Classe et lutte de classes dans l’Antiquité

Le statut théorique des classes sociales chez Marx a suscité nombre d’interprétations. Pour en comprendre le sens, G.E.M. de Ste. Croix propose ici de revenir sur les difficultés de sa pratique d’historien, et de son objet hautement problématique : les luttes de classes dans l’antiquité. Les esclaves constituaient-ils une classe en Grèce ancienne ? Pour d’autres historiens marxistes comme Vidal-Naquet et Vernant, il n’en était rien. Face à ces sociétés si éloignées du capitalisme contemporain, la seule manière de donner du sens au cours de l’histoire est, pour de Ste. Croix, de rétablir la perspective marxienne dans sa forme la plus rigoureuse et la plus cohérente : les classes sont l’envers du rapport social d’exploitation. L’intervention de l’historien antique montre ainsi qu’un décentrement radical, un regard vers le passé lointain, éclaire la complexité des rapports sociaux d’aujourd’hui.

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C’est à la fois un honneur et un plaisir pour moi de prendre la parole ici aujourd’hui1. C’est un honneur qu’on m’ait demandé de donner la conférence annuelle en mémoire d’Isaac Deutscher, un homme qui a toujours résolument mené ses raisonnements jusqu’au bout avec le plus grand courage, et qui toute sa vie a essayé de dire la vérité telle qu’il la voyait sans se laisser abattre par les attaques, d’où qu’elles soient venues. (Je regrette vivement de n’avoir jamais eu la chance de le rencontrer.) Et c’est un plaisir de pouvoir donner cette conférence à la London School of Economics [NdT : abrégé en LSE dans la suite]. En fait, cela vous surprendra peut-être, mais c’est là que j’ai eu mon premier poste académique, et j’y ai enseigné pendant trois ans au début des années 1950.  « Enseigné », toutefois, relève peut-être plutôt de l’euphémisme, parce que mes centres d’intérêt en tant que Lecteur Assistant en Histoire Économique de l’Antiquité se trouvaient être assez éloignés de tout ce qui était au programme des cours ; et en effet, certains de mes collègues du Département d’Histoire Économique m’ont parfois fait comprendre – très poliment, bien sûr – qu’en réalité je les empoisonnais un peu en occupant un poste qui, sans ma présence, aurait pu être pourvu par quelqu’un de vraiment utile, de capable, contrairement à moi, de se charger d’une partie des cours au programme. Alors, j’ai fait de mon mieux pour trouver quelqu’un qui pourrait être intéressé par ce que j’avais à offrir ; mais quand je faisais le tour des départements en demandant si je pourrais éventuellement donner des conférences susceptibles d’intéresser leurs étudiants, ils ont prudemment refusé mes avances. Et puis soudain, à ma grande joie, j’ai été inséré dans le programme, ne serait-ce qu’à une échelle minime. J’ai reçu une lettre du Professeur de Comptabilité, Will Baxter (une autorité reconnue sur son sujet dans le monde anglophone), qui me demandait de donner des cours dans son département. « Nous aimerions beaucoup, disait-il, entendre parler de la comptabilité des Grecs et des Romains, et savoir en particulier si ils connaissaient le système à double entrée – des choses comme cela ». Évidemment, je ne savais rien sur le sujet de la comptabilité antique, pas plus que la plupart des autres historiens de l’Antiquité, mais j’ai bûché comme il fallait. Il fallait travailler énormément d’après les sources originales, parce que je me suis rendu compte qu’il n’y avait pratiquement rien de bon dans les livres modernes. En revanche, j’ai trouvé une quantité surprenante de témoignages de première main, non seulement dans les sources littéraires et juridiques, mais aussi dans les inscriptions et surtout dans les papyrus. Ce que j’ai écrit est, je crois, la seule étude générale du sujet à employer tous les différents types de sources2. (Celle-ci semble être encore citée comme la référence.) J’ai aussi donné quelques cours à la LSE, aussi bien sur la comptabilité antique que sur des sujets apparentés tels que le prêt maritime gagé sur les navires et leurs cargaisons (le précurseur de l’assurance maritime)3: le public était composé du professeur, de son équipe, et d’historiens de l’Antiquité venus d’autres facultés, mais pas, autant que je l’aie su, d’étudiants de premier cycle de la LSE. Et même après avoir quitté Londres pour Oxford il y a trente ans, je fus invité tous les ans à revenir donner un cours sur la comptabilité antique et médiévale à la LSE, jusqu’à la fin des années 1970.

Je ne ferai pas aujourd’hui de renvois en bonne et due forme aux différents ouvrages publiés que j’aurai l’occasion de citer, mais ils peuvent pratiquement tous être identifiés facilement soit à l’aide de mon récent livre The Class Struggle in the Ancient Greek World, sous-titré From the Archaic Age to the Arab Conquests (j’y ferai référence en tant que « mon livre sur la lutte des classes »), soit à l’aide d’un article que je vais présenter au « colloque Marx » qui aura lieu prochainement à Paris et dont les actes seront publiés en temps utile4.

Le problème de la classe et de la conscience de classe

Pardonnez-moi si je me lance directement dans des souvenirs personnels. Ceux-ci sont en fait très pertinents pour le sujet de cette conférence (à savoir, le concept de classe dans la conception de l’histoire de Karl Marx), parce qu’ils expliquent un aspect important du processus de développement intellectuel qui m’a amené à ma position actuelle.

De Marx, je n’ai rien su du tout de Marx jusqu’au milieu des années 1930, l’époque de mes vingt-cinq ans environ. Après une éducation solidement ancrée à droite, je m’étais qualifié comme solliciteur et je travaillais dans une étude de Westminster, et sous l’effet de la montée du fascisme, j’avais tout juste commencé à m’intéresser au mouvement ouvrier. Encore à cette époque, même si j’étais très impressionné par l’interprétation marxiste de l’histoire, pour autant que j’y aie compris quoi que ce soit (et en réalité je m’y connaissais vraiment très peu), mes idées demeuraient confuses. En particulier, même si j’étais tout à fait disposé à accepter les idées marxistes sur les classes et la lutte des classes, qui exercèrent un fort attrait sur moi dès que j’en eus connaissance, jusque dans ce domaine il y avait des difficultés que je n’étais pas capable à l’époque de traiter de manière satisfaisante. J’en étais déjà venu à me considérer comme marxiste (je suppose qu’il serait plus exact de dire « me sentir marxiste »), mais pour le moment j’étais mal préparé pour prendre part à des controverses. Par exemple, je ne savais pas encore donner une réponse efficace à l’argument selon lequel il serait malhonnête de parler de « la classe ouvrière », ce que beaucoup de monde à gauche faisait et fait encore aujourd’hui, comme si c’était un corps unifié, menant une activité politique à l’unison, avec un but commun et une véritable « conscience de classe ». Je me rappelle qu’un ami qui était actif dans le Parti communiste me reprocha de ne pas avoir foi en « la conscience révolutionnaire du prolétariat ». Je ne crois pas avoir eu l’assurance de répondre (comme je le ferais aujourd’hui) que le prolétariat avait certainement une « conscience révolutionnaire » potentielle, que les événements pourraient un jour rendre actuelle ; mais je me souviens d’avoir eu le sentiment, même à cette époque, que parler d’une « conscience révolutionnaire » comme si elle était déjà actuelle dans la classe ouvrière britannique revenait à s’illusionner soi-même. Surtout, je n’avais aucune réponse à apporter à mes amis non-marxistes qui me faisaient remarquer – à juste titre ! – que ce fait impliquait nécessairement qu’une classe ait conscience de son identité commune, qu’elle ait une conscience de classe, et qu’elle participe régulièrement à une activité politique commune. Ces personnes soulignaient ensuite le fait – et c’est bien un fait – que dans la plupart des pays du monde à l’époque moderne ces deux caractéristiques ne sont pas présentes à un degré suffisant, et qu’elles manquent tout particulièrement dans le cas de la classe ouvrière des pays les plus avancés, et par dessus tout dans celui où le capitalisme est le plus développé : les Etats-Unis, où dans l’ensemble la politique n’est pas faite sur des lignes de classe ou en termes de classe. Mes amis non-marxistes en concluaient, comme beaucoup de monde aujourd’hui encore, que le concept même de classe, et en particulier la théorie marxiste de l’importance du conflit des classes (de la lutte des classes), n’ont guère de valeur heuristique ou explicative et ne nous permettent pas de comprendre le monde contemporain, si bien que l’analyse marxiste de la société moderne est un échec.

J’espère avoir indiqué que tout l’argument que je viens de décrire repose sur certains présupposés (dont je me rends compte à présent qu’ils sont faux), à savoir, que nous devons considérer à la fois la conscience de classe et l’activité politique régulière à l’unisson comme des traits nécessaires des classes et du conflit des classes, ce qui a pour conséquence qu’on ne peut mettre en œuvre une analyse marxiste de classe quand ces traits ne sont pas présents. Aujourd’hui, si nous ne rejetons pas ces présupposés faux, il sera encore plus difficile pour nous de faire face aux arguments que je viens d’esquisser, parce qu’aux élections législatives de juin 1983, de fait, seule une minorité de la classe ouvrière britannique ayant participé au vote a voté pour le Parti travailliste, tandis qu’un tiers environ, voire plus selon la manière dont on définit la classe ouvrière, vota pour le Parti conservateur, dirigé par une femme aux opinions profondément réactionnaires et tout à fait opposé à leurs intérêts. Maintenant plus que jamais, les personnes qui ont des avis de droite nous disent avec insistance (est-ce que je me trompe ?) que l’analyse marxiste de classe de la société est en train de devenir de plus en plus inadéquate.

À présent, je sais comment faire face aux arguments que j’ai esquissés, mais dans les années 1930, je ne m’étais pas encore aperçu qu’ils dépendaient de présupposés faux et, comme je vais l’expliquer, c’est seulement en devenant historien de l’Antiquité que j’ai découvert pourquoi il faut rejeter vigoureusement ces présupposés.

Avant que j’aie résolu ces problèmes et quelques autres, la guerre est survenue, pendant laquelle j’ai pris la décision d’abandonner la loi quand je sortirais de la RAF [NdT : armée de l’air britannique], et de m’essayer à l’enseignement. J’avais quitté l’école à quinze ans, après y avoir consacré la plupart de mon temps au grec et au latin, et tout en ayant oublié la plupart de ce que j’avais appris de ces langues, j’espérais que l’Université me permettrait d’étudier l’histoire grecque et romaine, dont je ne savais rien ou presque. Comme à l’accoutumée à cette époque, mon étude des Lettres classiques à l’école portait surtout sur quelques textes littéraires classiques, considérés avant tout comme une éprouvante série de problèmes grammaticaux et stylistiques, et comportait aussi, évidemment, des tentatives d’écrire en prose latine et grecque, et même en vers, dans le style de ces mêmes auteurs classiques. Je ne me souviens pas d’avoir jamais trouvé le moindre intérêt ni le moindre sens à cette activité, mais j’y avais été plutôt doué, et j’étais sûr qu’avec la perspicacité historique que j’avais acquise depuis, je trouverais peut-être du sens à l’histoire grecque et romaine en particulier. Je ne fus pas déçu. J’ai eu la chance exceptionnelle de recevoir à l’University College de Londres les enseignements du Professeur A.H.M. Jones qui, de mon point de vue, est l’anglophone qui a le plus apporté à l’histoire ancienne depuis Gibbon – en n’ayant jamais lu Marx de sa vie, autant que je sache. J’ai obtenu mon premier diplôme à trente-neuf ans, et après un an de recherches je suis arrivé à la LSE en 1950, comme je l’ai déjà dit.

Il est vrai qu’une approche marxiste peut élever l’étude de l’histoire à un degré de compréhension fascinant, qui est pour moi impossible à atteindre autrement. Mais le problème de l’histoire est qu’elle a affaire en grande partie à des faits bruts, lesquels, dans la mesure où ils peuvent être découverts, exercent d’habitude une vengeance terrible sur tout praticien qui prétendrait qu’ils sont autre chose que ce qu’ils sont vraiment. Je sais qu’il y a beaucoup d’historiens auto-proclamés qui sont mal à l’aise quand ils entendent dire que l’histoire a affaire à des faits, et qui s’essaient même à le réfuter – inutile de répéter leurs arguments, que certains d’entre vous auront entendu bien trop souvent. Je voudrais seulement répéter une remarque magnifique (citée dans mon livre sur la lutte des classes) de Arthur Darby Nock, une autorité reconnue sur la religion hellénistique et romaine qui a émigré de Cambridge en Angleterre à Cambridge dans le Massachusetts, et qui a écrit : « Un fait est quelque chose de sacré, et ne devrait jamais de la vie être déposé sur l’autel de la généralisation5.» Dans l’ensemble pour l’histoire ancienne on dispose de moins de faits dignes de foi que pour des époques plus récentes. Ce qui me fait penser à une maxime célèbre formulée en rapport avec une discipline très différente, dont je me dis souvent que j’aimerais la voir bien pénétrer l’esprit des historiens de l’Antiquité : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire6.» Si ce principe était appliqué régulièrement dans le domaine de l’histoire ancienne, et en particulier aux débuts de l’histoire grecque, une assez grande proportion du déluge spéculatif que déversent les presses d’Europe et de certains pays d’outre-Atlantique et des antipodes aurait tôt fait de s’assécher.

En étudiant les sources de l’histoire grecque et romaine, j’ai eu tôt fait de constater que, même si une approche marxiste apportait des éléments de compréhension nouveaux, elle paraissait se heurter précisément aux mêmes difficultés que celles dont j’ai déjà dit qu’elles m’avaient dérangé en rapport avec le monde contemporain, et qui plus est, d’une manière cette fois bien plus aiguë. La raison pour laquelle la situation avait l’air pire pour l’Antiquité est que Marx et Engels avaient toujours considéré les esclaves comme une classe7; et pourtant, de tous les groupes dans l’Histoire qui semblaient mériter d’être considérés comme des classes au sens de Marx, c’étaient précisément les esclaves grecs et romains qui manquaient le plus clairement de ces qualités que, comme je l’ai expliqué, j’avais été amené à concevoir comme des ingrédients essentiels du concept de classe : à savoir, la conscience de classe et l’activité politique commune. Plus que les esclaves noirs d’Amérique du Nord, d’Amérique Centrale, d’Amérique du Sud et des Caraïbes, par exemple, une maisonnée grecque ou romaine d’esclaves était souvent composée délibérément d’esclaves de nationalités et de langues très différentes. (Toute une série d’écrivains grecs et romains – que je cite dans mon livre sur la lutte des classes – incite les propriétaires d’esclaves à acquérir un ensemble d’esclaves ethniquement et linguistiquement divers.)8 L’hétérogénéité d’un ensemble donné d’esclaves leur rendait difficile de communiquer entre eux autrement que dans la langue de leur maître et donc, évidemment, beaucoup plus difficile de se révolter ou même de résister. Il n’est pas surprenant de constater que les différences ethniques et culturelles jouèrent un rôle important pour favoriser la désunion dans les quelques grandes révoltes d’esclaves d’Italie et de Sicile, qui eurent lieu de manière concentrée pendant quelques générations, à la fin de la République romaine, entre les années 130 et 70 av. n. è.9 – lesquelles, d’ailleurs, n’impliquèrent jamais plus d’une petite fraction de la population servile totale dans le monde romain de l’époque. Alors que diable voulaient donc dire Marx et Engels quand ils parlaient, dans le Manifeste du Parti communiste et ailleurs, de luttes des classes impliquant des esclaves antiques ?

À n’en pas douter, quiconque suppose – à tort – que la conscience de classe et/ou l’activité politique commune sont des marques nécessaires d’une classe (à l’instar de beaucoup de monde) va se mettre dans une position impossible s’il admet que les esclaves forment une classe. Je crois que c’est peut-être précisément pour cette raison que presque tous les historiens continentaux de l’Antiquité que j’aie lu, y compris de soi-disant marxistes, prenant conscience que c’est un dilemme, ont choisi la mauvaise issue en décidant que les esclaves ne peuvent être traités comme une classe10. (J’emploie l’expression « soi-disant marxistes » ou « marxistes auto-proclamés » parce qu’il me semble que quiconque refuse de considérer les esclaves comme une classe nie par là même, pour des raisons que je vais indiquer bientôt, un principe de base de la pensée de Marx.) J’ai toujours été mis mal à l’aise par le genre de textes que je viens de décrire, mais ce n’est que ces dernières années que j’ai été capable de comprendre ce qui ne va pas. Je me plais à croire que j’ai très tôt soupçonné que si dès le départ un homme d’une aussi vertigineuse puissance intellectuelle que Marx écrivit à propos des esclaves comme s’ils constituaient une classe, malgré les difficultés sérieuses que cela semblait causer, c’est peut-être parce qu’il avait une autre idée de la classe que ses commentateurs modernes. Mais quelle était cette idée ? Comme nous le savons tous, Marx ne proposa jamais une définition de la classe. À la toute fin du volume III du Capital, là où l’ouvrage s’arrête brusquement, il était sur le point de le faire… mais pas tout à fait : il allait définir, non la classe comme concept général, mais « les trois grandes classes de la société », les classes individuelles de son propre temps11.

Le primat de l’exploitation

Il faut sans plus tarder que j’explique exactement ce que Marx, selon moi, entendait principalement par « classe », un concept qui pour moi est absolument fondamental dans sa pensée, et que je partage entièrement. Je considère tout le complexe de raisonnements dont la classe est le cœur même comme la contribution la plus utile et la plus efficace jamais faite à l’analyse de la société humaine, au delà du niveau le plus primitif. Je viens de parler de « ce que Marx entendait principalement par “classe” » – parce qu’on peut montrer qu’il emploie le terme à l’occasion en un sens très différent (plus étroit) que celui que je traite comme fondamental. J’aime à croire que la plus importante contribution que j’aie faite dans la partie théorique de mon livre sur la lutte des classes est d’élucider ce sens fondamental de la classe chez Marx12, et de le distinguer d’autres usages qu’il fait de ce terme là où il a laissé le contexte dicter au mot une signification plus étroite que celle qui est normalement la sienne. Autant que je sache, personne n’a jamais insisté suffisamment sur le fait que parmi un certain nombre d’usages il n’y en a qu’un qui soit principal : la classe est (pour le dire de la manière la plus succinte possible, et peut-être un peu plus grossièrement que dans mon livre) une relation d’exploitation ; et les autres sens auxquels Marx emploie ce mot étaient tous secondaires et doivent être traités comme des aberrations, à moins qu’ils ne se voient attribuer le sens spécifique et plus étroit que Marx visait à chaque occasion, ce qu’effectivement le contexte révèle souvent sans erreur possible. Autant que je sache, mon livre est le premier, toutes langues confondues, qui à la fois déchiffre cette théorie en entier et l’applique en détail à une très longue période de l’histoire – quelque treize ou quatorze siècles, depuis la période archaïque de l’histoire grecque jusqu’à la conquête par les Arabes d’une bonne partie de la moitié orientale (« grecque ») de l’Empire romain. Là où un dilemme est apparemment causé par l’usage incohérent que fait Marx de la terminologie de la classe (et spécialement en rapport avec le conflit des classes, la lutte des classes, le Klassenkampf), de nombreux marxistes auto-proclamés ont fini, comme je l’ai dit à l’instant, par faire fausse route en rejetant une partie fondamentale de la théorie de Marx. Évidemment, nous ne devons jamais suivre Marx aveuglément, et nous ne devons jamais hésiter à le corriger quand il porte un jugement faux ou insuffisant, comme cela lui arrive, d’ordinaire par manque de connaissances sur les témoignages historiques, lesquels n’étaient quelquefois pas accessibles en son temps. Mais le néo-marxisme ou pseudo-marxisme qui fait tant d’adhérents dans le monde contemporain est souvent dû à l’incompréhension pure et simple de ce que Marx disait vraiment, comme j’espère le montrer aujourd’hui en rapport avec le sens de la « classe ».

Pour donner plus de corps à ma très brève définition : la classe (comme je l’ai affirmé dans le chapitre II, sous-partie ii de mon livre)13 est l’expression sociale collective du fait de l’exploitation, la manière dont l’exploitation est intégrée dans une structure sociale. (Par « exploitation », j’entends évidemment l’appropriation d’une partie du produit du travail d’autrui : dans une société productrice de marchandises, c’est l’appropriation de ce que Marx appelle « plus-value ».) La classe est essentiellement une relation – de même que le capital, un autre des concepts de base de Marx, est explicitement décrit par lui, dans une dizaine de passages que j’ai relevés, comme « une relation », « un rapport social de production », et ainsi de suite14. Et une classe (une classe en particulier) est un groupe de personnes au sein d’une communauté, identifiées par leur position dans l’ensemble du système de production, laquelle est définie avant tout en fonction de leur relation (principalement en termes du degré de contrôle) aux conditions de production (c’est-à-dire aux moyens et au travail de la production) et aux autres classes. Les individus qui constituent une classe donnée peuvent être pleinement ou partiellement conscients de leur identité et de leurs intérêts communs de classe, mais ne le sont pas nécessairement ; ils peuvent ressentir de l’hostilité envers des membres d’autres classes en tant que tels, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Le conflit des classes (lutte des classes, Klassenkampf) est essentiellement la relation fondamentale entre les classes, qui comporte l’exploitation et la résistance à cette dernière, mais n’implique pas nécessairement la conscience de classe ou l’activité collective commune, politique ou autre, bien que ces qualités aient des chances de se surajouter quand une classe a atteint une certaine étape de développement et est devenue ce que Marx a une fois appelé « une classe en soi » (en employant une expression de Hegel)15. Les esclaves de l’Antiquité (et des époques postérieures) correspondent parfaitement à ce schéma. Non seulement Marx et Engels désignent à plusieurs reprises les esclaves antiques comme une classe ; dans toute une série de passages16, l’esclave de l’Antiquité se voit attribuer précisément la position du salarié libre sous le capitalisme et du serf à l’époque médiévale – l’esclave est au propriétaire d’esclaves ce que le prolétaire est au capitaliste et ce que le serf est au seigneur féodal. À chaque fois, la relation est explicitement une relation de classe, qui implique un conflit des classes dont l’essence est l’exploitation, l’appropriation d’un excédent du producteur primaire : prolétaire, serf ou esclave. Voilà l’essence de la classe. En fait, dans trois de leurs œuvres de jeunesse, écrites pendant les années 1840, Marx et Engels commettent ce que j’ai appelé dans mon livre « une erreur méthodologique et conceptuelle mineure17» quand ils parlent de lutte des classes non pas entre esclaves et propriétaires d’esclaves, comme ils auraient dû le faire, mais entre esclaves et hommes libres ou citoyens. C’est clairement une erreur parce que la grande majorité des hommes libres, et même des citoyens, n’avait pas d’esclaves ; évidemment, la distinction entre esclave et homme libre ou citoyen, aussi importante soit-elle, n’est pas une distinction de classe mais seulement de statut ou « d’ordre ». Heureusement, Marx et Engels ne répétèrent pas cette erreur après 1848, autant que je sache – si quelqu’un a connaissance d’un exemple postérieur, je serai heureux d’en avoir la référence.

Cette position théorique, à laquelle je suis parvenue dans les années 1970, résout tous les problèmes que j’ai évoqués précédemment. Elle supprime toutes les difficultés empêchant de considérer les esclaves comme une classe. Et elle est remarquablement utile dans le monde moderne. Son application à la Grande-Bretagne thatchérienne n’est que trop évidente. Le fait que la classe ouvrière britannique soit loin d’être uniformément consciente d’elle-même ou de constituer une unité politique cesse d’être pertinent. Ce qui est significatif, c’est que le gouvenement se situe de manière écrasante du côté des classes possédantes, et qu’il tient absoluement – dans la mesure où il peut atteindre ses objectifs sans être mis dehors aux prochaines élections – à maintenir élevés les profits qui vont principalement aux classes possédantes et bas les salaires qui vont aux travailleurs, lesquels s’entendent dire sans cesse que s’ils font preuve « d’avidité » (en premier lieu à travers leurs syndicats), ce sont eux qui « nous » feront perdre nos parts de marché à cause de prix trop élevés.

Par dessus tout, la position théorique que j’ai décrite nous aide à comprendre un phénomène sinistre d’importance majeure dans le monde contemporain : l’exploitation capitaliste à l’échelle mondiale, qui a pris une dimension sans précédent ces dernières décennies avec la hausse des exportations de capital depuis les pays avancés vers les régions moins développées, et en particulier vers celles où, en l’absence de démocratie, la main-d’œuvre peut être soumise à un degré élevé de contrôle et de coercition – les dictatures répressives d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, par exemple, qui sont soutenues par les Etats-Unis, et bien entendu l’archétype de l’oligarchie au vingtième siècle, l’Afrique du Sud, qui joue un grand rôle dans l’esprit de beaucoup de personnes influentes dans notre pays en tant que bastion de ce qu’ils se plaisent à appeler « le monde libre ». Comme nous le savons tous, l’objectif de ce mouvement global est de produire le maximum de profit possible pour les investisseurs, membres des classes possédantes, avec les salaires les plus bas possible pour les travailleurs – l’exploitation au sens le plus complet. Dans le cadre de ce que j’ai appelé dans mon livre « la lutte des classes sur le plan idéologique18», tout ce processus se voit attribuer un faux air de respectabilité parce qu’on le désigne comme l’action bénéfique de « l’entreprise » à travers « le libre marché », sur lequel on peut compter, bien évidemment, en conséquence de sa nature même, pour distribuer les bénéfices, sous la forme de profits, avant tout à ceux qui produisent le moins cher possible et qui ne font pas dans la sensiblerie quant aux salaires de leurs ouvriers.

Activité politique et conscience

La position théorique que j’ai décrite a le très grand avantage de nous permettre d’employer le concept de classe de manière cohérente, avec le même sens, sur tout le spectre des sociétés de classe, depuis l’époque préhistorique jusqu’à nos jours. J’espère avoir fait ressortir que c’est le fait d’être devenu un historien de l’Antiquité qui m’a permis de résoudre les problèmes qui m’avaient longtemps laissé perplexe. C’est en particulier l’étude de l’esclavage grec et romain qui m’a permis de comprendre la nature du concept de classe dans la pensée profonde de Marx. Comme je l’ai déjà dit, il a toujours conçu les esclaves comme une classe. Mais voici le cas le plus extrême : si les esclaves antiques doivent effectivement être considérés comme une classe, alors ni la conscience de classe ni l’activité politique commune (toutes deux dépassant de loin les capacités des esclaves antiques) ne peuvent prétendre à être compris comme des éléments nécessaires du concept de classe dans la logique de Marx ! Ce qui donne aussi la solution des difficultés relatives aux classes dans la société moderne, qui m’avaient préoccupé depuis les années 1930.

Permettez-moi de m’écarter du sujet un instant pour dire que bien des concepts de classe différents ont été développés et qu’évidemment chacun est libre, s’il croit que cela donne des résultats plus fructueux, d’adopter une conception de la classe tout à fait différente de celle de Marx. (Ma seule restriction est qu’alors il ne faut pas essayer de faire passer ses propres idées particulières pour celles de Marx ni faire accroire que sa conception représente celle de Marx.) La façon de traiter ce sujet la plus familière aux sociologues est probablement celle de Max Weber19, dont la définition de la classe est très éloignée de tout ce qu’il est possible d’attribuer à Marx. Par exemple, Weber n’envisageait pas du tout que les esclaves puissent constituer une classe « au sens technique du terme » (c’est-à-dire selon la définition de la classe propre à Weber) parce que, comme il disait (et je le cite), « le destin des esclaves n’est pas déterminé par la possibilité d’utiliser des biens ou des services pour eux-mêmes sur le marché. »20 Pour Weber, « en fin de compte la “situation de classe” est la “situation sur le marché” » ; évidemment les esclaves n’agissent pas sur le marché : ils sont donc, pour Weber, non pas une classe mais un Stand, un groupe de statut. Je tiens aujourd’hui à exprimer de nouveau, comme dans mon livre sur la lutte des classes21, mon étonnement de ne trouver nulle part dans l’œuvre de Weber – et je crois avoir épluché toutes les parties pertinentes – la moindre prise en compte sérieuse du concept de classe foncièrement différent qui était celui de Marx. (Si j’ai manqué quelque chose, j’espère que quelqu’un m’éclairera.) Cependant, je suggère qu’il y avait peut-être une raison simple à cela : Weber, comme beaucoup d’autres, n’a peut-être jamais bien réussi à se faire un avis sur ce qu’était au juste le concept de Marx !

Il est nécessaire d’en dire un peu plus, il me semble, à propos du concept de classe chez Marx. Une différence majeure entre mon attitude et celle de beaucoup d’autres qui ont écrit à ce sujet, comme je l’ai déjà indiqué, tient à ce que je n’ai pas accordé un poids égal à tous les différents passages (et il y en a des centaines) dans lesquels Marx dit quelque chose qui peut être pris comme une indication relative à sa conception de la classe. Ce que beaucoup de personnes ne comprennent pas, c’est que ces énoncés de Marx ne peuvent pas tous être conciliés en l’état. Au lieu d’essayer de tous les assimiler et de sélectionner à chaque occasion un énoncé en particulier qui se trouve convenir à un argument spécifique, j’ai distingué un sens principal du terme « classe » qui convient à toutes les occurrences chez Marx, à quelques rares exceptions près ; et j’insiste sur le fait que les passages qui sont en contradiction avec ce sens fondamental doivent être traités comme des aberrations et examinés attentivement pour découvrir en quoi leur contexte – qui s’avère toujours être la cause de l’aberration – a donné au passage un sens particulier. En rapport avec le monde antique en particulier, les aberrations peuvent être comprises immédiatement dans bien des cas si l’on se rend compte que quand Marx se réfère à la « classe » ou au « conflit des classes », il pense alors en premier lieu, voire uniquement, à des luttes politiques.

Un exemple tiré du dix-neuvième siècle qu’absolument personne ne peut contredire se trouve dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, quand il dit par rapport à la toute fin de 1850 que « la bourgeoisie, en abolissant le suffrage universel, avait mis fin elle-même à la lutte des classes22.» (On avait voté une loi restreignant le droit de vote quelque sept mois avant.) Au sens propre, cet énoncé est tout simplement ridicule en l’état, mais il peut devenir tout à fait sensé si nous lui faisons dire, comme le voudrait le contexte, que l’abolition du suffrage universel avait pour l’instant banni le conflit des classes du Parlement français. Dans quelques autres passages Marx, en contraste radical avec la position qu’il adopte ailleurs, va jusqu’à parler comme si les travailleurs dans une société capitaliste ne pouvaient pas du tout être considérés comme une classe tant qu’ils n’avaient pas « pris une forme politique » ou « n’avaient pas été organisés comme classe23». Dans un passage souvent cité du 18 Brumaire, Marx dit des petits paysans français qu’à un certain point de vue ils constituent une classe et qu’à certains autres égards ce n’est pas le cas24. Il se trouve que le contexte exige que le second énoncé reçoive toute l’attention, et je l’ai déjà vu cité tout seul tandis que le premier était ignoré25, quoiqu’il soit parfaitement clair, sur la base de nombreux autres passages du 18 Brumaire et d’autres œuvres de Marx, qu’il considérait bel et bien les petits paysans comme une classe26.

Ceux qui nient que les esclaves de l’Antiquité aient pu constituer une classe citent ordinairement deux passages de Marx qui se réfèrent explicitement au Klassenkampf : l’un dit (de manière peu exacte, quelle que soit la manière dont on l’interprète) que « La lutte de classe dans l’Antiquité par exemple se déroule principalement sous la forme d’une lutte entre créanciers et débiteurs27», et l’autre, que « dans l’ancienne Rome, la lutte des classes ne se déroulait qu’à l’intérieur d’une minorité privilégiée, entre les libres citoyens riches et les libres citoyens pauvres, tandis que la grande masse productive de la population, les esclaves, ne servait que de piédestal passif aux combattants28.» La solution est que Marx pense uniquement, dans les deux cas, à des luttes politiques, et que la simple insertion à chaque fois du mot « politique » pour qualifier « lutte des classes » met les deux énoncés en accord avec le fond de sa pensée, et nous permet d’accepter ses autres énoncés dans leur sens naturel. Nous n’avons dès lors aucune raison de refuser de reconnaître les esclaves romains comme une classe impliquée dans une incessante lutte des classes sur le plan économique.

Ce n’est que justice, je suppose, de faire quelques références aux historiens – marxistes et non-marxistes – qui cherchent à montrer ou, le plus souvent, admettent que les esclaves ne doivent pas être considérés comme une classe. Je me restreindrai au petit nombre des plus reconnus d’entre eux. (On trouvera des références dans le chapitre III, sous-partie ii de mon livre sur la lutte des classes, avec une réfutation brève mais suffisante29; la question est abordée plus en profondeur dans mon texte pour le « Colloque Marx » de Paris.) Il y a un article d’un historien français de l’Antiquité reconnu, le Professeur Pierre Vidal-Naquet, qui est souvent cité et a reçu l’approbation enthousiaste de Sir Moses Finley30, et un recueil de textes commun, en français et en anglais, de Vidal-Naquet et du Dr Michel Austin (de l’Université de St Andrews), avec une longue introduction par Austin. On me dit que celle-ci est très lue par les étudiants britanniques de premier cycle dans la version anglaise améliorée du livre, intitulée Economic and Social History of Ancient Greece.31 Bien qu’aucun des trois savants en question ne soit d’aucune façon un marxiste, ni ne se considère comme tel, ils prétendent surtout caractériser la position de Marx. Leurs arguments, si je puis les appeler ainsi, me semblent entièrement dénués de consistance contre ceux que j’ai moi-même esquissés, mais si cela vous intéresse, vous pourrez les lire et vous faire votre propre avis.

Les Italiens ne font pas mieux. Je n’ai le temps de signaler que le Professeur Andrea Carandini, l’un des meilleurs archéologues italiens, qui est un marxiste et qui fait preuve d’une plus grande connaissance de l’œuvre de Marx que les autres dont j’ai fait mention, même si je dois dire qu’étrangement, il semble ignorer le grand nombre de témoignages qui vont contre lui32 Son livre, qui porte principalement sur les formations économiques précapitalistes, ne m’était pas accessible quand j’écrivais mon livre sur la lutte des classes, et je dois donc faire mention de son titre énigmatique, dont le sens risque de n’être compris facilement que par ceux qui connaissent leurs « Grundrisse »33 : il s’agit de L’anatomia della scimmia. À Oxford il y a quelques années de cela, j’avais un élève en Lettres classiques qui cherchait dans une librairie (je ne sais plus laquelle) l’ouvrage de Rice Holmes sur l’empereur Auguste appelé The Architect of the Roman Empire : il m’a raconté l’avoir trouvé dans la section « architecture ». Je me demande où pourrait se trouver dans une librairie de cette sorte l’ouvrage de Carandini – son « livre sur les singes », comme j’ai tendance à l’appeler – et je me hâte de préciser que je ne veux pas manquer de respect à un savant aussi compétent. Je suppose que l’évidence du mot « anatomia » le relèguerait probablement à la section « médecine », sous la rubrique « anatomie ». Mais peut-être que si le libraire connaissait le sens de « scimmia », il aurait plutôt tendance à le ranger en « zoologie ».

Paysans et exploitation

Je veux aborder à présent un problème de la théorie marxiste des classes qui m’a donné à une époque beaucoup de fil à retordre et dont la solution m’a peut-être coûté plus de temps que pour tout le reste. Il porte sur ce qui était en fait la majorité de la population du monde grec et romain pendant bien des siècles, à propos de laquelle nous en savons toutefois infiniment moins qu’au sujet des classes supérieures (à cause de la nature de nos sources) : je veux dire les producteurs libres indépendants, lesquels évidemment étaient dans leur très grande majorité sûr des paysans. Et cela donne plus d’intérêt à ce que je vais dire que si je parlais seulement de l’Antiquité gréco-romaine, parce que, comme l’a bien dit Teodor Shanin, « il vaut la peine de se rappeler que dans le passé comme dans le présent, les paysans représentent la majorité de l’humanité34.» Beaucoup d’études sur les paysans ont été écrites ces dernières décennies, le plus souvent par des sociologues et des anthropologues qui sont peut-être les mieux à même de s’occuper du monde contemporain, mais qui sont complètement désarmés face à l’Antiquité, sauf ceux qui savent se débrouiller avec cette matière première souvent très difficile que sont les témoignages anciens – et ils ne sont qu’une poignée35.

Mon problème spécifique, en tant qu’historien de l’Antiquité, commença à m’apparaître quand j’étais étudiant en premier cycle, à la fin des années 1940, mais je ne suis parvenu à une solution satisfaisante que dans les années 1970. En bref, le problème peut être formulé comme ceci. Dans l’Antiquité, les esclaves, les serfs et les personnes réduites en servitude pour dettes subissaient l’exploitation selon des modalités parfaitement claires, de même qu’un certain nombre de paysans, y compris des fermiers qui payaient des loyers exorbitants et qui avaient des arriérés de paiement à cause de ces loyers, et des propriétaires qui, en cas de mauvaise récolte, devaient emprunter sur leurs biens à des taux usuriers : dans les deux cas, on pouvait être expulsé de son exploitation ou réduit en esclavage pour dettes. Mais qu’en était-il de la grande majorité des petits paysans propriétaires, qui arrivaient au moins à joindre les deux bouts grâce à leurs fermes transmises de génération en génération ? Comment étaient-ils exploités ?

J’ai répondu à cette question dans mon livre en distinguant deux espèces différentes d’exploitation : l’une que j’appelle « directe et individuelle », et l’autre « indirecte et collective »36. La première (« directe et individuelle ») est exercée sur des travailleurs salariés, des esclaves, des serfs et des personnes réduites en servitude pour dettes, ainsi que sur des fermiers, des métayers et des débiteurs ordinaires, par des employeurs particuliers, des maîtres, des propriétaires fonciers et des prêteurs ; elle ne présente aucune difficulté. L’exploitation peut être dite « indirecte et collective » quand un État (y compris par exemple le gouvernement impérial de Rome ou celui d’une cité grecque ou romaine), représentant principalement les intérêts d’une ou plusieurs classes supérieures, impose des charges disproportionnées à une ou plusieurs classes dépendantes. Ces charges peuvent être commodément réparties sous trois chefs : la taxation, la conscription militaire et le travail forcé ou les services personnels effectués sous la contrainte. Je vais parler très brièvement des trois. La taxation, souvent incroyablement légère dans les cités-états de la Grèce classique et dans la République romaine, augmenta énormément sous l’Empire romain, jusqu’à absorber une grande proportion du produit total de la paysannerie dans l’Empire tardif : voyez en particulier le dernier chapitre de mon livre sur la lutte des classes et bien sûr l’œuvre majeure de A.H.M. Jones sur l’Empire romain tardif37. L’effet de la conscription militaire fut très variable dans l’Antiquité : parfois les classes les plus pauvres s’en tiraient à bon compte, mais dans les troisième et deuxième s. av. n. è., comme le savent tous les historiens de la République romaine, la conscription était un terrible fardeau pour la paysannerie de l’Italie romaine et de nombreux agriculteurs pauvres perdirent leur terre en conséquence. La dernière de mes trois catégories, les services obligatoires, a reçu beaucoup moins d’attention que les deux autres, et j’en donnerai donc un ou deux exemples que tout le monde connaîtra, tirés du Nouveau Testament. Nous avons tous entendu parler de Simon de Cyrène, que les Romains obligèrent à porter la croix de Jésus jusqu’au lieu d’exécution, mais même les philologues classiques ignorent souvent qu’au sujet de cet incident aussi bien Marc que Mathieu emploient le terme technique grec approprié à de telles charges : une forme du verbe angareuein.38 Angareia en grec et angaria en latin sont issus d’un mot longtemps employé dans l’Empire perse pour les services de transport, repris par les royaumes hellénistiques et qui finit par s’appliquer, à l’époque romaine, aux charges semblables et apparentées bénéficiant à l’État ou aux municipalités39. Il faut connaître le système de l’angareia pour comprendre cette parole de Jésus dane le « Sermon sur la Montagne » : « Si quelqu’un te force à faire mille pas, fais-en deux mille avec lui » – ici encore le terme grec est une forme du verbe angareuein.40 (Je suggère que ce passage mérite plus d’attention qu’il n’en reçoit d’habitude dans les débats sur l’attitude de Jésus par rapport aux autorités politiques de son temps. Je pense que c’est peut-être un des textes qui a contribué à la formation de l’attitude politique passive de St Paul, telle qu’elle s’exprime dans un ensemble de textes catastrophiques qui peuvent être résumés dans les termes de l’Épître aux Romains : « les autorités qui existent ont été instituées par Dieu ».41) Il vaut peut-être la peine de signaler que le philosophe Épictète (un ancien esclave, d’ailleurs) était nettement moins enthousiaste que Jésus à propos de la coopération avec les officiels qui exigeaient l’angareia : il dit avec pragmatisme que d’obéir à la réquisition de son âne par un soldat relève du bon sens. Si l’on objecte, dit-il, la conséquence probable sera de se faire battre, et l’animal sera saisi tout de même42.

J’ajouterais qu’après avoir élaboré la théorie des formes d’exploitation que je viens de décrire, j’ai été encouragé de constater que Marx lui-même l’avait formulée en partie, dans un des articles de la série qu’il a contribuée à la Neue Rheinische Zeitung en 1850, lesquels sont connus sous le titre Les luttes de classes en France. Marx y écrit ceci à propos de la condition des paysans français de son temps : « Leur exploitation ne diffère que par la forme de l’exploitation du prolétariat industriel… L’exploiteur est le même : le capital. Les capitalistes particuliers exploitent les paysans particuliers à travers les prêts hypothécaires et l’usure ; la classe capitaliste exploite la classe paysanne à travers les taxes de l’État43

Sociétés esclavagistes ?

Il y a encore un aspect de la théorie marxiste des classes que je veux aborder, parce qu’il peut susciter la perplexité s’il n’est pas éclairci. C’est un problème qui peut se présenter en rapport avec n’importe quelle société de classes mais qui est particulièrement aigu en ce qui concerne l’esclavage antique. Ce qu’il faut pour le résoudre, c’est simplement de reconnaître ce que Marx lui-même dit dans une série de passages des trois volumes du Capital, que j’ai discutés dans le chapitre II, sous-partie ii de mon livre44. (Il se peut que quelqu’un ait déjà traité récemment le sujet à fond en termes généraux, mais je n’ai pas connaissance d’un traitement satisfaisant.) À l’époque moderne, certains marxistes, forts du savoir que Marx et Engels ont constamment considéré le monde grec et romain comme une « société esclavagiste », ont cru nécessaire d’affirmer que dans ce monde la plupart de la production effective était accomplie par des esclaves. Mais on peut montrer que cette opinion est fausse : la plus grande part de la production, en particulier dans l’agriculture (qui était de loin de secteur le plus important de l’économie ancienne), était accomplie par des paysans qui étaient libres, du moins en théorie – même si à partir du début du quatrième siècle de l’ère chrétienne, de plus en plus d’entre eux furent réduits au servage sous diverses formes45 – et que beaucoup de travail de fabrication était aussi fait par des travailleurs libres. La position à laquelle je viens de m’en prendre a suscité de nombreuses critiques, à juste titre, mais malheureusement, bien des gens ont aussi supposé que cette opinion est une conséquence inévitable si l’on accepte une analyse marxiste de la société antique, ce qui n’est pas le cas. Je ne nierai pas que Marx lui-même a peut-être cru que dans une grande partie de l’Italie et de la Sicile à la fin de la République romaine (à peu près le dernier siècle et demi avant n. è.), les esclaves effectuaient la plupart du travail. (Cette position, quoique fausse, serait loin d’être absurde.) Mais selon les principes établis par Marx lui-même dans les passages du Capital auxquels j’ai fait allusion, la nature d’un mode de production donné n’est pas décidée par qui effectue la plupart du travail de production, mais en fonction de la méthode d’appropriation du surplus, la manière dont les classes dominantes arrachent le surplus aux producteurs primaires. À tout le moins dans les parties les plus développées du monde grec et romain, si (comme je l’ai dit) ce sont les paysans et artisans libres qui étaient responsables du gros de la production, c’est à partir du travail non-libre que les classes possédantes obtenaient le plus gros de leur surplus régulier46. (Les classes possédantes, dans ma terminologie, sont celles qui peuvent, si elles le souhaitent, vivre sans vraiment travailler pour gagner leur vie : qu’elles travaillent ou non, elles n’y sont pas obligées. Elles ont peut-être représenté entre deux ou trois et dix ou quinze pour cent de la population libre dans l’Antiquité grecque et romaine, selon le lieu et la période. L’estimation basse doit être plus proche de la réalité en général, je crois, et en particulier pendant la période romaine.)

Le travail non-libre n’était pas uniquement le fait d’esclaves : premièrement, des formes de servage (les hilotes de Sparte, par exemple) existaient ici et là dans le monde grec à titre très exceptionnel47 ; et deuxièmement, la servitude pour dettes existait dans la plupart des endroits du monde grec et romain (l’Athènes démocratique est la grande exception), à une échelle bien plus importante que ne l’ont reconnu la grande majorité des historiens de l’Antiquité. (Je l’ai montré sur la base de nombreux témoignages dans le chapitre III, sous-partie iv de mon livre sur la lutte des classes48.) Troisièmement, après l’an 300 de n. è. environ, il me semble probable que les classes possédantes aient plutôt obtenu leur surplus (qui avait toujours un caractère principalement agricole) des serfs-paysans que des esclaves proprement dits, bien que l’esclavage ait conservé une certaine importance. Toutefois, c’est une question atrocement difficile, que j’ai tenté de discuter en détail dans le chapitre IV, sous-partie iii de mon livre49, et il est inutile de m’attarder dessus maintenant. Je veux seulement ajouter qu’à mon avis l’énoncé de Marx le plus utile à ce sujet se trouve dans les Grundrisse, à savoir que le monde antique est caractérisé par la « direkte Zwangsarbeit », le travail obligatoire direct50. Le monde grec et romain – en tout cas jusqu’au septième siècle de l’ère chrétienne, c’est-à-dire aussi loin que me permette d’aller ma propre connaissance des sources – était effectivement une société qui dépendait du travail non-libre, au sens où ses classes possédantes ont toujours tiré du travail non-libre le gros de leur surplus régulier.

La versatilité des concepts de Marx

Mon temps de parole est presque écoulé, donc vous vous attendez peut-être à ce que je dise quelques mots avant la fin sur les théories concurrentes de l’interprétation historique, pour les confronter au matérialisme historique de Marx. Je n’en évoquerai brièvement que deux : le structuralisme, et le genre d’approche essentiellement wéberienne qu’on associe à Sir Moses Finley et à ses disciples.

De nombreuses personnes pensent que le structuralisme, représenté avant tout par les travaux de Claude Lévi-Strauss et de son école, a apporté une contribution de la plus grande importance à l’anthropologie, mais il me semble que son application à l’histoire y a jeté autant d’obscurité que de lumière, même si certains de ses adeptes, notamment la byzantiniste française Evelyne Patlagean, sont très admirés dans certains milieux. Je me contenterai de recommander ce qui me semble constituer une très bonne analyse marxiste du strcturalisme comme méthode historique par John Haldon, du Centre for Byzantine Studies de l’université de Birmingham, parue en anglais dans le périodique Byzantinoslavica, livraison de 198151. Tout en rendant hommage au travail de Patlagean, le Dr Haldon fait ressortir la faiblesse du structuralisme comme méthode historique, aussi bien par son incapacité à traiter adéquatement les phénomènes diachroniques (ce que l’historien doit faire sans cesse) que par son impuissance caractéristique à dépasser la simple description en donnant des explications.

Un historien bien reconnu de la société et de l’économie antiques, qui travaille dans notre pays depuis une trentaine d’années et qui a fait d’éminentes contributions à son domaine, Sir Moses Finley, a mis un abîme entre Marx et lui-même dans son livre le plus connu, L’économie antique (1973), en rejetant à la fois la classe et l’exploitation comme outils d’analyse historique. Dans ce livre Sir Moses écarte en particulier le concept de classe de Marx en quelques lignes, de manière on ne peut plus cavalière, sans montrer qu’il en ait rien compris. Pour le remplacer il choisit une catégorie hautement subjective, celle de statut – au sens wéberien, bien qu’il ne le dise jamais explicitement, je crois52. (Je dis que le statut est une « catégorie subjective » parce qu’il dépend principalement de l’estime accordée par autrui – en fait, ce qu’Aristote appellait la timè : un terme qu’il bannit presque tout à fait de sa grande œuvre sur la Politique, d’ailleurs, et qu’il réserve surtout pour ses écrits d’éthique53.) Sir Moses, dans L’économie antique, est en outre peu disposé à vraiment employer le concept d’exploitation, apparemment au motif que, comme l’impérialisme, c’est « une catégorie d’analyse trop large, en fin de compte54. » Dans deux ouvrages postérieurs, publiés en 1981 et 1982, Sir Moses a eu recours à un élément particulier de la terminologie du statut, à savoir les « élites », pour tenter de définir ce qu’il veut dire quand il décrit la société grecque et romaine comme « une économie esclavagiste » (cette tentative manquait dans l’Économie antique) : ici, il dit que les esclaves « fournissaient le gros des revenus immédiats tirés de biens … des élites économiques, sociales et politiques55. »  Le concept d’“élite” est un des faux-fuyants sociologiques les plus imprécis, qui peut parfois être utile mais devrait absolument être évité dans une définition. Outre la perte inutile de précision que cause inévitablement le mot “élite” (aggravée par le fait de parler d’élites « économiques, sociales et politiques »), ce terme n’est pas du tout bien choisi en l’espèce, car la possession d’esclaves s’étendait certainement bien au delà du niveau le plus bas auquel le terme d’“élite” pourrait encore s’appliquer adéquatement. Beaucoup de paysans aisés qu’il serait absurde de compter parmi une “élite” possédaient des esclaves pour effectuer leur travail agricole, de même que certaines personnes tout à fait modestes qui étaient actives dans la fabrication et le commerce. Ma propre formule, vous vous en souviendrez de tout à l’heure, est que les classes possédantes (les personnes en mesure de vivre sans travailler elles-mêmes pour gagner leur vie) tiraient le gros de leur surplus régulier du travail servile et des autres formes de travail non-libre56.

Je n’ai aucun mal à comprendre pourquoi tant de personnes sont mal à l’aise et malheureuses quand on les confronte sérieusement à Marx. J’aime à croire que j’ai montré dans mon livre sur la lutte des classes que l’analyse de la société par Marx, quoique conçue dans le cadre d’une tentative de comprendre le monde capitaliste au milieu du XIXe s., eut pour résultat l’élaboration d’un ensemble de concepts qui fonctionnent remarquablement bien même quand on les applique au monde grec et romain, et peuvent être utilisés pour en expliquer bien des caractéristiques et développements – l’anéantissement total de la démocratie grecque dans l’espace de cinq ou six siècles57, par exemple, ou bien même le problème séculaire de « la décadence et la chute de l’Empire romain », ce qu’on devrait plutôt appeler « la désintégration d’une partie fort étendue de l’Empire romain entre les quatrième et huitième siècles58. » Ce sont précisément cette versatilité et cette applicabilité générale de la méthode et des concepts historiques marxistes, selon moi, qui font que tant de membres de la société capitaliste de la fin du vingtième siècle sont si peu enclins à avoir le moindre rapport avec le marxisme. J’étais particulièrement heureux, d’ailleurs, quand un éminent historien romain, qui n’est pas marxiste, a conclu son compte-rendu de mon livre dans une revue savante59 en demandant s’il était possible de trouver que mes « catégories d’analyse étaient convaincantes sans en tirer des conclusions dérangeantes pour la société contemporaine », comme je l’ai fait.

Pour conclure. Dès 1845, dans la onzième thèse sur Feuerbach, Marx écrivait : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer60. » Évidemment, avant que le monde puisse être transformé, il doit d’abord être compris à fond, et nous devons débuter ce processus en nous donnant un ensemble de concepts qui nous permettront de le comprendre et de l’expliquer – et ainsi de participer au travail auquel Marx a consacré sa vie : changer effectivement le monde en mettant un terme à la société de classe, et que s’achève ainsi (comme le disait Marx lui-même dans une formule magnifiquement optimiste de la Préface de 1859) « la préhistoire de la société humaine61».

Traduit de l’anglais par Victor Gysembergh. 

Article initialement paru sous le titre de « Class in Marx’s conception of history, ancient and modern » dans la New Left Review I/146, juillet-août 1984. 

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  1. Isaac Deutscher Memorial Lecture, 28 novembre 1983. À la demande de l’éditeur, cette conférence est imprimée presque exactement comme elle a été prononcée, à part l’ajout de quelques notes de bas de page contenant des références bibliographiques. Dans les notes, l’abréviation CSAGW renvoie à mon livre The Class Struggle in the Ancient Greek World (Duckworth, 1981 ; réimpression corrigée en édition de poche, 1983). Les renvois aux œuvres de Marx et d’Engels correspondent aux éditions classiques : MECW, MEW, MEGA1 et MEGA2 [idem, deuxième édition]. [NdT : Marx and Engels. Collected Works ; Marx-Engels. Werke ; Marx-Engels Gesamtausgabe, première et deuxième éditions. Les renvois à MECW ont été convertis, dans la mesure du possible, à la pagination des Éditions Sociales, sauf pour le livre I du Capital qui est cité d’après la traduction de J.-P. Lefebvre. Les ouvrages d’autres auteurs ont été cités d’après la traduction française chaque fois qu’il en existait une. Certaines références bibliographiques ont été complétées.] []
  2. « Greek and Roman Accounting », dans A.C. Littleton et B.S. Yamey, Studies in the History of Accounting, Londres, 1956, p. 14-74. [NdT : cf. aussi R. Macve, « Notes on De Ste. Croix’s “Greek and Roman Accounting” », dans P.A. Cartledge et D. Harvey, Crux. Essays in Greek History Presented to David Harvey on his 75th Birthday, Londres, 1985, p. 233-264.] []
  3. Sur cette importante invention qui répartit les risques du commerce sur les classes non-commerçantes, qui étaient bien plus riches, cf. mon « Ancient Greek and Roman Maritime Loans », dans H. Edey et B.S. Yamey, Debits, Credits, Finance and Profits. Essays in Honour of W.T. Baxter, Londres, 1974, p. 41-59. []
  4.  Pour mon « livre sur la lutte des classes », cf. n. * ci-dessus. [NdT :  Pour la contribution de l’auteur aux actes du « colloque Marx », voir Geoffrey de Sainte Croix, « Karl Marx and the Interpretation of Ancient and Modern History » in Bernard Chavance (dir.), Marx en perspectives. Actes du colloque organisé par l’École des Hautes études en sciences sociales, Paris, décembre, 1993, Paris, Éditions de l’EHESS, 1985, p. 159-187. Cette contribution sera publiée prochainement en traduction française dans la revue Contretemps. Le chef-d’oeuvre Class Struggle in the Ancient Greek World fera également l’objet d’une traduction française en temps voulu.] []
  5. Voir ma contribution aux actes du « Colloque Marx », n. 4 ci-dessus. []
  6.  Je me rends compte, bien sûr, que mon emploi de cette citation n’exprime pas le sens voulu par Wittgenstein, et qu’une traduction plus réaliste de la célèbre remarque conclusive du Tractatus serait plutôt de l’ordre de « Nous devons passer sous silence ce que nous ne pouvons formuler en langage ». []
  7.  Je m’occupe de cette question dans ma contribution au « Colloque Marx », n. 4 ci-dessus. []
  8. CSAGW, p. 146, cf. p. 65-66. []
  9. Voir CSAGW, p. 146, avec la n. 15, p. 564. []
  10. Voir ma contribution aux actes du « Colloque Marx », n. 4 ci-dessus. []
  11. Marx, Le Capital (livre III), vol. 8, p. 259-260 = MEW, vol. 25, p. 892-893. []
  12. Voir CSAGW, II, ii-iii, en particulier les définitions des p. 43-44. []
  13. CSAGW, p. 43. []
  14. Marx, Le Capital (livre III), vol. 8, p. 193 = MEW, vol. 25, p. 822-823, avec livre I, p. 598, cités dans CSAGW, p. 547, n. 1 ; et bien d’autres passages, par exemple Capital, vol. 1, p. 859 ; Grundrisse, dans l’édition qui fait aujourd’hui référence, MEGA2 II, i, 1 (1976), p. 228-229 = Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », p. 474. Évidemment, le capital pour Marx était aussi un processus et « pas une relation simple » : MEGA2 II, i, 1, p. 180 = Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », p. 220. []
  15. Voir CSAGW, p. 60, avec renvoi à Misère de la philosophie, II, 5 = MEGA1, VI, p. 226. []
  16. Ceux-ci sont cités dans ma contribution aux actes du « Colloque Marx », n. 4 ci-dessus. []
  17. Voir CSAGW, p. 66. []
  18. Voir CSAGW, p. 409-452 (chapitre VII). []
  19. Voir CSAGW, p. 80-91, avec les références bibliographiques p. 696-697. []
  20. CSAGW, p. 89. []
  21. CSAGW, p. 90. []
  22.  K. Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte,  5e partie = MEW, vol. 8, p. 165. []
  23. Par exemple MECW. []
  24. Voir CSAGW, p. 60-61. []
  25. Ainsi P. Vidal-Naquet, « Les esclaves grecs étaient-ils une classe ? », dans Raison présente 6, 1968, p. 103-112, ici : p. 103 ; réimprimé deux fois, la deuxième avec la première moitié de l’énoncé de Marx, ce qui détruisait l’argument fondé sur son omission. Voir ma contribution au « Colloque Marx », n. 4 ci-dessus. []
  26. Les paysans sont très bien analysés dans un article d’Engels, « La question paysanne en France et en Allemagne », signalé dans CSAGW, p. 211. Pour un traitement excellent des paysans médiévaux, voir les ouvrages de Rodney Hilton cités dans CSAGW, p. 680. []
  27. K. Marx, Le Capital (livre 1), p. vol. 1, p. 153 = MEW, vol. 23, p. 149-150. []
  28. Marx, Préface à la seconde édition (1869) du 18 Brumaire, dans MEW, vol. 8, p. 560 = vol. 16, p. 359-360. []
  29. CSAGW, p. 63-66. []
  30. Voir n. 24 ci-dessus, avec M.I. Finley, Économie et société en Grèce ancienne (trad. fr. J. Carlier), Paris, 1984 ; id., Esclavage antique et idéologie moderne (trad. fr. D. Fourgous), Paris, 1981. []
  31. Voir CSAGW, p. 64-65. []
  32.  J’en traite dans ma contribution aux actes du « Colloque Marx », n. 4 ci-dessus. []
  33. Voir le passage pertinent dans MEGA2 II, I, 1, p. 40 = K. Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », p. 62. []
  34. T. Shanin (éd.), Peasants and Peasant Societies, Harmondsworth, 1971, p. 17. []
  35. Voir CSAGW, p. 208-228 (= IV, ii) sur les paysans de l’Antiquité. []
  36. CSAGW, p. 205-208 (IV, i). []
  37. CSAGW VIII, ii-iii, en particulier p. 473-503 ; et A.H.M. Jones, The Later Roman Empire 284-602, Oxford, 1964, en particulier II., p. 767-823 (chapitre XX). []
  38. Voir CSAGW, p. 15, sur Mc 15.21 et Mt 27.32. []
  39. Voir CSAGW, p. 14-16. []
  40. Voir CSAGW, p. 15, sur Mt 5.41. []
  41. Voir CSAGW, p. 398, avec la citation de Rom. 13.1-7 et d’autres passages. []
  42.  Voir CSAGW, p. 15, avec la citation d’Épictète, Entretiens, IV, i, 79. []
  43. Voir CSAGW, p. 206 []
  44. CSAGW, p. 50-52. []
  45. Voir CSAGW IV, iii, en particulier p. 249-259. []
  46. Voir CSAGW, p. 52-54, p. 133-134 et p. 140 sq. ; cf. III, vi, en particulier p. 179-82, etc. []
  47. Voir CSAGW, p. 135-136 et p. 147-158. []
  48. CSAGW, p. 136-137 et p. 162-170 ; cf. p. 282. []
  49. CSAGW IV, iii, en particulier p. 255-259. []
  50. Voir CSAGW, p. 54 ; cf. p. 52 et p. 133. []
  51. John F. Haldon, “On the structuralist approach to the social history of Byzantium”, dans Byzantinoslavica 42, 1981, p. 203-211 : un article de compte-rendu de deux livres d’Evelyne Patlagean, Pauvreté économique et pauvreté sociale à Byzance. 4e – 7e siècles, Paris, 1977, et Structure sociale, famille, chrétienté à Byzance. IVe – XIe siècle, Londres, 1981. Je devrais peut-être ajouter que le structuralisme, du moins au sens strict de Lévi-Strauss, semble aujourd’hui connaître un recul général ; et selon un compte-rendu de Rodney Needham, dans le Times Literary Supplement 4228, 13 avril 1984, p. 393, Lévi-Strauss lui-même écrit dans son dernier livre, Le regard éloigné, que le structuralisme est « passé de mode ». Par son influence sur Louis Althusser et ses disciples, le structuralisme me semble avoir fait de gros dégâts sur l’étude du marxisme en France. Je ne connais pas les travaux qui sont parfois décrits de façon générale comme « post-structuralistes », au sujet desquels voir brièvement Perry Anderson, In the Tracks of Historical Materialism (Wellek Library Lectures, données à l’université de Californie à Irvine), Londres, 1983, p. 39-57. []
  52. Voir CSAGW, p. 58-59 et p. 91-94. []
  53.  Voir CSAGW, p. 80 avec p. 551, n. 30. Compte tenu de la remarque légère de M.I. Finley, dans L’invention de la politique (trad. fr. J. Carlier), Paris, 1983, p. 32, n. 2, disant que dans mon livre sur la lutte des classes j’aurais « fait d’Aristote un marxiste », je devrais peut-être souligner ici que je me suis contenté de montrer en détail les importants points communs entre la méthode d’Aristote pour analyser la politique grecque et l’approche de Marx : voir CSAGW, p. 69-80 (= II, iv). []
  54. Voir CSAGW, p. 91. Dans le livre postérieur de Finley, Esclavage antique et idéologie moderne (trad. fr. D. Fourgous), Paris, 1981, je crois que « l’exploitation » figure à peine, à part p. 78, si ce n’est dans l’expression « unité d’exploitation » (par exemple p. 133, p. 135, p. 136 et p. 137). []
  55. Esclavage antique et idéologie moderne, répété dans M.I. Finley, « Problems of Slave Society : Some Reflections on the Debate », dans le premier fascicule du nouveau périodique italien Opus 1, 1982, p. 201-210, ici : p. 206. Je ne puis accepter l’affirmation de Finley dans ce dernier texte, disant que « cette définition peut aisément être traduite en termes marxistes » : une telle « traduction » impliquerait des modifications majeures du cadre conceptuel. []
  56. Dans son dernier livre, L’invention de la politique (1983), que je n’ai eu sous les yeux qu’après avoir donné cette conférence, Finley semble avoir renoncé à son attachement aux concepts de statut (mais sans l’admettre, il me semble) et avoir commencé à penser en termes de classe: voir de nombreux passages dans ce livre (à partir de la p. 23), dont l’index contient une vingtaine d’entrées à la rubrique “classe” mais aucune à “statut” (ou “ordre”). Malheureusement, il se refuse à préciser ce qu’il entend par “classe” et dit simplement qu’il a « utilisé le terme “classe” de façon imprécise, comme on le fait habituellement dans le langage ordinaire » (p. 32). Ce qui rappelle une justification qu’il donnait en 1973 à son choix du statut plutôt que de la classe comme outil d’analyse principal, à savoir que c’est « un mot admirablement vague » (cf. mon commentaire dans CSAGW, p. 92). Espérons que, s’apercevant de même que l’utilité d’un nouveau concept imprécis est limitée, il estimera nécessaire de le définir convenablement. []
  57. Je n’ai jamais pu trouver une explication moderne acceptable de ce processus, et je me suis donc senti obligé de le décrire en détail dans CSAGW, p. 295-326 et p. 518-537. []
  58. Voir CSAGW VIII, en particulier p. 474-503. []
  59.  T.D. Barnes, dans Phoenix 36, 1982, p. 363-366, ici : p. 366. []
  60.  K. Marx, Thèses sur Feuerbach = MEW, vol. 3, p. 7 et p. 535; voir aussi MECW, vol. 5, p. 585, n. 1. Marx, « Thèses sur Feuerbach » in Marx et Engels, L’Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 4. []
  61. L’édition allemande de référence de la Préface de 1859 à la Contribution à la critique de l’économie politique est désormais MEGA2 II, ii (1980), p. 99-103. Voir Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, Paris, Éditions sociales, 2014, p. 64. []
Geoffrey de Ste. Croix