Je ne vais pas parler des problèmes concrets de la lutte de classe en Espagne, en France en Italie ou dans quelque autre pays du monde que ce soit. Car j’en suis incapable. Pour en parler il faut disposer de ce que Lénine appelait une analyse concrète de la situation concrète dans chacune de ces formations sociales, et de l’état de la lutte des classes à l’échelon international. Pour disposer des résultats de cette analyse concrète il faut que cette analyse concrète ait été faite. Or à ma connaissance, les partis communistes, qui disposent en principe de la théorie marxiste qui est une science (le matérialisme historique), ou les marxistes qui ne sont pas communistes, mais comme marxistes disposent de cette science, n’ont pas encore mené à bien le très long et très difficile travail de faire des analyses concrètes de la lutte de classe dans chaque pays. Nous disposons seulement de descriptions générales, qui ne sont pas fausses, mais qui sont insuffisantes. Or pour mener la lutte de classe dans toute sa justesse et toute sa force, il faut autre chose que des descriptions générales, des estimations générales, des jugements généraux. Il faut entrer dans le détail, dans tout le détail, c’est-à-dire dans le concret, dans le concret des rapports de la lutte de classe, non seulement de la classe ouvrière et des mouvements populaires, mais aussi et avant tout de la lutte de classe de l’impérialisme, dans tous les domaines, dans la base, dans la politique et dans l’idéologie. Car nous savons, par la science marxiste des formations sociales (le matérialisme historique) que la lutte de classe ne se limite pas à la lutte des classes économique, mais elle s’étend aussi à la lutte de classe politique, et elle embrasse aussi la lutte de classe idéologique.
Je ne vais donc pas parler des problèmes concrets de la lutte de classe du mouvement communiste international, de sa crise, de l’éventualité de la résolution de cette crise. Je vais parler d’autre chose : de la dictature du prolétariat.
On peut dire que cette question est à l’ordre du jour de tous les partis communistes du monde entier. Elle est à l’ordre du jour en Chine populaire, où le Parti communiste chinois met l’accent avec insistance sur la nécessité de comprendre, de respecter et d’appliquer la dictature du prolétariat. Elle est à l’ordre du jour en Union Soviétique depuis 1936, c’est-à-dire depuis que Staline a déclaré officiellement que la dictature du prolétariat était dépassée en URSS, c’est-à-dire n’était plus à l’ordre du jour en URSS. Mais en même temps que Staline constatait que la dictature du prolétariat était dépassée en URSS, le même Staline déclarait que la dictature du prolétariat était indispensable pour les autres partis communistes, car elle n’était pas encore dépassée pour eux, puisqu’ils n’avaient pas dépassé la lutte des classes, puisqu’ils n’avaient pas encore atteint, comme l’avait fait l’URSS, le socialisme. Je note en passant qu’en vertu de cette idée de Staline, que lorsqu’une formation sociale a atteint le socialisme, idée qui soutient tout son raisonnement sur la dictature du prolétariat, la dictature du prolétariat est dépassée pour ce pays, est une idée en contradiction complète avec les thèses de Marx et de Lénine, qui ont déclaré à maintes reprises que la dictature du prolétariat, loin de se trouver dépassée sous le socialisme, coïncidait au contraire avec toute la phase du socialisme.
J’en viens maintenant aux partis communistes du monde impérialiste. La dictature du prolétariat y est à l’ordre du jour, de manière paradoxale. Le Parti communiste français vient d’abandonner officiellement, dans son XXIIe congrès, la dictature du prolétariat, mais le même congrès a voté à l’unanimité une résolution qui repose toute entière, de A jusqu’à Z, sur la dictature du prolétariat, il est vrai sans jamais la nommer. Le Parti communiste italien qui a supprimé de ses statuts depuis la fin de la guerre, sous l’influence de Togliatti, la mention de la dictature du prolétariat, s’y intéresse, puisqu’il ne l’a jamais abandonnée officiellement, et puisque toute sa politique repose sur la théorie que Gramsci a développée autour de la notion d’hégémonie. Mais comme la notion d’hégémonie chez Gramsci est une notion ambiguë, en particulier comme Gramsci laisse entendre que l’hégémonie, qui est en principe le consensus qu’obtient une classe lorsqu’elle est parvenue à prendre le pouvoir d’État, peut exister avant la prise du pouvoir d’État, comme Gramsci laisse entendre, c’est du moins ce que disent certains de ses commentateurs qui se situent dans la ligne d’interprétation de Togliatti, que l’hégémonie antérieure à la prise du pouvoir d’État n’est pas seulement une hégémonie du prolétariat sur ses alliés (ce qui est la thèse de Lénine) mais une hégémonie sur toute la société, la dictature du prolétariat devient alors elle-même le moyen privilégié de la prise du pouvoir d’État, c’est-à-dire le moyen privilégié pour prendre et pour exercer le pouvoir d’État, donc pour assurer l’hégémonie du même prolétariat. On peut dire la même chose en disant que pour ces interprètes de Gramsci, qui sont très subtils, et plus subtils que Lénine lui-même qui n’a jamais envisagé cette possibilité, l’hégémonie du prolétariat présente cette caractéristique extraordinaire d’exister avant les conditions historiques, c’est-à-dire économiques, politiques et idéologiques de sa propre existence, c’est-à-dire avant la prise du pouvoir d’État. Ce qui constitue ce que les logiciens et le premier homme venu appellent un cercle vicieux. Or on ne peut demeurer indéfiniment devant un cercle vicieux. C’est pourtant ce que font les interprètes de Gramsci dont j’ai parlé. Mais comme ce sont des intellectuels, cela n’a pas beaucoup d’importance, sauf que cela peut paralyser certaines formes de la lutte des classes, d’abord chez les intellectuels communistes, marxistes, et chez les autres qui ne sont ni communistes ni marxistes, parce que cela obscurcit et trouble la théorie marxiste dans un de ses principes essentiels. Et cela peut naturellement avoir aussi des conséquences dans la ligne politique et dans la pratique politique du Parti communiste italien, où les intellectuels jouent un rôle très important. En tous les cas, si le cercle est fermé, la question reste ouverte, et elle sera réglée par les développements de la lutte des classes en Italie.
Le Parti communiste espagnol ne s’est pas, à ma connaissance, prononcé sur la question de la dictature du prolétariat, mais il est évident que ses sympathies théoriques et politiques vont aux positions du Parti communiste italien, qui exercent une grande influence en Espagne, surtout en Catalogne, beaucoup moins en Andalousie, pour ne parler que des régions d’Espagne que je connais directement.
Le Parti communiste portugais s’est très nettement prononcé, par la voix d’A. Cunhal, dans son Xe congrès tenu dans la clandestinité en 1974. A. Cunhal a dit en propres termes : nous devons supprimer de notre vocabulaire certaines expressions, en petit nombre. Nous devons le faire parce que, après 50 ans de fascisme, le peuple portugais ne peut tout simplement pas comprendre que le parti communiste, qui lutte pour la liberté, puisse les employer. Par exemple l’expression dictature du prolétariat. Et Cunhal a dit avec un grand calme et une grande force : mais que personne ne s’y trompe ; nous abandonnons seulement, uniquement, l’expression de dictature du prolétariat, nous n’abandonnons absolument rien du concept, qui est le concept clé de la théorie marxiste en matière de lutte de classe. En somme A. Cunhal disait, comme autrefois Machiavel : quand la situation politique oblige à abandonner des mots, il faut le faire, mais dans ce cas il ne faut jamais, jamais, jamais abandonner la chose, ou les principes ou les concepts. Car si on abandonne non pas en paroles mais en réalité, c’est-à-dire dans la pratique, les principes et les concepts, on perd la direction et l’orientation, ce que les marxistes appellent la ligne politique à suivre. Et quand on perd la ligne politique, c’est comme dans la navigation, on ne peut pas arriver au port, à destination.
J’ajoute que le paradoxe le plus surprenant est que toutes ces déclarations pour la dictature du prolétariat, ou pour son abandon ou pour l’abandon de son expression, et même les déclarations de Staline sur la nécessité d’abandonner la dictature du prolétariat parce que l’URSS l’aurait dépassé puisqu’elle serait rentrée dans le socialisme, peuvent aussi être considérées seulement comme des déclarations, c’est-à-dire des mots. Ce point est très important, car on n’arrête pas la lutte des classes en déclarant qu’elle est arrêtée ou dépassée.
De la même manière, on n’arrête pas les exigences objectives, donc scientifiques, qu’exprime le concept de dictature du prolétariat, en déclarant qu’on abandonne le concept de dictature du prolétariat, ou son expression, ou ce que certains appellent, pour se tirer de cette difficulté, la notion de dictature du prolétariat, ou même en déclarant, comme l’a fait Staline en 1936 et comme continue de le faire Brejnev maintenant, que la dictature du prolétariat est dépassée en URSS, puisqu’en URSS le socialisme existerait, et qu’en conséquence l’État soviétique serait un « État du peuple entier », ce qui est un non-sens du point de vue de la théorie marxiste. La théorie marxiste démontre en effet scientifiquement que l’État existe seulement dans des formations sociales où existent des classes, donc la lutte des classes, donc une classe dominante qui exerce sa dictature. En conséquence de quoi, théoriquement parlant, la notion d’un État qui serait « l’État du peuple entier » est un non-sens absolu. Et comme les aspects dominants de la formation sociale soviétique ne semblent pas, contrairement à ce que pensent les camarades chinois dont il faut examiner les arguments très sérieusement, mais malheureusement leurs arguments ne sont pas développés, comme les aspects dominants de la formation sociale soviétique ne semblent pas relever de la dictature de la bourgeoisie, mais ne semblent pas non plus relever visiblement de la dictature du prolétariat, nous sommes bien obligés de nous poser la question : quel est actuellement le rapport de production dominant en URSS, le rapport de production et les rapports sociaux, politiques et idéologiques correspondants ?
Si nous pouvions enfin proposer une réponse scientifique à cette question-clé, cette réponse pourrait contribuer, à son niveau bien entendu, à amorcer la solution à un des aspects les plus graves de la crise du mouvement communiste international, je veux dire à la division actuelle du mouvement communiste international, division qui fait la force principale de l’impérialisme. Je signale d’ailleurs que le mouvement communiste international est en train d’aborder lui-même directement cette question, grâce à l’initiative politique prise par les partis communistes occidentaux, dont le PCUS a dû reconnaître en partie le bien-fondé dans le communiqué final de la conférence de Berlin.
Tout ce que je viens d’exposer pose évidemment de nombreuses questions, qu’il faudrait pouvoir examiner en détail. Mais avant de venir à l’examen de ces questions, je vais tout simplement exposer la théorie marxiste de la dictature du prolétariat, telle qu’on la trouve dans Marx et dans Lénine. Je ne parlerai pas de Gramsci, parce que sa position est compliquée. Il n’a jamais, dans ses Quaderni [Cahiers], employé l’expression de dictature du prolétariat, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il était en prison et soumis à une censure impitoyable. On sait par exemple que c’est à cause de la censure que Gramsci, qui ne croyait pas du tout que la philosophie marxiste était une « philosophie de la praxis », ni que la science marxiste était une philosophie, employait l’expression de « philosophie de la praxis » pour désigner la pensée de Marx, la théorie de Marx, à la fois donc la science marxiste et la philosophie marxiste. Nous avons le droit de supposer que si Gramsci avait pu s’exprimer en toute liberté, il aurait employé l’expression de dictature du prolétariat, et non l’expression d’hégémonie pour désigner le concept de dictature du prolétariat et la réalité de la dictature du prolétariat. S’il avait pu s’exprimer ainsi en toute liberté, cela aurait levé bien des difficultés, et les interprètes italiens, espagnols, français et autres, qui essaient de comprendre la pensée de Gramsci et éprouvent des difficultés considérables à y parvenir, ne perdraient pas leur temps en interprétations inutiles, et le mouvement communiste international, qui est, à juste titre, très attaché à Gramsci, y gagnerait un immense avantage : celui de voir clair dans cette question, qui est politiquement décisive, et aussi l’avantage de ne plus commettre les erreurs politiques commises au nom de ces interprétations inexactes. Grâce à cela, on pourrait enfin mettre les mots en accord avec les choses, les déclarations officielles des partis communistes en accord avec la pratique réelle de la lutte des classes des masses populaires, car c’est là le drame, le paradoxe, et aussi le fondement de notre certitude de la victoire, les masses populaires, qu’elles soient ou non conscientes de la vérité scientifique de la dictature du prolétariat, qu’elles connaissent la dictature du prolétariat ou non, savent non avec des mots, ni même avec leur tête, mais dans et par leurs luttes concrètes ce qu’est la dictature du prolétariat, parce qu’elles savent ce qu’est la dictature de la bourgeoisie, la dictature de l’impérialisme. Il suffit qu’elles sachent cela, parce que la dictature du prolétariat est dans le principe, comme je vais le démontrer, la même chose que la dictature de la bourgeoisie, avec évidemment cette différence que dans la dictature du prolétariat c’est le prolétariat qui exerce la dictature, et non pas la bourgeoisie.
J’en viens maintenant à mon sujet, la dictature du prolétariat, et, pour commencer, je pose cette question simple : quel est le statut théorique de l’expression « dictature du prolétariat » ?
Et je réponds : cette expression possède le statut d’un concept scientifique, au sens fort, au sens le plus fort qui soit, au sens d’une vérité scientifique démontrée, prouvée et indéfiniment vérifiée dans la pratique. Et j’ajoute : ce concept scientifique appartient, comme concept scientifique, à la science fondée par Marx, non pas à ce qu’on appelle la philosophie marxiste, qui à mon avis n’existe pas, c’est-à-dire, je précise, n’existe pas sous la forme classique de ce que nous appelons – dans la division intellectuelle du travail bourgeoise – « la philosophie », donc non pas à ce qu’on appelle la philosophie marxiste, mais à la science que Marx a fondée, et qui est en général désignée par l’expression de « matérialisme historique ». Quel est l’objet de cette science (puisque à la différence de la philosophie qui n’a pas d’objet, toute science a un objet) ? L’objet de cette science, ce sont les lois de la lutte des classes. Ce n’est pas, comme le croyait Engels lui-même et comme le croient trop de marxistes, l’économie politique.
Karl Marx a démontré, je dis bien démontré, au sens le plus fort qui existe au monde d’une démonstration scientifique, que ce qu’on appelle économie politique, et ce qui existe sous ce nom dans les sociétés impérialistes et malheureusement aussi en Union soviétique et dans les pays socialistes, n’est pas une science, mais une formation théorique de l’idéologie bourgeoise, donc une formation théorique produite par la lutte de classe idéologique bourgeoise contre le prolétariat, une formation théorique de l’idéologie bourgeoise ayant naturellement, si nous sommes matérialistes, des conséquences pratiques dans la lutte des classes bourgeoise contre le prolétariat ; mieux, une formation théorique de l’idéologie bourgeoise produite pour produire ces effets de lutte de classe contre la lutte de classe du prolétariat.
Donc l’objet de la science fondée par Marx, ce sont et ce sont uniquement les lois de la lutte des classes dans les différentes formations sociales relevant de ce que Marx appelait les différents modes de production.
Si l’expression dictature du prolétariat est un concept scientifique, cela veut dire qu’elle fournit la connaissance vraie de la réalité qui porte le même nom. Dans toute science les choses sont ainsi : les mots désignent les choses elles-mêmes, ce qui est vrai seulement quand on est parvenu à la vérité scientifique. Mais la même chose est fausse quand on reste dans l’idéologie, qu’elle soit théorique ou pratique, par exemple politique. Un exemple de cette inadéquation : l’Union soviétique, où, malgré les déclarations des dirigeants soviétiques qui disent que la dictature du prolétariat est dépassée, nous ne savons pas exactement si la dictature du prolétariat est effectivement dépassée. Quand on se trompe sur la réalité, on se trompe de mots, et vice-versa. Cela nous le savons depuis que les sciences existent, c’est-à-dire, a précisé Spinoza, depuis qu’a commencé d’exister la première science au monde capable de fournir des démonstrations, et par là même de démontrer ipso facto qu’elle était une science, la mathématique.
Si l’expression dictature du prolétariat désigne un concept scientifique de la théorie scientifique fondée par Marx, et qui a pour objet les lois de la lutte des classes dans les sociétés de classe, il faut évidemment reconnaître que cette expression, qui désigne aussi, et en même temps, de droit, la réalité qu’elle désigne, puisqu’elle en fournit la connaissance, il faut reconnaître que cette expression peut, comme expression, jouer d’autres rôles subordonnés. Elle peut servir d’idée (c’est-à-dire d’idée qui peut être juste sans être explicitement l’objet d’une démonstration), elle peut servir aussi de notion et même d’idée fausse, c’est-à-dire d’erreur (quand en prononçant le mot on désigne autre chose que la réalité et sa connaissance) ; elle peut aussi servir de mot d’ordre dans l’action politique, etc.
Tous ces différents emplois sont secondaires par rapport au premier emploi, à l’emploi de l’expression de dictature du prolétariat comme concept scientifique. Et il est très important de bien comprendre, car elle veut dire deux choses, qui sont une seule et même chose :
1/ c’est à partir de l’emploi de l’expression comme concept scientifique qu’on peut comprendre les autres emplois de la même expression, y compris les emplois erronés, les emplois faux de la même expression, et
2/ l’inverse n’est pas vrai. Cette vérité, le même Spinoza l’a exprimée dans sa formule célèbre : verum index sui et falsi, ce qui veut dire : c’est seulement à partir d’un concept scientifique vrai, qu’on peut démontrer qu’il s’agit d’un concept scientifique et qu’il est vrai, et c’est seulement à partir de ce même concept scientifique vrai qu’on peut comprendre les faux emplois de la même expression, c’est-à-dire l’erreur, ou ce que Spinoza appelle le falsum, le faux.
Poursuivons. Si l’expression dictature du prolétariat est un concept scientifique de la théorie marxiste, désignant de manière adéquate comme dit Spinoza son objet, c’est-à-dire fournissant la connaissance objective de son objet, l’interprétation historiciste de la dictature du prolétariat, défendue par les dirigeants du Parti communiste français, est évidemment un non-sens. Un concept scientifique, une vérité objective ne peut être, comme l’a dit un dirigeant du Parti communiste français, dépassée « par la vie ». Pour tous les hommes qui ont vécu, depuis que les mathématiques ont fourni la démonstration que 2 +2 = 4, la vérité 2 + 2 = 4 ne peut jamais être dépassée, ne peut jamais être « dépassée par la vie ». Il en va de même du concept de dictature du prolétariat. Sa vérité est, comme disait Spinoza de toutes les vérités scientifiques, éternelle ; c’est-à-dire valable en tous temps et en tous lieux. Cela veut dire évidemment que cette vérité est toujours valable, même quand son objet n’existe pas, mais qu’elle est évidemment applicable uniquement quand son objet existe. La différence entre la validité universelle, indépendamment de l’existence actuelle de son objet, d’une vérité scientifique, et l’applicabilité pratique de cette même vérité, est une différence évidente, puisque la même vérité ne peut être appliquée à son objet, que si cet objet existe actuellement.
Cela veut dire très concrètement que la dictature du prolétariat est vraie pour nous, bien que la dictature du prolétariat, c’est-à-dire le socialisme, n’existe pas dans nos pays. Quand le prolétariat a déjà pris le pouvoir, la vérité de la dictature du prolétariat existe autrement, puisque son objet existe dans l’actualité, cette vérité est donc directement applicable, alors qu’aujourd’hui elle n’est applicable chez nous qu’indirectement, que stratégiquement.
De même, lorsque le communisme régnera sur le monde, la vérité de la dictature du prolétariat existera toujours, comme étant la vérité de ce qui s’est passé sous le socialisme, bien qu’elle n’ait plus l’occasion de s’appliquer à ce qui se passera sous le communisme, puisque les classes, la lutte des classes ayant disparu, la dictature du prolétariat sera devenue superflue.
Je devais donner ces précisions pour sortir enfin du bourbier de l’historicisme, qui est une des formes de l’idéologie philosophique bourgeoise les plus dangereuses qui soient pour le mouvement ouvrier international, car l’historicisme parvient à faire douter le mouvement ouvrier du caractère scientifique de la théorie scientifique de Marx. L’historicisme est sans doute aujourd’hui, avec le néopositivisme, la forme la plus dangereuse de la lutte de classe idéologique de la bourgeoisie pour le mouvement ouvrier. Il a d’ailleurs de profondes affinités avec le néopositivisme, car ce sont tous deux des formes d’empirisme, l’ennemi philosophique n° 1 de la lutte de classe du prolétariat. Cela peut se démontrer facilement, mais je ne peux pas le faire aujourd’hui.
Ici, on se pose inévitablement la question : n’y a-t-il pas un problème de vocabulaire ? Est-ce que le mot de dictature ne fait pas réellement difficulté ?
Bien sûr, il y a un problème de mots. Car tout concept doit s’exprimer, c’est-à-dire se fixer dans le langage, et donc s’identifier avec des mots définis, dans les deux sens du terme : se reconnaître en eux, et faire corps avec eux.
La contrainte objective absolue d’avoir à s’identifier avec des mots, et la relative indépendance du sens du concept à l’égard des mots qui l’expriment, font que, dans le principe, rien ne s’oppose à ce qu’on change les mots, s’il le faut, ou si on en trouve de meilleurs. On sait que Gramsci, par exemple, n’emploie pratiquement jamais l’expression « dictature du prolétariat » dans ses Cahiers de prison. C’était peut-être pour contourner la censure, comme on l’a vu plus haut. Mais le fait est : il se sert de plusieurs mots, mais sans abandonner le concept. Sont-ils meilleurs ? Peut-être : c’est à examiner de près.
On peut donc, dans le principe, changer les mots. Mais on a toujours besoin de mots, et la marge de liberté n’est, en fait, pas si grande : car il faut passer par les contraintes du langage établi, qui est toujours conservateur, puisqu’il enregistre les choses et les sens reconnus par l’idéologie dominante. Et quand on veut lui faire dire, en une formule brève et saisissante, comme ce fut le cas de Marx, quelque chose d’inouï, qui le dérange en fait dans ses habitudes, il faut bien lui faire violence.
Faire violence au langage : tous les poètes, les philosophes et les savants le savent, tous les militants révolutionnaires aussi.
Car enfin, si Marx a forgé, en 1852, après avoir appelé dans le Manifeste (1848) le prolétariat à s’ériger « en classe dominante », l’expression « dictature du prolétariat », c’était bien pour forcer à voir, sous l’énorme couche des « évidences » de l’idéologie bourgeoise, une réalité que personne avant lui n’avait découverte. Et par la force des choses, il n’y avait évidemment aucun nom dans le langage existant pour désigner cette réalité. Marx a fait comme tout le monde. Il a dû prendre les mots qu’il lui fallait, là où ils étaient. Il a pris un mot au langage de la politique : dictature. Il a pris un mot au langage du socialisme : prolétariat. Et il les a forcés à coexister dans une expression explosive (dictature du prolétariat) pour exprimer, dans un concept sans précédent, la nécessité d’une réalité sans précédent.
C’est donc parfaitement exact : en accouplant le mot de prolétariat au mot de dictature, Marx a fait, nous devons le reconnaître, violence au mot de dictature. Il l’a détourné de son sens : mais pour se servir de son sens.
Car si, dans la tradition classique, et donc dans le langage existant, le mot de dictature désignait bien un pouvoir absolu, il s’agissait uniquement alors du pouvoir politique, c’est-à-dire du pouvoir de gouverner, qu’il fût détenu par un homme (Rome) ou par une assemblée (la Convention), d’ailleurs sous des formes légales dans les deux cas. Mais personne avant Marx n’avait imaginé qu’on pût parler de la dictature d’une classe sociale, car cette expression n’avait aucun sens dans le cadre de référence obligé des institutions politiques. Or c’est justement ce que fait Marx : il arrache le mot de dictature à son domaine du pouvoir politique, pour le forcer à exprimer une réalité radicalement différente de toute forme de pouvoir politique : cette espèce de pouvoir absolu, sans nom avant lui, qu’exerce nécessairement toute classe dominante (féodalité, bourgeoisie, prolétariat), non pas dans la seule politique, mais bien au-delà, dans la lutte des classes qui embrasse l’ensemble de la vie sociale, de la base à la superstructure, de l’exploitation à l’idéologie en passant, mais seulement en passant, par la politique.
Essayez de faire mieux en deux mots, et vous verrez : ce n’est pas si facile ! Parler de domination de classe (comme fait Le Manifeste) ou d’hégémonie de classe (comme fait Gramsci), peuvent être ou paraître des expressions ou trop faibles ou trop savantes. Il fallait un mot familier assez fort, et qui frappe, pour faire non seulement comprendre mais sentir la force inouïe de ce rapport de « pouvoir absolu » de classe. Il fallait un mot qui donne l’idée d’un « pouvoir absolu » au-dessus de toute loi : dictature.
Mais en même temps, il fallait un mot exceptionnel pour désigner ce pouvoir d’exception : un pouvoir qui est « absolu » justement parce qu’il est au-dessus des lois, traduisez plus élevé, vaste et profond que le seul pouvoir politique. Or, comme dictature contenait l’idée d’un pouvoir absolu au-dessus des lois, Marx s’est emparé de ce sens pour le forcer à dire, en accouplant dictature à prolétariat, tout autre chose : dans la lutte des classes, le pouvoir de la classe dominante est au-dessus des lois, c’est-à-dire bien au-dessus et au-delà de la politique.
Lénine écrit :
La dictature, c’est un grand mot rude, sanglant, un mot qui exprime la lutte sans merci, la lutte à mort de deux classes, de deux mondes, de deux époques de l’histoire universelle. On ne jette pas de tels mots en l’air.
C’est ainsi que le concept de dictature du prolétariat, vêtu de ces deux seuls mots, est entré presque nu dans la théorie et l’histoire, comme une violence faite au langage, comme une violence de langage pour dire la violence de la domination de classe.
Est-ce à dire alors que le concept de dictature du prolétariat repose sur l’idée que la domination de classe est à sa manière un pouvoir absolu qui ne se réduit pas aux formes du pouvoir politique ?
Pour le moment, je répondrai : oui.
Mais cela veut aussitôt dire que le concept de dictature du prolétariat ne peut se comprendre seul. Et de fait, il renvoie toujours à un autre concept : le concept de dictature de la bourgeoisie. Les deux concepts sont identiques. Ce qui change, c’est la classe qui domine. Mais ce qui ne change pas, c’est l’alternative : ou une classe, ou l’autre, ou la bourgeoisie, ou le prolétariat. Mais pour comprendre cette alternative, il faut ajouter : c’est le concept de dictature de la bourgeoisie qui détient le « secret » du concept de dictature du prolétariat.
Tout le monde connaît les paradoxes célèbres de Marx, Engels et Lénine sur la dictature de la bourgeoisie. Lorsqu’à cent reprises Lénine affirme que la démocratie parlementaire bourgeoise la plus « libre » est la forme par excellence de la dictature de la bourgeoisie (je ne discute pas ici de l’idée contestable qu’il puisse exister une forme « par excellence ») que fait-il ? Il met en évidence cette distinction fondamentale : les formes politiques par lesquelles s’exerce la dictature d’une classe dans la lutte des classes sont une chose, et autre chose est cette même dictature de classe. Et Lénine ajoute : la dictature d’une classe s’exerce bien aussi dans et par des formes politiques, mais elle ne s’y réduit pas. Ce qui, rassemblé, signifie : on ne peut comprendre le sens et la fonction des formes politiques (variables selon le cours de la lutte des classes) de la dictature d’une classe sans les rapporter à la dictature de cette classe dans la lutte des classes, et aux rapports de force dans cette même lutte de classe.
Cette distinction entre dictature de classe et formes politiques qui contribuent à réaliser cette dictature vaut pour le prolétariat comme pour la bourgeoisie. Et c’est pourquoi, mettant cette fois le même paradoxe au service de la dictature du prolétariat, Lénine peut soutenir l’idée que la forme politique (et sociale, nous verrons pourquoi) par excellence de la dictature du prolétariat est « la démocratie des plus larges masses », « mille fois plus libre » que la plus libre des démocraties bourgeoises.
Si on ne tient pas fermement en main cette distinction entre la dictature de la classe dominante dans la lutte des classes, et les formes politiques dans lesquelles et par lesquelles cette dictature s’exerce aussi, on ne peut comprendre « la nécessité » de la dictature du prolétariat (Marx).
Cette distinction repose sur une grande idée, fondamentale dans la théorie marxiste. Pour Marx en effet, les rapports de lutte de classe, (même) sanctionnés et réglés par le droit et les lois au profit de la classe dominante, ne sont pas, en dernière instance, des rapports juridiques, mais des rapports de lutte, c’est-à-dire des rapports de force, bref des rapports de violence déclarée ou non. Cela ne veut pas dire que pour Marx le droit et les lois soient d’essence « juridique » pure, donc sans violence, mais cela veut dire : c’est parce que les rapports de classe sont, en dernière instance, des rapports extra-juridiques (ayant une toute autre force que le droit et les lois), donc des rapports « au-dessus des lois », parce qu’ils sont, en dernière instance, des rapports de force et de violence déclarée ou non, que la domination d’une classe dans la lutte des classes doit être « nécessairement » pensée comme « pouvoir au-dessus des lois » : dictature.
S’il y a quelques minutes, j’ai paru faire une réserve en disant « pour le moment », c’était pour signaler qu’il fallait aller plus loin. Mais nous y sommes.
Car il ne suffit pas de donner une définition seulement négative et de dire : le pouvoir de domination de classe est, en dernière instance, « extra-juridique », c’est-à-dire « non-juridique ». Il faut dire positivement quel est ce pouvoir absolu, et il faut montrer ce que désigne la « dernière instance ».
Or, on ne peut répondre à ces questions sans prendre réellement en compte la théorie marxiste de la lutte des classes, telle qu’elle ressort de l’analyse du mode de production capitaliste, Le Capital.
Mais attention : il ne faut pas tomber dans les pièges de nos adversaires actuels, et croire, comme ils le prétendent, que la théorie de la lutte des classes aurait commencé avec Marx, et appartiendrait en propre au marxisme, comme sa découverte ou son invention. La théorie de la lutte des classes a d’abord été une théorie bourgeoise et elle continue. Ce n’est pas Marx qui a découvert « l’existence des classes et de leur lutte ». Il le dit lui-même : « Ce n’est pas moi, ce sont des historiens et économistes bourgeois » et Marx ajoute : « Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est […] l’idée que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat » (lettre à Weydemeyer, 1852). Nous sommes donc au point le plus brûlant où, ce qui distingue la théorie bourgeoise de la lutte des classes de la théorie marxiste de la lutte des classes, c’est… la dictature du prolétariat : au point ou la théorie marxiste de la lutte des classes et le concept de dictature du prolétariat sont liés comme les lèvres et les dents.
Sous cet avertissement étonnant, nous pouvons entrer dans ce qui est la théorie bourgeoise de la lutte des classes pour l’opposer à ce qui est réellement la théorie marxiste de la lutte des classes.
On peut dire que les théoriciens bourgeois pensent dans une conception qui distingue les classes d’un côté, et la lutte des classes de l’autre, et le plus souvent dans une conception qui pose le primat logique ou historique des classes sur la lutte des classes. Qu’il y ait des classes, et même s’ils les appellent autrement, les théoriciens bourgeois le reconnaissent. Comme ils les pensent séparées de la lutte des classes, ils tombent dans une conception économique, ou sociologique, ou psycho-sociologique des classes : rien d’étonnant, l’économie politique, la sociologie, la psycho-sociologie ont été forgées pour servir théoriquement et pratiquement cette conception bourgeoise de la lutte des classes par l’idéologie bourgeoise, on peut le prouver historiquement et théoriquement. De toute façon, ils pensent d’abord l’existence des classes, et la lutte des classes vient ensuite, comme un effet second, dérivé, plus ou moins contingent de l’existence des classes, et de leurs rapports. Comment pensent-ils alors la lutte des classes ? En termes de sociologie, de psycho-sociologie, de politique, et d’idéologie : l’idéologie bourgeoise leur fournit tout ce qu’il faut pour ça.
Mais ce qui est intéressant, ce sont les conséquences politiques de cette conception. Si la lutte des classes est un effet dérivé, plus ou moins contingent, on peut toujours trouver le moyen d’en venir à bout, en la traitant par des moyens appropriés : ces moyens sont les formes historiques de la collaboration de classe, où le réformisme du mouvement ouvrier se combine avec les méthodes capitalistes de la « participation » ouvrière à sa propre exploitation.
Marx pense dans une toute autre conception. Contrairement aux théoriciens bourgeois qui posent une différence entre les classes et la lutte des classes, et posent en général le primat des classes sur la lutte des classes, Marx pose l’identité de la lutte des classes et, à l’intérieur de cette identité, le primat de la lutte des classes sur les classes. Je m’excuse d’employer cette formule, qui est abstraite et semble difficile à comprendre. Elle signifie que la lutte des classes, loin d’être un effet dérivé et plus ou moins contingent de l’existence des classes, fait un avec ce qui divise les classes en classes, et reproduit la division en classes dans la lutte des classes. Philosophiquement parlant cela se dit : selon les différentes périodes historiques, primat de la contradiction sur les contraires, ou identité de la contradiction et des contraires.
Pour voir concrètement s’opérer cette division en classes sous l’effet de la lutte des classes, pour voir concrètement en quoi l’existence des classes est identique à la lutte des classes, il suffit d’analyser ce qui se passe dans la base économique, « déterminante en dernière instance », et d’examiner justement le rapport de lutte de classe qui divise les classes en classes : le rapport de production capitaliste.
Or, que voit-on dans ce rapport ? À condition de le considérer en lui-même et dans ses présuppositions qui sont aussi ses effets (l’ensemble des rapports sociaux qui, tout en le conditionnant, dépendent de lui), on voit ceci. Formellement, le rapport de production capitaliste se présente comme un rapport juridique : d’achat et de vente de la force de travail. Pourtant ce rapport ne se réduit ni à un rapport juridique, ni même à un rapport politique, ni non plus à un rapport idéologique. La détention des moyens de production par la classe capitaliste (qui se tient derrière chaque capitaliste individuel) a beau être sanctionnée et réglée par les rapports juridiques (dont l’application suppose l’État) : elle n’est pas un rapport juridique, mais un rapport de force ininterrompu, depuis la violence ouverte de la dépossession dans la période de l’accumulation primitive, jusqu’à l’extorsion contemporaine de la plus-value. La vente de la force de travail de la classe ouvrière (qui se tient derrière chaque travailleur productif) a beau être sanctionnée par des rapports juridiques : elle est un rapport de force ininterrompu, une violence faite aux dépossédés, qu’ils passent de l’armée de réserve au travail ou inversement.
Au cœur du rapport de production capitaliste, qui divise les classes en classes, et reproduit cette division par le double procès d’accumulation et de prolétarisation, on trouve donc, en dernière instance (c’est-à-dire ancrée dans cette « dernière instance » qu’est la production), la violence de classe, cette violence « hors la loi » qu’exerce la classe capitaliste sur la classe ouvrière.
La dictature de la bourgeoisie est dictature parce qu’elle n’est rien d’autre, en dernière instance, que cette violence plus forte que les lois. En dernière instance, mais en dernière instance seulement, car cette violence ne peut s’exercer sans les formes du droit qui la sanctionnent et la règlent, sans les formes politiques qui sanctionnent et règlent la détention du pouvoir d’État par la classe dominante en vue de la sanction du droit, et sans les formes idéologiques qui imposent l’assujettissement au rapport de production, au droit et aux lois de la classe dominante. Si la guerre, entendue au sens de la guerre que se livrent deux États par leurs armées, est bien, selon Clausewitz, « la politique continuée par d’autres moyens », alors il faut dire que la politique est la guerre (de classe) continuée par d’autres moyens : le droit, les lois politiques et les normes idéologiques. Mais sans cette guerre, sans cette violence, sans la violence de l’exploitation de classe, on ne peut comprendre ni le droit ni les lois, ni l’idéologie.
Le rapport de classe est donc un rapport de lutte, de force « antérieur à tout droit », et c’est nécessairement un rapport antagoniste. C’est ce rapport inconciliable qui réalise le primat de la lutte des classes sur les classes.
C’est cette « loi », non juridique, non politique, de la lutte des classes qui « conduit nécessairement » (Marx) non seulement à la dictature de la classe dominante, mais aussi à l’alternative : ou dictature de la bourgeoisie, ou dictature du prolétariat.
On imagine sans peine que cette conception n’ait rien à voir avec « l’économie politique », la sociologie ou la psychologie, ces formations de l’idéologie bourgeoise dont le marxisme n’a que faire puisque ce sont les armes mêmes de la lutte de classe bourgeoise dans l’idéologie de la « société ». Mais on voit sans peine que cette conception dessine une tout autre politique que la conception bourgeoise et social-démocrate. Si la lutte des classes n’est pas un effet dérivé et plus ou moins contingent de l’existence des classes, la collaboration de classe et le réformisme deviennent ce qu’ils sont : des armes de la bourgeoisie dans sa lutte de classe. En revanche, les organisations de la lutte de classe ouvrière doivent se saisir de la loi naturelle et scientifique qui régit la lutte de classe, et tirer dans la théorie et la pratique les conséquences de son alternative : ou la dictature de la bourgeoisie (quelles qu’en soient les formes politiques), ou la dictature du prolétariat (quelles qu’en soient les formes politiques ? Nous verrons.) C’est l’objectif qu’assignait Le Manifeste au prolétariat : « Se constituer en classe dominante ». Mais peut-on en rester là ? La question de l’État…
Bien sûr, on ne peut en rester là. Mais il fallait commencer par là pour bien voir comment tout se tient.
Ici, il faut un peu d’attention, car la question de l’État est compliquée, et la théorie marxiste n’est pas toujours bien comprise.
Une fois admise l’existence de la lutte des classes, et la domination (dictature) de classe, il reste en effet à comprendre : pourquoi l’État ?
La théorie marxiste s’oppose, ici aussi, à la théorie bourgeoise de l’État. L’État n’est pas une réalité extérieure à la lutte des classes, supérieure à la lutte des classes, une réalité à « vocation » supérieure aux classes, universaliste ou « spirituelle », un arbitre s’identifiant même partiellement à ce qu’on désigne comme étant « l’intérêt général » ou « public ». L’État ne se comprend qu’en fonction de la lutte des classes et de la domination de classe. Instrument de la domination de classe au service de la classe dominante, l’État ne sert pas seulement à des interventions ponctuelles (violentes ou non), mais surtout à la reproduction des conditions générales (juridiques, économiques, politiques et idéologiques) du rapport de production, des rapports de classe existants au profit de la classe dominante.
Quand on tient fermement en main cette conception, on découvre naturellement trois questions : la question de la nature propre de l’État, la question de la détention du pouvoir d’État, et la question de la destruction de l’appareil d’État.
Il ne suffit pas en effet de répéter pieusement les formules : l’État est l’instrument de la domination de classe dans la lutte de classe, etc. ; il faut encore savoir de quoi est fait cet « instrument », qui n’en est pas un, et comment il fonctionne en se moquant du « fonctionnalisme ». Or, Marx et Lénine ont toujours répondu avec une extrême insistance, par deux mots nouveaux (une fois encore : les mots nouveaux !) : l’État est un « appareil », l’État est une « machine ». Mais comme ils disaient aussi (et avec raison) que cet appareil était avant tout un appareil de répression, et cette machine une machine à réprimer, on n’a retenu de ces mots (appareil, machine) que l’idée d’un instrument, d’une mécanique répressifs, renvoyant à la domination de classe par la violence, etc. En fait on est tranquillement passé à côté de ces mots : appareil, machine. Or, ils ont un sens très exigeant. Car ils ont un sens en commun, mais pas celui qu’on croyait. Il se trouve en effet que ce qu’appareil et machine ont en commun, c’est de signifier « un assemblage mécanique ou organique opérant des transformations (de matière, de forme, de mouvement, d’énergie, etc.) » Il faut de toute évidence prendre « appareil » et « machine » à la lettre et dire : l’État est un assemblage de mécanismes qui opère des transformations, par excellence une transformation. Laquelle ?
Tout comme la machine à vapeur opère la transformation de la chaleur en mouvement, je dirai l’État est cette machine qui transforme la violence en pouvoir, plus précisément cette machine qui transforme les rapports de force de la lutte des classes en rapports juridiques réglés en lois. Montesquieu ne disait pas autre chose quand il parlait de la division ou séparation des pouvoirs. Qu’est-ce qui transforme la violence de classe en pouvoirs, sinon la machine d’État et les sépare comme il convient pour que la dictature de classe soit assurée dans les meilleures conditions ? – sinon la machine d’État ? C’est le sujet même, quoique aveugle, de L’Esprit des Lois.
Je propose donc de prendre en compte cette idée forte de machine, et de dire : l’État est cette machine qui opère la transformation de la force en pouvoir, de la lutte des classes en rapports juridiques (droit, lois, normes). Je propose de dire : l’État est une machine à pouvoir, et qui, par ce pouvoir-là, sa propre force, transforme « le pouvoir absolu au-dessus des lois » en pouvoir des lois.
L’avantage de cette formule est de faire voir que les lois (tout ce qui est loi, pas seulement les lois politiques, mais toute « prescription » écrite ou non, « émanant de l’autorité souveraine », et quel qu’en soit le domaine juridique, politique, idéologique) ne sont que des rapports de force, s’exerçant sous la forme du droit c’est-à-dire sous la forme de la règle et que la fameuse pureté du droit (qu’il soit marchand ou politique, privé ou public) et des normes (idéologiques, religieuses, morales ou philosophiques) n’est que la forme transformée de la violence des lois, ce qui éclaire la violence qui règne dans les lois, et cette violence particulière qui accompagne le règne consenti des normes c’est-à-dire des « valeurs » déguisées en « idées » : l’idéologie.
L’intérêt de cette formule et de faire voir que pour transformer la violence de classe en lois, l’État a besoin, comme la première machine venue, d’une structure et d’une force déterminées, qui soient à lui et forment son corps, très précisément d’une structure telle qu’elle soit capable, par sa propre force, de condenser la violence de classe en force d’État, pour servir à sa transformation en lois. Cette structure est ce qu’on appelle couramment, d’un mot équivoque (car il peut faire croire que l’État existerait avant son appareil), l’appareil d’État. Mais je laisse ce point important.
L’avantage de cette formule qui définit l’État est enfin de montrer la dépendance intime existant entre l’État et la classe dominante.
Cette dépendance, la théorie marxiste la traduit dans deux concepts décisifs qui concernent la dictature du prolétariat : le caractère de classe inconciliable du pouvoir d’État, et le caractère de classe de l’appareil d’État.
Comme l’État possède, en tant qu’appareil et machine, une structure et une force propres, on pourrait en effet penser que, même produit et moyen de lutte des classes, l’inertie de la force propre de l’État (en tant qu’appareil et machine) le neutralise réellement ou virtuellement. Et le pouvoir d’État pourrait alors être détenu, comme tout instrument neutre et indifférent à son détenteur, soit par une classe, soit par une autre, soit par une alliance de classes se partageant le pouvoir. Mais c’est oublier que la dépendance du pouvoir d’État à l’égard de la lutte des classes n’ouvre en définitive qu’une alternative et une seule : seule une classe peut détenir le pouvoir d’État, ou la bourgeoisie, ou le prolétariat. La nature de classe (de la détention) du pouvoir d’État est en effet une proposition essentielle de la théorie marxiste. Cette idée n’exclut nullement la nécessité d’une alliance de classe pour la conquête du pouvoir d’État, ni la possibilité de la participation, à égalité de « droits » avec la classe ouvrière, de plusieurs couches sociales, à l’exercice du pouvoir d’État après la révolution. Elle indique seulement, mais sans appel, que les rapports de force dans la lutte des classes font toujours, quelle que soit l’alliance ou la participation, pencher le pouvoir d’État du côté d’une classe et d’une seule : la classe effectivement dominante.
Il en va de même de ce qu’on appelle l’appareil d’État. Là aussi, on pourrait penser que, même produit et moyen de la luttes des classes, l’inertie de la force propre de l’appareil d’État le neutralise réellement ou virtuellement, et qu’il suffirait à la nouvelle classe dominante de donner ses ordres à l’ancien appareil pour en être obéi, et asseoir ainsi sa domination de classe. Mais c’est oublier que l’appareil d’État ressemble à un chien, qui n’obéit qu’à son maître, c’est oublier (abandonnons le chien) la dépendance de l’appareil d’État à l’égard des formes de la lutte des classes. Car aucune classe ne choisit les formes de sa lutte de classe, donc les formes juridico-politico-idéologiques de sa domination de classe, donc la structure de son appareil d’État lui sont imposées par les formes de son exploitation économique et de l’oppression politique et idéologique qui en dépend.
C’est pourquoi, lorsqu’elle est devenue dominante en ayant conquis le pouvoir d’État, la nouvelle classe dominante est, qu’elle le veuille ou non, contrainte de transformer l’appareil d’État dont elle hérite, pour l’adapter à ses propres formes d’exploitation et d’oppression. Cette transformation peut être plus ou moins profonde et plus ou moins rapide : elle est de toutes façons inévitable. Pour ne prendre que cet exemple, la bourgeoisie ne pouvait pas s’imposer comme classe dominante sans transformer profondément et durablement l’appareil d’État hérité de la féodalité. Et si cette transformation demande du temps, il faut prendre ce temps au sens fort : c’est le temps nécessaire à la nouvelle classe dominante pour transformer par une lutte de classe adaptée à son exploitation l’appareil de classe de l’ancienne classe dominante.
Et comme cette lutte de classe-là n’est qu’une partie de la lutte de classe d’ensemble, et comme cette lutte de classe d’ensemble dure et change, il ne faut pas s’étonner que la configuration de l’appareil d’État change : l’appareil d’Etat impérialiste de 1976 en France n’est plus, comme chacun le voit bien, l’appareil d’État capitaliste de 1880.
Mais nous voilà du coup en plein dans les problèmes politiques concrets liés à la dictature du prolétariat : prise du pouvoir d’État, destruction de l’appareil d’État, formes politiques de la dictature du prolétariat, extinction de l’État…
Essayons donc de voir un peu clair dans ces questions très actuelles et très controversées, en nous plaçant toujours du point de vue auquel Marx nous appelle, c’est-à-dire du point de vue de la fusion du mouvement ouvrier et de la théorie marxiste, c’est-à-dire du point de vue de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire tout simplement du point de vue de la théorie marxiste, telle qu’elle éclaire le concept de dictature du prolétariat, et telle que le concept de dictature du prolétariat éclaire la théorie marxiste.
D’abord, la question de la prise du pouvoir d’État par le prolétariat. Il est incontestable que, dans la tradition historique et politique dont les militants communistes vivants ont hérité, le concept de dictature du prolétariat est à 100% identifié aujourd’hui avec la prise violente du pouvoir d’État. C’est un fait, dont il faudrait toute une étude historique et politique pour éclairer les raisons. Je ne puis examiner ici les causes de cette identification. Mais il est déjà clair que, du point de vue théorique, cette identification ne correspond à aucune nécessité théorique, ni non plus à aucune nécessité historique générale, à moins de tomber dans un fatalisme historique incapable de s’élever au-dessus de la brutalité du « fait accompli ».
En réalité, pris en lui-même, c’est-à-dire dans le contexte de la théorie marxiste, le concept de dictature du prolétariat ne permet de déterminer aucune des formes concrètes de la prise du pouvoir d’État. Cela ne veut pas dire du tout qu’il leur soit indifférent, mais cela veut dire : on ne peut pas déduire du concept de la dictature du prolétariat les formes concrètes historiques, de la prise du pouvoir d’État, dans tel pays, en tel moment. Je rappelle que le concept de dictature du prolétariat désigne « le pouvoir absolu au-dessus des lois », le pouvoir de classe, dans la lutte des classes, de la classe ouvrière parvenue au pouvoir. Dans ces conditions, ce concept ne détermine en rien, a priori, la forme politique (violente ou pacifique, légale ou non, donc violente-légale, violente-illégale, pacifique-légale, pacifique-illégale) de la crise du pouvoir d’État. Marx et Lénine en étaient bien conscients, puisque, tout en reconnaissant que le « passage pacifique » (donc démocratique-bourgeois) de la classe ouvrière au pouvoir était « exceptionnel » et cela bien que, de leur temps, la situation historique imposât pratiquement le passage insurrectionnel, ils en en reconnaissaient pourtant la « possibilité ». Et qu’on n’objecte pas que les raisons qu’ils retenaient en faveur de cette possibilité (la faiblesse de l’appareil d’État en Angleterre ou aux USA) ont disparu avec les circonstances. Ce que les circonstances ont fait, d’autres circonstances peuvent le refaire. Et comme il s’agissait en définitive d’une possibilité qui, dans l’esprit de Marx et Lénine ne reposait que sur l’estimation d’un rapport de forces, pourquoi d’autres circonstances ne pourraient-elles pas conduire à la même conclusion ? L’essentiel est évidemment de ne pas se tromper alors sur l’estimation du rapport de forces.
On peut donc conclure en toute certitude, et donc clairement affirmer que le concept de la dictature du prolétariat n’a aucune compétence théorique pour décider entre le passage violent ou le passage pacifique au « socialisme ». Ce qui seul peut décider de ce choix historique c’est le rapport de force existant dans la lutte des classes actuelle.
La question de la destruction de l’appareil d’État, corrélative de la construction d’un nouvel appareil d’État est d’apparence plus difficile. Car enfin, pourquoi le prolétariat, devenu classe dominante par la prise du pouvoir d’État, n’imiterait-il pas les autres classes dominantes ? Pourquoi ne se contenterait-il pas, lui aussi, de transformer par sa lutte des classes, l’appareil d’État dont il hérite, quitte à passer lui aussi par différentes configurations de l’appareil d’État ? Et c’est d’ailleurs ce que paraît dire Lénine quand il affirme la possibilité de l’existence de ces « différentes formes politiques » sous la dictature du prolétariat. Mais pourquoi faut-il absolument, selon un mot de Marx et de Lénine, qui lui aussi, fait au langage une sorte de violence, « briser » ou « détruire » l’appareil d’État bourgeois ?
De bons observateurs, qui savent depuis Engels et les mitrailleuses que le temps des barricades est fini, viennent nous rappeler que l’appareil d’État bourgeois comprend « des troupes d’hommes en armes », d’une puissance désormais démesurée à toute insurrection populaire, et qu’il représente un danger mortel pour toute tentative des masses révolutionnaires (voyez le Chili). Mais ces prophètes, qui parlent toujours des armes des autres, sont des prophètes qui désarment. Car, pour peu qu’on sache que ce sont les rapports de classe qui sont en dernière instance déterminants, qui interdit donc de comparer des forces de classes à celles des forces armées ? Et qui interdit de répondre justement, si c’est une question de rapport de force, et si, dans telle circonstance, dans tel pays, à telle époque définis, le rapport des forces de classe est très favorable, si l’alliance de classe populaire est très puissante, et si en même temps (et pour les mêmes raisons) l’appareil d’État bourgeois est profondément ébranlé et divisé, voire, en certaines de ses branches au moins, en partie clairement ou confusément gagné à la cause populaire, – alors pourquoi pas ?
On dira que si je parle ainsi des forces armées, pour leur comparer les forces de classe, j’ai l’air de parler d’insurrection et de guerre civile, donc de la prise du pouvoir d’État, et non pas de la destruction de l’appareil d’État. Mais qu’on ne s’y trompe pas. C’est une seule et même question, car on ne heurte en dernier ressort aux mêmes armes, qu’on veuille prendre le pouvoir d’État ou détruire l’appareil d’État. À cette même question, je réponds donc par la même interrogation : si toutes les conditions de force requises sont remplies, alors pourquoi pas ?
Pourtant Marx et Lénine insistent bel et bien : « briser », « détruire » l’appareil d’État. Et nous avons appris à prendre leur insistance au sérieux. Voudraient-ils dire, comme les anarchistes qu’il faut « faire table rase de l’État » ? Non, puisqu’il s’agit de le remplacer par un autre État, singulier État, « État qui soit un non-État », ou encore « Commune », ou encore demi-État. Ce nouvel État c’est l’État de la dictature du prolétariat en personne. De toute évidence, pour que ce singulier État soit l’État de la dictature du prolétariat, il faut faire plus que transformer l’ancien État bourgeois, il faut « briser » et « détruire » quelque chose dans l’État bourgeois : justement ce qui en fait l’État de la dictature de la bourgeoisie. Mais quoi ?
On ne peut répondre à cette première question : la destruction de l’appareil d’État bourgeois, qu’en posant la seconde question : le dépérissement de l’État. Ce qui veut dire, concrètement, que la question de la destruction de l’appareil d’État bourgeois ne se comprend qu’à partir du dépérissement de l’État, c’est-à-dire sur les positions du communisme. Cette condition est absolue.
Devenue dominante par la prise du pouvoir d’État, la classe ouvrière ne se trouve pas dans le même état que les anciennes classes dominantes. Toutes les anciennes classes dominantes étaient des classes exploiteuses : elles avaient (pensez à la bourgeoisie) fait leur nid dans l’ancienne société, jeté les bases matérielles et sociales d’un nouveau mode de production, elles s’étaient introduites dans l’appareil d’État. Elles n’avaient pas en tête de tout « détruire » mais simplement de remplacer une forme d’exploitation par une autre. Cela faisait peur ? On pouvait s’entendre. Donnant, donnant : l’appareil d’État de l’ancienne classe dominante pouvait reprendre du service, il suffisait de le transformer sur mesures, pour l’adapter à la nouvelle forme d’exploitation. Il ne demandait que ça : reprendre du service.
La classe ouvrière est une tout autre classe, et d’une toute autre trempe. C’est une classe exploitée, qui n’exploite aucune classe. C’est la première classe dans l’histoire qui vienne au pouvoir sans imposer un mode d’exploitation déjà installé dans l’ancienne société, et sans la complicité objective qui existe toujours entre les classes exploiteuses. La classe ouvrière ne cache pas ses objectifs : la fin de l’exploitation, la société sans classes, le communisme. Et voilà plus de 130 ans qu’elle le proclame, qu’elle s’est forgée des organisations de lutte de classe, qu’elle a fourni la preuve de sa résolution par ses sacrifices. Elle lutte à visage découvert pour le communisme. Elle fait autrement peur que la bourgeoisie autrefois : avec elle, ce n’est plus donnant, donnant. Elle appelle à l’union populaire : mais il faut dire oui à l’union populaire, et que le oui soit un oui. L’appareil d’État bourgeois demanderait-il par une miraculeuse illumination à reprendre du service ? La classe ouvrière, c’est bien le moins, demande à voir.
Car, quand on pense à la fonction policière, militaire, économique, politique et idéologique de l’État ; quand on pense non seulement à l’État visible (les institutions politiques, la police, l’armée, les tribunaux etc.) mais encore à l’État invisible, à tous les liens infiniment subtils mais fermes de l’idéologie bourgeoise dispensée par les appareils idéologiques d’État ; quand on pense qu’il faut non seulement maîtriser cet appareil d’État, mais le transformer pour aller vers le communisme, alors le mot « transformer » devient faible, et le mot « briser » commence à parler. Je dis simplement ceci : entre le monde de la bourgeoisie et le monde du communisme, il y a quelque part une rupture ; entre l’idéologie bourgeoise, qui domine, structure et inspire tout l’appareil d’État, ses différents appareils (répressifs et idéologiques : dont le système politique, le système syndical, le système scolaire, l’information, la « culture », la famille, etc.), leur dispositif, leur division du travail, leurs pratiques, etc., et l’idéologie du communisme il y a quelque part une rupture. « Briser » l’appareil d’État bourgeois c’est trouver chaque fois, pour chaque appareil, ou même chaque branche d’un appareil, la forme juste de cette rupture, et la réaliser concrètement dans l’appareil bourgeois lui-même.
J’ai, comme chacun, quelque idée sur le sens de cette « destruction », mais comme ce sont les idées d’un individu, je les tais. Il ne s’agit pas de mettre à bas du jour au lendemain les institutions, ni à fortiori les hommes à pied. La destruction de l’appareil d’État bourgeois est une tâche politique, qui, comme toute tâche politique, exige une analyse, une stratégie et une tactique, et qui, par dessus tout exige qu’on reconnaisse le « maillon décisif » et le moment opportun pour chaque action, mais en le voulant. Pour ne prendre qu’un seul exemple, Lénine disait qu’il fallait briser après la prise du pouvoir d’État cette pièce essentielle de l’appareil d’État bourgeois qu’est la démocratie parlementaire. Comment concevait-il cette « destruction » ? Il voulait rendre la démocratie parlementaire « active et vivante » en supprimant en particulier en elle la division du travail entre le législatif et l’exécutif, et en rendant à tout moment les élus révocables par le peuple. Destruction ? C’était en réalité un remaniement en profondeur, pour rendre cet appareil politique apte à servir le communisme.
Une question reste pourtant en suspens : quelle peuvent être les formes politiques dans lesquelles se réalise la dictature du prolétariat ?
Je crois avoir montré qu’on ne pouvait déduire de la dictature d’une classe (bourgeoisie, prolétariat) les formes politiques dans lesquelles se réalise aussi cette dictature. Je dis aussi pour bien faire sens que la dictature de classe se réalise à l’échelle de la société entière, donc non seulement par les formes politiques de son pouvoir, mais aussi par les formes de son exploitation économique et par les formes de sa domination idéologique.
Il est décisif de mentionner ces trois formes : économique, politique, et idéologique – pour ne pas se laisser obnubiler par ce qui se passe au seul niveau dit politique.
Cela dit, il faut d’entrée de jeu écarter un malentendu fondamental qui pèse malheureusement encore sur la « question » de la dictature du prolétariat, et qui assimile la DP avec les différentes formes possibles de la dictature politique, qu’elle soit le fait d’un homme (Staline) ou d’un parti (le PC) : la dictature du prolétariat, qui se limite à désigner le fait de la domination d’une classe dans la lutte de classes, n’impose nullement à priori que la forme politique de sa réalisation soit celle de la dictature, définie politiquement comme pouvoir tyrannique, qu’il soit d’un homme ou d’un parti.
Que Lénine ait pu, à tel moment de l’histoire de la révolution soviétique, constater que la dictature du prolétariat s’exerçait, en fait, sous la forme de la dictature politique du parti bolchévique, confondu avec l’énorme appareil d’État, très mal brisé et très fortement bureaucratisé, et dénoncer cette déviation en termes pathétiques, prouve à la fois le risque historique toujours possible d’une confusion, ou d’une dégénérescence, que Staline devait consacrer en tremblement de voix ou de conscience, mais aussi l’incompatibilité et l’hétérogénéité de principe des termes : dictature du prolétariat et forme politique de la dictature.
Confusion historique, incompatibilité ou hétérogénéité théorique et politique des termes, nous ne devons pas le cacher : nous sommes ici à la croisée des chemins. Ce qu’il nous faut comprendre, ce n’est pas qu’il y ait des chemins (nous avons pour cela des cartographes à revendre), mais qu’ils se croisent, c’est-à-dire divergent. Nous devons comprendre que, sur la question des formes politiques de la dictature du prolétariat, il y ait des chemins qui se croisent, non par hasard mais par nécessité. C’est sur cette nécessité là qu’il faut s’expliquer, maintenant ou jamais.
Pour voir où mènent les chemins, surtout quant ils se croisent, il faut voir loin dans l’espace à venir : il faut avoir une stratégie, la stratégie du communisme. Il faut voir loin dans l’avenir de la lutte de classe, faute de quoi, disait Marx, la meilleure organisation de la lutte de classe prolétarienne sombre dans l’opportunisme : il lui suffit de sacrifier les intérêts d’avenir du prolétariat à des intérêts immédiats.
Car enfin on n’a pas pris au sérieux, vraiment au sérieux ce que Marx disait du socialisme : période de transition entre le mode de production capitaliste et le mode de production communiste. On n’a pas pris au sérieux cette simple réalité : il n’existe pas de mode de production socialiste, mais une transition, la forme inférieure du communisme, qu’on appelle socialisme (Marx). Et par voie de conséquence, on n’a pas non plus pris au sérieux cette autre réalité : pas plus qu’il n’existe de mode de production socialiste, il n’existe (c’est juste) de rapports de production socialistes. Et on n’a pas non plus pris au sérieux cette idée de Marx et de Lénine : la lutte de classe se poursuit dans la période de transition appelée socialisme (et la preuve en est que l’État y subsiste) sous de nouvelles formes, sans rapport visible avec les formes familières au mode de production capitaliste, mais réellement.
Qu’y a-t-il, derrière toutes ces affirmations concordantes, et que la pratique de Lénine sous la Révolution soviétique n’a jamais démenties ? Il y a cette définition de la période de transition, donc du socialisme par Lénine : période définie par la contradiction entre le capitalisme et le communisme, par la contradiction entre des « éléments » capitalistes et des « éléments » communistes. Les termes (« éléments ») ne sont sûrement pas au point. Mais est-ce là une idée vague ou abstraite ? Nullement.
Lorsque la classe ouvrière, parvenue au pouvoir d’État, prend ses premières mesures, que fait-elle ? Elle exproprie (par la loi ou comme au Portugal par la volonté des travailleurs : les travailleurs des banques ont « pris le pouvoir dans leurs entreprises », la loi n’est venue qu’après. Qu’elle vienne avant ou après la loi n’est jamais qu’une forme de violence faiteà la réalité établie) les détenteurs de moyens de production et d’échange. Ce faisant, la classe ouvrière « nationalise » les grands moyens de production et d’échange. Or voici le point absolument décisif, voici la croisée des chemins : considéré en lui-même, cet acte est contradictoire. Car nationaliser, c’est détruire la classe bourgeoise en ses bastions, nationaliser c’est donc formellement dessiner l’avenir de l’appropriation des moyens de production, c’est formellement anticiper l’abolition de la « séparation » entre les producteurs directs et les moyens de production qui définit le mode de production capitaliste, c’est donc formellement s’engager sur la voie du communisme. Mais en même temps, nationaliser ce n’est rien d’autre que revêtir le capitalisme d’une nouvelle forme, la forme du capitalisme d’État qui hantait Lénine, et qui n’est rien d’autre que la réalisation de la tendance la plus profonde du capitalisme, celle dont on ne veut pas parler, celle d’un « capitalisme sans capitalistes » (Marx), où l’État bourgeois concentre et distribue les fonctions de l’accumulation de l’investissement, donc de la reproduction du rapport capitaliste. Oui, du rapport capitaliste, puisque le salariat subsiste, et avec lui l’exploitation, et avec lui les rapports marchands, c’est-à-dire le pouvoir de l’argent.
Étudiant les premières formes d’existence historique du mode de production capitaliste, Marx distinguait la « soumission formelle » (où les anciennes formes de travail, le « métier » des artisans, subsistent sous le nouveau rapport capitaliste : le salariat) de la « soumission réelle » (où les anciennes formes de travail, le « métier » des artisans, correspondent au nouveau rapport capitaliste de division et d’organisation du travail, fin du métier, travail « en miettes », morcelé, parcellisé) correspondant au nouveau rapport capitaliste (la concentration, la division du travail et sa concentration capitaliste). C’est une contradiction de ce genre qui se joue dans l’appropriation collective des moyens de production : avec cette différence que c’est l’ancien rapport (capitaliste) qui doit être soumis à la nouvelle forme (communiste).
Je dis forme communiste : parce qu’elle n’est, dans la transformation des conditions de la production (propriété collective, planification) que formelle, parce qu’elle n’entame pas le rapport de production (le salariat), parce qu’elle ne touche pas à l’organisation et à la division du travail. Mais je dis en même temps forme communiste : parce qu’elle est déjà une mise en forme, une soumission qui tend vers son avenir, qui attend de cet avenir qu’il lui donne la réalité et l’existence. Et c’est vrai que tout se joue dans cette indécision, dans cette croisée des chemins : ou bien l’ancien rapport capitaliste l’emportera sur la nouvelle forme communiste, ou bien la nouvelle forme communiste deviendra réelle et s’imposera comme le nouveau rapport. Dans cette alternative, ce qui décide, c’est le rapport de force dans la lutte des classes. Mais comment dire ? Dans ce commencement, et pour longtemps, la lutte des classes, qui reste ancrée dans la production qui est sa place forte, se déplace vers d’autres lieux et s’exprime dans d’autres formes, qui ne concernent pas seulement la production, mais la superstructure. La lutte des classes se joue dans le nouvel État, qui détient la nouvelle propriété des moyens de production et d’échanges, et autour de cet État, autour du nouveau caractère de classe de cet État et de son appareil, dans le parti et autour du parti de la classe ouvrière, qui a organisé la lutte de classe des masses, dans les masses et autour des masses elles-mêmes, de leurs capacités et de leur volonté révolutionnaires. C’est alors que s’engage une énorme et longue épreuve de force, qui s’appelle la lutte des classes sous la dictature du prolétariat, à la fois dans la production, dans la politique et dans l’idéologie.
Si alors on se demande quelles sont les formes politiques propres à la dictature de classe du prolétariat, elles découlent naturellement des caractères propres et des conditions concrètes de cette lutte de classe. Pour que la subsomption formelle du communisme devienne le communisme réel, pour que l’appropriation formelle des moyens de production devienne réelle, pour que l’indécision du rapport de production bascule non du côté du capitalisme mais du côté du communisme, il faut qu’entrent en jeu, décuplés avec le maximum de lucidité et de conscience, toutes les forces des masses populaires dans la lutte des classes. Ce qui était apparu, l’instant d’un raisonnement, à propos de la seule « destruction » de l’appareil d’État, comme l’invention de formes nouvelles propres à déposséder l’État de ses fonctions transformées, devient cent fois plus vrai quant il s’agit de la lutte des classes dans toute son ampleur. Sans « la plus large démocratie de masse », la lutte de classe prolétarienne, autrement dit la dictature du prolétariat, est impossible et impensable.
Démocratie, donc. Et Lénine ajoute même « démocratie jusqu’au bout ». Mais ces mots, empruntés eux aussi au langage de la politique existante, c’est-à-dire bourgeoise, ne trompent pas sur leur sens. C’est d’une autre démocratie que la démocratie bourgeoise, parlementaire, avec ses scrutins truqués, la démagogie de son dispositif (tout pour la clientèle électorale), sa stabilité artificielle (des élus pour tant d’années), sa division du travail interne et externe (le législatif séparé de l’exécutif et du judiciaire), etc., qu’il s’agit. Et quand Lénine dit « démocratie jusqu’au bout » il faut le suivre au bord de la rive, pour s’apercevoir que la démocratie de masse commence sur l’autre rive. Que la « démocratie de masse » incorpore en les transformant les formes de la démocratie parlementaire, qu’elle brise les interdits de sa division du travail, nul doute. Mais elle « brise » aussi l’interdit de deux autres grandes divisions du « travail » auxquelles la démocratie parlementaire bourgeoise est aveugle : celle qui s’accomplit dans la production et celle qui s’accomplit dans l’idéologie. Comment ne pas voir l’hypocrisie de cette démocratie bourgeoise qui ne veut rien savoir de ce qui se passe sur le lieu de travail, dans l’exploitation, rien savoir des conditions réelles (elles ne cessent de changer), rien savoir des conditions de logement des travailleurs, rien savoir de leurs conditions de « transport » individuel ou en commun ! Comment ne pas dénoncer l’hypocrisie de cette démocratie bourgeoise qui confine, c’est-à-dire étrangle, la politique dans l’acte des électeurs et dans les délibérations des députés, et qui ignore superbement ce qui se passe dans le domaine d’action de l’appareil d’État et des autres appareils idéologiques d’État ? La démocratie de masse selon Lénine, ce sont les masses intervenant non seulement dans la politique, au sens bourgeois, par le système parlementaire, mais aussi dans l’appareil d’État, mais aussi dans la production, mais aussi dans l’idéologie. Il faut trouver les formes appropriées ? Oui et, après tout, ce n’est pas le diable, mais pour les trouver il faut les chercher et les inventer, mais pour cela il faut d’abord le savoir et le vouloir. Et il est vrai qu’on ne peut le vouloir si on ne reconnaît pas que ces interventions sont vitales pour la lutte des classes des masses, si on ne sait pas que le droit, les lois et les normes sont les moyens et les enjeux de la lutte des classes, si on ne sait pas que la politique, conçue dans le sens étroit que lui a donné la bourgeoisie, n’est qu’un petite province dans l’immense domaine de la lutte des classes.
Savoir cela relève d’une expérience. Elle se fait par la pratique des masses. Elle se concentre dans l’expérience de la lutte des classes. Elle se transmet par la mémoire des masses que sont leurs organisations de lutte des classes. S’il ne se confond pas avec l’État, s’il est attentif à la volonté des masses, le parti communiste, « un pas en avant, mais un pas seulement », et surtout pas trois pas en arrière, peut jouer un rôle décisif. Et son rôle est à ce point décisif qu’on peut à bon droit dire que la position du parti peut servir de témoin, dans la croisée des chemins de la dictature du prolétariat, à la bonne orientation de la tendance historique. Dis-moi comment fonctionne ton parti, je te dirai quelles sont les formes politiques de ta dictature du prolétariat, dis-moi quelles sont ces formes, et je te dirai si ton État dépérit ou se renforce, dis-moi quel est ton État, et je te dirai de quelle classe, prolétariat ou bourgeoisie, est ta dictature.
C’est une manière de dire. Car on peut prononcer le même jugement en prenant les choses par de tout autre biais. Dis-moi quelle est ton organisation du travail… dis-moi quelle est ta planification… dis-moi quels sont tes syndicats… dis-moi quelle est ta « révolution culturelle », etc. Dans tous les cas, les questions conduisent à la même croisée des chemins : dans quelle dictature se trouve-t-on engagé ? vers quelle dictature est-on en marche ? Et cela qu’on le veuille ou non.
Que ceux qui le peuvent, relisent Lénine et lisent E. Balibar qui l’explique de manière lumineuse dans son dernier livre : ils y trouveront à chaque page ou presque toutes ces questions, c’est-à-dire la même question lancinante, chaque fois répétée : où en sommes nous ? où allons nous ? La même question lancinante et dramatique : car pour en avoir une réponse, il faut poser toutes ces questions à la fois, et comme chacune renvoie à l’autre, il faut donc tenir tout à la fois. Mais ce qui tient ensemble toutes les questions dans l’esprit de Lénine, dans les pires horreurs de la guerre et de la guerre civile, les catastrophes de la famine, et les épreuves du blocus mondial, c’est la vision aiguë d’une lutte sans merci, qui va basculer dans une dictature si elle n’est pas maintenue, par la conscience, l’effort, l’héroïsme et le sang, dans l’autre dictature, celle d’une classe ouvrière qui sait qu’elle se bat à la vie et la mort. Nous en revenons à : « La dictature, c’est un grand mot rude, sanglant, un mot qui exprime la lutte sans merci, la lutte à mort de deux classes, de deux mondes, de deux époques de l’histoire universelle : on ne jette pas de tels mots en l’air. »
C’est bien pourquoi je rappelle tous ces points de théorie : il ne faut pas se laisser intimider par ceux qui invoquent aujourd’hui contre la théorie qui les gêne une pratique qui les arrange. L’histoire montre assez que la théorie marxiste, quand elle n’est pas récitée comme une prière ou invoquée comme une autorité, parle directement du réel, et de façon saisissante.
Par exemple, qu’on détruise ou transforme l’appareil d’État bourgeois, si on nous fabrique un nouvel appareil d’État un point à la ligne, sans qu’il serve, sous l’intervention des masses, à son propre dépérissement, nous aurons un nouvel appareil d’État bourgeois. Le dépérissement doit commencer dès la destruction ou la transformation. Et ce n’est pas là un mot en l’air. Le processus commence quand des organisations issues des masses s’emparent de certaines fonctions du nouvel État : dès son installation, ou même avant. Paradoxalement dira-t-on ? Je ne pense pas. Car il n’est pas de temps unique de la lutte des classes, mais il y a des temps qui se chevauchent, l’un en avance, l’autre en attente. Quelque chose peut commencer avant la révolution, qui va être ensuite l’effet de la révolution. Où ? Quand ? Il suffit d’ouvrir les yeux. Que sont donc les organisations communistes de lutte de classe sinon déjà du communisme ? Et que sont donc ces initiatives populaires qu’on voit naître ici et là, en Espagne, en Italie ou ailleurs dans les usines, dans les quartiers, dans les écoles, dans les asiles, sinon déjà du communisme ?
Voilà pourquoi, d’un dernier mot, je défends le concept de dictature du prolétariat. C’est que, restauré, il nous ouvre la stratégie du communisme.
Il nous rappelle, et c’est aujourd’hui un point douloureux et crucial, que le socialisme n’est pas un mode de production, où des « rapports de production socialistes » « correspondraient » à des forces productives définies : il n’y a pas de mode de production socialiste, il n’y a pas de rapports de production socialistes. [Il nous rappelle] que le socialisme n’est pas cette société stable, dotée d’un puissant État monopoliste sachant se garder des crises, et distribuer la sécurité de l’emploi et des services sociaux, – mais une « période de transition » contradictoire où, si tout va, les éléments communistes l’emportent chaque jour un peu plus sur les éléments capitalistes, où la lutte de classe et les classes continuent sous des formes nouvelles, où l’initiative des masses s’empare de plus en plus des fonction de l’État, dans la perspective, non pas d’un « socialisme développé », mais tout simplement du communisme.
Et puisque je parle de communisme, le concept de dictature du prolétariat nous rappelle aussi, et par dessus tout, que le communisme n’est pas un mot, ni un rêve pour on ne sait quel avenir perdu. Le communisme est notre unique stratégie, et, comme toute stratégie vraie, non seulement il commande aujourd’hui, mais il commence aujourd’hui. Mieux : il a déjà commencé. Il nous redit le vieux mot de Marx : le communisme n’est pas pour nous un idéal, mais le mouvement réel qui se produit sous nos yeux. Oui, réel. Le communisme est une tendance objective déjà inscrite dans notre société. La collectivisation accrue de la production capitaliste, les formes d’organisation et de lutte du mouvement ouvrier, les initiatives des masses populaires, et pourquoi pas certaines audaces d’artistes, d’écrivains, de chercheurs, ce sont dès aujourd’hui des esquisses et traces du communisme.
Il faut croire que Lénine disait quelque chose de ce genre quand, avec ses mots à lui, qui sont aussi les nôtres, il affirmait : la dictature du prolétariat c’est la démocratie des plus larges masses, une liberté que les hommes n’ont jamais connue !
6 juillet 1976
Ce texte inédit est reproduit ici avec la généreuse autorisation de François Boddaert et le concours de l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC).
Un grand merci à Lucie-Lou Pignot et à Marie Suveran pour leur précieux travail de retranscription.