Karl Marx, critique de la modernité bourgeoise

La critique du capitalisme se trouve régulièrement appauvrie, sous le poids du sociologisme, de l’économisme ou de tout académisme. Dans le droit fil du philosophe marxiste Bolívar Echeverría, l’économiste Andrés Barreda Marín propose un retour radical au moment critico-théorique de Marx, comme critique de la totalité des rapports sociaux. Contextualisant les apports marxiens, l’auteur les présente comme une méditation sur la défaite de l’expérience révolutionnaire, utopique, sur les errements de la critique romantique et sur les impasses du mouvement spéculatif hégélien. Il en sort un Marx qui n’est plus amputé de ses antécédents conspiratifs, blanquistes, ou poétiques mais qui émerge au contraire comme une autocritique révolutionnaire de la longue tradition en lutte contre la modernité bourgeoise.

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Aujourd’hui, quand l’œuvre de Marx est discutée, tous types de lieux communs abondent, comme dans aucun autre cas, et dégradent et raréfient les réflexions. On donne ainsi pour évidents d’innombrables préjugés menant à l’idée que le mieux serait d’oublier ce penseur. Néanmoins, quand les dialogues souhaitent virer un peu plus vers la gauche, il résulte qu’il semblerait plus pertinent aujourd’hui de se concentrer de façon réaliste sur des questions pratiques et urgentes telles que la redistribution des revenus ou la défense des droits humains (pour les femmes, la diversité des préférences sexuelles, les peuples indigènes, les personnes avec des capacités différentes, les victimes de la violence, les gens affectés par les catastrophes environnementales, les jeunes et les personnes du troisième âge, les malades sans domicile, ou y compris pour la création de droits pour la nature en tant que telle), ce qui nous oblige à concentrer notre énergie sur la démocratisation de l’État. Ce qui paraît pertinent aujourd’hui, c’est de répondre aux demandes politiques et culturelles telles que l’éradication du machisme, du racisme, du consumérisme, de l’extractivisme, de la métaphysique du progrès, de la corruption, de la pensée coloniale, des problèmes éthiques, de construire une nouvelle façon de vivre notre sexualité, etc.

Suivant cette voie, on conclut alors qu’il vaudrait mieux ne pas nous empêtrer dans la vieille discussion sur la façon dont Marx et Engels conçurent le capitalisme et sa transformation révolutionnaire. Mais, dans le même temps, on admet que la gauche actuelle est prisonnière d’une crise de références historiques. De cette façon, répondre à des nécessités légitimes et croissantes paraitrait déboucher sur l’idée que lutter contre la barbarie actuelle est une chose si urgente qu’elle ne laisse plus de place à la nécessité de penser s’il est toujours essentiel de mettre fin au capitalisme (ou à la modernité) et à la question des prévisions sur le moyen et le long termes.

Le passage de multiples crises économiques, politiques et culturelles durant les XXe et XXIe siècles a érodé les référents de la gauche au point qu’un nombre croissant de ses représentants admettent que son identité a été complètement bouleversée. Depuis trois ou quatre décennies, la gauche se déplace irrémédiablement au « centre ». Dans cette optique, le fait de ne pas questionner les relations sociales qui définissent la société bourgeoise est désormais une façon réaliste de faire partie de cette nouvelle « gauche ». Ainsi – en fonction du pays et du degré selon lequel se différencie ce nouveau pragmatisme de la nouvelle corruption – de nombreuses personnes participant aujourd’hui aux protestations populaires contre le néolibéralisme sont tranquillement considérées comme constituant une gauche radicale. Et cela sans prendre en compte le fait que de telles luttes, dans la majorité des cas, se limitent à être le combustible hautement calorique cuisinant la réforme mondiale du néolibéralisme, ayant pour objectif la création d’un nouveau mode d’accumulation de capital capable de modérer quelques-uns de ses facteurs les plus autodestructifs et scandaleux, et, par conséquent, d’amoindrir le mécontentement qui s’accumule dangereusement sur tout le globe.

Les résistances géoéconomiques et géopolitiques au réajustement néokeynésien (qui se refuse à être attaqué par de puissants groupes du capital mondial hautement fossilisés) ont également financé tous types d’acteurs d’extrême droite, xénophobes, terroristes de manuel, groupes mafieux de l’économie criminelle ou groupes franchement néonazis, alors que les tensions entre États néokeynésiens et néolibéraux motivent une course à l’armement rassemblant tous types d’innovations de la plus haute technologie globale. La destruction des tissus sociaux qui continue d’irriguer le fort débit du néolibéralisme et le danger croissant d’un débordement belliciste, mène finalement la gestion néokeynésienne en faveur de la reproduction sociale vers la lutte pour la paix, qui implique nécessairement aujourd’hui l’indispensable lutte contre la corruption et le crime (que le néolibéralisme systématise globalement), la lutte pour la justice aux victimes de tous types de violence et pour la réparation de celles-ci.

Il s’agit d’options capitalistes préférables au néolibéralisme criminel mais qui, en plus d’enrichir et d’actualiser le sens de ce qu’implique être de gauche aujourd’hui, le brouille également. La soumission de la population au néolibéralisme est aujourd’hui si profonde qu’il est désormais possible pour les analystes et de nombreux intellectuels de présenter l’actuelle réforme du capitalisme non pas comme un mouvement historique élémentaire pour nous débarrasser du néolibéralisme, mais comme l’unique manière possible d’être de gauche. Pour cette raison, il devient normal d’affirmer que nous sommes entrés dans une nouvelle ère où n’existent plus ni les droites, ni les gauches, ni les exploiteurs et les exploités qui fragmentent les communautés. La seule chose possible et imaginable est le néolibéralisme, ou bien cet autre capitalisme, qui est de « gauche ». Xi Ying Ping, leader de la deuxième puissance du marché mondial et de la nation la plus prospère du monde, est même allé jusqu’à présenter l’importante réforme néokeynésienne commencée depuis 2012 par le Parti « Communiste » chinois – réformes économiques, politiques et culturelles du modèle implacablement prédateur des populations et de la nature en place depuis les années 1990 du XXe siècle – comme le résultat logique de la pensée de Karl Marx. Il peut ainsi dire – durant l’actuel bicentenaire du philosophe de Trèves –que le mode pragmatique (et autoritaire) par lequel l’État chinois gère son insertion dans le marché mondial – cette façon orientale de supposément produire du bien-être et du « socialisme » – est la supposée forme légitime d’adapter les théories de Marx à notre temps.

Au milieu de ce labyrinthe d’urgences, de contradictions, de mensonges et de nouvelles et vieilles confusions de la pensée critique, le sens qu’ont les discussions théoriques critiques fondamentales proposées par Marx et Engels s’efface de la mémoire des personnes en lutte. Mais, étant donné que l’intérêt à connaître ces penseurs réapparait inévitablement avec chaque fois plus d’intensité, et au-delà de ces défigurations, nous nous demandons : les idées de Marx possèdent-elles toujours un sens pour notre temps ?

Lire et faire vivre Marx à rebours de la conjoncture actuelle

Le marasme économique mondial – visible dans les différentes crises du capitalisme mondial (technoscientifique, politique, militaire, démographique, environnementale, de la santé, sexuelle, civilisatoire, etc. -, la nouvelle politique internationale nord-américaine visant à dépasser le Consensus de Washington (selon Donald Trump), la probable guerre mondiale à venir ainsi que la protestation ouvrière, sociale, environnementale, féminine et migratoire qui ne cesse de croître dans de multiples régions du monde (de façon inespérée mais similaire à ce qui a eu lieu à de nombreuses occasions durant le XXe siècle), ont alimenté un nouvel intérêt pour la lecture directe, la discussion et le débat autour de divers penseurs critiques (romantiques, utopistes, anarchistes, socialistes, féministes, écologistes, etc.), au sein desquels Marx se démarque du fait de sa propre force.

En effet, Karl Marx, professeur des plus importants professeurs de la pensée critique de notre époque – comme le remarque Jean Paul Sartre dans Questions de méthode – est celui qui a le mieux défini l’horizon de visibilité historique quand nous regardons vers la fin du capitalisme. Définition à peine équivalente au rôle qu’eut le discours d’Aristote pour la consumation du monde antique, ou à celui de Hegel pour la consolidation du monde bourgeois. Pour cette raison, l’irrémédiable aggravement des crises cycliques du capitalisme mondial actuel vient progressivement montrer la pertinence, la profondeur et la portée de ses idées critiques, à rebours de l’extraordinaire confusion qui alimente la vie contemporaine.

Au-delà de la mercantilisation onomastique par laquelle les bureaucrates d’État et la télévision allemande décidèrent de commémorer le révolutionnaire de Trèves, ou de la ritualité impériale avec laquelle les bureaucrates de l’État chinois choisirent de lui rendre un hommage pompeux, ceux qui résistent et luttent contre le capitalisme ont récupéré le bicentenaire de Marx et l’ont sorti de telles camisoles de force afin de pouvoir réfléchir de nouveau, de façon collective et stratégique, à ce que sont et pourraient être les nécessités et libertés humaines, collectives et individuelles, dans leur sens historique plus profond. Ce qui aide à mesurer le danger disproportionné qu’implique l’actuel recul historique qui menace l’humanité. Dans un tel contexte, les idées de Marx sont redécouvertes comme des alliées fondamentales des luttes de tous les groupes opprimés, parce qu’elles aident à définir et situer la totalité historique et sociale qui fait le lien entre chacune des insubordinations contre le capital et les grandes institutions aliénées de la civilisation (l’État, la famille patriarcale, le marché, la propriété privée, etc.). Dans le même temps, Marx nous aide également à rétroalimenter chacune de nos formes d’actions collectives et autonomes.

Mais ce qui est sûr, c’est que – au contraire de ce qui avait lieu dans les années 1960 et 1970 – pour beaucoup d’économistes, de sociologues, de politologues, de juristes, historiens, anthropologues, philosophes et même de nombreux activistes anticapitalistes, le fait de se pencher sérieusement sur n’importe quel apport critique de Marx est désagréable. Curieusement, ces rejets variés, même s’ils se complètent parfois, répondent également à des motifs diamétralement opposés. En effet, on le rejette en prétextant un fondamentalisme économique ou politique conservateur, une arrogance technologiciste, un nationalisme étroit, une frivolité ; on l’écarte au profit d’une dépression philosophique et culturelle, d’un libéralisme prétendument anti-totalitaire, d’un opportunisme intellectuel, du réalisme pragmatique précédemment décrit, d’un plus coriace volontarisme politique (qu’il soit de droite ou de gauche), ou sensiblement en raison du complet manque de sens et de vitalité que le néolibéralisme a imprimé sur la vie sociale et naturelle.

Le fait est que ce n’est pas seulement aux divers conservateurs, néonazis et libéraux que Marx paraît désagréable, mais également aux divers discours qui se réclament de l’anticapitalisme, tels ceux portés par certains philosophes et écologistes critiques de la modernité qui reconnaissent chez Marx une des pires vénérations acritiques du progrès technique et de la dégradation de la nature. À côté des vieilles plaintes contre les manœuvres supposément autoritaires de Marx contre Bakounine, on observe le déploiement d’autres revendications, de la part de défenseurs de la paysannerie ou de populistes, contre la thèse supposément sectaire et réductionniste d’un prolétariat qui annulerait la signification spécifique qu’ont les luttes pour la terre. Mais les critiques de Marx provenant implicitement ou explicitement des défenseurs des diverses théories de l’impérialisme (dans leurs versions hilferdiennes-léninistes, trotskystes, luxemburgistes, monopolistes, régulationnistes, etc.) sont idéologiquement dominantes. En effet, cette vision économique du capitalisme actuel semble plus avancée que celle de Marx, supposément limitée au regard du rustique capitalisme de la libre concurrence, qui, disent-ils, campait sur le XIXe siècle.

Cependant, « l’argument » préféré contre Marx, qui organise toutes les objections existantes, est la chute de l’URSS. Ce fait, converti en un argument « évident », « démontre » l’erreur supposée que porte en elle toute tentative pour construire une société socialiste ou communautaire (ce qui s’étend aux syndicats, aux coopératives ouvrières, aux partis ouvriers, aux communautés paysannes ou indigènes, aux communes, etc.). Parce qu’on présuppose que l’URSS est l’accomplissement des idées de Marx, et que les bolchéviques sont considérés comme ses élèves les plus avancés, on assume que le cauchemar autoritaire de Staline est la meilleure réalisation tangible de ce que Marx et les socialistes prétendirent construire. Ainsi, de nombreux académiciens et idéologues recommandent à leurs élèves de prendre d’extrêmes précautions pour ne pas tomber dans les réseaux malfaisants de vénérations de Marx, tissés par ses suiveurs dogmatiques.

Passées la Guerre froide et la polarisation intellectuelle de l’époque (pendant laquelle les doctrines conservatrices d’alors effaçaient soigneusement toute référence à Marx et au socialisme), durant l’ère néolibérale, le spectre du communisme étant conjuré, on se permet avec magnanimité et pitié de nommer péjorativement Marx pour l’inclure dans le panthéon démocratique des mille penseurs du passé, comme un philosophe ou un économiste de plus, comme un sociologue original, et peut-être comme un historien curieux. Mais étant donné que, durant la période actuelle, se polarise sauvagement le monde capitaliste entre misère sociale et pouvoir des entreprises, que croît le chaos général, les processus destructifs des crises, la barbarie et le danger d’un effondrement environnemental historique, il ne reste pas d’autre remède, face à la décomposition des décennies néolibérales, que de reconnaître que Marx, à un certain moment, formula une théorie de la misère croissante, de la crise, etc. Théorie qui est toujours victime d’un plagiat effronté qui reprend ses arguments généraux et particuliers sans les citer, ni les discuter. Plus encore, on assiste au démembrement soigné du corps entier de la pensée de Marx dans le but de recommander des parties ou des thèses détachées et hors du contexte de la critique générale, sans permettre la compréhension de la signification que possède tel ou tel argument au sein de l’argument complet. Grâce à cela, alors qu’est toujours valide la vieille conspiration du silence, la critique de la totalité de la société bourgeoise est chaque fois défigurée d’une nouvelle façon. Sans gaspiller une grande énergie en complexes « contre argumentations », la stratégie adoptée consiste à dissoudre Marx dans le potage des lieux communs et des stigmates.

Mais le problème est pire car, aux côtés des professeurs et des discours académiques qui se dédient à désautoriser sa pensée critique – discours qui, au cours de la montée du  néolibéralisme, ont contrôlé chacune des institutions académiques, des publications spécialisées et des moyens massifs de communication, de la pensée politique et sociale, de l’opinion publique et même des structures épistémologiques qui rendent possible le fait de penser des problèmes –, on a également assisté, durant les XXe et XXIe siècles, à l’échec et à la fragmentation politique et culturelle des divers sujets collectifs et individuels (ouvriers, paysans, étudiants, intellectuels, partis politiques, organisations sociales, etc.) qui ont lutté et résisté contre le capitalisme.

Une telle attaque historique contre tout type d’organisation sociale a détruit le sol fertile sur lequel croissaient et renaissaient les diverses versions de la pensée critique. Cette contre-offensive, qui avance durant le XXe siècle, devient plus aigüe après les mobilisations internationales de 1968 et s’exacerbe durant le néolibéralisme. Dans un tel climat, le manque de réponses anticapitalistes pratiques favorise la diversification et la généralisation de la pensée conservatrice de droite.

Dans ce contexte, de nombreux partisans de Marx, intéressés par le développement, l’actualisation et la thématisation de sa pensée, sont continuellement sous pression pour renoncer à la critique totale de la société bourgeoise. C’est pour cette raison qu’ils finissent parfois par développer des idées partielles, mélangées de façon éclectique avec d’autres vieux postulats, destinées à révoquer les arguments essentiels de Marx. Par de multiples voies apparaissent alors des versions d’une pensée « critique » marxiste – habilitée à faire beaucoup de bruit sur le marché international des idées – qui fait attention à proposer des idées politiquement correctes, réalistes, fraiches et plurielles. Se développe le nouveau spectacle des multiples concepts libres des vieilles idées maximalistes du marxisme totalitaire du XIXe siècle. Grâce à cela, les nouvelles générations sont autorisées à reprendre une idée du philosophe allemand, et même à la présenter comme radicale, mais en restant sain et sauf des impossibles engagements extrémistes de cette critique totale du monde bourgeois.

Une autre façon, plus ou moins novatrice, de contenir la curiosité envers Marx promeut de façon obsessive un spectacle « d’évidences » futiles – « ce n’était pas un homme parfait », « plus encore, il était plutôt imparfait », « il était douteusement réductionniste, déterministe, autoritaire, machiste, anti-paysans, eurocentriste, truculent et même décrépit », « plein d’erreurs théoriques » (« qui n’en fait pas ? »), à vocation « messianique », avec des analyses économiques et politiques intéressantes mais obsolètes car ne pouvant penser le monde actuel, etc. Cette véritable attaque psychologique vise à générer de la peur, afin qu’avant de lire n’importe quel texte de Marx soit accepté le fait que le sens basique de sa critique de la société bourgeoise, et du processus historique qui conduit à cette société, est erroné. Ce système inquisitoire d’affirmations fallacieuses cherche à réveiller parmi les jeunes une peur atavique d’être stigmatisés comme des fanatiques fondamentalistes.

De cette façon, les processus de domination par la voie du bien-être, la marginalisation et la terreur néolibérale volent le sens des mots et des choses, des idées critiques et des rêves formulés dans les luttes des mouvements sociaux précédents. Par conséquent, le contexte néolibéral a réussi, comme jamais auparavant, à ce que l’intervention critique révolutionnaire de Marx, malgré la croissance de l’injustice et de la violence extrême, soit peu ou mal considérée. En effet, le néolibéralisme, comme l’a signalé Jorge Veraza, conduit de façon extrême à une déformation nocive des biens de consommation, des moyens de production, de notre relation avec la nature et avec la mémoire des expériences passées pour défigurer la satisfaction des nécessités, de même que le sens historique de la richesse et de la vie. Grâce à cela, le capital acquiert la capacité de dégrader et/ou de détruire les relations avec les autres (relations d’amitié, amoureuses, de travail, sexuelles, etc.), le sens des tissus collectifs, de la vie publique et de la vie quotidienne, le sens de la communication générale et de l’action politique, de la morale et des relations de respect mutuel, le sens de la culture et, plus particulièrement, de la raison même. Cette exaltation néolibérale de la propriété privée et de l’égo narcissique (maladie mentale de notre temps selon Alexander Lowen) règne partout. Cela a offert au capital une force jamais vue auparavant qui lui permet de dégrader la capacité empathique de chacun à se mettre à la place des autres. Grâce à cela, le néolibéralisme a étendu l’impossibilité d’entamer des relations de confiance et de coopération, empêchant ainsi la possibilité de lutter énergiquement contre le capitalisme (Veraza, 2008).

On peut comprendre que les discours de la domination soient gênés par l’œuvre de Marx, et pas seulement du fait de sa capacité logique et scientifique pour mener à bien la critique rigoureuse de la totalité de la société bourgeoise. Il est également irritant que cette prétention ne soit pas seulement une des ambitions de Marx, de son ami Engels et de leurs compagnons communistes. Le rejet profond que manifeste la pensée conservatrice n’est pas réservé seulement à ce type de penseurs. Il s’étend également à la manière par laquelle la conscience humaine a la capacité de comprendre la réciprocité sociale comme productrice des composantes les plus intimes de la créativité individuelle. En effet, c’est là qu’émerge la confiance dans le communautaire, le plaisir pour le soin envers les autres, de même que l’enthousiasme pour l’être générique.

La pulsion répressive du capital cherche à invisibiliser le fait que les désirs utopiques des exploités répondent à une nécessité vitale profonde qui est persistante, collective, égalitaire et démocratique. Cette pulsion de mort trouve un intérêt à ce que ceux qui se rebellent soient incapables de s’identifier avec d’autres sujets qui, dans le passé, luttèrent de façon similaire ou convergente. De telles répressions motivent un état de solitude et d’illégitimité historique. Le pouvoir cherche également à ce que ceux qui luttent ne puissent pas s’identifier avec d’autres sujets similaires et différents qui, dans d’autres secteurs ou lieux de la société, luttent également contre les institutions aliénées de la civilisation. Il est en effet fondamental que chaque expérience soit vécue de façon sectaire. Finalement, il est également fondamental pour les pouvoirs du capital que chaque effort de rébellion ne prenne pas en compte les luttes futures qu’il faudra inévitablement mener.

Contre les nombreuses failles historiques, sociales et géographiques que le pouvoir ouvre autour des opprimés, il devient une question de vie ou de mort, pour ceux qui luttent contre le capital, que se développe une conscience historique collective qui permette d’unifier les combats du passé et du futur, et une conscience de classe qui leur permette de regrouper chaque lutte singulière au sein de la totalité des luttes qui ont lieu simultanément et successivement dans la société. Telle est la volonté d’articulation et d’identité générale qui, depuis 1843, mobilise et développe la pensée de Marx. Le rejet de sa pensée, peu importe d’où il vienne, correspond à la haine contre le collectif, haine qui fait essentiellement partie du grand effort impersonnel du capital pour maintenir sur pied l’esclavage généralisé.

Après la grande vague de répressions contre-révolutionnaires, la rébellion des parias contre le capital revient de façon croissante sur la scène mondiale tout en étant, en même temps, chaque fois plus irrépressiblement urgente. Car les luttes répondent à une nécessité authentique qui existe au-delà des motivations sujettes aux illusions historiques, à une nécessité fondamentale qui subsiste au-delà des erreurs tragiques, des limitations, des contre-finalités, des excès et même des crimes et truculences de ceux qui se considèrent eux-mêmes, avec raison ou non, comme les leaders révolutionnaires. Nécessité historique qui dérive de la façon par laquelle l’être générique s’affirme et s’aliène fatalement dans le même temps dans chaque phase de la préhistoire humaine. Situation contradictoire qui s’exacerbe à l’extrême au sein de la société bourgeoise. Pour cela, il n’existe pas d’échec historique de tel ou tel mouvement révolutionnaire qui puisse annuler définitivement un principe d’espoir qui est transhistorique et qui appartient à tous.

Une des plus grandes réussites de la théorie critique de Marx réside dans la façon qu’elle a d’expliquer comment les contradictions de la société bourgeoise réunissent les relations sociales de production les plus aliénantes et sacrificielles possibles avec des conditions techniques et sociales coopératives qui, au contraire, permettent non seulement une rébellion contre le capitalisme mais, surtout, le dépassement définitif de n’importe quel type de société basée sur des atomisations privatisées, des sacrifices classistes, racistes, étatistes, machistes, belliqueux, et de la nature en tant que telle. Ceux qui pensent que Marx aurait été surpris et désenchanté des échecs dont furent victimes les révolutions et expériences du XXe siècle n’ont en réalité aucune idée des espoirs vains, des soulèvements ratés et des révolutions manquées du XIXe siècle (Heer, 1980) ; échecs qui justement inspirèrent le sérieux et la densité transcendante de la réflexion historique critique de Marx. Si Marx est aujourd’hui plus indispensable que jamais, c’est par sa façon dialectique de comprendre le processus de constitution de l’histoire, ce qui nous permet de saisir que la frustration qui dérive des tromperies historiques et des échecs révolutionnaires se produisant au cours de la lutte contre le capitalisme fait en réalité partie de ce qui réclame le plus la construction d’un monde humain, naturellement cohérent, transparent et nécessairement post-capitaliste.

Les nouvelles générations ont besoin de connaître et d’assimiler le discours critique originel de Marx et Engels non seulement parce qu’il nous permet d’intégrer historiquement les premières luttes populaires et ouvrières qui ont cherché à aller plus loin que le capitalisme, mais surtout parce qu’il s’agit de la meilleure façon pour comprendre le complexe processus historique qui a eu lieu après sa mort, au sein duquel nous avons tenté avec beaucoup de difficulté de construire de nouvelles subjectivités et formes d’organisation qui nous permettent de vaincre le capitalisme. La lecture des livres publiés et des manuscrits de Marx, l’étude responsable et la compréhension de l’ensemble de ses arguments théoriques critiques continuent de constituer une aide théorique et logique indispensable pour développer de façon critique l’investigation sur le capitalisme contemporain. Mais cela n’épuise pas la portée critique de ce penseur. Marx constitue également une attitude éthique face au capitalisme et, par cela, correspond à une façon de lutter et de vivre individuellement et collectivement, à une façon de communiquer véritablement avec nous-mêmes, avec les autres et avec l’histoire, à une façon de dessiner des stratégies contre l’aliénation croissante, de désactiver les dynamiques omniprésentes de gaspillage et d’autodestruction individuelle et collective. Marx constitue un mode de vie quotidien mais qui, par sa richesse concrète, est adéquat au caractère irréductible de chaque individu et de chaque collectivité concrète.

Les idées de Marx forment une partie essentielle de la lutte contre le capital

Le sens original de l’intervention critique révolutionnaire de Marx et Engels tient depuis le début à l’éclaircissement de la spécificité et du sens historique des relations sociales au sein de la domination capitaliste. Intervention qui contient le premier grand bilan historique des multiples façons spontanées ou sophistiquées par lesquelles de nombreuses générations en résistance et en lutte ont cherché à fuir ou à affronter et détruire depuis l’intérieur, via des moyens économiques, sociaux, politiques et culturels, le capitalisme dévastateur. En effet, la compréhension du sens et de la transcendance des résistances, protestations, révoltes et insurrections révolutionnaires, l’efficacité politique des luttes des ouvriers industriels et paysans, l’intégrité de leurs organisations et des expériences utopiques des ouvriers dépendent d’un tel éclaircissement.

La densité historique de la période initiale de la révolution industrielle a des prémisses qu’il est nécessaire de rappeler. Léo Kofler, dans sa Contribution à l’histoire de la société bourgeoise, reconstruit la façon par laquelle l’Europe, de continuelles révoltes portées par les paysans et les habitants des bourgs, teste depuis plusieurs siècles tout type d’éclatements messianiques et révolutionnaires, au sein desquelles ressortent notamment les révoltes des nouveaux marginalisés d’Europe, – histoire que reconstruit également soigneusement Norman Cohn dans son œuvre Les Fanatiques de l’Apocalypse : millénaristes révolutionnaires et anarchistes mystiques au Moyen Âge (1983). Les villes médiévales européennes prennent, au fil du Moyen-Âge, l’apparence d’une marmite dans laquelle se cuisine le leadership bourgeois croissant qui utilise les soulèvements populaires en faveur de la progressive avancée du marché et de sa chosification des relations sociales, de la conquête de nouveaux droits bourgeois et de la sédimentation des nouvelles institutions capitalistes.

L’éclatement de la Révolution française à la fin du XVIIIe siècle et l’apparition, au sein de celle-ci, du conspirateur Gracchus Babeuf et du démocrate radical le marquis D.A.F. de Sade (Veraza, 2014), consomment la façon par laquelle, à l’intérieur de chacun de ces soulèvements du XVIe siècle, s’incube un conflit entre les intérêts d’une nouvelle classe bourgeoise et les intérêts flous non plus de vieilles mais aussi de nouvelles classes exploitées. À ce sujet, Karl Korsch observe la manière dont les insurrections ouvrières des diverses régions d’Europe durant le XIXe siècle sont la continuation directe des tâches révolutionnaires établies durant le grande insurrection de 1789.

Le XIXe siècle voit l’avènement de constantes expériences révolutionnaires bourgeoises et anticapitalistes qui, si elles s’éloignent temporairement de l’initiale insurrection française, continuent de faire dialoguer et de mélanger les agendas des perspectives bourgeoise et révolutionnaire. Pensez seulement à la succession de soulèvements communautaires et de révoltes de travailleurs salariés luddites dans l’Angleterre du début du XIXe siècle (1811-1816) ou ceux de Swing (1830) qui s’entrecoupent avec les éclatements révolutionnaires européens de 1820 et 1830 (Heer, 2008). Soulèvements durant lesquelles, si le feu de la démocratie bourgeoise s’étend, le compagnon italien de Babeuf, Filippo Buonarroti (1761-1837) se charge également de transmettre au mouvement ouvrier naissant la tradition conspirative, animant personnellement diverses sociétés secrètes en Belgique et en France. C’est durant la révolution de 1830 que l’infatigable dirigeant prolétaire Auguste Blanqui apprend de Buonarroti la tradition conspirative qu’il se charge de transmettre avec vaillance, durant une vie ponctuée d’emprisonnements, des soulèvements de 1848 à la Commune de Paris de 1871.

L’intervention critique de Marx a lieu non seulement dans un contexte de révolution politique continue mais également dans celui d’une nouvelle civilisation matérielle capitaliste aux moyens de production en état de révolution permanente, caractérisée par des crises économiques qui deviennent cycliques, par de nouvelles et abondantes valeurs d’usage qui révolutionnent la vie quotidienne, par des villes qui s’étendent sans cesse, par de nouvelles relations personnelles qui produisent une subjectivité contradictoire qui souhaite être, comme jamais auparavant, aussi bien communautaire et anticapitaliste que toujours plus individualiste à la fois. Dans ce contexte, la nouvelle réalité révolutionne aussi continuellement les penseurs sociaux, permettant l’émergence de rebelles exceptionnels tels les romantiques du désenchantement – révolutionnaires et utopistes qui, aux antipodes de la mécanisation, de la quantification et de la spécialisation capitalistes, sont poètes, philosophes, écrivains convertis en aigus psychologues, peintres, graveurs, musiciens et architectes – qui apparaissent en Angleterre, en France, en Allemagne, en Russie et dans tous les coins d’Europe (Lowy, 2015 ; Lowy et Sayre, 2017 ; Shelley, 2015).

Ce fut également le cas de poètes et écrivains critiques anglais comme William Blake (1757-1827), Lord Byron (1788-1824), John Keats (1795-1821), Percy B. Shelley (1792-1822) ou l’écrivaine Mary Shelley (1797-1851), artistes qui sont contemporains des nouveaux utopistes français comme Saint-Simon (1760-1825), Charles Fourier (1772-1837) ou plus tard Flora Tristan (1803-1844). De nouvelles manières de percevoir le monde qui, face à la souffrance brutale de la classe ouvrière anglaise, chercheront à construire les puissantes mais vaines expériences communautaires ouvrières de New Harmony aux Etats-Unis et de Harmony Hall en Angleterre impulsés par Robert Owen entre 1825 et 1833. Appartient également à cette période l’écrivain réaliste et critique Honoré de Balzac (1799-1850) qui aura tant d’influences sur le regard sociologique et psychologique précis de Marx. La version poétique, philosophique, théâtrale, picturale et musicale du romantisme allemand, incarnée par des personnalités universelles telles que J. W. von Goethe (1749-1832), F. Schiller (1759-1805), F. Hölderlin (1770-1843), G.W.F. Hegel (1770-1831), F. Schelling (1775-1854), E.T.A. Hoffman (1776-1822), Beethoven (1770-1827), Schubert (1797-1828) et Schumann (1810-1856), est également une des clés nécessaires pour comprendre la formation générationnelle de la sensualité et des idées de poètes radicaux comme Heinrich Heine (1797-1856), F. Freiligrath (1810-1876) et G. Herweg (1817-1875), ainsi que des jeunes philosophes hégéliens de gauche comme Max et Bruno Bauer, Max Stirner ou encore des philosophes radicaux Marx et Engels. Un cas analogue est celui des exilés romantiques russes Aleksandr I. Herzen (1812-1870), Nikolaï P. Ogariov (1813-1877) et du révolutionnaire Mikhaïlovitch Bakounine (1814-1876) qui, comme Marx et Engels, fut l’un des fondateurs de la Première Internationale Communiste.

Aux côtés ou au sein de ce catalogue d’artistes exceptionnels, d’intellectuels et de révolutionnaires socialistes, murissent également les sociétés secrètes ouvrières, les nouvelles communes utopiques qui bientôt se changeront en coopératives ouvrières et en organisations de démocrates radicaux, les organisations étudiantes et syndicales, les clubs politiques et les ligues de travailleurs, de même que le journalisme révolutionnaire. La nécessité de critiquer frontalement la société bourgeoise est aussi bien un désir poétique, une profonde nécessité critique, un nouveau mode de vie quotidien, une distance radicale face à la religion qu’une volonté politique et morale en état d’effervescence qui ne cesse de croître et de mûrir. Ce qui provoque, aux côtés de l’apparition de diverses sensibilités critiques et de formes de luttes, l’émergence de perspectives historiques qui défient l’État, la religion, l’argent et la propriété privée.

De là que pour ces générations rebelles, les débats francs, ouverts et sans aucun type d’entrave autour des réussites ou échecs de leurs propres expériences conspiratives, communautaires, coopératives, législatives, etc. soient exceptionnellement communs. Avec véhémence et profondeur, ces générations passent de la critique de la religion à la critique générale de l’aliénation, de même qu’à une discussion sérieuse sur ce qui caractérise véritablement les relations sociales spécifiquement capitalistes.

Cette dernière nécessité collective de réflexion a une importance clé dans les investigations originelles et les dénonciations anticapitalistes des fameux « socialistes ricardiens », que certains préfèrent désormais appeler « socialistes smithiens » (comme Thomas Hodgskin, Charles Hall, John Francis Bray, John Gray, William Thompson, Percy Ravenstone et Thomas Rowe Edmons), travaux desquels s’inspirent directement les premières réflexions de la critique de l’économie politique élaborée par Engels en 1843 et par Marx en 1844. Sont également fondamentales les idées des activistes révolutionnaires français comme Proudhon (1809-1865) et sa critique de la propriété privée, du républicain radical Louis Auguste Blanqui (1805-1881), qui sera l’émetteur direct de la tradition révolutionnaire de Babeuf, de la rigidité partisane des jacobins, de même que des idées de Saint-Simon et Fourier.

Dans ce monde de conspirations, d’expérimentations et d’exils surgissent aussi bien des philosophes socialistes habitués à de pures spéculations idéalistes, des philosophes récalcitrants individualistes comme Max Stirner, d’importants philosophes matérialistes comme Ludwig Feuerbach et d’arrogants activistes ouvriers antiréflexifs comme Wilhelm Weitling (1808-1871) qui s’enorgueillissent de leur combat contre la nécessité de penser le fond des choses. C’est également dans cette ambiance survoltée que murit ce « communisme grossier » et machiste que dénonce Marx et qui faisait cyniquement des femmes des choses devant faire partie de la propriété collective des hommes « socialistes », etc.

Bolívar Echeverría, durant l’un de ses surprenants cours au sein du séminaire de lecture du Capital au début des années 1970, signalait que l’intervention critique radicale de Marx et Engels cherche à rompre avec la situation de marasme dans laquelle est entrée la grande vague d’expérimentation anticapitaliste de la première moitié du XIXe siècle. En effet, l’effervescence expérimentale s’est épuisée et ils ne peuvent continuer à avancer sans une période de réflexion critique et autocritique plus profonde qui parvienne à saisir et comprendre le noyau depuis lequel s’organise la totalité de la vie bourgeoise. Marx et Engels montent sur la vaste scène de la révolution prolétaire justement quand la nécessité théorique critique n’est déjà plus un luxe ou une nécessité entre beaucoup d’autres, mais une nécessité immédiatement pratique qui, si elle n’est pas satisfaite, pourrait mettre en danger le processus d’autonomisation de la classe ouvrière face au capital.

Cet effort de réflexion est entrepris par Marx dès 1842-43 (face aux spoliations des bois communautaires des paysans allemands, spoliations qui les stigmatisent comme voleurs de bois, et face à la manière équivoque qu’a Hegel de penser la relation entre l’État et la société civile) et acquiert une consistance notable quand il commence une exceptionnelle collaboration amicale, critique et militante avec Friedrich Engels. Comme on le sait, cette relation mène à la rédaction, parmi d’autres textes de jeunesse, du Manifeste du Parti Communiste, à l’expérience révolutionnaire de 1848, à l’exil en Angleterre, à la rédaction, durant trois décennies, de la monumentale Critique de l’économie politique, ainsi que de nombreux articles journalistiques, et à la fondation de l’Association internationale des travailleurs. En résumé, une association de deux hommes libres qui ne cesse surement pas avec la mort de Marx en 1883 mais qui continue jusqu’en 1895 lorsqu’Engels finit d’éditer le tome 3 du Capital et mourir.

Le matérialisme historique comme référent critique révolutionnaire

À la lumière de cette nécessité théorique immédiatement pratique mentionnée auparavant, Marx et Engels réalisent, d’une part, une critique de la « guerre sociale » menée sans pitié par le capital contre la population ouvrière durant la révolution industrielle et entreprennent, d’autre part, une critique de la réflexion apologétique sur la société, l’économie, la politique, l’État, la philosophie et le droit bourgeois qu’ont réalisé le philosophe Hegel et les principaux économistes classiques anglais (Smith,  Ricardo, Petty, John Stuart Mill, etc.). Ils incluent également, en troisième lieu, une critique minutieuse de la pensée politique anticapitaliste portée par les divers groupes révolutionnaires, dans la mesure où ces propositions ouvrières ne réussissent pas à atteindre une autonomie pleine face aux appareils de domination économiques, juridiques, politiques et idéologiques capitalistes. Telle est la révision critique – qui, évidemment, se complexifie avec de nouveaux axes de réflexion au fur et à mesure de leurs vies – dans laquelle Marx et Engels se voient engagés, avec l’intention de penser en détails le signifiant omnidimensionnel de la contradiction capitaliste.

Le sérieux avec lequel Marx et Engels évaluent de façon critique la société bourgeoise les conduit à commencer conjointement, dans le premier chapitre du manuscrit intitulé L’idéologie allemande (1846), une réflexion sur la signification historique qu’a la formation bourgeoise pour la totalité du passé et pour la construction du futur. Au sein de cette réflexion sur l’histoire du développement matériel de l’humanité convergent les habilités critiques de ces deux philosophes à déchiffrer le sens matériel, économique, politique et anthropologique  que revêtent pour le développement de l’humanité les sociétés de classes, les formes mercantiles, la société bourgeoise qui débute au XVIe siècle ainsi que le capitalisme industriel. Bilan historique qui, deux ans plus tard, est exposé de façon succincte et magistrale dans le Manifeste du Parti Communiste.

Ces deux exercices reprennent et renforcent la critique de l’économie politique et de la sociologie élaborée auparavant par Engels dans ses éblouissants essais de 1843 et 1844. Ils reprennent également l’exceptionnelle critique de l’État (de 1843), de l’économie et de la philosophie (de 1844) et la critique au socialisme de Proudhon (1845) que Marx systématise auparavant.

Dans cette partie finale de l’essai, je me limite à présenter la façon dont ce bilan matérialiste de l’histoire – élaboré conjointement par Marx et Engels dans, entre autres, L’idéologie allemande et le Manifeste du Parti Communiste, approfondi par Marx dans sa critique de l’économie politique (notamment dans les manuscrits de 1857-1858 [Grundrisse] et dans Le Capital de 1867-1872) et synthétisé par les études plus tardives que ces deux penseurs dédient aux sociétés précapitalistes (dans les Notes ethnographiques de Marx de 1880-1883 et dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État écrit par Engels en 1884) – éclaire des problèmes économiques, sociaux, politiques et culturels stratégiques et définit une vision historique et révolutionnaire de court, moyen et plus long terme. Je souhaite également expliquer comment de tels référents critiques continuent d’être valides aujourd’hui, malgré le retrait d’une partie de la gauche qui a préféré les oublier aux XXe et XXIe siècles. Énumérons pour cela quelques éléments qui pourront démontrer aux nouvelles générations dans quelle mesure peuvent être fructueuses leurs réflexions sur :

1/ La forme par laquelle évolue historiquement l’organisation de la production, de la reproduction et du développement de la richesse matérielle dans toutes les époques et la façon par laquelle ce développement se base et s’exprime dans le développement correspondant de diverses formes d’organisation sociale. Grâce à cela, il devient possible de comprendre l’origine et le développement de toutes les relations sociales basées sur le sacrifice (entre hommes et femmes, entre classes sociales, etc.) présentes dans l’ensemble des sociétés humaines lorsqu’elles souffrent d’une situation de raréfaction matérielle de la richesse. Il devient également possible de saisir les possibilités historiques inédites d’une potentielle fin définitive des relations de sacrifice et d’un exercice non réprimé de la liberté collective et individuelle pour la société et la communauté humaine, grâce à la surprenante production technique et scientifique de la richesse matérielle qui est capable de se développer à partir du capitalisme.

2/ La signification du travail, pour le processus d’hominisation et pour le développement historique général de la société et de la nature, pour le développement des formes spécifiques de la reproduction humaine et pour le processus autopoïétique d’autodétermination de chaque forme sociale et des divers contenus matériels de la société. Cette réflexion sur le travail conduit à une réflexion minutieuse sur les caractéristiques historiques et ontologiques (ou transhistoriques) qu’a, non seulement le processus de travail, le processus de reproduction et de développement, mais les relations sociales d’échange métabolique de la richesse matérielle, de même que chaque sphère vitale de l’affirmation humaine.

3/ En fonction de cela, Marx élucide postérieurement le rôle décisif qu’a le développement de la richesse matérielle concrète (ou la valeur d’usage) dans tous les moments de l’histoire, de même que la façon par laquelle émerge au sein de cette histoire de la matérialité un moment tardif durant lequel apparaît le métabolisme universel croissant de la richesse. Cette croissance de la richesse est ce qui permet le déploiement des marchés, l’évolution des fonctions de l’argent et le processus d’autonomisation de la valeur des marchandises vis-à-vis de leurs valeurs d’usage.

4/ Marx et Engels questionnent également la signification ontologique qu’a le caractère social ou communautaire de la vie humaine. De cette façon, la substance sociale n’est pas considérée comme une réalité purement animale ou fixe, prédéfinie et au-dessus de l’histoire elle-même, mais comme un produit historique social et, par conséquent, comme un processus vivant qui doit continuellement être produit de nouveau. Raison pour laquelle ledit processus a lieu historiquement comme développement des formes sociales et du caractère communautaire des êtres humains.

5/ Ce développement du caractère social est non seulement ce qui transforme, sous chaque nouvelle forme sociale, la nature de chaque membre de la communauté mais qui ouvre surtout la possibilité que chaque personne se convertisse en un individu, avec une capacité chaque fois plus complexe de communiquer universellement avec lui-même et, par conséquent, avec une capacité de penser et agir librement. Ce qui correspond historiquement à l’émergence, la maturation et la progressive généralisation de la propriété privée.

6/ De cette manière, le caractère transhistorique de l’être générique – après un complexe détour qui passe par la croissante fragmentation ou atomisation des producteurs membres de la communauté, résultant de la progressive généralisation de la propriété privée et de la chosification mercantile de ses propres relations sociales –, ou sa façon d’être toujours présent au fil de l’histoire, transite des formes obligatoires de la communauté originelle à d’autres formes complètement nouvelles qui pourraient se baser sur l’association volontaire d’individus pleinement libres. Ce faisant, il passe depuis plusieurs siècles et millénaires à travers un processus durant lequel prédomine progressivement la liberté privée, la concurrence entre les travailleurs privés et les propriétaires privées, ainsi que l’incertitude du hasard et du chaos que cela normalise dans leur processus de socialisation et reproduction.

7/ De la même façon, le caractère transhistorique de la relation de travail entre la société et la nature n’est pas non plus une autre substance fixe mais bien une relation en continuelle transformation. Ainsi, ces formes communautaires dans lesquelles la société est tout et l’individu rien correspondent aux formes dans lesquelles la nature contraint aussi cruellement et implacablement la vie sociale. Tandis que l’émergence des formes sociales d’échange mercantile présuppose le développement de la capacité de travail agricole à générer de grands excédents, à les échanger et à les accumuler, les formes d’organisation du travail par des relations de classe impliquent la possibilité inédite de produire beaucoup plus d’excédents et, par conséquent, la possibilité d’étendre et de généraliser la forme marchandise, sous la forme de la société mercantile capitaliste.

Finalement, Marx et Engels sont particulièrement clairs quand ils signalent que l’unique possibilité historique que les exploités ont d’organiser des rébellions qui permettent de dépasser définitivement les relations de classes correspond au moment où le développement même du capitalisme permet l’automatisation du processus productif et la création de richesses en masse. En effet, c’est seulement à ce moment que deviennent possibles l’abolition de la mesure de la valeur pour le travail immédiat et l’abolition de l’exploitation des salariés qui produisent la plus-value.

8/ Dans ce contexte, Marx détermine en quoi consiste la loi générale du développement historique, basée sur le développement des forces productives, ainsi que la loi générale du développement capitaliste qui pousse vers l’automatisation productive et la chute tendancielle du taux de profit. C’est seulement depuis ces deux lois qu’il est possible de démontrer comment l’ensemble des problèmes et des nécessités matérielles et sociales, qui accablent l’histoire humaine et qui exigent des solutions révolutionnaires aux processus de sacrifice social, peuvent être résolus et ne sont pas condamnés à la tragique répétition de révolutions s’aliénant sous la forme de nouvelles relations sociales d’exploitation.

9/ Néanmoins, la reconnaissance de ces lois générales de l’histoire par Marx et Engels n’établit jamais un destin suprahistorique, prédéterminé et forcé vers l’émergence d’une société véritablement humaine mais souligne seulement au contraire la nécessité de résoudre des contradictions qui, en soi, peuvent très bien rester telle qu’elles, sans aucune solution. Avoir faim est une nécessité matérielle impérative pour chaque être vivant et pourtant il n’existe pas de garantie qui résolve au préalable ces nécessités corporelles pour les êtres vivants. Ainsi, si le hasard peut, dans certaines occasions, aider à résoudre de telles nécessités, il peut également contribuer à empêcher leur résolution définitive.

10/ Pour cela, la découverte des nécessités historiques qui poussent vers la solution des contradictions établies par le matérialiste historique fait en réalité état de deux types de forces historiques spécifiques : d’un côté, les forces aveugles et nécessaires de la préhistoire et, de l’autre, les forces nécessaires mais libres de la société proprement humaine. Les premières se font valoir via des formes sociales communautaires qui sont nécessairement autoritaires. Et c’est seulement jusqu’à ce que celles-ci se fragmentent et se dispersent de façon mercantile qu’elles ouvrent la possibilité d’un agir libre ; agir libre que le déploiement aveugle et chaotique des marchés empêche cependant de fleurir, laissant sur pied la domination des forces aveugles de l’histoire. Par conséquent, la forme théâtrale de la tragédie, dans laquelle les forces libres sont chaque fois victimes des forces aveugles, correspond à ces dernières formes sociales mercantiles,.

11/ Marx et Engels distinguent deux types d’histoire humaine : celle qui est inscrite au sein du règne des nécessités et celle qui pourrait être inscrite au sein du règne des libertés, et qui interrompt initialement l’histoire humaine sous la forme d’une révolution communiste. Durant la première phase, les changements historiques des sociétés, qu’ils soient d’une forme communautaire à une autre, ou des sociétés communautaires aux sociétés mercantiles, aux sociétés de classe ou à la société capitaliste, ont lieu d’une façon analogue aux changements naturels : les nécessités historiques sont satisfaites de façon aveugle, même si cela n’annule pas la présence également importante du hasard, du caprice et du non-sens au sein de cette façon de faire l’histoire. Mais, quand la société bourgeoise implante finalement une révolution industrielle (qui, de plus, devient mondiale) qui génère une production de richesse hors du commun, la façon d’opérer de l’histoire devient qualitativement différente : car le passage du capitalisme au socialisme ne peut pas avoir lieu de façon aveugle, ni avoir pour auxiliaire les forces du hasard. La nécessité historique que les êtres humains ont de terminer d’exercer contre eux-mêmes tout type de relations basées sur le sacrifice qui leur infligent de grandes souffrances, ne peut être satisfaite seulement à travers la présence de nécessités purement inconscientes.

12/ La nouvelle force historique portée par ce mouvement différencie la domination bourgeoise de n’importe quelle forme précédente. Durant les étapes historiques antérieures, le contrôle exercé par les maîtres sur les travailleurs prenait la forme d’une domination par la terreur via des relations directes de violence, comme s’ils domptaient des animaux. Pour les nouveaux maîtres bourgeois, cela ne peut suffire. En effet, la nouvelle forme sociale qui permet d’extraire des excédents comme jamais auparavant convertit les dominés en propriétaires privés de leur force de travail, c’est-à-dire, en individus libres. Pour cette raison, la nouvelle forme de domination ne peut être restreinte à la peur et à la terreur dirigée contre les esclaves, de même que cette domination n’affronte pas seulement les éclats de désespoir extrême qui engendraient de telles punitions. Sous le règne de cette nouvelle règle du jeu commence une nouvelle façon pour le peuple de se comprendre lui-même comme une série de sujets libres. Pour cette raison, ceux qui dominent ont la tâche de conduire de telles libertés jusqu’à leur fragmentation extrême, permettant seulement que les salariés obtiennent individuellement leurs salaires, privilèges et bien-être en échange d’une haute discipline productive, civile, etc. Ce qui fonctionne jusqu’à ce que les dominés aient la possibilité de comprendre le piège esclavagisant que cette situation entraine. Car chaque fois que les opprimés réussissent à construire consciemment et démocratiquement des forces collectives qui n’annulent pas la liberté de chacun (et pour cela ne reproduisent pas entre eux des formes de relations basées sur le sacrifice), les dominants tendent à perdre le contrôle de la situation. Les bourgeois, à la différence des classes dominantes précédentes, ont peur non seulement de la force naturelle collective de leurs dominés, mais surtout de la force collective spécifiquement humaine qui est capable aussi bien de combattre la peur et la terreur, qu’emploient quelques modèles de domination tel que le néolibéralisme, que de déstructurer le bien-être atomisant et passif qu’emploient les modèles complémentaires de la domination sociale-démocrate et keynésienne.

13/ De là que le passage du capitalisme au socialisme n’ait aucun destin qui lui assure le triomphe a priori. Une des pires erreurs que la dogmatisation du matérialisme historique des manuels de l’URSS promut fut de faire croire aux organisations de travailleurs du monde entier que leur destin était assuré par la force des lois de la dialectique qu’incarnaient l’État soviétique, son parti communiste et les dirigeants du comité central. Car, à rebours de ce fait, la création du socialisme ne peut être possible que lors de l’action libre et massive des classes, des groupes et des individus opprimés qui ont la capacité critique de reconnaître, de faire valoir leurs nécessités historiques et la possibilité de soutenir un processus d’accumulation de forces libres qui ouvre le chemin vers le règne de la liberté.

14/ Pour la même raison, acquièrent autant de poids le caprice antihistorique des classes dominantes qui maintiennent sur pied leurs privilèges, les patrons techno-scientifiques des énergies fossiles qui permettent de concentrer de façon obscène les richesses et le pouvoir dans les mains des plus grandes entreprises, la déviation du pouvoir des États, la défiguration de la démocratie qui clôture la participation des opprimés, la déviation de l’hégémonie de l’empire qui ferme le chemin aux périphéries et la destruction de l’homo legens qui empêche l’exercice de la raison. Tout cela dans le but d’empêcher, tant bien que mal, le développement des forces productives et les relations sociales qui assoient les bases matérielles et communautaires pour sortir historiquement du capitalisme.

15/ Face à la situation profondément déconcertante que produit l’involution antihistorique du capitalisme du XXe siècle et du néolibéralisme, la pertinence originale du marxisme se trouve dans la nécessité et la possibilité que les êtres humains ont de mettre fin à la rencontre historique ratée entre la société et la nature, de même qu’entre les hommes et les femmes (rencontre ratée qui se traduit dans ce dernier cas par l’oppression accablante de celles-ci). Marx parle de mettre fin à n’importe quel type de sacrifice comme critère pour organiser tout type de relations sociales. De même que de mettre fin à l’exploitation du travail d’une classe sociale sur une autre. La pensée de Marx ne promeut jamais la nouvelle domination d’un groupe particulier sur un autre mais, au contraire, la possibilité que le mouvement général des opprimés (qui sont obligés de vendre leur force de travail), condamné objectivement par le capitalisme à prédominer, acquiert la capacité de réclamer un monde dans lequel vaille réellement l’intérêt réel de tous. Pour cela, Marx réclame la fin de n’importe quelle forme sociale d’exclusion de personnes « en trop » et de tous les mécanismes qui la justifient (racisme, xénophobie, suprématisme, discrimination des gens différents, violence criminelle, etc.). Marx exige toujours la fin de la division entre le travail corporel et le travail intellectuel, de même que les formes de division technique du travail qui empêche l’universalisation des capacités des individus.

Dans le projet originel de Marx est également stratégique la demande de la fin de l’État, comme lien idéal et autoritaire d’un monde réellement fragmenté en propriétaires privés, en classes sociales et en territoires polarisés – comme le démontrent la distinction ville / campagne, les formes de distribution de l’usage de la nature qui concentrent le bien-être technique dans un pôle et externalisent les détritus des multiples spoliations dans un autre pôle, ou la forme nation. Marx aspire à la fin de l’État comme forme aliénée qu’acquiert le politique (le socialement libertaire), le juridique (le socialement judiciable) et la forme institutionnelle pour le monopole de la violence et de la vérité dans les sociétés de classe. Avec la fin de l’État s’achève finalement la subordination générale des forces procréatives et naturelles aux forces techniques. Il serait ainsi possible de mettre fin aux guerres comme forme technique autoritaire de solution des contradictions et différences entre régions, cultures et nations.

Comme culmination de ce qui a été mentionné précédemment, la fameuse association d’hommes libres réclame la fin définitive de la rencontre antinomique qui a toujours existé entre les individus et leur société, car dans les sociétés pré-mercantiles la communauté est tout et les individus rien et, dans les sociétés mercantiles, les individus sont tout et la société n’est rien.

Traduit du castillan par Fleur Gouttefanjat, sous le titre originel « Sens originel et pertinence actuelle de la pensée de Marx ».

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Cet article est paru originellement dans le numéro spécial publié par la revue équatorienne Religacion – Revista de ciencias sociales y humanidades à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de la naissance de Karl Marx en septembre 2018.    Pour plus d’informations sur ce numéro :

http://revista.religacion.com/revista_religacion_11.html

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Andrés Barreda Marín