposa deux projets : premièrement, il convenait de décorer les bâtiments, les clôtures et les emplacements où l’on placarde généralement les affiches par de grandes inscriptions à contenu révolutionnaire… Le second projet portait sur les nombreux monuments qu’on devait élever aux grands hommes de la révolution […]19 ». À Petrograd la propagande monumentale fut assez réussie, bien que des monuments dus aux futuristes aient été moins convaincants ; à Moscou elle fut ratée. On ne sait si le patronage posthume de Lénine doit permettre à Lounatcharsky – nous sommes en 1924 lorsqu’il écrit ces lignes – de se protéger pour excuser l’intervention futuriste. Toujours est-il qu’à ce moment les grandes fêtes révolutionnaires, dont la plus célèbre reste La prise du Palais d’Hiver, sont généralisées dans les grandes villes. Lounatcharsky les rattache à ce qu’essaya de créer la Révolution française, une sublimation dans l’art « expression des idées et des sentiments révolutionnaires et communistes ».

Cette position renvoie à la « théorie des valeurs » que Lounatcharsky tentait d’échafauder avant 1908. Chaque phénomène est accessible par la pensée et mesuré d’après une échelle de valeurs, servies par une pensée orientée au nom de l’intérêt du groupe ou de l’individu. Selon ce système de valeurs est bon ce qui est utile à la vie, mauvais ce qui lui est néfaste : mais ce qui est utile à l’un comme source de bonheur peut aux autres apparaître cause de malheur. Intervient alors le système social et moral pour lequel est bien ce qui donne aux autres le bonheur, mal ce qui l’interdit, même si individuellement l’individu en souffre. Il utilise son système des valeurs pour analyser le niveau classique et le niveau romantique et estime que les normes des valeurs esthétiques peuvent être appliquées aux hommes, aux sociétés. C’est à partir de ce système qu’il analyse le rôle des esthètes, divisés en deux types :

– classiques, « aristocrates de l’esprit, dont l’idéal est une beauté calme, olympienne », ils appartiennent à une classe dirigeante au sommet de sa puissance, confiante en l’avenir ;
– romantiques, issus de la classe démocratique naissante, à l’idéal encore à venir.

Le classique défend ce qui existe, le romantique meurt pour le futur. L’idéal sera-t-il réalisé ? Pour qu’il le soit, se fondant sur l’expérience, il doit demeurer dans le champ du possible, rejeter le devoir métaphysique ou la promesse de la survie divine, résulter de la force d’une émotion esthétique spontanée « d’un amour et d’une fervente passion pour la beauté […] » : cet idéal est « la plénitude et l’harmonie de la vie humaine […]20 ».

La littérature possède sur les actions humaines le pouvoir de donner aux valeurs qu’elle se choisit une raison apparente en appelant la force de l’émotion. L’art – et la critique – ont donc une fonction réelle. La critique d’approcher les valeurs inhérentes à l’œuvre d’art en les explicitant, l’art de se choisir ces valeurs. Toutefois Lounatcharsky prend quelque distance à l’égard de l’art strictement propagandiste, malmenant la réalité de l’expérience humaine :

L’art s’efforce de nous enseigner et de nous faire comprendre la vie. Il introduit l’ordre dans le chaos des apparences extérieures ; il souligne le symbolique, élimine l’accidentel et l’accessoire ; et en guidant nos esprits, nous permet d’absorber en peu de temps une énorme quantité d’images, de sensations, d’idées. Il donne la possibilité de vivre une vie concentrée. La science donne des formules générales et abstraites ; l’art donne des expériences […]21

Aussi bien, lorsque Lounatcharsky défend Maiakovski contre les « comitards » puis les bureaucrates ; impose Meyerhold ; suscite les manifestations commémoratives de masse, a-t-il en tête un idéal esthétique qu’on ne saurait négliger.

La distance qu’il s’impose à l’égard de l’Octobre théâtral de Meyerhold, du Proletkult ou des futuristes, voire de LEF, implique toutefois des nuances qu’on trouve motivées à la fois par sa fonction au sein du gouvernement des soviets et à la fois par la position qu’il a adoptée face aux bolcheviks-léninistes.

Après sa rupture avec le groupe Vperiod, Bogdanov revient en Russie en 1914, il est médecin sur le front puis participe à la révolution. C’est quelques jours avant son déclenchement qu’il fonde le Proletkult (Organisation culturelle et éducative prolétarienne), club de travailleurs destiné à promouvoir une culture de classe. Contrairement à ce qui sera mainte fois répété, le Proletkult ne rassemble pas seulement des intellectuels ou des petits bourgeois soucieux d’introduire dans le mouvement ouvrier « une culture créée en laboratoire et étrangère au prolétariat », mais aussi de nombreux ouvriers séduits par des thèses de Bogdanov, qui, nous l’avons vu précédemment, impliquaient des divergences notables avec les léninistes, et reposent sur une méfiance légitime à l’égard de la culture et de ceux qui s’en sont servis pour maintenir la domination de la société tsariste. En deux ans le Proletkult essaime au point de compter des milliers de clubs disséminés partout. Il comprend des sections spécialisées : théâtre, poésie, architecture dont l’importance devient prédominante.

Lénine – comme d’ailleurs Trotsky – juge sévèrement le Proletkult. Il intervient à plusieurs reprises auprès de Lounatcharsky pour que celui-ci ne tolère pas le développement d’une organisation autonome dont l’attitude finit par semer le désarroi. Le discours qu’il prononce le 2 octobre 1920, devant le IIIème congrès de l’Union de la Jeunesse communiste de Russie, résume une position qui est celle du parti : le jeune communiste doit apprendre. Sans doute l’école ancienne et l’enseignement prônaient-ils un dressage dans l’intérêt de la bourgeoisie. Mais il est faux de vouloir rejeter tout enseignement, « il faut savoir en extraire ce qui est indispensable pour le communisme », les richesses accumulées par la connaissance humaine : « Le marxisme est un exemple qui montre comment le communisme est issu de la somme des connaissances humaines […] ». C’est seulement la parfaite connaissance de la culture créée au cours du développement de l’humanité et sa transformation qui permettront de créer une culture prolétarienne […]. « Elle doit être le développement logique de la somme de connaissances que l’humanité a accumulées sous le joug de la société capitaliste, de la société des propriétaires fonciers et des bureaucrates… » De son côté, dans Littérature et Révolution, Trotsky estime abusif l’usage des deux termes, le but de la révolution puis du communisme est non pas de substituer une classe à l’autre, le prolétariat au pouvoir à la place de la bourgeoisie, donc une culture prolétarienne à la place de la culture bourgeoise, mais d’instaurer une société sans classe, il suggère le terme culture du prolétariat en lutte.

Le congrès du Proletkult doit s’ouvrir le même jour : Lénine insiste pour que Lounatcharsky intervienne et rappelle que le pouvoir soviétique ne souffre pas de concurrence. Lounatcharsky se tait, ou du moins reste vague au point que le 8, avant que le congrès qui doit durer jusqu’au 12 s’achève, Lénine rédige un projet de résolution22 en cinq points adopté par le Comité central :

– dans la République soviétique des ouvriers et des paysans l’enseignement, éducation politique et art doivent être pénétrés de l’esprit de la lutte des classes ;

– le prolétariat représenté par le parti communiste et ses organisations doit y prendre la part la plus importante ;

– le marxisme est la seule expression juste des intérêts et de la culture du prolétariat révolutionnaire ;

– le marxisme a intégré tout ce qu’il y avait de précieux dans la pensée et la culture humaine ;

– le Proletkult ne saurait donc promouvoir au sein d’organisations autonomes une culture qu’il inventerait, au contraire il doit se considérer comme l’auxiliaire du commissariat du peuple à l’Instruction publique.

L’enjeu est important : sans doute Lénine estime-t-il que Bogdanov, par le Proletkult, reprendra une importance que la bataille contre l’empiriomonisme lui avait enlevée, la révolutionarisation culturelle que le Proletkult préconise met en cause le rôle du parti tel que le marxisme-léninisme le définit.

Déclinant, après 1920, tout en continuant de jouer un certain rôle, le Proletkult va bizarrement à la fois terroriser les formalistes, les tenants du LEF (Front gauche de l’art) de Maiakovski et demeurer suspect à Staline qui le dissout en 1932, tout en créant d’autres organisations « prolétariennes » aux ordres.

Bien que les tenants du Proletkult s’imbriquent parfois dans des tentatives esthétisantes – l’Octobre théâtral de Meyerhold préconise aussi le rejet du passé, mais il subordonne son activité d’instruction politique, de propagandiste au commissariat à l’Instruction – ils s’opposent aux groupes futuristes ou au LEF.

Lounatcharsky ne sous-estime pas l’importance du futurisme. Il pense qu’il a eu un rôle historique, les futuristes étaient l’aile gauche « semi-paupérisée » pour reprendre les termes de Trotsky de l’intelligentsia qui se révolta contre l’esthétique de caste de l’intelligentsia bourgeoise. Leur discours en faveur de la technique, de la machine, de la vitesse, pour l’homme nouveau qu’il exprime dans un ordre nouveau des vers, du rythme, du verbe, a coïncidé avec la révolte sociale. Mais l’aspect épate-bourgeois de leurs activités lui semble, après la révolution, inadapté aux exigences nouvelles. Il n’a de cesse que Maiakovski et Meyerhold rompent avec le futurisme, défendant d’ailleurs contre Kroupskaia ou Lénine l’un et l’autre.

2. … ou style du parti ?

Dans L’Idéologie allemande, en réponse à L’Unique et sa propriété où Stirner « organisait » le travail en différenciant travail humain (dans lequel l’élément individuel n’a que peu d’importance) et travail unique (travail d’un individu unique : Raphaël par exemple), Marx montre que la prétendue unicité résulte à la fois du progrès technique de l’époque ; de l’organisation de la société et de la division du travail du pays où vit Raphaël et de tous les pays avec lesquels sa ville entretient des relations ; de la commande, qui elle-même dépend du niveau de culture atteint par les individus :

La concentration exclusive du talent artistique chez quelques individualités, et corrélativement son étouffement dans la grande masse des gens, est une conséquence de la division du travail […]23.

Cette concentration et cet étouffement représentent les deux faces différentes d’une seule et même réalité. Et Karl Marx oppose à Stirner l’organisation communiste de la société, où seront supprimées les barrières locales et nationales, produits de la division du travail qui enferment l’artiste, « […] tandis que l’individu ne sera plus enfermé dans les limites d’un art déterminé, limites qui font qu’il y a des peintres, des sculpteurs […] ». Dans la société communiste, il n’y aura plus de peintres, mais tout au plus des gens qui, entre autres choses, « feront de la peinture… ». En attendant que la société communiste abatte ces barrières et impose les conditions nouvelles de la production, la société de transition soviétique doit se donner une tactique appropriée aux circonstances. Les « non-spécialistes » culturels doivent prendre aux « spécialistes » de la culture ce qu’ils ont de meilleur. Ce faisant les uns et les autres changeront. Chacun apprendra de l’autre, Lounatcharsky parle même de synthèse. Les intéressés ne l’entendent pas de cette oreille. Les militants du Proletkult, par exemple, regarderont méfiants les futuristes dont les manifestations leur apparaissent avant tout les manifestations caractéristiques de la dégénérescence bourgeoise. Plus tard les amis de LEF se heurteront à leur mépris de la forme, alors qu’ils avaient eux-mêmes fustigé les « formalistes ».

Une très large part des classes moyennes, grandes fournisseuses d’intellectuels et d’artistes s’étaient trouvées en porte-à- faux au moment d’Octobre. Leur idéal politique n’allait pas au-delà d’une démocratie bourgeoise. Le régime autocratique abattu, elles se trouvent défendre un régime bourgeois qui n’existe pas : rares seront ceux qui le comprendront immédiatement et qui passeront à la Révolution. Ce n’est qu’après 1921, quand la Nouvelles politique économique (NEP) développe des concessions à la petite bourgeoisie que le ralliement s’élargit, suggérant aux ralliés, qui sait ? un embourgeoisement du régime à long terme. La jeune littérature soviétique se développe entre 1921 et 1923 – Pilniak, Léonov, Gladkov, Fédine, Ivanov –, Lounatcharsky a alors à manœuvrer entre différents récits, la fougue ultra-gauche des nouveaux venus et la défiance des Anciens. Lui, profondément, pense que les théâtres doivent continuer de jouer Aristophane, Sophocle, Euripide, Shakespeare et même Racine. Sans que pour autant soit négligée la ligne qu’il contribua à définir avec Bogdanov, celle de la « culture prolétarienne ».

On peut penser que c’est sur son inspiration que le Comité central adopte, le 1er juillet 1925 une résolution dont voici les grandes lignes24 :

[…] La dialectique matérialiste commence à pénétrer dans les domaines entièrement nouveaux (biologie, psychologie, sciences naturelles en général). La conquête de positions dans le domaine littéraire doit également, tôt ou tard, devenir un fait.

[…] Il importe néanmoins de se rappeler que c’est là une tâche infiniment plus complexe que d’autres… car le prolétariat a pu, en régime capitaliste, se préparer à une révolution victorieuse, se former des cadres de combattants et de dirigeants, se forger, pour la lutte politique, une arme idéologique d’une admirable efficacité. Mais il n’a pu approfondir ni les questions des sciences naturelles, ni les questions techniques ; classe opprimée au point de vue de la culture générale, il n’a pu constituer sa propre littérature, créer sa forme artistique, son style. Des critères infaillibles lui permettent dès aujourd’hui de juger le contenu social et politique de n’importe quelle œuvre littéraire, mais il n’a pas encore de réponses définies à toutes les questions concernant la forme littéraire […].

Le parti encouragera les auteurs prolétariens, non sans les mettre en garde contre « la suffisance communiste qui est le pire des maux ». Il les met en garde contre « le dédain et la légèreté à l’endroit du vieil héritage culturel ». « Le parti combattra les tentatives de créer une littérature prolétarienne “de serre” ». Il s’agit de « ne pas s’enfermer dans l’usine ; de ne pas dépeindre l’existence d’un atelier mais celle d’une grande classe militante […] ».

La critique, à la fois, est invitée à faire preuve d’intransigeance prolétarienne, « à révéler la signification sociale objective des œuvres » et à faire preuve de la « plus grande tolérance et de la plus grande circonspection à l’égard des milieux littéraires susceptibles de marcher avec le prolétariat ». La critique communiste doit bannir le ton de commandement.

Le parti se déclarait enfin pour la libre émulation des écoles littéraires, « toute autre décision ne pouvant qu’être bureaucratique » : il se refusait à conférer à un groupe quel qu’il fût le monopole des éditions. Car « conférer ce monopole à la littérature même la plus prolétarienne par ses idées, ce serait tuer cette littérature ». Il proclamait enfin la nécessité de mettre fin « aux interventions administratives, arbitraires et incompétentes dans la littérature… »

C’est donc, en bonne et due forme, une fin de non-recevoir posée à ceux qui réclamaient le soutien exclusif du Parti.

3. Le bilan

Le foisonnement des années vingt russes ne saurait être porté au compte de Lounatcharsky mais à celui de la Révolution. Car l’épine dorsale de tout ce jaillissement, c’est elle. En revanche, ce qui appartient à Lounatcharsky c’est d’avoir sauvegardé ce jaillissement. Les textes publiés dans ce volume montrent indirectement, à travers l’évolution de Meyerhold dialectisée par ses rapports avec l’ensemble du mouvement théâtral et avec la révolution, que l’hypothèse – ou la conviction ? – de Lounatcharsky était juste. Des Aubes de Verhaeren qui ouvre le Théâtre RSFSR 1 au Revizor l’influence mutuelle a joué au meilleur sens du terme. La maturation de l’art de Meyerhold est totale, pas seulement « artistique ». En s’accomplissant, elle a accompli également une part des espoirs de Lounatcharsky en offrant le modèle artistique progressiste capable d’influencer les non-professionnels de l’art. Tout au long de ce cheminement, Lounatcharsky s’est montré critique attentif mais jamais complaisant, sévère, jamais injuste.

Lounatcharsky juge avec lucidité les facteurs qui interviennent dans l’évolution de Meyerhold. Autant il comprend et soutient l’iconoclaste trahison des « classiques » russes, Le Revizor de Gogol revu par Meyerhold – et son compte rendu de la représentation reste un modèle de critique –, autant il fustige les sermons des futuristes sur l’autonomie de l’art. Oui à la trahison des classiques, non au formalisme issu de la décomposition de la culture bourgeoise. Il défend de manière quelque peu simpliste le réalisme : en philosophie le matérialisme, en art le réalisme, « réalisme monumental » de Meyerhold, témoignage du développement historique de l’art révolutionnaire. Il faut toutefois avoir en mémoire que le débat à ce moment n’est que la queue de celui amorcé dix ans auparavant.

C’est grâce à Lounatcharsky que Meyerhold put mettre en scène Mystère-bouffe, de Vladimir Maiakovsky, pour le premier anniversaire d’Octobre. Position inimaginable aujourd’hui puisque déjà membre du gouvernement des soviets ; déjà en conflit avec le Proletkult, qu’il avait soutenu et appelé de ses vœux ; déjà défenseur des théâtres académiques, le premier spectacle communiste a contre lui une bonne partie des apparatchik… et qu’il suscite aussi sa critique propre : « Je me suis réjoui quand Maiakovski a écrit sa première pièce de théâtre complètement révolutionnaire […] » bien qu’elle ait été présentée, ajoute-t-il, dans un « emballage futuriste ». Maiakovski et Meyerhold doivent enlever leur gilet jaune. Il ironise sur la vieille chaussure de Maeterlinck, sur le bouton de culotte de Schopenhauer dont Meyerhold ne parvient pas à se débarrasser ; se sépare de lui sur l’Octobre théâtral, n’aime guère ses tentatives de déthéâtralisation ni sa biomécanique (« Vive la sociomécanique ! »), tout cela après lui avoir donné la direction de la section théâtrale à Petrograd en 1917 (TEO, Teatralny Otden), celle du TEO de Moscou en 1920 puis du TEO panrusse ; du théâtre RSFSR 1 en 1921 et des Laboratoires supérieurs de mise en scène d’État. Ce soutient critique résume en fait toute sa politique théâtrale. Le prolétariat réussira peu à peu à extraire de lui-même sa propre intelligentsia : « Nous aurons nos propres Shakespeare ». Dans l’immédiat, il est porté vers des formes surannées, le ballet, l’opéra quand il n’ignore pas totalement toute forme artistique : misère et analphabétisme sont les héritages de la société tsariste. La Révolution d’Octobre, comme la Commune de Paris, en attendant la culture en gestation, doit à la fois préserver les valeurs du passé, qui ne sont pas seulement expression des classes possédantes, mais aussi de l’humanité tout entière et appuyer, encourager les essais des troupes prolétariennes et faire en sorte qu’elles s’inspirent des recherches nouvelles des « studios » ; défendre le théâtre professionnel et aider les amateurs.

Dans l’article déjà cité, Trotsky reconnaît à Lounatcharsky le mérite d’avoir été irremplaçable en qualité de commissaire du peuple à l’Instruction publique, dans les rapports avec les anciens milieux universitaires « qui s’attendaient de la part des “usurpateurs ignorants” à la liquidation complète des sciences et des arts […]… il démontra à tout ce monde fermé que les bolcheviks, non seulement respectaient la culture mais ne se faisaient pas faute de la connaître […]. Ce n’est pas un des moindres mérites de Lounatcharsky que d’avoir obtenu le ralliement de l’intelligentsia diplômée et patentée au régime soviétique. » Mais il souligne aussi sa totale incapacité comme organisateur, son dilettantisme. Pour Trotsky, le Comité central fournissait au Commissaire des aides qui tenaient, sous son couvert, « fermement les guides en main ».

Les témoignages écrits de Lénine confirment cette image d’un Lounatcharsky quelque peu brouillon25, dont l’appui ne lui a pas été négligeable dans plusieurs époques cruciales mais suffisamment ferme pour défendre, dans ce secteur culturel dont il a la charge, ses choix. La lettre savoureuse que Lénine lui écrit à propos du poème 150 000 000 de Maiakovski constitue en quelque sorte un satesfecit à cet égard :

« N’est-ce pas une honte de voter en faveur de la publication des 150 000 000 de Maiakovski en 5 000 exemplaires ? Sottise, absurdité, extravagance et prétention que tout cela.

« À mon avis, il n’y a qu’un sur dix de ces écrits qui vaille la peine d’être publié et guère plus qu’en 1 500 exemplaires pour les bibliothèques et les toqués.

« Quant à Lounatcharsky, il mérite une correction pour son futurisme26.

Double satesfecit, même le commissaire du peuple à l’Instruction publique alors que la pénurie de papier bat son plein, continue de défendre les droits de la poésie révolutionnaire – le manque de papier, généralement, sert de prétexte à la censure – et de plus… il n’est pas futuriste.

Lounatcharsky ne participe pas aux différentes batailles qui vont se développer à partir de 1923 – en cela d’accord avec Bogdanov qui abandonne toute activité politique après 1921. Il leur survit jusqu’en 1929, avalisant les résolutions que le C.C. va adopter, sans voir ou sans comprendre qu’elles portent en germe les pires menaces pour le théâtre qu’il a impulsé, de Meyerhold et de Maiakovski, de Tretiakov.

1930 est l’année cruciale, celle des « brigades d’écrivains ». Payés au mois par les entreprises industrielles, elles parcourent le pays, milliers d’écrivant qui doivent ouvriériser la littérature et ne produiront aucun livre marquant, alors même que la production industrielle a baissé de manière catastrophique.

Ils seront suivis par les ouvriers de choc, conviés à entrer également en littérature, salués alors comme « maître de la littérature » par les écrivains russes. Le suicide de Maiakovski en 1930, après son adhésion à l’Association soviétique des poètes prolétariens (RAPP), qui n’avait rien à faire ni avec la poésie ni avec le prolétariat encore moins avec la révolution, sonne le glas de Lounatcharsky. Il ne lui survivra pas longtemps.

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  1. Kendall E. Bailes, « La “théorie des valeurs” de Lunacarskij », Cahiers du monde russe et soviétique, n°2, vol. III, avril-juin 1967, p. 229. []
  2. Léon Trotsky, « A.V. Lounatcharsky », Littérature et Révolution, Julliard, 1964, p. 225. []
  3. Georges Haupt, Jean-Jacques Marie, « Anatole Vassilievitch Lounatcharsky (autobiographie) », Les bolcheviks par eux-mêmes, François Maspero, 1969, p. 284. []
  4. Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, éditions du Seuil, 1962, p. 473. []
  5. Lénine, Écrits sur l’art et la littérature, éditions du Progrès, Moscou, 1969, p. 309. []
  6. Lénine, op. cit., « Lettre à A.M. Gorki », 25-2-1908, p. 182. []
  7. Lénine, op. cit., p. 183. []
  8. Kendall E. Bailes, op. cit., p. 239. []
  9. Léon Trotsky, Littérature et Révolution, op. cit., p. 227. []
  10. Lénine, Écrits sur l’art, op. cit., p. 187. Dans une réponse à Trotsky qui évoquait les deux écoles de Capri et remarquait qu’il est contraire « à la réalité d’affirmer comme le fait Pout Pravdy, que le groupe Vperiod a amalgamé dès sa naissance des éléments antimarxistes hétérogènes qui se sont désagrégés parallèlement à l’essor du mouvement ouvrier […] », Lénine procède à un amalgame qui ignore l’évolution réelle du groupe et de ses membres. Voir aussi, tome 20, « A propos des « gens de Vperiod » et du groupe Vperiod », p. 516 et « A propos de Bogdanov », Pout Pravdy, n°21, 25-2-1914, tome 20 des O.C., p. 123. []
  11. Lénine, Écrits sur l’art, op. cit., p. 195. []
  12. Cité dans Leopold Labedz, Essays on the History of Marxist ideas, Library of International Studies, Georges Alkn, London, 1962, p. 122-123. L. Labedz résume le livre d’A. Bogdanov, Tektologiya useobshchaya organizatsionnaya nauka, Berlin-Petersbourg, 1922. []
  13. Roman Rolland, Le théâtre du peuple, essai d’esthétique d’un théâtre nouveau, Albin Michel, réédition 1926, p. VII. []
  14. Les bolcheviks par eux-mêmes, op. cit., p. 285. []
  15. Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, op. cit., p. 1032. []
  16. Le Théâtre d’Art de Moscou était prolongé par quatre studios d’essais dramatiques et d’un opéra : le Premier fondé en 1912 sera rendu célèbre par la mise en scène de Rosmersholm par Vakhtangov. Michel Tchékhov le dirigera à partir de 1922. Le Deuxième reviendra au Théâtre d’Art : au Troisième Vakhtangov montera Princesse Turandot de Gozzi (1922). Le Quatrième fondé en 1922 deviendra Théâtre réaliste en 1927 sans laisser grande trace de ses activités. []
  17. Nina Gourfinkel, Le Théâtre russe contemporain, La Renaissance du livre, Éditions Albert, Paris, 1931, p. 109. []
  18. Op. cit., p. 155. []
  19. Lénine, Écrits sur l’art …, etc. , op. cit. Témoignage de Lounatcharsky sur « Lénine et l’art », p. 270. []
  20. Cité dans Kendall E. Bailes, op. cit., p. 233 et 234. []
  21. Idem. []
  22. Lénine, Écrits sur l’art…, etc., p. 157 et 158. []
  23. Karl Marx, Friedrich Engels, L’idéologie allemande. Critique de la philosophie allemande la plus récente dans la personne de ses représentants Feuerbach, Bruno Bauer et Stirner et du socialisme allemand dans celle de ses différents prophètes, Éditions Sociales, Paris, 1968, p. 433 – 434. []
  24. Cité dans Victor Serge, Littérature et Révolution, Cahiers bleus, n° 10, 1er avril 1932, Librairie Valois, pp. 64–68. []
  25. Dans un télégramme du 8-4-1921, Lénine s’inquiète, par exemple, de l’absence de travail systématique, dans le domaine de l’enseignement, du commissariat au peuple à l’Instruction publique. Aucune priorité ne lui a été fixée. Lénine, Œuvres, Éditions Sociales, Paris, Éditions du progrès, Moscou, 1964, tome 35, p. 496. []
  26. Lénine, Écrits sur l’art, etc., p. 222. Ce télégramme est postérieur à celui concernant l’enseignement. []
Émile Copfermann