La révolution décentrée. Deux études sur Lénine

Un cliché persistant voudrait que, acculé par les défaites de la révolution en Europe après 1917, Lénine se soit tourné vers l’Orient et l’air sacré « foyer de la révolution mondiale » par dépit. Pour tordre le coup à ce préjugé, Matthieu Renault signe ici deux études magistrales, qui soulignent la persistance et l’originalité de la pensée de Lénine sur les marges de la révolution : la première porte sur les mouvements des nationalités dans les empires d’Europe avant-guerre ; la seconde traite des nationalités opprimées à majorité musulmane dans l’ancien Empire russe. On y lit l’affinité singulière de Lénine avec ceux qui affirment avec intransigeance la nécessité d’une « révolution coloniale », misant sur les nations opprimées, paysans pauvres, brisant les rapports coloniaux, comme condition d’une synergie avec la révolution socialiste.

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 Dans le « prologue » de son ouvrage de 1932, Le Bonhomme Lénine, le sulfureux écrivain italien Curzio Malaparte pointe du doigt ce qu’il juge être « [l]e signe le plus clair de la décadence de la bourgeoisie en Occident », à savoir le fait qu’elle ne perçoit dans le leader de la révolution soviétique qu’un « Genghis Khan prolétarien issu du fond de l’Asie pour se précipiter à la conquête de l’Europe », ou encore un « Mahomet marxiste » ; alors que, comme Robespierre et d’autres avant lui, il ne serait en réalité qu’une incarnation du « fanatisme petit-bourgeois » qui a allumé des incendies partout en Europe au cours des trois derniers siècles1. S’il y a certainement encore des individus pour dépeindre la révolution de 1917 comme la manifestation sauvage d’un despotisme asiatique atemporel, se trahissant dans les yeux légèrement bridés de Lénine, force est de constater qu’un tel orientalisme a, heureusement, fait long feu. Prenons deux biographes récents de Lénine, Lars Lih et Robert Service2, indépendamment de la valeur qu’on attribue à leurs travaux respectifs : leurs interprétations de la trajectoire et de la pensée de Lénine s’opposent presque terme à terme, mais ils n’en partagent pas moins cette thèse, ou cette prémisse, qu’il était essentiellement un homme d’éducation européenne, dont le regard était entièrement tourné vers l’Occident en tant que source des grandes idées émancipatrices et foyer de la révolution socialiste à venir. Dans cette perspective, la révolution de 1917 apparaît comme l’apothéose d’une séquence historique initiée à la fin du XVIIIe siècle, comme la dernière grande tentative pour réaliser les idéaux, ou les illusions, de la modernité occidentale, et/ou, envers du miroir, pour les dévoyer, les trahir.

Quoique cette approche soit salutaire à plus d’un titre, il y a pourtant un revers de la médaille. Dans ces travaux, le monde extra-européen disparaît presque intégralement : la révolution rouge s’offre comme étant essentiellement une révolution blanche. Certes, on aime à souligner qu’au tournant des années 1920, se serait produit chez Lénine un retournement vers l’Asie, vers la « révolution en Orient », dont témoigneraient ses interventions, en débat avec le communiste indien M. N. Roy, au deuxième Congrès de l’Internationale communiste (juillet-août 1920). Mais on ne voit guère là qu’un détour tardif, sous le fouet de la nécessité, une conséquence de la perte de l’espoir en un bouleversement imminent en Europe occidentale, après l’échec des révolutions allemande et hongroise et la guerre russo-polonaise. L’intérêt de Lénine pour les luttes de libération nationale ne serait rien d’autre que celui d’un étranger pour un monde qu’il aurait ignoré jusque-là. Quant au premier Congrès des peuples de l’Orient à Bakou (septembre 1920) – auquel il n’est pas inutile de rappeler que M. N. Roy refusa de participer, moquant « le cirque de Zinoviev » et le décrivant comme une « cavalcade pittoresque aux portes du mystérieux Orient3 » –, l’aura dont il jouit encore aujourd’hui tient largement au fait qu’on se l’imagine, non sans romantisme, comme un acte fondateur, originel, fruit d’une soudaine révélation chez les dirigeants bolcheviks que le destin de la révolution allait peut-être se décider ailleurs, non à l’ouest, mais à l’est.

Cette représentation est chimérique, d’une part, dans la mesure où Lénine n’a jamais pensé que la révolution (anticoloniale) en Orient pourrait être un substitut, même temporaire, à la révolution (socialiste) en Europe, l’une et l’autre étant reliées par mille fils, d’autre part, et surtout, parce qu’il n’aura nullement attendu les dernières années de sa vie pour porter une grande attention au devenir du capitalisme et des mouvements révolutionnaires dans le monde non-européen. La preuve la plus évidente, mais loin d’être la seule, en est ses nombreux écrits, avant et au cours de la Première Guerre mondiale, sur la « question nationale », en Europe et dans les colonies et semi-colonies. Qui plus est, Lénine était parfaitement conscient de la place spécifique occupée par la Russie dans ce partage, de l’entre-deux qu’elle-même incarnait du fait non seulement de sa situation géographique, mais aussi, et indissociablement, pour reprendre librement le titre d’un ouvrage de Viatcheslav Morozov, de son statut d’empire subalterne dans un monde eurocentré4. Il ne s’agit nullement de nier qu’il y ait eu une évolution à cet égard chez Lénine, elle est indubitable, mais de soutenir que, loin de se présenter comme une coupure brutale, elle a pris la forme d’un long et progressif décentrement révolutionnaire. Celui-ci puise ses racines jusque dans ses premiers écrits sur le développement du capitalisme en Russie, marqués, comme l’a justement souligné C. L. R. James – et ce n’est pas un hasard que ce soit un théoricien marxiste non-européen, caribéen en l’occurrence, qui l’ait noté – par l’impératif d’une traduction du marxisme dans un contexte différent de celui de l’Europe occidentale, sans pour autant lui être radicalement étranger5.

C’est l’itinéraire d’un tel décentrement, et pourrait-on même dire d’une telle décolonisation de la révolution, que nous commencerons ici à explorer à travers deux études, indépendantes l’une de l’autre bien qu’en dialogue implicite, n’excluant pas les dissonances : la première sur les réflexions consacrées par Lénine, avant 1917, à la question de l’autodétermination nationale et aux luttes d’indépendance, la seconde sur la manière dont, après 1917, il a cherché à répondre à l’exigence de décolonisation de l’Empire russe à partir du cas des colonies musulmanes d’Asie centrale6.

Des luttes de libération nationale, ou la révolution impure

Juillet 1903, à la veille du deuxième Congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), Lénine publie dans Iskra un article, « La Question nationale dans notre programme », avec pour enjeu la défense du droit à l’autodétermination des nations – droit à la séparation politique par rapport à un État, qui ne doit pas être confondu avec le (prétendu) droit à l’autonomie nationale-culturelle au sein d’un État, auquel Lénine s’oppose avec virulence. Reconnu par le parti depuis sa fondation en 1898, le droit à l’autodétermination est un objet de controverse avec les marxistes polonais, Rosa Luxemburg en tête, qui, en conflit ouvert avec le Parti socialiste polonais, se sont opposés au nom de l’internationalisme au projet, obsolète et réactionnaire à leurs yeux, de restauration de l’indépendance de la Pologne. Si Lénine réaffirme la nécessité de ne pas attenter à la « libre expression de la volonté nationale », il ne se fait pourtant aucunement le champion de la séparation : « la reconnaissance inconditionnelle de la lutte pour la liberté d’autodétermination ne nous oblige pas du tout à soutenir n’importe quelle revendication d’auto-détermination nationale7 ». Il n’y a de soutien que « sous condition », les revendications nationales devant être rigoureusement subordonnées aux « intérêts de la lutte de classe du prolétariat » qui se définissent à une échelle intrinsèquement internationale.

Jusque dans un passé récent, écrit Lénine, le combat pour l’indépendance de la Pologne, ce « rempart de la civilisation contre le tsarisme », était intimement lié à la lutte révolutionnaire pour la démocratie (bourgeoise) en Europe, ainsi que Marx et Engels le soutenaient à juste titre. Mais cette « époque », ajoute-t-il, est révolue, les classes dominantes polonaises sont devenues les alliées des oppresseurs du pays : « Le temps est passé où la révolution bourgeoise pouvait créer une Pologne libre ; à l’heure actuelle, la renaissance de la Pologne n’est possible que par la révolution sociale », qui elle-même suppose, plus que jamais auparavant, « l’union la plus étroite du prolétariat de tous les pays ». Or ce qui vaut pour la « question polonaise » est « entièrement applicable à toute autre question nationale ». Ignorer ces mutations et « défendre les vieilles solutions du marxisme, c’est être fidèle à la lettre et non à l’esprit de la doctrine, c’est répéter de mémoire les anciennes conclusions, sans savoir utiliser les méthodes de la recherche marxiste pour l’analyse d’une nouvelle situation politique8 ». L’exigence, sur laquelle aime à insister Lénine, d’un renouvellement permanent de la théorie et de la pratique marxistes, de leur traduction dans des conjonctures géo-historiques inédites, prend ici la forme non d’une reconnaissance accrue, mais au contraire d’une remise en cause de la valeur émancipatrice des luttes de libération nationale pour le présent. Son approche du problème de l’autodétermination nationale à cette période est parfaitement résumée dans un texte publié quelques mois plus tôt, « À propos du manifeste de l’“Union des social-démocrates arméniens” » :

[N]ous nous soucions pour notre part de l’autodétermination non pas des peuples ou des nations, mais du prolétariat dans chaque nationalité. […] De la sorte, le programme commun, fondamental et valable en toutes circonstances, des social-démocrates de Russie doit consister seulement en la revendication d’une complète égalité en droit des citoyens (indépendamment du sexe, de la langue, de la religion, de la race, de la nationalité, etc.) et de leur droit à une auto-détermination libre et démocratique9.

Force est de reconnaître que Lénine n’a encore ici qu’une conception étroite de la « question nationale », à laquelle il n’accorde qu’un intérêt circonstanciel et dont il ignore pour cette raison les subtilités. Un premier déclic se produit lors de son exil en Pologne à partir de 1912, à Cracovie puis dans le petit village de Poronin, aux marges de l’Empire austro-hongrois. Après avoir préparé une résolution réitérant la reconnaissance par le POSDR du droit à l’autodétermination, il rédige début 1914 un essai, « Du Droit des nations à disposer d’elles-mêmes », qui constitue une véritable percée dans la théorisation bolchevique des luttes de libération nationale. L’adversaire principal de Lénine reste Rosa Luxemburg, dont les « opportunistes » de tout poil en Russie ne font selon lui que répéter les thèses, telles qu’énoncées dans « La Question nationale et l’autonomie » (1908-1909)10.

La principale erreur de Luxemburg, aux yeux de Lénine, réside dans son incapacité à faire la « distinction entre deux époques du capitalisme » : la première, révolutionnaire, est celle de l’effondrement du féodalisme et de la formation d’une société et d’un État bourgeois, à la faveur de « mouvements nationaux » entraînant avec eux « toutes les classes de la population » ; la seconde est celle où, l’État étant pleinement développé et « généralement homogène au point de vue national », s’accuse l’antagonisme de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat. En Europe occidentale et aux États-Unis, « l’époque des révolutions démocratiques bourgeoises embrasse un intervalle de temps assez précis, qui va à peu près de 1789 à 1871 », de la Révolution française, authentique lutte nationale, à la Commune de Paris. La question nationale y est « depuis longtemps résolue » ; il est donc tout à fait logique qu’elle n’apparaisse pas dans « les programmes des socialistes d’Europe occidentale »11. De là on ne saurait pourtant conclure, ainsi que Lénine accuse Luxemburg de le faire, que cette question est désormais désuète pour le monde entier. Si, du fait de « la nature capitaliste commune des États modernes », il est utile d’établir des « comparaisons » entre les pays, il faut le faire « à bon escient » et s’interdire toute transposition abusive : « [e]n Europe orientale et en Asie, l’époque des révolutions démocratiques bourgeoises n’a fait que commencer en 1905. Les révolutions en Russie, en Perse, en Turquie, en Chine, les guerres balkaniques, telle est la chaîne des événements mondiaux de notre époque, dans notre “Orient”12 ».

Rejetant « le mot d’ordre de l’indépendance de la Pologne », Luxemburg ne s’embarrasse guère d’interroger le « stade historique » que traverse actuellement l’Empire russe, « les particularités de la question nationale dans ce pays », au nombre desquelles le fait que la Russie « est un État à centre national unique, grand-russe » (au sens national-ethnique), où les « allogènes » constituent la majorité de la population. Habitant les périphéries, ceux-ci endurent « une oppression beaucoup plus forte que dans les États voisins », non seulement à l’ouest mais aussi à l’est, en Asie, où « nous constatons le début d’une période de révolutions bourgeoises et de mouvements nationaux englobant en partie des nationalités [musulmanes en particulier] qui leur sont apparentées ». Lénine introduit ici la distinction – appelée à jouer un rôle crucial d’opérateur de traduction de la lutte des classes sur le plan des relations inter-nationales – entre nations opprimées et nations oppressives. De part et d’autre de ce clivage, le « nationalisme » ne saurait avoir la même signification ni les mêmes fonctions. Condamnant vertement le nationalisme bourgeois des Polonais, Luxemburg a oublié le nationalisme non moins diffus et d’autant plus redoutable des oppresseurs grand-russes, et, plus grave encore, elle est demeurée aveugle au fait que « [d]ans tout nationalisme bourgeois d’une nation opprimée, il existe un contenu démocratique général dirigée contre l’oppression13 »

Lénine se saisit alors de l’exemple, qu’il mobilisera systématiquement dans ses interventions ultérieures sur la question nationale, des écrits de Marx et Engels des années 1860 sur l’Irlande sous domination anglaise ; car, comme le disait Engels : « De l’Irlande à la Russie, il n’y a qu’un pas ». Initialement, Marx jugeait que seul le mouvement ouvrier anglais, « au sein de la nation des oppresseurs » pourrait affranchir l’Irlande du joug qui l’accablait. Mais il a rapidement compris qu’une telle libération, qui était aussi une condition de possibilité de l’auto-émancipation du prolétariat, ne pouvait se produire sans la participation du « mouvement national de la nation opprimée », sans « corrélation » entre les mouvements révolutionnaires anglais et irlandais. Et Lénine d’ironiser sur ses contemporains qui, constatant que Marx préconisait la séparation de l’Irlande, ne manqueraient pas de lui reprocher son « oubli de la lutte des classes ». Lénine n’en appelle plus à rompre avec les « vieilles solutions du marxisme » en matière d’autodétermination nationale. Au contraire, il souligne que les thèses de Marx et Engels sur la question irlandaise conservent « une énorme importance pratique » ; elles sont un remède contre les « préjugés nationalistes » auxquels on cède dès que l’on considère « “sa” nation comme la “nation modèle” (ou ajouterons-nous pour notre part, comme la nation détenant le privilège exclusif d’édifier un État)14 ».

« Du Droit des nations à disposer d’elles-mêmes » constitue une puissante critique de l’eurocentrisme gouvernant l’approche de la question nationale chez Luxemburg et ses disciples. Il n’en reste pas moins que les arguments de Lénine eux-mêmes reposent sur une logique chrono-topique, évolutionniste, dans laquelle l’Europe continue de jouer un rôle normatif ; une logique en vertu de laquelle les différentes « époques » de l’histoire du capitalisme peuvent être projetés, au présent, sur une carte du monde. Lénine, il est vrai, prend soin de préciser que « chacune de ces deux époques n’est pas séparée de l’autre par une muraille » et qu’ « elles sont reliées entre elles par de nombreux maillons intermédiaires15 ». Mais s’appuyant sur un schème du développement parallèle, et partiellement indépendant, des nations, il ne considère encore guère le fait que la coexistence spatiale de ces temps distincts, leur non-contemporanéité au sein d’un même monde, ne peut manquer de produire toute une série d’interférences. Le paradoxe, du moins d’un point de vue (rétrospectif) postcolonial, n’en reste pas moins que c’est précisément un tel historicisme qui rend ici possible la prise en compte par Lénine des différences réelles, irréductibles à un simple « retard », et la reconnaissance de la nécessaire multiplicité, synchronique, des formes de lutte.

L’étude intensive de l’impérialisme à laquelle se livre Lénine au lendemain du déclenchement de la Première guerre mondiale va être la source d’un second bond en avant. Pour Karl Radek et Luxemburg – ses alliés au sein de la gauche de Zimmerwald, opposée au nom de l’internationalisme à tout soutien à l’effort de guerre –, le règne de l’impérialisme démontre de manière définitive que « le capital a dépassé les limites des États nationaux ; que l’on ne saurait “faire tourner la roue de l’histoire en arrière”, vers l’idéal périmé des États nationaux16 ». C’est la preuve ultime que le droit des nations à disposer d’elles-mêmes est devenu « irréalisable », « illusoire »17. Quelques mois après la publication de la « Brochure de Junius », alias Luxemburg, Lénine soumet celle-ci la critique en prenant le contrepied de la thèse selon laquelle il ne saurait désormais plus y avoir de véritables « guerres nationales », « toute guerre, serait-elle nationale au début, se transform[ant] en guerre impérialiste, puisqu’elle heurte les intérêts d’une des puissances ou des coalitions impérialistes ». S’étant plongé au cours des deux années précédentes dans une lecture passionnée de la Logique de Hegel, il affirme que si la dialectique marxiste enseigne que tout phénomène peut « se transformer en son contraire », et donc qu’une guerre nationale peut (et non doit) en effet se transformer en guerre impérialiste, « l’inverse est vrai aussi ». Plus encore, les guerres nationales contre l’impérialisme sont non seulement « probables, mais inévitables […] de la part des colonies et des semi-colonies » ; et en Europe même elles ne sont nullement impossibles. Elles doivent enfin être considérées comme fondamentalement « progressives, révolutionnaires », quoique leur succès individuel dépende d’une multiplicité de facteurs qui les dépassent18.

La cible des critiques de Lénine n’est pas uniquement Luxemburg, c’est aussi et d’abord ceux qui, sous couvert d’internationalisme, font preuve d’ « indifférence » à l’égard de la question nationale ; une « indifférence [qui] devient du chauvinisme quand les membres des “grandes” nations européennes, c’est-à-dire des nations qui oppriment une foule de petits peuples et de peuples coloniaux, déclarent sur un ton faussement savant : “Il ne peut plus y avoir de guerres nationales” !19 ». Affirmer que l’impérialisme exerce désormais son emprise sur le monde entier en transgressant toutes les limites territoriales instituées ne doit pas conduire à dénier, mais bien au contraire à insister sur l’acuité du problème des « frontières des États fondés sur l’oppression nationale. ». La lutte contre le chauvinisme au sein des pays impérialistes est une tâche de premier ordre à l’heure où une frange de la classe ouvrière de chaque « nation oppressive » est devenue (économiquement, politiquement et idéologiquement) complice de la bourgeoisie « dans la spoliation par celle-ci des ouvriers (et de la masse de la population) de la nation opprimée20 ». C’est pourquoi le prolétariat doit ouvertement « revendiquer la liberté de séparation politique pour les nations opprimées par “sa” nation21 ». Cela vaut tout particulièrement pour la Russie que, reprenant une expression populaire, Lénine dépeint alors souvent comme une vaste « prison des peuples » : « Pour nous, représentants de la nation impérialiste de l’Extrême-Est européen et d’une bonne partie de l’Asie, il serait indécent d’oublier l’importance de la question nationale22. »

Lénine, certes, ne manque pas de rappeler que le socialisme n’a d’autre but que de « mettre fin au morcellement de l’humanité en petits États et à tout particularisme des nations », autrement dit d’opérer, à travers une dynamique de « concentration »-« centralisation », leur « fusion » pleine et entière. Mais de même que l’abolition des classes sera précédée d’une « période de transition », celle de la dictature du prolétariat, l’abolition des nations présuppose la liberté pour les opprimés de se séparer de leurs oppresseurs, qu’elle se traduise ou non en acte23. Ainsi qu’Engels le soulignait déjà en 1882 dans une lettre à Kautsky, le « prolétariat victorieux ne saurait imposer un bonheur quelconque à aucun peuple étranger sans compromettre par là sa propre victoire ». Et Lénine d’ajouter de manière prémonitoire, d’une part, que l’accomplissement de la révolution « ne suffira pas à faire [du prolétariat] un saint », à l’immuniser immédiatement contre tout chauvinisme, d’autre part, que « la haine – d’ailleurs parfaitement légitime – de la nation opprimée envers celle qui l’opprime subsistera quelques temps24 ». Le seul principe conforme aux exigences de l’internationalisme est ce qu’il appelle, de manière contradictoire en apparence, la « centralisation non impérialiste »25. Saisir la signification et les implications profondes de ce centralisme décentré, les dilemmes, peut-être insolubles, qu’il ne pouvait manquer de soulever, permettrait à n’en pas douter de réexaminer l’attitude, la stratégie mais aussi les doutes, de Lénine face à l’impératif de décolonisation de l’Empire russe au long des premières années de la révolution, en s’abstenant de tout procès d’intention comme de toute vision apologétique.

Dans ses écrits du temps de guerre, Lénine maintient le partage entre les espaces-temps au sein desquels évoluent les nations, produisant désormais une division tripartite entre : les pays capitalistes avancés de l’Europe où la question nationale appartient au passé ; les pays d’Europe centrale et de l’Est (Autriche, Balkans, Russie) où elle appartient au présent ; les semi-colonies (Chine, Perse, Turquie) et les colonies d’Asie et d’Afrique où elle appartient encore largement au futur26. Mais il est à présent on ne peut plus conscient qu’il y a un fondamental entrelacement des temps, que ces différences sont le produit même de l’inégalité de développement définissant l’impérialisme, lequel a lié de manière inéluctable le sort des nations du monde entier. Révolution socialiste et luttes de libération nationale ne sont nullement « indépendantes ». C’est pourquoi elles doivent être pensées conjointement, en étroite connexion, en fonction d’une authentique dialectique du national et de l’international. Il est nécessaire, dit Lénine, de « lier la lutte révolutionnaire pour le socialisme à un programme révolutionnaire touchant la question nationale » et plus généralement de l’« associer », de la « rattacher » à « la prise de position révolutionnaire touchant toutes les questions démocratiques27 ». Dès avant 1917, Lénine avance une conception multipolaire et combinatoire, irréductible à tout diffusionnisme, de ce qu’il appellera bientôt la « révolution mondiale » : « La révolution sociale ne peut se produire autrement que sous la forme d’une époque alliant la guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie dans les pays avancés à toute une série de mouvements démocratiques et révolutionnaires, y compris des mouvements de libération nationale, dans les nations non développées, retardataires et opprimées28 ».

Lénine s’insurge contre ceux qui tentent de réduire cette hétérogénéité en établissant une frontière imperméable entre l’Europe, qui se préparerait à une révolution purement socialiste, et les semi-colonies et colonies extra-européennes : « des foyers d’insurrections nationales, surgies en liaison avec la crise de l’impérialisme, se sont allumés à la fois dans les colonies et en Europe29 », en Europe de l’Est, mais pas uniquement, ainsi qu’en témoigne l’insurrection irlandaise de 1916. Dans ces conditions, il est vain de promouvoir, à l’instar de Boukharine, un « bolchevisme à l’échelle de l’Europe occidentale30 ». Cela ne signifie rien d’autre que vouloir préserver la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie de toute contamination par des corps étrangers, au premier rang desquels le nationalisme. En matière de révolution, l’impureté n’est pas l’exception, mais la règle :

Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., – c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira : « Nous sommes pour le socialisme », et qu’une autre, en un autre lieu, dira : « Nous sommes pour l’impérialisme », et que ce sera la révolution sociale ! […] Quiconque attend une révolution sociale « pure » ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution31.

Il ne saurait y avoir de révolution sans reconnaissance de l’impérieuse nécessité (la « vérité objective ») d’une « lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité ». Si Lénine ne remet jamais en cause le rôle d’avant-garde du « prolétariat avancé » et reste convaincu, à tort ou à raison, que s’il ne conquiert pas le pouvoir dans un ou plusieurs pays, les luttes de libération nationale, « impuissantes en tant que facteur indépendant », sont vouées, plutôt tôt que tard, à être écrasées par l’impérialisme, il n’en avance pas moins inversement, dialectiquement, que les guerres nationales, périphériques, ont le pouvoir d’introduire des germes de contagion révolutionnaire au coeur même des puissances impérialistes : « La dialectique de l’histoire fait que les petites nations […] jouent le rôle d’un des ferments, d’un des bacilles, qui favorisent l’entrée en scène de la force véritablement capable de lutter contre l’impérialisme, à savoir : le prolétariat socialiste32. »

L’objectif ultime reste le même : l’union intégrale du prolétariat des différentes nations. Mais il ne peut être atteint qu’à condition de prendre acte de la « division » actuelle des classes ouvrières des nations oppressives et opprimées, et par conséquent de la nécessité que « la propagande soit faite d’une façon non identique dans l’un et l’autre cas33 ». Cette non-identité n’est pas seulement stratégique, elle « signifie que, pour aboutir à un même objectif (la fusion des nations) en partant de prémisses différentes, les uns iront d’une façon et les autres différemment34 ». Autrement dit, si le passage au socialisme, est « inévitable », il est non moins inévitable qu’il prenne des « formes » hétérogènes, et en partie imprévisibles, variant d’un pays à l’autre, d’une nation à l’autre :

Chacune apportera son originalité dans telle ou telle forme de démocratie, dans telle ou telle variété de dictature du prolétariat, dans tel ou tel rythme des transformations socialistes des différents aspects de la vie sociale. […] Rien n’est plus indigent au point de vue théorique et de plus ridicule au point de vue pratique que de se représenter à cet égard, « au nom du matérialisme historique », un avenir monochrome, couleur de grisaille : ce serait un barbouillage informe, et rien de plus35.

Il n’allait pas manquer de « disciples » de Lénine pour ignorer cette leçon et peindre un tableau sans couleur d’une révolution qui suivrait en tout lieu, avec un simple décalage temporel, la même trajectoire. Mais force est de constater qu’à la veille de la révolution de 1917, Lénine a déjà rompu avec tout schéma linéaire-historiciste de ce type. Celui dont la carrière marxiste avait commencé par une patiente et intransigeante critique de la thèse de l’existence d’une voie russe spécifique vers le socialisme, défendue par les populistes (Narodniki), soutient à présent l’irréductible pluralité des processus et des chemins menant à la révolution. Mais la différence, et elle est essentielle, est que là où les populistes faisaient de cette autre voie la seule réponse viable à ce qu’ils jugeaient être l’échec du capitalisme à s’implanter en Russie, Lénine conçoit inversement un tel polymorphisme révolutionnaire à la fois comme la conséquence de la modernisation capitaliste parvenue à son « stade suprême », l’impérialisme, et comme la condition de son abolition.

Après l’empire ? Lénine et les musulmans de Russie

Le 20 novembre 1917, au lendemain de la prise de pouvoir par les Bolcheviks, Lénine lance un appel, cosigné par Staline, « À tous les travailleurs musulmans de Russie et d’Orient », afin de les rallier à la révolution en marche :

Musulmans de Russie, Tatars de la Volga et de Crimée, Kirghizes et Sartes de Sibérie et du Turkestan, Turcs et Tatars de Transcaucasie, Tchétchènes et montagnards du Caucase ! Vous tous dont les mosquées et les maisons de prière ont été détruites, dont les croyances et les coutumes ont été piétinées par les tsars et les oppresseurs de la Russie ! Désormais, vos croyances et vos coutumes, vos institutions nationales et culturelles sont libres et inviolables. Organisez votre vie nationale librement et sans entrave ! C’est votre droit. Sachez que vos droits, comme les droits de tous les peuples de Russie, sont protégés par la puissance de la Révolution, par les soviets des députés travailleurs, soldats et paysans36.

Si les relations entre le pouvoir soviétique et les populations musulmanes de l’(ex-)Empire russe, au cours et après la révolution, allaient se révéler autrement plus tumultueuses que ne le laissait entendre cet appel à une union (révolutionnaire) libre37, celui-ci n’en est pas moins l’expression d’un désir profond chez Lénine de rupture radicale avec les politiques d’oppression des minorités nationales, et religieuses, qui avaient marqué toute l’histoire du tsarisme. De cette volonté, le symbole inaugural est la restitution, ordonnée par lui, du Coran d’Othman, l’une des plus anciennes copies du texte sacré, aux musulmans de Russie. Lénine joue ensuite un rôle non négligeable dans les processus, plus ou moins orageux, de création des premières républiques soviétiques musulmanes, en particulier dans la crise bachkire de 1919-192038, mais il va surtout s’intéresser au cas du Turkestan russe (Asie centrale) conquis dans la deuxième moitié du XIXe siècle par les armées tsaristes et soumis à une exploitation coloniale au sens strict : on y retrouve le développement de monocultures (coton en particulier), un clivage spatial entre villes-villages d’indigènes d’un côté, de colons de l’autre – dont le nombre avait considérablement augmenté après l’achèvement en 1906 de la construction de la ligne ferroviaire reliant Moscou à Tashkent –, et une opposition frontale entre les uns et les autres – les occupants russes, ukrainiens, allemands (ethniques) et juifs, divisés nationalement dans le reste de la Russie, faisant avant tout ici figure, unie, de Blancs face aux musulmans. Lénine va peu à peu prendre conscience que plus que nulle part ailleurs, c’est au Turkestan que le défi de la décolonisation de l’Empire russe doit être relevé.

Le 22 avril 1918, Lénine et Staline transmettent un message de salutation « Au Congrès des Soviets du territoire du Turkestan à Tashkent », assurant ce dernier du soutien apporté par le Conseil des commissaires du peuple à « l’autonomie de votre territoire sur des bases soviétiques » et l’enjoignant à « couvrir tout le territoire d’un réseau de Soviets » agissant de concert avec « les Soviets déjà existants39 ». Le 30 avril, la République fédérative socialiste du Turkestan est proclamée. Mais l’intensification de la guerre civile dans la région provoque bientôt la coupure quasi intégrale des communications avec Moscou et, jusqu’à l’automne 1919, les communistes du Turkestan sont livrés à eux-mêmes. Au lendemain de la victoire sur les armées blanches, l’impératif pour le pouvoir soviétique est de relancer la production industrielle. Dans ce contexte, « Turkestan » est avant tout synonyme d’approvisionnement en coton : « Chacun sait, dit Lénine, que l’industrie textile est dans un profond délabrement, parce que le coton que nous recevions de l’étranger nous fait défaut […]. Notre seul source, c’est le Turkestan40 ».

Lénine n’ignore cependant pas que des plaintes se sont élevées pour dénoncer les abus commis pendant la guerre civile par les communistes russes locaux, encore imbus de mentalité coloniale, à l’encontre des indigènes musulmans, spoliés sans autre forme de procès de leurs terres et victimes de bien d’autres vexations « au nom de la lutte des classes ». Ces plaintes seront encore relayées par un délégué du Turkestan, Tachpolad Narbutabekov, lors du premier Congrès des peuples de l’Orient à Bakou en septembre 1920 : « Pour éviter que l’histoire du Turkestan ne se répète dans les autres parties du monde musulman, […] [n]ous vous disons : débarrassez-nous de vos contre-révolutionnaires, de vos éléments étrangers qui sèment la discorde nationale ; débarrassez-nous de vos colonisateurs travaillant sous le masque du communisme41. » En octobre 1919, une commission, (la Turkkomissia) avec à sa tête Mikhail Frunzé, est envoyée au Turkestan afin de remédier aux errements dans la mise en œuvre de la politique nationale et encourager la participation de la population locale, musulmane, aux instances économiques et politiques, tout en affermissant le pouvoir soviétique dans la région. Le mois suivant, Lénine adresse une lettre « Aux camarades communistes du Turkestan » qui indique le rôle crucial, exemplaire, qui leur est dévolu :

L’établissement de bons rapports avec les peuples du Turkestan revêt aujourd’hui pour la République Soviétique Fédérative Socialiste de Russie une valeur qu’on peut sans exagération qualifier de gigantesque, de portée historique mondiale. Pour toute l’Asie et pour toutes les colonies du monde, pour des milliers et des millions d’hommes, les relations de la République soviétique ouvrière et paysanne avec les peuples faibles, opprimés jusqu’à ce jour, auront une importance pratique. Je vous prie instamment de considérer cette question avec une attention redoublée, de faire tous vos efforts pour établir, par l’exemple et l’action, des relations de camaraderie avec les peuples du Turkestan, de leur prouver dans les faits la sincérité de notre désir d’extirper tous les vestiges de l’impérialisme grand-russe en vue de lutter sans réserve contre l’impérialisme mondial42.

Aux yeux de Lénine, le processus révolutionnaire en Asie centrale doit servir de modèle, de source d’inspiration, et d’importation, pour les mouvements de libération nationale à l’échelle internationale, en particulier dans l’Orient musulman. C’est un laboratoire de la combinaison, indispensable, de la révolution socialiste et des luttes anticoloniales, un espace où sont d’ores et déjà réunies les conditions de l’expérimentation d’une fusion du prolétariat des nations oppressives et des classes exploitées des nations opprimées. Il ne faudrait cependant pas surestimer l’importance conférée à cet stade par Lénine au processus d’expansion du processus révolutionnaire aux marges orientales de la Russie. En témoigne la réponse transmise par lui fin décembre 1919 à trois des membres de la Turkkomissia (Chalva Eliava, Ian Roudzoutak et Valerian Kouïbychev) ayant exprimé le désir que la commission soit renforcée numériquement : « Vos demandes en cadres sont exorbitantes. Il est ridicule, et même pis que ridicule, de prétendre que le Turkestan est plus important que le centre et l’Ukraine. Vous ne recevrez rien de plus, il faudra vous arrangez avec ce que vous avez ; évitez les plans démesurés, soyez modestes43. »

Mais cette rebuffade a au moins en partie pour raison la conviction qu’a déjà Lénine qu’en matière de soviétisation de l’Asie centrale, il est requis d’avancer avec précaution. Or, décidée à combattre les manifestations brutales du chauvinisme grand-russe, la Turkkomissia n’entend pas pour autant ménager outre mesure les « indigènes » et voit en particulier d’un mauvais œil les revendications des communistes nationaux musulmans44, turbulents alliés du régime, au premier rang desquels Turar Ryskulov. Ce dernier adresse au mois de mai 1920 une lettre à Lénine dans laquelle il souligne que, malgré la révolution, « deux groupes », les musulmans colonisés et les Européens, continuent de s’affronter au Turkestan : « la révolution d’Octobre au Turkestan aurait du être menée sous le slogan non seulement du renversement du pouvoir bourgeois en place, mais aussi de la destruction définitive de toutes les traces de l’héritage laissé par les pratiques colonialistes des représentants du tsarisme et des koulaks45. » Sans attendre l’aval de la Turkkommissia, les communistes musulmans envoient à Moscou une délégation pour exposer leurs doléances. Au cours des débats, présidés par Lénine et auxquels prennent part des membres de la Turkkomissia dépêchés en urgence, Ryskulov, arguant de « l’importance du Turkestan pour la politique soviétique en Orient et [de] la nature coloniale des relations nationales46 » dans la région, revendique la plus large autonomie possible pour la république, aux frontières encore indécises parcours obstacle gonflable.

Les communistes musulmans sont déboutés, mais Lénine a pris conscience qu’il lui fallait intervenir plus activement dans les affaires du Turkestan. En juin, il rédige un projet exposant les tâches du Parti bolchevik dans la région. Insistant pour que soient limitées les prérogatives de la Turkkomissia, à laquelle il a visiblement retiré une part de sa confiance et dont les décisions, dit-il, doivent être désormais soumises à l’approbation du « centre » et des autres organes du pouvoir soviétique au Turkestan, il en appelle à liquider les inégalités entre colons et indigènes en « égalis[ant] la propriété terrienne des Russes et des étrangers avec celle de la population locale ». « L’objectif général », ajoute-t-il, doit être « le renversement du féodalisme, mais non le communisme47 ». Le Turkestan fait là encore figure pour Lénine de test à grande échelle : ainsi qu’il l’indique à la fin du mois suivant au cours des débats sur la question nationale et coloniale au deuxième Congrès de l’Internationale communiste, la fraîche expérience soviétique en Asie centrale, pavée d’ « immenses difficultés », a fourni la preuve de la nécessité de mener un travail d’adaptation-traduction de « la tactique et la politique communistes » en contexte (post-)colonial48.

Enfin, Lénine éprouve une suspicion grandissante à l’égard des accusations de nationalisme dont font de plus en plus souvent l’objet les communistes musulmans au Turkestan et ailleurs. Dans les jours qui précédent l’ouverture du congrès, il répond brièvement à un courrier de Sakhib-Garei Said-Galiev, président du Comité exécutif central de la République soviétique autonome du Tatarstan. À la question maladroitement complaisante de savoir si « les communistes de la nation autrefois dominante, dont le niveau est supérieur sous tous les rapports, doivent jouer le rôle de pédagogues et de bonnes d’enfants à l’égard des communistes et de tous les travailleurs des nations autrefois opprimées », Lénine répond catégoriquement « non » : ils doivent jouer le rôle d’ « aides » et rien d’autre. Said Galiev mettait en outre l’accent dans sa lettre sur la « division des communistes autochtones (tatars) » en deux groupes, l’un s’en tenant « au point de vue de la lutte des classes », l’autre étant « teinté de nationalisme petit-bourgeois » – l’auteur visant ici, sans les nommer, Mirsaid Sultan Galiev et ses partisans. Il demandait alors s’il était juste d’affirmer que les premiers devaient bénéficier du « soutien sans réserve » du Parti, tandis que les seconds devaient être « seulement utilisés, et en même temps, éduqués dans l’esprit de l’internationalisme pur ». À quoi Lénine, incrédule, répond laconiquement : « je demande des indications précises, brèves et claires sur les faits relatifs aux “deux courants”49 » ; pas un mot de plus. Cette politique de la prudence est sans doute la meilleure définition de l’approche par Lénine de la question nationale dans l’(ex-)Empire russe au tournant des années 1920.

Mais la bataille la plus âpre à laquelle va prendre part Lénine dans les affaires turkestanaises, est interne au pouvoir soviétique. Déclarée en 1921, elle peut être conçue, tant dans la distribution des rôles que dans le déroulement des événements, comme une sorte de répétition générale avant le « dernier combat de Lénine », l’année suivante, contre le projet dit d’autonomisation concocté par Staline pour le Caucase50. Le conflit, tournant autour de la mise en œuvre de la Nouvelle politique économique (NEP), oppose Mikhail Tomski, envoyé en « exil » au Turkestan après la controverse sur les syndicats de 1920-1921, et Georgui Safarov, conseiller pour les « questions orientales » au Komintern. Le premier, s’en remettant à Lénine, défend l’introduction immédiate de l’impôt en nature, conformément aux exigences de la NEP, là où le second préconise la mise en place de comités de paysans pauvres, le partage entre ces derniers des terres et propriétés des koulaks et l’incitation à la polarisation de classes au sein de la population musulmane. La position de Tomski en vient rapidement à s’identifier à une défense des privilèges des occupants russes et autres. Quant à la sympathie que s’attire Safarov de la part des musulmans déshérités en vertu de l’intransigeance dont il fait preuve dans la tâche d’expropriation des colons expropriateurs, elle suscite une irritation croissante au sein des autorités soviétiques locales. Exposées dans un article publié fin janvier 1921, « L’Évolution de la question nationale », les convictions profondes de Safarov ne sont guère un secret :

Dans la première année du Pouvoir des Soviets, le droit des peuples opprimés à disposer d’eux-mêmes s’est présenté avant tout comme la liquidation de l’héritage colonial de l’ancien empire de Russie. […] Il fallait d’abord faire l’éducation des masses prolétariennes russes infectées, dans leurs éléments arriérés tout au moins, d’un inconscient nationalisme qui les faisaient considérer les villes russes comme le foyer de la Révolution et les villages non russes comme le foyer de la petite-bourgeoisie, ce qui les portait à appliquer à ces villages les méthodes d’attaque employées contre le capital. […] Si on transporte telle quelle la Révolution Communiste dans les pays retardataires, on ne peut obtenir qu’un seul résultat, à savoir d’unir les masses exploitées avec les exploiteurs […]. Tout notre parti doit être mobilisé moralement au service de l’affranchissement national des opprimés51.

Début août 1921, Adolf Ioffé est envoyé par le Politburo au Turkestan pour arbitrer le différend entre Tomski et Safarov et œuvrer à un compromis permettant de lutter contre l’exclusion des musulmans de l’exercice du pouvoir sans pour autant s’aliéner les masses travailleuses russes, qui forment l’essentiel des « forces rouges au Turkestan »52. Parallèlement, Lénine adresse deux lettres, presque identiques, à Tomski et Safarov pour les avertir de la mission confiée à Ioffé. Arguant de la possibilité, et de la nécessité, de « faire converger les deux tendances », il en appelle surtout à faire preuve d’ « une attitude respectueuse, prudente, avec diverses concessions, envers les paysans musulmans pauvres », « à consolider une ligne sage, circonspecte » ; car l’enjeu, rappelle-t-il, dépasse les frontières du Turkestan : il en va « de notre “politique mondiale” dans l’ensemble de l’Orient53. »

La neutralité de Lénine dans le conflit Tomski-Safarov n’est que de façade. Transmettant à Staline, Commissaire du peuple aux nationalités, une lettre de Safarov, il ajoute en post-scriptum que ce dernier « a tout à fait raison ». Staline ne partage guère cette opinion et répond qu’ils « ont tous les deux tort ». Visiblement irrité par la magnanimité de Lénine envers Safarov, il s’attaque violemment à ce dernier, accusant ses agissements de contribuer à l’ « exacerbation des dissensions nationales », de « détruire l’organisation du parti au Turkestan » et de « compromettre le parti aux yeux des travailleurs ». La pierre angulaire de la politique nationale dans les régions musulmanes, ajoute Staline sans détour, est la liquidation du « banditisme nationaliste de masse » incarné par le mouvement (anti-bolchevik) des Basmatchis, contre lequel Safarov ne fait rien et qui, maté ailleurs, continue de prospérer au Turkestan en saccageant les récoltes de coton : « [l]a conclusion est claire : Safarov doit être congédié (on ne peut lui confier un travail indépendant d’encadrement, car il doit lui-même être encadré). » Staline avertit néanmoins Lénine qu’il attendra les conclusions de l’enquête de Ioffé avant de porter cette question devant le Comité central du parti54.

Dès réception de la première dépêche de Ioffé, accablante pour Safarov, le Politburo décide de suspendre ce dernier jusqu’à nouvel ordre. Le même jour, le 13 septembre, Lénine adresse une missive à Ioffé. Le soupçonnant de s’être rangé aux positions de Tomski, il exige de lui davantage de détails, « [d]es faits, des faits, des faits », sur le « sort » du coton, sur la lutte contre les rebelles musulmans anti-soviétiques, mais surtout sur « la question de la défense des intérêts des autochtones contre les outrances “russes” (grand-russiennes ou colonisatrices) ». Qui sont les « autochtones […] partisans de Safarov » ? Les « indigènes » sauront-ils se défendre « contre un homme aussi habile que Tomski » ? Car Lénine « soupçonne fort la “ligne Tomski” […] de relever du chauvinisme grand-russien, ou plus exactement de pencher dans ce sens ». De manière plus acérée encore qu’auparavant, il souligne la portée internationale des politiques soviétiques au Turkestan et exige l’adoption d’une ligne de conduite foncièrement anticolonialiste :

Pour toute notre Weltpolitik, il est diantrement important de gagner la confiance des autochtones ; de la gagner au triple et au quadruple ; de prouver que nous ne sommes pas des impérialistes, que nous ne souffrirons aucune déviation dans ce sens. C’est une question mondiale, je n’exagère pas, mondiale. Il faut être d’une extrême rigueur. Cela aura un retentissement en Inde, en Orient ; pas question de plaisanter, il faut être 1 000 fois prudent55.

Le 14 octobre, le Politburo se réunit à nouveau. Il démet et Safarov et Tomski de leurs fonctions et ordonne la réorganisation de la Turkkomissia et du Bureau du Parti au Turkestan (Turkburo) autour d’éléments fiables, russes et musulmans, placés sous la supervision de Grigori Sokolnikov. Fin décembre, Lénine envoie à ce dernier, « sous secret » un message. Continuant de penser que « Safarov a raison (tout au moins en partie) », il prie Sokolnikov « de mener une enquête objective pour ne pas laisser la zizanie, le grabuge et la vindicte gâcher le travail au Turkestan56 ». Lénine vient alors de recevoir une lettre de Safarov qui lui a signifié son désir de se retirer de tout poste de responsabilité dans la politique soviétique en Orient. Il lui répond sans ménagement, mais néanmoins en signe de soutien : « Ne vous énervez pas c’est inadmissible et honteux, vous n’êtes pas une demoiselle de 14 ans. […] Il faut continuer à travailler, sans partir où que ce soit. Savoir réunir avec diligence et calme les documents contre les auteurs de cette affaire inepte57. »

Safarov n’obtiendra pas gain de cause, ce cas, comme d’autres, démontrant, à l’encontre d’un préjugé tenace, que Lénine n’était pas doté de « toute-puissance » au sein des différentes instances du pouvoir soviétique, d’autant plus lorsqu’il avait à composer avec des organes localisés à des milliers de kilomètres du Kremlin. Peut-être n’a-t-il pas fait montre dans l’ « affaire Safarov » et dans les « questions d’Orient » en général de la même abnégation à toute épreuve que dans d’autres batailles, mais on ne saurait lui imputer des décisions et des actes auxquels il rechignait non seulement pour des motifs stratégiques, mais aussi, simplement, du fait de sa haine viscérale du chauvinisme. Du reste allait-il tenir une revanche avec la purge en 1922 du Parti communiste du Turkestan, dont 1500 membres allaient être expulsés en raison de leurs « convictions religieuses » (orthodoxes), en d’autres termes ici de leur attitude anti-musulmane et de ce qu’on peut nommer leur (faux-)internationalisme colonial. Aucun musulman n’allait connaître le même sort, l’islam demeurant encore, pour un temps, considéré comme une religion opprimée à laquelle ne devaient pas être appliquées les mesures de propagande anti-religieuse58.

En 1923, sous l’impulsion de Staline, est officiellement adoptée la politique d’ « indigénisation » (korenizatsiia), visant à promouvoir, dans le cadre de l’édification de l’URSS, la formation de cadres issus des minorités nationales ; méthode jugée la meilleure pour lutter à la fois contre le chauvinisme grand-russe et contre le(s) nationalisme(s). Si cette politique a fait l’objet d’études faisant d’elle la pierre de touche de l’administration soviétique du problème des nationalités59, il n’a guère été souligné qu’elle ne correspondait que très partiellement aux vues de Lénine, alors au seuil de la mort. Car Lénine ne voulait pas tant reconstruire l’empire que le détruire, pour bâtir sur ses ruines un nouvel ordre international(iste), avec tous les risques qu’impliquait une telle refondation et les erreurs que, il ne l’ignorait pas, cette entreprise engendrerait nécessairement. Il ne souhaitait pas seulement intégrer les minorités au pouvoir, mais désintégrer sa structure coloniale, condition d’une rupture définitive avec l’héritage (féodal et capitaliste) des logiques impérialistes. Comme à l’égard de l’émergence de la bureaucratie, son erreur fut néanmoins de croire jusqu’au bout que ces logiques n’étaient rien d’autre que des reliquats du passé, fussent-il particulièrement difficile à extirper, et ainsi d’ignorer que, dès le tournant des années 1920, se développaient les germes d’un néo-empire (soviétique), né des entrailles de la (contre-)révolution elle-même, et contre lequel, s’il lui avait été donné de vivre un peu plus longtemps, il aurait certainement cherché à fourbir de nouvelles armes.

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  1. Curzio Malaparte, Le Bonhomme Lénine [1932], Paris, Grasset, 1932, p. 11-16. []
  2. Lars T. Lih, Lénine. Une biographie [2011], Paris, Les Prairies ordinaires, 2015. Robert Service, Lénine [2000], Paris, Perrin, 2012. []
  3. N. Roy, M. N. Roy’s Memoirs, Bombay et New York, Allied Publishers, 1964, p. 392 []
  4. Viatcheslav Morozov, Russia’s Postcolonial Identity. A Subaltern Empire in a Eurocentric World, Basingtoke, Palgrave MacMillan, 2014. []
  5. C.L. R. James, « The Americanization of Bolshevism » [1944] in Marxism for Our Times. C. L. R. James on Revolutionary Organization (dir. Martin Glaberman), Jackson, University Press of Mississipi, 1999, p. 16-17. []
  6. Une version anglaise du présent article sera prochainement publiée dans la revue Viewpoint (numéro spécial sur l’impérialisme)  []
  7. Lénine, « La Question nationale dans notre programme » [1903], in Œuvres, tome 6, Éditions sociales, Paris, Éditions du Progrès, Moscou, 1976, p. 475. Toutes les références ultérieures renvoient à l’édition française de 1976 des œuvres de Lénine. []
  8. Ibid., p. 475, 479, 481, 484. []
  9. Lénine, « À propos du manifeste de l’“Union des social-démocrates arméniens” » [1903], in Œuvres, tome 6, p. 335. []
  10. Rosa Luxemburg, La Question nationale et l’autonomie [1908-1909], Pantin, Le Temps des Cerises, 2001. []
  11. Lénine, « Du Droit des nations à disposer d’elles-mêmes » [1914], in Œuvres, tome 20, p. 423, 428. []
  12. Ibid., p. 428-429. []
  13. Ibid., p. 425, 435. []
  14. Ibid., p. 459-467. []
  15. Ibid., p. 424. []
  16. Lénine, « Le Prolétariat révolutionnaire et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes » [1915], in Œuvres, tome 21, p. 423. []
  17. Lénine, « La Révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes (Thèses) » [1916], in Œuvres, tome 22, p. 156. []
  18. Lénine, « À propos de la brochure de Junius » [1916], in Œuvres, tome 22, p. 332-336. []
  19. Ibid., p. 336. []
  20. Lénine, « Une caricature du marxisme et à propos de l’“économisme impérialiste” » [1916], in Œuvres, tome 23, p. 59. []
  21. « La Révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes (Thèses) », op. cit., p. 160. []
  22. Lénine, « De la fierté nationale des Grands-Russes » [1914], in Œuvres, tome 21, p. 99. []
  23. « La Révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes (Thèses) », op. cit., p. 159. []
  24. Lénine, « Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes » [1916], in Œuvres, tome 22, p. 380. []
  25. « Le Prolétariat révolutionnaire et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », op. cit., p. 427. []
  26. « La Révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes (Thèses) », op. cit., p. 163-165. []
  27. « Le Prolétariat révolutionnaire et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », op. cit., p. 427. []
  28. « Une caricature du marxisme et à propos de l’“économisme impérialiste” », op. cit., p. 64. []
  29. « Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », op. cit., p. 381. []
  30. Lénine, « À propos de la tendance naissance de l’“économisme impérialiste” » [1916], in Oeuvres, tome 23, p. 18. []
  31. « Bilan d’une discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », op. cit., p. 383. []
  32. Ibid., p. 384-385. []
  33. « Une caricature du marxisme et à propos de l’“économisme impérialiste” », op. cit., p. 60. []
  34. « À propos de la tendance naissance de l’“économisme impérialiste” », op. cit., p. 16. []
  35. « Une caricature du marxisme et à propos de l’“économisme impérialiste” », op. cit., p. 76. []
  36. « À tous les travailleurs musulmans de Russie et d’Orient » [1917], cité in Henry Bogdan, Histoire des peuples de l’ex-URSS, Paris, Perrin, 1993, p. 187-188. Traduction modifiée. []
  37. Voir notamment Adeeb Khalid, Making Uzbekistan. Nation, Empire and Revolution, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2015 ; Douglas T. Northrop, Veiled Empire. Gender & Power in Stalinist Central Asia, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2004. []
  38. Voir Jeremy Smith, The Bolsheviks and the National Question, 1917-1923, Houndmills et New York, Palgrave MacMillan, 1999, p. 94-98. []
  39. Lénine, « Au Congrès des Soviets du territoire du Turkestan à Tachkent, au Conseil des commissaires du peuple du territoire du Turkestan, à Ibrahimov et à Klevleev » [1918], in Oeuvres, tome 36, p. 501. []
  40. Lénine, « Discours au IIIe Congrès des travailleurs du textile [1920], in Oeuvres, tome 30, p. 507. []
  41. Le Premier Congrès des peuples de l’Orient. Bakou, 1-8 sept. 1920. Paris, François Maspero, 1971, p. 85-86. []
  42. Lénine, « Aux camarades communistes du Turkestan » [1919], in Oeuvres, tome 30, p. 134 []
  43. Lénine, « Télégramme à C. Z. Eliava, I. E. Roudzoutak, V. V. Kouibychev » [1919], in Oeuvres, tome 44, p. 317. []
  44. Alexandre Bennigsen, Chantal Lemercier-Quelquejay, L’Islam en Union soviétique, Paris, Payot, 1968. []
  45. Turar Ryskulov, cité in Adeeb Khalid, Making Uzbekistan, op. cit., p. 109. []
  46. Ibid., p. 115. []
  47. Lénine, « Projet de décision du Bureau politique du C.C. du P.C.(b)R. Sur les tâches du P.C.(b).R. au Turkestan » [1920], in Oeuvres, tome 42, p. 196-197. []
  48. Lénine, « Le IIe Congrès de l’Internationale communiste – Rapport de la commission nationale et coloniale, 26 juillet », in Oeuvres, tome 42, p. 250. []
  49. Lénine « À S. G. Galiev » [1920], in Oeuvres, tome 42, p. 558, 631. []
  50. Voir Moshe Lewin, Le Dernier combat de Lénine [1968], Paris, Syllepse, 2015. []
  51. Georgui Safarov, « L’Évolution de la question nationale », Bulletin communiste, 2ème année, n ° 4, 27 janvier 1921 p. 60-62. Voir aussi Georgui Safarov, Колониальная революция. Oпыт Туркестана [La Révolution coloniale. Le Cas du Turkestan] [1921], Oxford, Society for Central Asian Studies, 1985. []
  52. Jeremy Smith, The Bolsheviks and the National Question, op. cit., p. 100. []
  53. Lénine, « À M. P. Tomski » [1919], in Oeuvres, tome 45, p. 230. []
  54. Staline, in « From the Archives » (dir. Nikolai V. Zlobin), Demokratizatsiya, vol. 3, n° 4, été 1995, p. 296-297. []
  55. Lénine, « À A. A. Ioffé » [1921], in Oeuvres, tome 45, p. 284-286. []
  56. Lénine, « À G. I. Sokolnikov » [1921], in Oeuvres, tome 45, p. 416. []
  57. Lénine, « À G. I. Safarov » [1921], in Oeuvres, tome 45, p. 417. []
  58. Dave Crouch, « The Bolsheviks and Islam », International Socialism, n° 110, avril 2006, ; Alexander G. Park, Bolshevism in Turkestan, 1917-1927, New York, Columbia University Press, 1957, p. 209. []
  59. Voir en particulier Terry Martin, The Affirmative Action Empire. Nation and Nationalism in the Soviet Union, 1923-1939, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2001. []
Matthieu Renault