La nature n’existe pas

La nature n’est pas un terrain neutre, mais le nœud de conflits sociaux irréductibles. L’ouvrage de Razmig Keucheyan, « La nature est un champ de bataille », s’attache à déconstruire le discours de l’écologie politique dominante. Il y analyse en outre la place de l’écologie dans la réorganisation actuelle du capitalisme. En considérant l’environnement comme un lieu traversé par divers rapports de domination, Razmig Keucheyan s’attache à élaborer un concept de nature réinvesti par certaines problématiques issues de la théorie marxiste. Et c’est précisément cette perspective que se propose d’examiner Paul Guillibert dans cet article, en interrogeant le concept de nature ici mobilisé.

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Autour de La nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique. Razmig Keucheyan, 2014, La Découverte, Paris.

Des partis écologistes européens aux organisations non gouvernementales américaines, de Nicolas Hulot1 à Dipesh Chakrabarty2, la doxa écologiste soutient que le dépassement de la crise environnementale suppose de renoncer, au moins provisoirement, aux clivages idéologiques et aux conflits politiques. Rien de plus salutaire dès lors que le projet du dernier livre de Razmig Keucheyan, La nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique. L’auteur prend le contre-pied de ce « consensus bien installé [qui] soutient qu’afin de régler le problème du changement environnemental, l’humanité doit « dépasser ses divisions » » (p.11). L’objectif du livre est de battre en brèche l’idée vivace selon laquelle la préservation de la nature suspendrait les luttes dans les rapports de classe, de race et de genre. Là où de nombreux auteurs affirment la nécessité de faire passer au second plan la lutte des classes, les luttes anti-racistes et l’agenda féministe et de céder à l’urgence écologique, Razmig Keucheyan montre au contraire que les luttes environnementales ne sont pas neutres. Il y a « une écologie blanche » et une écologie non-blanche (p.22). L’écologie peut être raciste et favoriser la reproduction élargie du capital.
L’auteur se propose de saisir comment la crise environnementale accroît et révèle les inégalités sociales et raciales qu’elle présuppose (chapitre 1) puis de montrer deux tendances grâce auxquelles le capitalisme dépasse cette crise : la financiarisation de la nature par l’assurance des risques climatiques (chapitre 2) et la militarisation de l’écologie (chapitre 3).
On peut tenter de reconstruire les deux thèses de l’ouvrage. La première pose que « la nature est aujourd’hui l’objet d’une stratégie d’accumulation » (p.15) qui vise à la transformer, par l’intermédiaire de la finance et de l’assurance, en marchandise immédiatement appropriable par les capitalistes. La seconde thèse est que cette stratégie d’accumulation suppose et produit le concept abstrait d’une nature substantielle, c’est-à-dire d’une entité extérieure à l’homme et indépendante de lui. L’auteur définit ainsi la nature comme « abstraction réelle » (p.81, pp. 108-11), concept central de l’ouvrage sur lequel nous reviendrons. Dire de la nature qu’elle est un champ de bataille revient donc non seulement à affirmer que la nature est marchandisée par la finance mais encore qu’il existe une idéologie écologiste qui masque les rapports de production.
L’intérêt théorique3 de l’ouvrage réside donc dans le fait qu’on peut y lire une critique de l’écologie dominante à partir d’une description de la marchandisation de la nature par la finance. L’idée de préservation de la nature suppose l’existence d’un monde non-humain distinct du monde humain. La critiquer suppose donc de déconstruire le concept d’une nature sauvage, sans histoire, extérieure aux sociétés4 que l’on peut nommer concept fétichiste ou substantialiste de nature. La critique de l’idée de nature ne va cependant pas sans poser problème dans l’économie de cet essai.
En effet, la tradition marxiste dont l’auteur se réclame a toujours supposé l’existence d’une nature extérieure à l’homme. Ceci ne repose pas sur un naturalisme clandestin mais sur la centralité de la production et du travail dans les relations métaboliques entre les sociétés et la nature.

Le travail est d’abord un procès qui se passe entre l’homme et la nature, un procès dans lequel l’homme règle et contrôle son métabolisme avec la nature par la médiation de sa propre action5.

Le procès de travail suppose bien l’existence d’un substrat naturel que les sociétés transforment pour produire des objets et leurs propres conditions matérielles d’existence. La crise écologique serait dès lors la conséquence d’une perturbation dans les échanges de matières entre les sociétés et leur environnement dérivant du mode de production capitaliste. L’exploitation de la nature dans les sociétés capitalistes se caractériserait ainsi par une « rupture de l’échange métabolique entre les sociétés et la nature6 ». L’existence d’une nature matérielle est donc la condition de possibilité d’une critique de l’exploitation capitaliste de l’environnement. Or, La nature est un champ de bataille présente une déconstruction originale du concept de nature à partir de l’idée « d’abstraction réelle ». D’autre part, la critique de l’exploitation de l’environnement à partir d’une analyse de la production est totalement absente de l’ouvrage.
Dès lors, se pose la question de l’objet spécifique de cet essai de théorie critique. Si sans un concept matérialiste de nature la critique de son exploitation semble impossible, il convient de s’interroger sur l’objet que cet essai entend critiquer. Razmig Keucheyan entend décrire la marchandisation de la nature par la finance et l’idéologie naturaliste qui en est solidaire. Pourtant, l’absence de distinction entre différents concepts de nature conduit parfois le lecteur à perdre de vue ce qui est désigné par le terme de « nature ». On peut même se demander si à déconstruire ce concept sans distinguer la nature substantielle de la nature matérielle, l’ouvrage du sociologue français ne court pas le risque de saper les fondements d’une critique matérialiste de l’exploitation de l’environnement. Notre hypothèse est la suivante : la déconstruction matérialiste du concept de nature permet d’envisager une critique de l’idéologie écologiste. Elle permet également de discuter les positions constructivistes de Bruno Latour ou de Philippe Descola7. Mais, l’absence de distinction entre un concept matérialiste et un concept fétichiste ou substantialiste de nature, conduit parfois à une indétermination de l’objet même de l’ouvrage : s’agit-il d’une critique de l’idéologie naturaliste ou d’une critique de l’exploitation de l’environnement ? Nous nous proposons de lire La nature est un champ de bataille à partir de cette tension et par une explicitation du concept de nature qu’il présuppose.
Il nous faut cependant faire une remarque préalable. Le lecteur pourrait être surpris de la différence de registre entre La nature est un champ de bataille, somme de sociologie empirique et historique, et cet article qui fait abstraction du contenu empirique pour se concentrer sur une étude des concepts. Il faut autant y voir une incapacité de l’auteur de cette recension à se positionner sur des phénomènes économique et politique dont il ignorait l’existence et une différence de champ : là où l’essai de Razmig Keucheyan utilise les méthodes de la sociologie empirique et historique, nous entendons mener une discussion conceptuelle des principales thèses de l’ouvrage. Cet écart explique notamment le fait que certains chapitres (notamment ceux sur la « militarisation de l’écologie ») ne seront pas étudiés ici.

Luttes environnementales et droits civiques : quelle stratégie pour une écologie radicale ?

Il convient de partir de l’exemple central de la première partie, le mouvement pour la « justice environnementale ». Il a pour fonction de montrer que « la race est […] un facteur explicatif de la localisation des déchets toxiques aux États-Unis » (p.20). Le mouvement américain pour la « justice environnementale » naquit dans le comté de Warren dans le nord-est de la Caroline du Nord en 1982. Cette mobilisation opposa les Noirs pauvres de la ville de Warrenton à la municipalité qui avait décidé d’enfouir les déchets d’une substance très cancérigène dans un terrain à proximité de la ville. Le mouvement pour la justice environnementale avait ceci de particulier qu’il lisait la question des inégalités écologiques à la lumière des questions raciales. L’exemple intéresse notre auteur dans la mesure où « il rend visible l’injustice raciale et sociale qui sous-tend la gestion des déchets toxiques » (p.20). Ce sont les Noirs qui assument en effet la plus grande part des conséquences négatives de la production industrielle. L’ouragan Katrina (pp.25-8) ou l’explosion de l’usine AZF à Toulouse (pp.48-9) témoignent également du fait que les catastrophes socio-écologiques touchent toujours davantage les zones urbaines occupées par des non-blancs pauvres. La répartition des risques socio-écologiques est donc profondément inégalitaire. L’écologie ne transcende pas les divisions sociales et raciales : « la couleur de l’écologie n’est pas le vert mais le blanc » (p.24). Telle est en somme l’importante leçon que tire Razmig Keucheyan du mouvement pour la «justice environnementale».
Ce mouvement s’est donc centré au début des années 1980 sur la répartition socio-spatiale des inégalités écologiques. Citant Laura Pulido, il montre ainsi que ce mouvement a concentré ses luttes sur la « sédimentation spatiale des inégalités raciales »8. Il est intéressant de constater que le mouvement pour la « justice climatique » plus récent et plus internationale n’est que brièvement évoqué au début du premier chapitre. Or, ce mouvement comme d’importants mouvements écologistes radicaux contemporains se fonde sur l’existence d’un « échange inégal » entre pays du centre et pays de la périphérie. L’« échange écologique inégal » désigne l’extraction des ressources naturelles des pays de la périphérie vers les pays du centre qui consiste, pour reprendre une expression utilisée par Alf Hornborg en une « appropriation d’espace-temps »9 : appropriation de l’espace cultivable des pays périphériques et du temps de travail des colonisés. C’est cet échange inégal qui justifie la reconnaissance d’une « dette écologique » des pays du Nord envers les pays du Sud. Ce mouvement, à l’inverse du mouvement pour la justice environnementale qui se centrait sur la répartition socio-spatiale des inégalités écologiques, considère que c’est la production des inégalités environnementales à l’échelle globale qui doit être l’objet des luttes écologistes.
L’étude du « racisme environnemental » et du mouvement de la justice environnementale qui occupe toute la première partie de l’ouvrage permet de montrer que les inégalités écologiques recoupent des inégalités socio-raciales et que les luttes écologique ne peuvent pas faire abstraction de celles-ci.

« Le mouvement pour la justice environnementale n’est issu ni du mouvement écologiste, qui nait dans les années 1950, ni du mouvement environnementaliste, qui apparaît au XIXe siècle mais du mouvement des droits civiques » (p.18).

L’écologie politique qui fait abstraction des rapports de production est une écologie politique au service des dominants. Aussi la première partie de l’ouvrage répond-elle parfaitement à l’objectif qu’il s’était fixé : montrer que l’écologie politique est structurée par des conflits sociaux, en l’occurrence de race et de classe. Mais, le choix de cet exemple s’il met l’accent sur « l’intersectionnalité » des luttes, pose réciproquement la question de l’autonomie des luttes écologistes. Si une lutte écologiste n’est radicale qu’à condition de « rencontrer » d’autres luttes (le combat pour les droits civiques, par exemple), il convient de se demander si les luttes et revendications strictement écologistes ont une autonomie. Il s’agit, en d’autres termes, de s’interroger sur l’objet spécifique de l’écologie politique.

L’objet de l’écologie politique.

Quel est l’objet de l’écologie politique ?10 Cette question semble appeler une réponse évidente : l’étude et la préservation de la « nature ». Pourtant, comme le montre Razmig Keucheyan à la suite d’un certain nombre d’historiens de l’environnement11, cette réponse est loin d’aller de soi. Reprenant au Althusser de Lire le Capital l’idée que « lire […] en philosophe, c’est exactement mettre en question l’objet spécifique d’un discours spécifique, et le rapport spécifique de ce discours à son objet », nous voudrions pour répondre à cette question envisager les différents objets que construisent différents discours en écologie politique. On peut ainsi isoler à la lecture de La nature est un champ de bataille trois objets de l’écologie politique constitué par trois approches différentes12.
L’approche qu’on qualifiera d’environnementaliste prend la « nature », comprise comme l’ensemble des êtres non-humains, pour objet. Cette conception de la nature fut mise en œuvre aussi bien par les Empires coloniaux anglais et français du XIXe siècle, que par les organisations non gouvernementales américaines. Ainsi en va-t-il des groupes environnementalistes telles que WWF ou le Sierra Club (organisation dont la feuille de mission est « d’explorer, d’apprécier et de protéger les lieux sauvages de la planète »13). Ces organisations refusent notamment de considérer comme écologistes les luttes dont le théâtre n’est pas une nature sauvage fantasmée (wilderness). La séparation qu’elles établissent entre enjeux écologistes et enjeux sociaux, permet de masquer la nature capitaliste de la crise environnementale. Dans tous les cas, il s’agit de préserver et de protéger une nature supposée « vierge » ou « sauvage » en la soustrayant aux pratiques supposées barbares et destructrices des populations locales. Ce préservationnisme a toujours accompagné les pratiques coloniales-impériales des États du centre capitaliste.
L’approche marxiste se concentre sur les relations métaboliques entre les sociétés et la nature dans le but de proposer une critique du productivisme capitaliste et d’assurer la soutenabilité des sols. Comme l’a récemment rappelé John Bellamy Foster14, l’objet de l’écologie politique marxiste est l’analyse de la « rupture de l’échange métabolique entre les sociétés et la nature ». Marx constatait déjà dans Le Capital que ce phénomène accompagne le développement du capitalisme à l’âge industriel15. La concentration des populations dans les villes à la suite de la concentration des terres pendant l’accumulation primitive et l’augmentation de la population qui l’accompagne a pour corollaire une demande croissante de biens agricoles. L’augmentation de la productivité agricole conduit à un appauvrissement des sols qui est compensé par l’importation massive d’engrais naturels. C’est précisément ce phénomène que le concept « d’échange écologique inégal » permet d’illustrer.
L’approche pragmatiste ou constructiviste prend pour objet les différentes constructions du rapport humain / non-humain pour interroger la pertinence de cette distinction dans le but d’intégrer l’ensemble des êtres au sein d’une même cosmologie. Ainsi autant les Politiques de la nature de Bruno Latour que l’anthropologie de la nature de Philippe Descola16 se proposent de déconstruire l’objet de l’écologie politique. Émilie Hache, dans l’introduction à l’ouvrage Écologie politique :Cosmos, communautés, milieux, livre un excellent résumé de ces positions : « Loin d’être universel, ce sur quoi porte l’écologie engage des conceptions du monde qui exigent – sauf à n’être qu’une forme d’impérialisme qui ne dit pas son nom – d’être explicitées et problématisées tout autant que les façons de s’y rapporter. »17 L’écologie ne porte pas « sur les mondes non humains » mais sur la « coexistence possible entre des êtres hétérogènes, humains, et non humains, dans un monde fini».18.
De quelle écologie politique l’ouvrage de Razmig Keucheyan se réclame-t-il et quel est son objet spécifique ? Il n’est évidemment pas besoin de montrer qu’il échappe à l’approche que nous avons qualifié d’environnementaliste. Tout le livre est construit comme une critique de « l’éconationalisme » des Empires coloniaux, des organisations non gouvernementales et des Etats émergents (l’Inde ou la Chine par exemple). Au contraire, l’ouvrage se présente lui-même comme un essai d’écologie politique marxiste. Le chapitre intitulé « Les inégalités écologiques : une approche marxiste » énonce ainsi que :

« La boussole marxiste employée ici recherche en toutes circonstances les traces ou les effets de la logique du capital et de la lutte des classes, d’où une primauté de principe accordé à ce facteur. (p.42)

Pourtant, l’objet de La nature est un champ de bataille n’est pas d’analyser les relations métaboliques entre les hommes et la nature ce qui supposerait d’une part une analyse de la production capitaliste et d’autre part une analyse de la reproduction de la rupture du métabolisme à l’échelle mondiale19. L’auteur ne traite ni de l’une ni de l’autre de ces questions. Un certain nombre d’éléments semble montrer que la méthodologie marxiste qu’il met en œuvre n’est au contraire pas incompatible avec une approche pragmatiste ou constructiviste. A plusieurs reprises, l’auteur évoque ainsi la possibilité que le concept de nature soit une construction de la Weltanschauung occidentale servant à justifier les pratiques coloniales et impériales des pays du centre capitaliste : « La France est elle aussi, au XIXe siècle, le lieu d’une construction sociale et coloniale de la nature » (p.54). Ainsi l’auteur fait-il référence à la sociologie de Bruno Latour et notamment à l’ouvrage Politiques de la nature20 qui propose une déconstruction du concept de nature. Razmig Keucheyan remarque immédiatement et à juste titre, qu’elle est, malgré sa prétention, une sociologie a-politique dans la mesure où elle n’envisage jamais la conflictualité des rapports de production.

L’épistémologie ‘pragmatiste’ dont procède la plupart de ces travaux est peu à même de rendre compte du caractère systémique et conflictuel des inégalités environnementales. Quelles finalités politiques le grand partage entre la nature et la culture sert-il ? En quoi est-il lié à la logique du capital, de la lutte des classes ou à la forme de l’État moderne ? Dans quelle mesure l’impérialisme et le colonialisme ont-ils influé sur ce processus ? […] Les aborder en marxiste, comme nous le faisons ici, suppose de les ‘brancher’ à une théorie du capitalisme et de ses effets dans toutes les sphères de la vie sociale. (p.43)

La tension entre constructivisme et matérialisme est centrale pour comprendre le déploiement de la problématique de cet essai. Afin de comprendre le type d’écologie politique mis en œuvre, il nous faut essayer de définir le concept de nature qui est présupposé.

La nature, enjeu des luttes ou construction idéologique

On trouve dans La nature est un champ de bataille plusieurs définitions concurrentes du concept de nature. Premièrement, la nature serait une « dimension des luttes » (p.14, 42). Deuxièmement, la nature serait une « construction » idéologique (p.54, 200). Troisièmement, la nature serait une « abstraction réelle » (p.81, pp. 108-11).

La nature comme « dimension des luttes »

L’intersectionnalité entre la classe, la race et le genre doit ainsi être complétée par une quatrième dimension, qui vient la compliquer en même temps qu’elle est elle-même compliquée par les trois autres : la nature. Celle-ci possède elle-même une ontologie (politique) hautement problématique, qui ne se conçoit que dans un rapport dialectique avec les trois autres. (p.42)

A affirmer que la « nature » ne se conçoit que dans un rapport dialectique avec les trois autres « dimensions » des luttes, on suppose que les luttes écologistes n’ont aucune autonomie. Elles seraient dépendantes des rapports de domination qu’elles viennent servir ou desservir. Cette affirmation est cohérente avec l’idée qu’il n’existe pas une seule écologie ou une seule lutte pour l’environnement mais que l’écologie politique se construit dans les luttes sociales dans lesquelles elle est mobilisée. Cela signifie-t-il que la classe, la race et le genre — comme la nature — n’existent que dans un rapport dialectique avec les trois autres « dimensions » des rapports sociaux ? Ou bien, cela signifie-t-il que la nature, contrairement à la classe, à la race et au genre n’est pas un rapport social ? Autrement dit, la nature est-elle un rapport social ou bien est-elle une « dimension » de tous les rapports sociaux ?
La classe, la race et le genre désignent des rapports sociaux de production ou de reproduction. Autrement dit, des rapports entre groupes humains (par nature socialisés) : entre bourgeois et prolétaires, blancs et non-blancs, hommes et femmes (trans- ou cisgenre). Or, la nature ne désigne pas un rapport entre différents groupes humains. Elle engage au contraire un rapport entre humain et non-humain. S’agit-il d’un rapport social ? Une réponse positive, de type pragmatiste, suppose que le partage entre humain et non-humain ne recoupe pas le partage entre société et nature. Une réponse marxiste, serait sans doute négative : elle affirmerait plutôt que la nature intervient comme présupposé qui est trouvé là-devant dans le procès de production21. La nature interviendrait comme le donné de tout rapport social. La première définition de nature que livre l’auteur est donc problématique en ce qu’elle semble hésiter entre deux conceptions concurrentes. La seconde définition semble pencher en faveur du pragmatisme.

La nature comme construction idéologique

La France est elle aussi, au XIXe siècle, le lieu d’une construction sociale et coloniale de la nature. (p.54)
L’Etat capitaliste a toutefois également pour fonction, on l’a vu au chapitre II, de construire la nature. (p. 200).

La thèse selon laquelle la nature serait construite est de prime abord une thèse pragmatiste ou constructiviste. L’idée d’une « nature » comprise comme entité « dont l’homme se retire et fait un pur ‘monde d’objets’»22 et servant d’opérateur de la domination impériale est conforme à la construction du mythe de la wilderness (nature sauvage) américaine et à celui de la « nature purifiée » (p.57) des Empires coloniaux. La déconstruction du concept de nature permet ainsi non seulement de lutter contre l’ethnocentrisme clandestin de l’anthropologue23 mais encore contre l’idéologie impérialiste de préservation de la nature. Pour autant, il existe bien un substrat matériel à la production et à la reproduction, un donné sur lequel l’homme agit. Il n’est pas nécessaire de considérer cette nature comme originaire mais il est nécessaire de considérer, au moins analytiquement, que ce à quoi le producteur fait face est un donné naturel :

Avant toute intervention de sa part, l’homme trouve l’objet universel de son travail dans la terre (y compris du point de vue économique, l’eau), qui est sa pourvoyeuse originelle de nourriture, de moyens de subsistance tout préparés24.

Du point de vue du procès de travail et donc du point de vue de la production, il existe toujours un donné transformé par le travail. La nature désigne ce donné, objet du travail. Que cette nature soit elle-même un produit du travail social antérieur ne change rien25. La nature ne désigne donc pas ici une substance ou une réalité extérieure et indépendante des sociétés. Elle est seulement ce qui est donné dans le procès de travail. Le concept d’une nature matérielle, substrat analytique de la production, est la condition de possibilité d’une critique de l’exploitation de la nature dans le capitalisme. Comment s’articule dès lors dans l’ouvrage de Razmig Keucheyan la critique de l’exploitation de la nature et la critique du concept substantialiste de nature (autrement dit, la critique ontologique et la critique idéologique) ? C’est à cette question nous semble-t-il que l’auteur apporte une réponse en définissant la nature comme « abstraction réelle ».

La nature comme abstraction réelle : le constructivisme à l’épreuve de la critique

Razmig Keucheyan émet l’hypothèse que la financiarisation de la nature consiste en un phénomène « d’abstraction-échange »26 par lequel la nature devient une « abstraction réelle ». Afin de saisir précisément ce que signifie une telle définition, il nous faut faire un double détour : par l’idée d’abstraction réelle telle qu’elle est définie par Alfred Sohn-Rettel d’une part, par le processus de financiarisation de la nature d’autre part.
L’« abstraction réelle » désigne une abstraction résultant d’un processus socio-historique et non d’un processus mental. Cette abstraction serait réalisée dans l’échange marchand en tant qu’il suppose de manière provisoire la suspension de l’usage de la marchandise échangée : la marchandise est l’objet de l’échange dans la mesure où sa valeur d’usage est provisoirement abstraite. En quoi cette analyse s’applique-t-elle à la nature ?
Répondre à cette question suppose d’étudier le mécanisme de financiarisation de la nature lui-même. Dans l’assurance classique, s’applique la loi des grands nombres qui permet de prévoir le nombre et la fréquence de survenue des risques à dédommager. Or, et là réside selon l’auteur l’une des clés de compréhension de la finance environnementale, les risques climatiques empêchent que soit appliqué la loi des grands nombres puisque les aléas qui surviennent touchent toute une zone géographique, parfois gigantesque. Les catastrophes climatiques peuvent conduire à la faillite de grandes compagnies d’assurances. D’où le fait que la constitution « d’assurance des assurances » ou de réassurances accompagnent le développement du capitalisme à l’époque moderne. Elle permet à la fois de trouver des contre-tendances à la baisse du taux de profit grâce à des débouchés extrêmement lucratif et permet de limiter les pertes financières lors des destructions occasionnées par les guerres, les catastrophes naturelles ou le terrorisme.
Pour pallier aux risques croissants en matière d’assurance des risques climatiques, les compagnies d’assurances se sont lancées dans la titrisation, c’est-à-dire dans la financiarisation de l’assurance. La thèse du second chapitre est que la financiarisation de l’assurance climatique correspond à un processus « d’accumulation par dépossession »27 de nouvel ordre qui accapare des biens jusque là non rentables, les biens naturels. Les cat bond ou catastrophe bond sont un nouveau mécanisme d’assurance qui permet de disperser les risques naturels dans l’espace et le temps. Ce produit dérivé permet aux compagnies d’assurances et de réassurances de faire supporter par des tiers les risques liés à la survenue de catastrophes naturelles. Dans le cas de survenue d’un sinistre le détenteur de l’obligation perd tout ou partie des intérêts. Les cat bonds ne concernent plus seulement les catastrophes naturelles. On apprend ainsi que certaines compagnies de réassurance tels que Swiss Re ou Axa ont mis en place des programmes de titrisation (« Vita Capital IV Ltd. » pour Swiss Re) qui leur permettrait de recevoir jusqu’à 2 milliards de dollars de dédommagement en cas de surmortalité liée à la survenue de certain type de maladie.
Or, le développement d’une finance de la catastrophe a pour corollaire le développement d’une modélisation de la nature (développée par les grands agences de modélisations que sont par exemple Applied Insurance Research, Eqecat, Risk Management Solutions). La nature devient une abstraction réelle, c’est-à-dire une abstraction qui « ne relève pas de la pensée »28 dans la mesure où la modélisation, processus d’abstraction mathématique, la transforme en bien échangeable. Cette « marchandisation par la modélisation »29 s’effectue en trois étapes (p.111) : construire l’objet, en délimiter les contours ; « désencastrer l’objet, c’est-à-dire l’isoler par rapport à son contexte » (p.111) ; enfin, instaurer une calculabilité généralisée. Ce mécanisme est parfaitement illustré par le marché des droits à polluer. L’ État ou des autorités publiques nationales ou transnationales fixent des plafonds d’émissions de CO2 inférieures à ses émissions passées. Si une entreprise les dépasse, elle paiera la différence. Or, ce mécanisme suppose bien la construction, le désencastrement et la calculabilité d’un objet (la tonne de carbone). Des organisations internationales comme l’OIT ou le Programme Alimentaire Mondial mènent de semblables politiques de « financiarisation de la vie quotidienne » notamment par l’intermédiaire de la micro-assurance.
Cette hypothèse semble induire que la financiarisation (c’est-à-dire l’échange sur le marché des produits dérivés) et la modélisation constituent toutes deux des moments du processus de l’abstraction-échange. Or, la modélisation mathématique de la nature n’est pas une abstraction « qui échappe à la pensée ». La modélisation mathématique correspond au contraire au moment idéel de l’abstraction. Il faudrait donc affirmer non que la nature « correspond » à un processus d’abstraction réelle mais que le concept fétichiste de nature dérive d’une double abstraction, réelle et idéelle, produite par la financiarisation de l’environnement et la modélisation de la nature. En ce sens, l’hypothèse de l’auteur semble à la fois confirmer et compléter (au niveau de l’intuition théorique là où le travail du philosophe francfortois s’expose au niveau de l’exigence philosophique) le travail de Sohn-Rethel :

« Quelle est donc l’origine des concepts fétichistes tels que « sujet cognitif », « l’universel », « l’esprit », la « nature » dont l’homme se retire et fait un pur « monde d’objets », et autres concepts du même genre qui fournissent le matériel nécessaire à un monde habité par des intellects purs ? L’explication se trouve dans cette vérité que nous répétons selon laquelle les catégories de l’intellect indépendant constituent les fonctions de synthèse sociale par lesquelles une société productrice de marchandises forme un lien cohérent30.

Autrement dit, les concepts fétichistes dont celui de nature seraient des produits du processus d’abstraction ayant la même valeur que les catégories kantiennes : assurer la synthèse. Là où les concepts purs de l’entendement sont, chez Kant, des règles de synthèse du divers de l’intuition en un objet, les concepts fétichistes, au premier rang desquels celui de nature, exprimeraient les règles permettant d’assurer le lien social. Le concept fétichiste de nature renverrait donc à « un pur monde d’objets »31 dont l’origine social serait abstraite. Quel est l’intérêt de cette étude du concept de nature à partir de l’analyse de Sohn-Rethel ?
Elle permet, d’une part, de décrire le processus réel par lequel la nature est transformé en marchandise par l’intermédiaire de la finance. Elle permet d’autre part de penser l’origine matérielle du concept substantialiste de nature tel qu’il est utilisé par l’écologie dominante et les défenseurs de la nature sauvage. Il faudrait donc, distinguer deux concepts de nature. Le premier désigne l’ensemble des processus matériels, qu’ils soient humains ou non-humains32. Dans sa seconde acception, la « nature » est un concept fétichiste produit par l’abstraction-échange (notamment l’échange de titres sur les marchés financiers). Cette thèse invite ainsi à penser que la « nature » comprise comme entité ou comme substance n’existe que dans la mesure où elle est produite par l’échange capitaliste.
Aussi la définition de la nature comme abstraction réelle permet-elle d’engager une discussion nourrie avec la sociologie pragmatiste de Bruno Latour ou avec l’anthropologie de la nature de Philippe Descola. Elle permet de déterminer l’origine économique matérielle du concept fétichiste de nature que le pragmatisme entend déconstruire. Que le concept substantialiste de nature, présupposé par l’écologie dominante, soit une construction de la Weltanschauung occidentale qui permet de justifier l’oppression coloniale, est une thèse partagée par certains pragmatistes33 et le sociologue marxiste. En revanche, l’idée que cette construction idéologique dérive de l’échange marchand capitaliste, autrement dit l’idée que le concept substantialiste de nature est produit par la matérialité des rapports sociaux, voilà qui distingue l’approche pragmatiste et l’approche marxiste de La nature est un champ de bataille.

Conclusion

Critiquer le caractère idéologique des discours écologistes dominants suppose d’en passer par une déconstruction du concept substantialiste de nature. La thèse selon laquelle ce concept est à la fois supposé et produit par le processus d’abstraction-échange et par la modélisation de la nature est l’une des thèses les plus originales et les plus fortes de l’ouvrage. Elle pourrait permettre d’expliquer l’origine matérielle du concept idéologique de nature et ainsi d’engager un débat extrêmement fructueux avec le pragmatisme. L’absence de distinction explicite entre le concept substantialiste de nature produit par l’abstraction-échange et le concept matérialiste d’une nature donnée dans le procès de travail conduit à un flottement concernant l’objet même de l’ouvrage : une critique de la marchandisation de la nature et de l’idéologie qui en est solidaire ou une critique de l’exploitation de l’environnement. Le choix des exemples et la méthodologie employée indique sans aucun doute qu’il s’agit bien d’une critique de la marchandisation de la nature et de l’idéologie écologiste.
On peut (et notre auteur nous y invite à plusieurs reprises, notamment dans le chapitre « L’écologie politique qui vient » et dans la conclusion du troisième chapitre) dégager des propositions négatives et positives pour une politique écologiste matérialiste. Elle doit, d’un point de vue idéologique, refuser l’idée que le rapport de l’homme à la nature transcenderait les rapports de production et les dominations de race, de classe et de genre. La préservation de la nature ne peut donc pas être un objectif des politiques écologistes radicales. Vouloir préserver la nature suppose d’appréhender l’environnement comme un domaine séparé du monde social et historique, alors qu’il est en permanence transformé et modifié par celui-ci. Une politique écologiste matérialiste doit, en revanche, du point de vue de la pratique, résister à l’exploitation capitaliste de l’environnement et permettre d’assurer les conditions de possibilité du « métabolisme sociétés-nature ».

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  1. Le « pacte écologique » de Nicolas Hulot fut proposé à la signature des candidats à l’élection présidentielle de 2007. La plupart l’ont signé ainsi que des milliers de citoyens. Voir Nicolas HULOT, 2006, Pour un pacte écologique, Paris : Calmann-Lévy. []
  2. Dipesh CHAKRABARTY 2012, ‘The climate of history. Four theses’, Critical Inquiry, 35 : 197-222. []
  3. L’intérêt empirique de l’objet est absolument indéniable et remarquable. Il ne fait cependant pas l’objet de cette recension. []
  4. L’idée selon laquelle il y aurait une histoire de la nature n’est pas nouvelle mais elle a été récemment rappelé dans la littérature française par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz dans L’évènement anthropocène, Seuil, Paris, 2013. Voir notamment p.52 : « Prendre l’Anthropocène au sérieux en tant qu’historien, c’est acter que cette vénérable discordance des temps [de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle] ne vaut plus ». Autrement dit, l’histoire de la nature et l’histoire humaine doivent être étudiées ensemble. Voir également, Karl MARX, Le Capital, Livre 1, PUF, Paris, 1993, notamment p.203 []
  5. Karl MARX, Le Capital, Livre 1, PUF, Paris, p.199. []
  6. John BELLAMY FOSTER, « Marx’s Theory of Metabolic Rift : Classical Founadations for environmental Sociology », The American Journal of Sociology, vol.105, n°2, septembre 1999, p. 366-405. []
  7. Voir notamment Bruno LATOUR, Politiques de la nature, La Découverte, Paris, 1999 et Philippe DESCOLA, Par delà Nature et Culture, Gallimard, NRF, Paris, 2005. []
  8. Laura PULIDO, « Rethinking environmental racism. White privilege and urban development in Southern California », Annals of the Association of American Geographers, vol.90, n°1, 2000, p.16. []
  9. Voir notamment Alf HORNBORG, 2011, Global Ecology and Unequal exchange, New-York, Routledge. []
  10. Nous reprenons ici le titre d’un des chapitres introductifs de l’ouvrage dirigé par Emilie HACHE, Écologie politique, Cosmos, communautés, milieux, Éditions Amsterdam, Paris, 2012. []
  11. Voir notamment Fabien LOCHER et Grégory QUENET, « L’histoire environnementale : origines, enjeux et perspectives d’un nouveau chantier », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol.4, n°56, 2009, p.7-38. []
  12. Il est évident qu’aucune de ces approches ne constitue un champ homogène. Néanmoins, on retrouve dans chacune d’elle un type de discours constitutif d’un objet d’étude spécifique. []
  13. Extrait de la feuille de mission du Sierra Club intitulée « Our Wild America », http://content.sierraclub.org/ourwildamerica/about []
  14. Voir notamment John BELLAMY FOSTER, Marx’s ecology, materialism and nature, Monthly Review Press, New York, 2000 et en français, Marx écologiste, Éditions Amsterdam, Paris, 2011. []
  15. Karl MARX, 1983, Le Capital, Livre 1, trad.coll. Sous la direction de J.P. Lefebvre, Paris : Éditions sociales, p. 791, note 186. []
  16. Philippe DESCOLA, Par delà Nature et Culture, Gallimard, NRF, Paris, 2005. []
  17. Émilie HACHE, Écologie politique, Cosmos, communautés, milieux, Amsterdam, Paris 2012, p.14. []
  18. Ibid., p. 13. []
  19. On peut ici se rapporter dans des registres différents aux travaux de Mike DAVIS, Late Victorian Holocaust,Verso, Londres, 2000 ; Jason W. MOORE, « Capitalism as World-Ecology: Braudel and Marx on Environmental History ». Organization & Environment 16(4), 2003, 431-458 ; Alf HORNBORG, Global Ecology and Unequal exchange, New-York, Routledge : 2011. []
  20. Bruno LATOUR, Politiques de la nature, La Découverte, Paris, 1999. []
  21. L’expression est évidemment d’origine hégélienne. Elle n’a rien d’exceptionnel chez Marx.
    Voir notamment Karl MARX, Le capital, Livre I, Chapitre 4 « Transformation de l’argent en capital ». Dardot et Laval insistent sur la nature profondément hégélienne du modèle marxiste de système : le système absorbe ce qui lui était étranger et présupposé ; voir notamment Pierre DARDOT et Christian LAVAL, Marx, prénom Karl, Gallimard, Paris, 2012. En termes hégéliens, le système produit les présuppositions (Voraussetzungen) qu’il avait d’abord trouvé là-devant (Fortgefunden). Voir G.W.F. HEGEL, La Science de la Logique, trad. Jarczyk G., Labarrière J.-L., Aubier, Paris, 1981 ; notamment t. 2, La doctrine de l’essence. Il nous semble que la catégorie de nature dans l’analyse marxienne du procès de travail peut se penser sur ce modèle. La nature est le présupposé du procès de production qui est en même temps posé comme nature par ce procès lui-même. Hors de ce procès la nature peut être comprise comme le produit d’une histoire naturelle-humaine. C’est à notre avis le sens de la citation de MARX, Le Capital, op.cit., p.203 : « Les animaux et les plantes, qu’on a coutume de considérer comme des produits de la nature, sont en fait non seulement des produits du travail, peut-être de l’année écoulée mais dans leur forme actuelle, les produits d’une transformation poursuivie à travers de nombreuses générations, sous le contrôle de l’homme et grâce à la médiation du travail humain ». []
  22. Alfred SOHN-RETHEL, « Travail intellectuel et travail manuel », in La pensée-marchandise, Les éditions du croquant, Paris, 2010, p. 127. []
  23. Voir Philippe DESCOLA, Par-delà Nature et culture, Gallimard, NRF, Paris, 2005. []
  24. Karl MARX, Le Capital, Livre 1, op.cit., p. 201. []
  25. Karl MARX, Le Capital, op. cit., p.203. []
  26. Alfred SOHN-RETHEL, op.cit. []
  27. Voir David HARVEY, 2003, The new imperialism, Oxford : Oxford University Press. Pour la traduction fr. voir David HARVEY, 2010, Le nouvel impérialisme, Paris, Les Prairies Ordinaires, trad. Jean Batou et Christakis Georgiou. []
  28. Alfred SOHN-RETHEl, « Travail intellectuel et travail manuel. Essai d’une théorie matérialiste », in La Pensée-Marchandise, Éditions du Croquant, Boissieux. 2010. []
  29. L. LOHMANN, (2010), Uncertainty markets and carbon markets. Variations on polanyian themes », New Political Economy, vol. 15, n°2, p. 232. []
  30. Alfred SOHN-RETHEL, op.cit., p.143. []
  31. Ibid., p.144. []
  32. Karl MARX, Le Capital, Procès de travail, p.199 : L’homme « se présente face à la matière naturelle comme une puissance naturelle lui-même ». []
  33. Voir notamment Emilie HACHE, op. Cit. Nous n’entrerons pas ici dans le débat ouvert par James C. Scott avec Frantz Fanon sur le caractère colonial et capitaliste ou seulement étatiste de cette construction de la nature. Partant d’une citation de Fanon dans Les Damnés de la terre, l’anthropologue libertaire lui oppose l’idée que cette construction de la nature est propre aux États et à leur volonté de cartographier des territoires et non seulement aux politiques impérialistes des États coloniaux : « Mon seul désaccord avec l’observation acerbe de Fanon à propos du projet colonial tient au fait que, au moins pour ce qui concerne ‘’la brousse’’ et ‘’les indigènes’’, elle s’applique tout aussi bien aux époques précoloniales et postcoloniales. L’expansion et le peuplement de l’espace étatique ‘’lisible’’ ne pouvaient que s’avérer difficiles étant donné l’existence de frontières ouvertes. » voir James C. SCOTT, Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné, Seuil, Paris, 2013. Je remercie Stany Grelet pour m’avoir fait connaître ce passage. []
Paul Guillibert