Othello au pays des soviets : sur Paul Robeson

Paul Robeson (1898-1976), chanteur et acteur africain-américain, première « star » noire de l’époque des industries culturelles, a tout au long de sa carrière tenté de lier pratique artistique et engagement politique ‒ à la croisée des luttes noires-anticoloniales et des combats ouvriers. Dans ce texte, Matthieu Renault se propose de revenir sur la trajectoire de cette figure majeure du théâtre, du cinéma et de la musique en interrogeant la portée esthético-politique d’une œuvre polymorphe qui a toujours considéré l’engagement en faveur des politiques d’émancipation comme l’une de ses visées centrales : celle d’une utopie concrète se manifestant au cœur même du matériau artistique.

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En février 1898, Paul Leroy Robeson naît à Princeton dans le New Jersey. Il est le fils d’une institutrice quaker (Maria Louisa Butsill) et d’un pasteur de l’église presbytérienne (William Drew Robeson) né esclave et qui, à l’âge de quinze ans, avait fui avec son frère sa plantation (Roberson) en Caroline du Nord. En 1915, Robeson intègre la Rutgers University – il est alors l’unique étudiant noir – où il se distingue pour ses performances sportives en tant que joueur de football américain, ce qui lui vaut d’être nommé dans l’équipe « All-America » en 1917 et 1918. En 1919, il soutient un mémoire sur le XIVamendement de la Constitution des États-Unis ratifié en 1868, trois ans après la fin de la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage, et qui avait visé à protéger le droit des ex-esclaves1. La même année, il entre à la faculté de droit de la New York University avant de rejoindre Columbia au semestre suivant, officiant parallèlement en tant qu’entraîneur de football. Ce n’est pourtant ni une carrière juridique ni une carrière sportive que va embrasser Robeson, mais une carrière artistique. S’étant déjà fait remarquer pendant ses études pour ses qualités d’orateur et sa voix puissante, il se découvre au début des années 1920 d’indubitables dons de chanteurs qui vont bientôt lui attirer une renommée internationale. C’est aussi au théâtre, puis au cinéma, qu’il s’illustre. Au cours des années 1930, et bien avant l’émergence de figures qui nous sont davantage connues, Robeson devient la première « star » noire mondiale de l’ère des industries culturelles.

C’est également pendant ces années que s’opère chez Robeson une radicale prise de conscience politique qui débute par la revendication de ses racines africaines et qui va l’amener à s’engager sur de multiples fronts – question noire américaine, défense de l’Union soviétique et des réalisations du socialisme, guerre d’Espagne et opposition au fascisme, anti-impérialisme et luttes anticoloniales en Afrique et en Asie, etc. – avec le souci permanent de reconnaître à la fois l’irréductible singularité de ces combats et leur connexion intime dans un processus de libération qui ne pouvait se définir à ses yeux qu’à une échelle mondiale. Or, cet engagement ne constitua nullement un « à-côté » de la pratique professionnelle de Robeson ; au contraire, eut-il toujours à cœur de faire de ses performances artistiques des performances politiques et de la scène le lieu où non seulement s’exprimaient, mais aussi se réinventaient, les politiques (internationalistes) d’émancipation. La trajectoire et les écrits de Robeson nous invitent donc à réexaminer les rapports entre radicalisme communiste-marxiste et esthétique à la lumière des branchements entre luttes noires-anticoloniales et luttes des masses ouvrières au XXsiècle, et inversement.

La couleur d’Othello

Au mois d’octobre dernier, le journal Le Monde publiait un article au titre révélateur : « Othello joué par un Blanc : le théâtre français est-il raciste ? »2 ; en cause, la mise en scène de la tragédie de Shakespeare au théâtre de l’Odéon avec dans le rôle du « Maure de Venise » un acteur blanc (Philippe Torreton). Serait ainsi poursuivie une longue tradition, héritée de l’histoire coloniale, d’occultation des origines africaines d’Othello sur les planches des théâtres français. Loin cependant d’être une exception française, la question de la couleur de la peau d’Othello, de sa signification dramaturgique et de sa représentation scénique a été, outre-manche et outre-atlantique, au cœur de débats passionnés depuis le début du XIXe siècle au moins.

Il est vrai que Shakespeare lui-même, à l’orée du XVIIe siècle, avait indubitablement conçu Othello comme un personnage noir. Pour preuve, de son vivant le général maure était généralement joué par des acteurs blancs au visage maquillé de noir. Quant au caractère d’Othello, défini par sa propension à la jalousie et une émotivité excessive, il correspondait tout à fait aux stéréotypes raciaux de l’époque de Shakespeare. Mais à partir du XIXe siècle, de nombreux critiques, tels que Samuel Taylor Coleridge, n’en remirent pas moins en cause l’identité « nègre » d’Othello ; et le célèbre acteur shakespearien Edmund Kean, jouant de l’ambiguïté de la catégorie « Maure », opta pour un Othello au teint plus clair, « tanné ». Alors que l’institution esclavagiste était encore bel et bien vivante, que le racisme scientifique était en pleine efflorescence et que les unions interraciales étaient perçues comme la pire des perversions de l’ordre naturel, il devenait pour beaucoup inconcevable que le plus grand des dramaturges anglais ait pu dépeindre l’amour d’une blanche (Desdemona) pour un Africain. Pourtant, exception qui confirme la règle, dans le deuxième quart du XIXe siècle, un acteur africain-américain, Ira Alridge, à qui toute carrière aux États-Unis était proscrite du fait de la couleur de sa peau, parvint à s’établir comme une figure majeure du théâtre shakespearien à l’échelle de l’Europe pour ses performances dans le rôle d’Othello, mais aussi de personnages blancs : le Roi Lear, Hamlet, Richard III et d’autres3. Mais tandis qu’à partir de la fin du XIXsiècle le théâtre africain-américain se développe en réservant une place de choix au répertoire shakespearien, il faut attendre près d’un siècle et l’année 1930 pour qu’un Noir incarne à nouveau Othello sur la scène théâtrale londonienne ; il s’agit là encore d’un acteur africain-américain : Paul Robeson.

Six ans plus tôt, en 1924, Robeson avait rencontré son premier grand succès au théâtre à New York dans la pièce d’Eugène O’Neill The Emperor Jones, quasi soliloque relatant, à la première personne, les aventures de Brutus Jones, Africain-Américain ayant voulu se faire empereur d’une île caribéenne. La pièce fut portée l’année suivante à Londres, où, en 1928, Robeson, à peine âgé de 30 ans, acquit une notoriété s’étendant déjà bien au-delà du West End grâce à sa performance dans la comédie musicale Show Boat – dans laquelle il interprétait la chanson Ol’ Man River auquel son nom allait rester associer. Il n’empêche que le choix de Robeson pour revêtir les habits d’Othello au Savoy Theatre n’avait rien d’évident à une époque où s’était enracinée l’idée qu’Othello était un Nord-Africain (« Arabe ») plutôt qu’un Africain et où, la question raciale demeurant prégnante, certains s’inquiétaient qu’un Noir puisse embrasser sur scène une actrice blanche (Peggy Ashcroft dans le rôle de Desdemona). Robeson n’ignorait pas ces débats, et outre les grands efforts qu’il dut consentir pour effacer les traces de son accent nord-américain, il s’attacha à faire de son incarnation d’Othello à la fois une preuve de l’africanité de son héros (de son « sang éthiopien ») et une subversion des stéréotypes raciaux. À cette fin, il fallait montrer que le moteur de la tragédie de Shakespeare n’était pas la jalousie, prétendument naturelle, d’Othello, mais son honneur, la revendication d’une dignité qui restait pour les peuples africains et d’origine africaine une exigence on ne peut plus actuelle, ainsi que Robeson l’affirme dans un entretien de mai 1930  :

Je crois que la pièce est très moderne car le problème qu’elle expose est celui de mon propre peuple. […] C’est la tragédie du conflit racial, une tragédie de l’honneur plutôt que de la jalousie. Shakespeare le présente comme une figure noble. Il est important pour l’État [vénitien]. […] C’est parce que c’est un étranger chez les Blancs que son esprit fonctionne si rapidement, car il ressent le déshonneur plus profondément. Sa couleur exacerbe la tragédie4.

Quelques jours plus tard, Robeson va jusqu’à faire l’éloge d’un Shakespeare qui aurait été « le tout premier à se référer à ce qui est connu aujourd’hui sous le nom de « barrière de couleur » (colour bar)5 ». Pour autant, la conception qu’a Robeson de ce que doit être le caractère d’un personnage noir-africain au théâtre partage encore d’indéniables affinités avec la représentation que s’en font les critiques et metteurs en scènes blancs – fût-ce pour faire de qualités ce qui était systématiquement perçu comme des défauts. En effet, Robeson insiste sur le fait que quiconque veut saisir la personnalité d’Othello doit avoir à l’esprit « cette partie de lui-même qui relève du sauvage brut et qui le conduit à tuer sa femme6 ». Et il répète à plusieurs reprises, faisant de cette conviction le principe directeur de sa propre interprétation, qu’il est nécessaire à l’acteur jouant Othello de laisser s’exprimer « la simplicité essentielle » du personnage, le caractère « immédiat » de ses réactions qui le font tomber dans le piège tendu par Iago7.

C’est au cours des années 1930 que se forge la conscience politique-raciale de Robeson, qui s’est désormais installé en Angleterre. Et comme chez de nombreux Noirs nord-américains et caribéens, cette politisation va emprunter le « détour » de la (re)découverte culturelle du « continent noir ». À partir de 1934, Robeson suit des cours à la School of African and Oriental Studies et se livre à une étude approfondie de plusieurs langues africaines : swahili, yoruba, efik, asante, etc.. Il souligne alors l’incontestable parenté entre les cultures noire américaine, d’un côté, et africaines, de l’autre, et déclare haut et fort qu’il mettra désormais son art au service de « cette idée centrale : être africain »8. Cette tâche suppose de ne plus « singer les Blancs », de ne plus chercher à conquérir l’égalité sur le « terrain propre des Blancs » ; car la « conquête de la Nature » à laquelle s’est irrésistiblement livré l’Occident a engendré une dissociation de l’ « intellectuel » et de l’ « émotionnel », elle-même source d’un épuisement du sentiment artistique : « Parfois, j’ai l’impression que je suis le seul Noir en vie qui ne préférerait pas être blanc. […] [P]our le reste de ma vie, je vais penser et sentir comme un Africain – pas comme un homme blanc9. »

Robeson en appelle à la création d’un art noir, rompant avec le désir forcené « d’absorber les arts occidentaux », et qui n’a rien à voir avec un « retour aux huttes et à la jungle ». Il est absolument nécessaire de mettre en scène des « pièces noires » écrites par des Noirs et jouées par des Noirs. Cependant, pour Robeson, une telle affirmation raciale ne doit pas conduire à rejeter aveuglément toutes les œuvres occidentales, mais à adopter une attitude radicalement nouvelle à leur égard : « Nous n’avons pas l’intention de nous limiter à des pièces noires. Cela desservirait notre cause. Nous voulons mettre en scène certains des classiques écrits par des Européens, mais qui traitent de l’homme, de l’être humain, indépendamment de sa couleur, de sa caste ou de sa foi10 » L’objectif n’est pas seulement pour le Noir de se défaire de l’emprise de la culture blanche, mais aussi et avant tout de gagner « une nouvelle place dans le monde »11. En témoigne le désir de Robeson, exprimé par lui à maintes reprises, d’avoir l’opportunité d’incarner d’autres figures, blanches, du répertoire shakespearien, au premier rang desquelles le Roi Lear. Dès 1924, il avait déclaré : « Quand un Noir fait du bon travail comme acteur, tout le monde commence à parler d’Othello. Bien sûr je pense à Othello, mais comme à une sorte de consécration. Je pense à d’autres rôles aussi. J’espère que le temps viendra où les acteurs noirs ne seront pas limités à des rôles de Noirs12. »

Ce temps ne viendra jamais pour Robeson lui-même, mais, de retour aux États-Unis au début de la Seconde Guerre mondiale, il connaît de nouvelles heures de gloire avec la mise en scène d’Othello à New York, au Shubert Theatre, sur Broadway, lors de la saison 1943-1944. À une période où la ségrégation bat son plein et que le mouvement des droits civiques n’a pas encore fait son entrée en scène, Robeson, premier Africain-Américain a endosser le rôle d’Othello dans une production blanche aux États-Unis, a désormais pleinement conscience des enjeux politiques dont sa performance est porteuse :

Je joue et je parle pour les Noirs comme seul Shakespeare était capable de le faire. Cette pièce porte sur le problème des minorités. Elle concerne un Maure au teint noir (blackamoor) qui recherche l’égalité parmi les Blancs. C’est fait pour moi. […] [C]’est une pièce qui est d’un grand intérêt pour nous, modernes, aujourd’hui, qui sommes confrontés au problème des relations entre différences races et cultures. Bien sûr, c’est aussi une pièce sur l’amour, la jalousie, la fierté et l’honneur – des émotions communes à tous les hommes13.

Robeson fait de la figure individuelle d’Othello, et de Shakespeare lui-même, le porte-parole de la minorité noire américaine toute entière. C’est paradoxalement le drame particulier vécu par Othello en tant que membre d’une race opprimée qui permet à Shakespeare d’en faire le représentant des passions humaines universelles, ainsi que l’affirme Robeson dans des « Réflexions sur Othello » datant de 1945 :

Il était proprement fascinant de voir à quel point les spectateurs américains, d’un bout à l’autre du pays, trouvaient l’Othello de Shakespeare actuel, douloureusement évident dans sa représentation du mal, de l’innocence, de la passion, de la dignité et de la noblesse, et actuel par son évocation d’un affrontement des cultures, des limites de l’hospitalité réservée à celui qui vient d’une minorité et des conséquences que cela a sur lui. Dans ce contexte, la jalousie du personnage devient plus vraisemblable, les atteintes à sa fierté plus compréhensibles, l’effondrement final de son monde personnel, individuel, d’autant plus inévitable. Mais, au-delà de la tragédie personnelle, la terrible agonie d’Othello, la perte irrémédiable de son monde, la destruction complète des valeurs auxquelles il croyait et qu’il jugeait sacrées, tout cela indique l’effondrement d’un univers14.

Faisant siennes les thèses de Theodore Spencer dans Shakespeare and the Nature of Man (1942), Robeson assure que le monde dans lequel Othello fut conçu était un monde en voie d’effondrement. L’époque de Shakespeare était une époque de transition, traversée de convulsions, entre le Moyen Âge et la Renaissance, un âge en lui-même tragique. Or, aux yeux de Robeson, le monde de l’après Seconde Guerre mondiale est lui aussi un monde en ruines, portant en son sein un « monde nouveau »  : « nous sommes situés à la fin d’une période de l’histoire humaine et avant le commencement d’une nouvelle. Tous nos principes et nos croyances éprouvées sont remis en cause15. » Pour Robeson, on va le voir, ce monde nouveau est celui qu’annoncent les luttes anti-impérialistes, préfigurées par la Révolution de 1917 .

L’art de la révolution noire

La quête par Robeson de ses racines africaines au long des années 1930 ne l’empêche pas, au contraire, de porter une scrupuleuse attention aux « cultures » des autres nations non-occidentales. Ainsi se plaît-il à souligner les fortes « affinités culturelles » (en termes linguistiques, poétiques, musicaux, etc.) entre les Noirs et les « grandes races orientales », parmi lesquelles il inclut les Chinois, mais aussi les Russes, dont ils se targue d’avoir appris à parler la langue « en six mois et avec un accent parfait » là où il avait dû batailler pour parler le français et l’allemand. De même, tandis que la culture anglaise l’avait laissé indifférent, du moins jusqu’à ce qu’il découvre Shakespeare, il affirme avoir « rencontré » Pouchkine, Tolstoï, Dostoïevski, Confucius et Lao Tseu sur un « terrain commun » et les avoir immédiatement « compris »16. Pour Robeson, les Noirs, au lieu de tourner leurs regards vers une Europe qui, spontanément, leur est étrangère, ont la tâche d’établir des liens transversaux avec leurs cousins orientaux : « Le Noir […] doit emprunter sa technologie à l’Occident. Mais j’aimerais voir des étudiants noirs dans le domaine de la culture aller en Palestine ou à Pékin plutôt qu’à la Sorbonne ou à Oxford17. »

Nul doute que les affinités culturelles que Robeson découvre, ou réinvente, sont intimement liées aux affinités politiques qu’il cultive au cours de ces mêmes années. En effet, fin 1934, il effectue un premier séjour – il y en aura beaucoup d’autres – en Union soviétique, où il enverra bientôt son fils poursuivre sa scolarité pour plusieurs années. Jouissant du chaleureux accueil qui lui est réservé et déclarant le peuple soviétique étranger à toute forme de racisme, il confie à un journaliste du Daily Worker vouloir s’installer en URSS, pays où il sent enfin « chez lui » et où l’artiste peut développer ses talents « dans la plus grande liberté ». Porté par un enthousiasme qui n’a rien de feint, et qui va le conduire à étudier les œuvres du marxisme et les principes du socialisme soviétique, il réagit aux récentes exécutions d’opposants (« terroristes contre-révolutionnaires ») en ces termes : « À partir de ce que j’ai déjà vu du fonctionnement du gouvernement soviétique, je peux seulement dire que quiconque lève la main contre ce dernier doit être fusillé ! […] Il est évident qu’il n’y a pas de terreur ici, que toutes les masses de toutes les races sont satisfaites et soutiennent leur gouvernement18. »

Même après que les crimes de Staline auront été exposés au grand jour, Robeson n’émettra jamais de critique, publique du moins, du régime soviétique et affichera jusqu’à la fin de sa vie sa sympathie pour le « socialisme scientifique », synonyme pour lui de « progrès »19. À ses yeux, le plus grand acquis de la Révolution soviétique est d’avoir montré la capacité non seulement des « peuples de paysans » (Russe au sens ethnique) mais aussi « des peuples soi-disant arriérés » (Iakoutes, Ouzbeks, peuples de l’Oural, etc.) à s’élever quasi immédiatement aux exigences d’une société industrielle sans renier nullement leur culture20. Il n’avait pas fallu des siècles, comme d’aucuns le prétendaient, mais une trentaine d’années tout au plus pour que les représentants de ces « races arriérées » – selon les classifications en vigueur sous le tsarisme – dirigent leurs propres usines, leurs théâtres et leurs universités :

Quand j’ai visité l’Union soviétique, j’ai vu de mes propres yeux comment les Iakoutes, les Ouzbeks et toutes les autres nations autrefois opprimées étaient en train de faire un bond en avant du tribalisme à l’économie industrielle moderne, de l’illettrisme aux sommets de la connaissance. Leur anciennes cultures fleurissant d’une nouvelle et plus grande splendeur21.

C’est là un formidable pied-de-nez aux chantres de l’impérialisme « évolutionniste » et à tous ceux qui, sous couvert d’un libéralisme pétrie de paternalisme, maintiennent le partage binaire avancé/arriéré pour mieux maintenir leurs privilèges sur les peuples qu’ils prétendent défendre. Aux yeux de Robeson, l’URSS constitue un inestimable modèle pour l’émancipation à venir de l’Afrique.

L’invitation de Robeson en Union soviétique en 1934 émanait du grand réalisateur soviétique Sergueï Eisenstein, qui désirait réaliser un film sur la Révolution haïtienne. En 1930, lors de son séjour aux États-Unis, Eisenstein avait lu le roman historique de John W. Vandercook Black Majesty: The Life of Christophe, King of Haiti (1928) et l’idée d’une adaptation cinématographique avait germé en lui. Au Mexique l’année suivante, alors qu’il travaillait à son film resté inachevé Que viva Mexico !, il avait griffonné des esquisses pour un film sur la révolte des esclaves de Saint-Domingue. À son retour en URSS, et après avoir sensiblement infléchi son projet initial, qui était centré sur la figure de Christophe, et décidé de se baser sur le roman de son compatriote Anatoly Vinogradov, Le Consul noir, il déclare dans les pages de la Pravda que Toussaint Louverture va être « le héros de [s]on prochain film Le Consul noir »22. Fin 1932, début 1933, il travaille avec ses étudiants de l’Institut de cinématographie (VGIK) sur les formes de mise à l’écran des scènes qu’il a imaginées et qui révèle le grand intérêt qu’il accorde également à Jean-Jacques Dessalines en tant que figure dramatique.

En juillet 1933, Eisenstein signe un contrat auprès de Soiuzkino, les studios de Moscou, pour l’écriture du scénario du film. Il est alors désireux de compter dans son casting Robeson, ce « remarquable acteur noir » doué de « génie humain »23 dans ses termes, dont il avait pu apprécier la notoriété lors de son séjour aux États-Unis – bien qu’il n’y ait aucune certitude sur le rôle qu’il envisageait de lui confier : Toussaint, Dessalines ou Christophe. Robeson, qui lui-même décrira sa rencontre avec Eisenstein comme « l’une des plus grandes expériences de [s]a vie », se laisse facilement convaincre. Il faut dire que dès 1926, soulignant la « quantité de matériel contenu dans le passé des Noirs », il avait déclaré « rêve[r] d’une grande pièce sur Haïti, une pièce sur les Noirs, écrite par un Noir et joué par un Noir », « un drame émouvant qui ne présentera aucun des thèmes offrant des cibles aux défenseurs de la suprématie raciale24 ». Sans doute avait-il alors à l’esprit la récitation qu’à l’âge de 17 ans il avait faite, lors d’un concours d’éloquence et devant un public presque exclusivement blanc, du célèbre discours de 1861 de l’abolitionniste américain Wendell Phillips sur Toussaint Louverture, qui se concluait sur ces mots :

Vous me prendrez, sans doute, ce soir, pour un fanatique, parce que vous lisez l’histoire moins avec vos yeux qu’avec vos préjugés ; mais dans cinquante ans, lorsque la vérité se fera entendre, la Muse de l’Histoire choisira Phocion pour les Grecs, Brutus pour les Romains, Hampden pour l’Angleterre, Lafayette pour la France ; elle prendra Washington comme la fleur la plus éclatante et la plus pure de notre civilisation naissante, et John Brown comme le fruit parfait de notre maturité ; et alors plongeant sa plume dans les rayons du soleil, elle écrira sur le ciel clair et bleu, au-dessus d’eux tous, le nom du soldat, de l’homme d’État, du martyr Toussaint Louverture25.

Robeson avouera ignorer pour quel raison il avait opté pour ce discours, ignorant alors sa portée politique et suggérant que c’était là une idée de son frère. Il ne se félicitera pas moins de ce choix : « J’étais là, déclamant […] la fulgurante attaque de Wendell Phillips contre le concept de suprématie blanche26 ! »

Mais malheureusement, Le Consul noir n’allait jamais être tourné ; la faute en particulier à Boris Choumiatsky, dirigeant de l’industrie cinématographique soviétique, qui, alors soucieux d’emprunter au modèle du cinéma hollywoodien, voit d’un mauvais œil le caractère par trop élitiste des films d’Eisenstein, lequel, de plus, n’est pas parvenu à mener un projet à terme depuis 1929. L’absence sur place de Robeson, engagé dans d’autres productions, complexifie encore davantage les choses. En 1936 cependant, à l’occasion d’un nouveau séjour en URSS, Robeson s’engage à offrir ses services à Eisenstein pour une durée de trois mois l’année suivante. À cette date, le projet sur la révolution haïtienne a formellement été rejeté par les autorités et Eisenstein envisage alors de faire jouer Robeson, dans le rôle d’un « soldat marocain », dans un film sur la guerre d’Espagne qui vient tout juste d’éclater. L’objectif, dit Eisenstein, est de « mettre la race et le problème national au cœur de la poésie de l’Espagne révolutionnaire27 » où Robeson, après avoir enregistré des discours incitant ses compatriotes à s’engager auprès des forces républicaines, passe plusieurs semaines en 1938, auprès des combattants des Brigades internationales. Mais là encore, le projet échoue et les deux hommes abandonnent bientôt, à regrets, leurs espoirs de collaboration.

Robeson aura entretenu au cours de sa carrière des rapports conflictuels avec l’industrie cinématographique. Durant les années 1930, il fait à plusieurs reprises la traversée de l’Atlantique pour jouer dans des films tournés aux États-Unis, notamment des adaptations cinématographiques des pièces où il a brillé : The Emperor Jones en 1933 – qu’il considérera comme un échec artistique – et Show Boat en 1936. En 1934, il passe trois mois en Afrique, au Nigéria, pour le tournage de Sanders of the River (1935), production britannique réalisée par Zoltán Korda. Il y joue le rôle de Bosambo, un chef africain qui apporte son soutien à un administrateur colonial s’efforçant de diriger la région dans un souci d’équité entre les tribus qui l’habitent. Mais, un peu avant la sortie du film, Robeson enrage lorsqu’il constate que des scènes faisant l’éloge du colonialisme britannique ont été ajoutées au montage. Et tandis qu’il avait espéré donner à voir la dignité des Africains et la richesse de leurs cultures, contre le stéréotype du sauvage non-civilisé, il a devant les yeux un Bosambo, lui-même, représenté comme un laquais de l’impérialisme. L’expérience est d’autant plus douloureuse pour lui qu’il essuie de nombreuses critiques lui reprochant de s’être pris au jeu de l’exotisation du continent africain28.

Robeson va désormais se livrer à une virulente critique de l’industrie cinématographique, symbolisée par Hollywood : « l’industrie du film est l’exemple le plus clair du fonctionnement du capitalisme : des récessions, des booms, des flambées, de la spéculation, de la sur-production29 ». Les principales compagnies américaines et britanniques, déclare-t-il en 1938, « sont contrôlées par le grand capital » et, lorsque le « problème noir » est abordé, les producteurs « insistent pour que soit présentée une image caricaturale du Noir, une image ridicule qui amuse la bourgeoisie blanche30 ». Robeson reste convaincu que le cinéma conserve le pouvoir d’être « le medium à travers lequel exprimer les capacités créatrices des masses », et donc des Noirs31, mais, en l’état, Hollywood poursuit la « veille tradition de la plantation » qui est profondément « offensante pour les [s]iens32 » :

Pour cette raison, actuellement, le travail filmique ne m’intéresse pas […]. Je ne travaillerai plus pour les grandes compagnies qui sont dirigés par des individus qui, s’ils le pouvaient, feraient de moi un esclave comme mon père. […] J’aimerais faire un film sur la vie d’un commandant noir [Oliver Law] de la Brigade Abraham Lincoln des Brigades internationales qui meurt là-bas [en Espagne] ; mais ce projet serait rejeté par les grandes compagnies Yankees. […] J’espère cependant accomplir ce désir et porter à l’écran l’atmosphère héroïque que j’ai respiré en Espagne et la grande participation d’hommes de ma race à la lutte33.

Le rêve de Robeson d’incarner un révolutionnaire noir à l’écran ne se réalisa jamais. Néanmoins, il eut bel et bien l’occasion, au théâtre, d’entrer dans la peau de Toussaint Louverture, l’alter ego historique de cet autre général de couleur qu’était Othello. L’opportunité lui fut offerte par un intellectuel caribéen (trinidadien), de trois ans son cadet, alors quasi inconnu, sinon des milieux trotskystes et panafricains londoniens. Il s’agit de C. L. R. James., qui se fera bientôt un nom avec la publication en 1938 de Les Jacobins noirs34, une histoire de la révolution haïtienne d’un point de vue marxiste. La vaste entreprise historiographique de James se matérialise d’abord sous la forme d’une tragédie historique centrée sur la personnalité de Toussaint Louverture35. Achevée à l’automne 1934, la pièce connaît deux représentations au mois de mars 1936 au Westminster Theatre à Londres avec Robeson dans le rôle de celui qu’on désigne encore communément comme « le Napoléon noir ». Si plusieurs critiques soulignent la « faiblesse du style » d’un auteur encore par trop inexpérimenté36, la performance de Robeson fait l’unanimité ou presque : « Robeson joue le rôle de Toussaint et, étant donné l’ampleur de la tâche, il ne manque pas de montrer ce qu’un grand acteur noir peut faire37. »

Dans les décennies qui suivent, James, quoique farouchement antistalinien, ne tarit pas d’éloges sur Robeson, « le plus merveilleux être humain [qu’il ait] rencontré ». Au début des années 1940, il se félicite en privé de la performance de Robeson en Othello à Broadway : « Certaines personnes modernes […] lisent Shakespeare et en tirent ce qui est implicite et important pour nous. C’est quelque chose que l’Othello de Robeson a fait en partie et qui ne pouvait être fait qu’en Amérique. Il a donné à voir la question raciale38 ». Soutenant que les Noirs, où qu’ils se trouvent, sont doués de qualités « africaines » qu’ils doivent approfondir, Robeson n’en est pas moins convaincu, idée chère à James, qu’ils sont aptes « à participer pleinement et entièrement aux arts proprement occidentaux de la civilisation occidentale ». Si Robeson demeure « l’un des hommes les plus remarquables du XXsiècle », c’est enfin parce que son histoire personnelle a épousé les « mouvements historiques les plus profonds de notre siècle » : son admiration pour une une Union soviétique depuis longtemps devenue obstacle à l’internationalisme ne l’a jamais détourné de la certitude que « seule la révolution mondiale pouvait sauver l’humanité des crises et catastrophes engendrées par le capitalisme39 ».

La musique populaire ou l’internationalisme en acte

Ce n’est cependant pas à travers le théâtre, encore moins le cinéma, que Robeson sera le mieux parvenu à donner corps, artistiquement, à la vision politique qui l’animait, mais à travers la musique populaire. Davantage encore qu’un acteur, Robeson était un chanteur. Dans les années 1920, il s’était déjà fait largement connaître aux États-Unis pour ses interprétations de negro spirituals et d’autres chants populaires africains-américains. Il attribuera plus tard son aisance à maîtriser ce répertoire à son expérience, remontant à sa plus tendre enfance, à Princeton parmi les Noirs « travailleurs, et pauvres pour la plupart » qui se réunissaient dans les églises, les salles de spectacle et les centres communaux : « Oui, j’entendais les miens chanter ! – à la lueur des poêles à charbon et sur les perrons estivaux parfumés de l’odeur des lilas, dans les chœurs et sur les bancs des dimanches matin – et mon âme était emplie de leur harmonie ». C’est aussi auprès de son père pasteur qu’il se familiarisa intiment avec la musique populaire africaine-américaine : « J’entendais ces chants dans les sermons de mon père, car il y a dans le parler noir beaucoup du phrasé et du rythme des chants populairs40. »

Cette pratique de la musique noire est pour Robeson indissociable de l’étude proprement théorique de son histoire, de sa signification et de sa structure rythmique et mélodique. Dans un entretien de 1927, interrogé sur l’influence de l’Ancien Testament sur la formation des spirituals, il affirme que les Noirs pouvaient y reconnaître leur propre destin, l’histoire d’un peuple, « les Juifs, [qui], tout au long de sa captivité en Égypte, avait la mémoire de sa gloire et de sa liberté passées, lui insufflant l’espoir d’une liberté future ». Se saisissant de l’exemple de Go Down, Moses, Robeson rappelle que, pour être un chant de souffrance, il n’exprime pas pour autant la résignation, mais au contraire un profond désir de libération, sur terre, et non dans l’au-delà41. Robeson n’a de cesse de le répéter : « Un grand nombre de vieux chants populaires, qui restent jeunes encore aujourd’hui, faisaient écho à l’extraordinaire désir de s’échapper de l’esclavage42. » Dans un essai publié en 1949 dans Sovietskaïa Musika (La Musique soviétique), il fustige les musicologues et critiques américains « qui ont tout fait pour distordre la vérité historique, dissimuler les racines sociales réelles de l’art noir et dépeindre la culture noire comme imitative, imprégnée de l’esprit de docilité chrétienne et la soumission servile au destin43 ». Ces spécialistes ont cherché à retracer les origines des negro spirituals dans la musique liturgique anglaise et les psaumes puritains alors qu’elle puise avant tout ses racines dans « les anciennes cultures africaines », replacées dans un contexte d’oppression extrême :

Et pourtant ce peuple réduit en esclavage, opprimé par le double joug d’une exploitation cruelle et de la discrimination raciale, donna naissance à des chants splendides, pleins d’inspiration et de vie. Ces chants reflétaient une force spirituelle, la foi d’un peuple en lui-même et une foi dans sa vocation ; ils reflétaient la colère et la protestation contre les esclavagistes et l’aspiration à la liberté et au bonheur. Ces chants frappent par la noble beauté de leurs mélodies, l’expressivité et l’ingéniosité de leurs intonations, par la saisissante variété de leurs rythmes, par la sonorité de leurs harmonies et par la surprenante singularité et la nature poétique de leurs formes44.

Le sens profond des spirituals, assure Robeson, n’est pas religieux mais social. Comme l’affirmait déjà l’ex-esclave et militant abolitionniste Frederick Douglass, le « paradis » mentionné dans un chant tel que Heab’n (heaven) ne désigne rien d’autre que les États du Nord vers lesquels les esclaves fuyaient. Une grande partie des chants populaires africains-américains, dit Robeson, étaient des « chants de protestation » manifestant « l’esprit révolutionnaire des travailleurs noirs, leur haine des exploiteurs et leur soif de lutte pour leurs droits humains et leur liberté. » Et Robeson de distinguer la musique populaire du jazz commercial, à propos duquel il déclare, de manière relativement commune pour l’époque, « qu’il a prostitué et impitoyablement perverti de nombreux modèles de musique populaire noire […] afin de satisfaire les désirs de la société capitaliste45. »

Avant Robeson, W. E. B. Du Bois, dans le dernier chapitre de Les âmes du peuple noir (1903) avait fait l’éloge des « chants de douleur » africains-américains, « le seul héritage spirituel de [la] nation [américaine] et le plus grand cadeau du peuple noir ». Que Du Bois ait perçu dans ces chants la « recherche tâtonnante de quelque pouvoir invisible », l’espoir d’un « ultime repos » et d’ « une justice sans limite dans quelque monde lumineux de l’au-delà46 » n’allait pas empêcher Robeson de faire de lui son alter ego : « Nous parlions souvent de la richesse et de la beauté de notre héritage populaire, en particulier de la musique noire qu’il aimait et trouvait profondément émouvante. Il soulignait souvent l’importance de cette contribution à la culture américaine47 ». Les affinités grandissantes de Du Bois pour le communisme contribuent, au cours des années 1940, au rapprochement des deux hommes qui, en 1949, se retrouvent à Paris pour participer au Congrès mondial des partisans de la paix. Mais ce n’est pas seulement le Du Bois militant de la cause noire et intellectuel (sociologue et historien) que Robeson loue, mais aussi le Du Bois écrivain et artiste, dont la prose elle-même est l’héritière de l’art populaire noir :

[N]’oublions pas qu’il est l’un des grands maîtres de notre langue, la langue de Shakespeare et de Milton d’une part ; et, d’autre part, de l’étrange beauté du langage populaire – le langage du peuple – du Noir américain. C’est un grand poète, un des poètes dont l’Amérique est fière. En ces jours d’anxiété et de lutte, je prends souvent l’un de ses nombreux livres, le plus souvent Les Âmes du peuple noir. Que j’aime à m’abandonner à ces riches cadences, à me nourrir et à puiser la force de ces lignes si profondément insérées dans le style populaire de notre peuple ; lequel est en même temps enrichi et élevé par les dons artistiques de ce prophète doué de sentiment profond. Du Bois nous fournit la preuve que le grand art des Noirs provient de la vie intérieure des Africains-Américains eux-mêmes (comme c’est le cas de l’art de n’importe quelle groupe) et que ses racines remontent aux terres africaines d’où ils viennent48.

Robeson met l’accent sur la filiation en ligne directe entre les musiques populaires africaines et noires américaines. Les Noirs doivent à leurs « ancêtres africains », leur « remarquable sens de la musique ». Leur musique a hérité des chants africains non seulement leur « rythme », mais aussi « la structure de leur harmonie dans les intonations », « le caractère d’improvisation de leur style d’exécution » et de manière plus générale leur « forme »49. L’appel lancé par Robeson dans les années 1930 à arrêter d’imiter l’Occident et à cultiver des liens avec les cultures d’ « Orient »  s’exprime également sur le plan musical : « Je ne comprends pas la psychologie ou la philosophie des Français, des Allemands ou des Italiens. Leur histoire n’a rien de commun avec l’histoire de mes ancêtres esclaves. Donc, je ne ne chanterai pas leur musique ou celle de leurs ancêtres » ; et il annonce alors qu’il interprétera bientôt des chants en russe, en hébreu et en chinois50.

Sans jamais disparaître entièrement, ces arguments, qu’on peut qualifier de culturalistes, cèdent bientôt la place chez Robeson à une approche de la musique en termes de classes, le « populaire » désignant alors, littéralement, ce qui puise ses racines dans le peuple, quel que soit sa couleur ou sa culture. Car la grande découverte de Robeson au cours de son séjour en Angleterre n’est pas seulement celle de l’Afrique et des sombres réalités de l’impérialisme, c’est aussi celle des classes populaires britanniques et de leurs luttes  :

C’est en Grande-Bretagne – parmi les Anglais, les Écossais, les Gallois et les Irlandais de ce lieu – que j’ai appris que le caractère essentiel d’une nation est déterminée non par les classes supérieures, mais par les gens ordinaires, et que les gens ordinaires de toutes les nations sont réellement des frères dans la grande famille du genre humain51.

Or, les « chants populaires sont l’expression poétique de la nature la plus intime d’un peuple52 » ; c’est « tout autant que le langage une création des masses du peuple53 », dont Robeson se savait issu et auxquelles, malgré son statut de « star », il se dira toujours appartenir. À partir des années 1930, Robeson étend son répertoire pour y inclure des chants populaires irlandais (Oh, no John!), écossais, anglais, ou encore espagnols, ces derniers s’offrant comme l’incarnation même de l’esprit des armées républicaines en lutte contre les forces franquistes. Se voulant authentiquement international(iste), le répertoire robesien intègre aussi des chants mexicains, juifs (Kaddish) et russes-soviétiques, Robeson soulignant alors les « relations étroites » qui existent entre les « chants populaires des Noirs [américains] » et celles des « Russes et des républiques nationales soviétiques qui étaient autrefois des colonies tsaristes54 ».

Aux yeux de Robeson, l’une des plus grandes réussites de l’Union soviétique est d’avoir su réintégrer « les arts, et en particulier la musique », à « la vie générale de la nation », là où en Europe et aux États-Unis, elle est devenue « une source de plaisir » réservée à une « prétendue élite ». La meilleure preuve que les clivages de classes sont en voie de disparition en Union soviétique est selon lui l’érosion du partage entre musique populaire et musique-arts savants, « les formes artistiques populaires servant de sources permanentes pour des formes plus complexes (pas nécessairement supérieures) »55. Il n’est dès lors pas étonnant qu’un compositeur tels que Stravinski, comme Dvorák avant lui, ait pu « emprunter aux mélodies noires56 » ou que Khatchatourian ait pu déclarer que ses berceuses « venaient d’Orient57 ». Et Robeson de se rappeler comment, au début des années 1950, il enregistra dans des conditions matérielles rudimentaires des chansons pour un film est-allemand à la gloire du mouvement ouvrier international – Das Lied der Ströme (Le Chant des fleuves) réalisé par Joris Ivens –, avant de découvrir quelques mois plus tard dans la presse que le compositeur n’était autre que Chostakovitch.

Les chants noirs, répète Robeson, sont porteurs « d’une incontestable signification pour toute l’humanité58 » ; et cette signification n’a jamais été aussi grande qu’à l’aube de la Seconde guerre mondiale où ils sont devenus le « symbole de ceux qui […] recherchent la liberté depuis le donjon du fascisme59 ». L’« héritage commun » des chants populaires est celui-là même des luttes séculaires des masses laborieuses de tous les pays contre l’oppression des classes et nations dominantes. Mais ce n’est pas seulement d’un point de vue politique, mais aussi et indissociablement d’un point de vue proprement musicologique, que les musiques populaires forment un « corps universel »60. Cette universalité concrète, déclare Robeson en s’appuyant vaste corpus d’écrits scientifiques, repose sur l’usage généralisé dans la « musique mondiale » – la « musique de l’Asie, de l’Afrique, de l’Europe et des deux Amériques » – de la gamme pentatonique (à cinq temps)61, preuve irréfutable de « l’universalité de l’humanité », de « la relation fondamentale de tous les peuples les uns aux autres » ; d’où l’espoir d’un futur d’ « immense richesse musicale, chacun offrant et empruntant à tous les autres au sein de ce formidable répertoire musical mondial62 ». On a là la plus parfaite expression de l’internationalisme de Robeson : ce futur de la musique, fait de dons et de réciprocité, n’est rien d’autre pour lui que le futur du socialisme dans un monde libéré de l’impérialisme.

Conclusion

C’est cette utopie concrète qui aura animé l’engagement politique, au sens strict, de Robeson qui n’aura pas hésité à sacrifier en son nom sa carrière artistique. À son retour aux États-Unis en 1939, il prend à bras le corps la question noire pour la lier au destin du mouvement ouvrier nord-américain et, au-delà, à l’émancipation des masses populaires à l’échelle mondiale : « le combat de mon peuple noir en Amérique et le combat des ouvriers opprimés où que ce soit [est] le même combat63 ». Robeson s’exprime, et chante, à de multiples occasions à la tribune d’assemblées de syndicats ouvriers et en appelle les Noirs américains à rejoindre le Congrès des organisations industrielles (CIO)64 et à s’engager dans la lutte contre le fascisme en Europe – là où des militants comme James, lequel a rejoint le mouvement trotskyste américain, s’opposent radicalement à une telle mobilisation dans laquelle ils perçoivent une nouvelle ruse visant à détourner les Noirs de leurs revendications propres et de leurs luttes « indépendantes »65. Après la guerre, c’est à la libération de l’Afrique que se consacre Robeson, qui multiplie en particulier les attaques contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Fidèle à lui-même, il souligne les relations intimes qui unissent tous les peuples subissant le joug du colonialisme et, en 1954, qualifie Hô Chi Minh de « Toussaint Louverture de l’Indochine » dans la mesure où, comme Toussaint face à Napoléon, il eut à faire face au retour « des maîtres coloniaux français […] pour ré-esclavagiser le peuple qui s’était lui-même libéré [pendant la Seconde Guerre mondiale]66 »

Mais, exprimant publiquement ces idées à une période où, aux États-Unis, l’anti-communisme bat son plein et où le Maccarthysme va bientôt dicter sa loi à la politique états-unienne, Robeson ne tarde pas à être accusé d’être un « ennemi » et un « traître » à son pays67, coupable d’ « activités antiaméricaines ». Dès 1946, il est interrogé par le Tenney Committee – la version californienne du House Committee on Un-American Activities (HUAC) – sur ses relations avec l’Union soviétique et le Parti communiste américain (CPUSA)68. Le point de non-retour est atteint en 1949 après son intervention au Congrès mondial des partisans de la paix de Paris, où il déclare :

Nous, en Amérique, nous n’oublions pas que c’est sur le dos des Blancs pauvres d’Europe […] et de millions de Noirs que les États-Unis ont acquis leur richesse ; nous sommes convaincus qu’elle doit être partagée de manière équitable entre tous nos enfants et nous rejetons toute stupidité hystérique au sujet de notre participation dans une guerre contre qui que ce soit. Nous sommes déterminés à lutter pour la Paix. Nous ne voulons pas nous battre contre l’Union soviétique69.

Jusqu’au bout, Robeson défendra une politique de paix entre les États-Unis et l’Union soviétique reposant sur un principe élémentaire, indépendant de ses propres convictions politiques :

[L]a grande question de savoir quelle société est la meilleure pour l’humanité n’a jamais été résolu par des arguments. La preuve du pudding, c’est qu’on le mange. Laissons les divers systèmes sociaux se concurrencer dans des conditions de coexistence pacifique, et les gens pourront décider par eux-mêmes70.

L’irrationalité gouvernant la Guerre froide ne laisse aucune chance à la logique de Robeson qui voit sa carrière stoppée net, toute performance publique lui étant interdite après que des émeutes ont éclaté lors d’un concert ; ce qui fait dire à Du Bois, pas la moindre des victimes de la chasse aux communistes : « En tant que personne, [Robeson] est sans aucun doute aujourd’hui l’Américain le plus connu sur terre. […] Il n’y a que dans son pays natal qu’il est privé d’honneurs et de droits71 ». Robeson ne peut pallier son désaveu national en répondant aux nombreuses sollicitations qui lui viennent de l’étranger puisque son passeport lui a été confisqué. Ses revenus chutent brutalement, passant d’environ 100 000 dollars par an a à peine 6 000. Il ne peut non plus honorer l’invitation qui lui est faite d’enseigner l’art dramatique et la musique au Ghana indépendant tout comme, un peu plus tôt, il n’avait pas pu participé à la Conférence de Bandung (1955), à l’occasion de laquelle il avait néanmoins adressé un message de soutien72. Aux yeux de Robeson, l’interdiction de voyager qui le frappe est d’autant plus chargé de signification qu’elle renvoie à l’histoire africaine-américaine toute entière : « Depuis le tout début de l’histoire de notre pays, les Noirs ont revendiqué leur droit à la liberté de mouvement. […]. Depuis l’époque de l’esclavage jusqu’à aujourd’hui, le concept de voyage a été inséparablement lié dans l’esprit de notre peuple à celui de liberté73. »

Ce n’est qu’à la toute fin des années 1950, alors que Robeson entre dans sa septième décennie, que l’étau commence à se desserrer et qu’il peut reprendre ses activités artistiques, s’engageant entre 1958 et 1960 dans une longue tournée de concerts à travers le monde (Angleterre, Union soviétique, Nouvelle-Zélande, Australie). En 1959, il interprète pour la dernière fois Othello, à Stratford-upon-Avon, la ville natale de Shakespeare. Mais au début des années 1960, sa santé déclinante le contraint à se retirer de la scène publique. Il meurt le 23 janvier 1976, à l’âge de 77 ans, laissant l’impérissable exemple d’un homme pour lequel être un artiste noir et être, « malgré tous les obstacles », un « artiste international74 » étaient une seule et même chose ; un homme qui se sera sans relâche efforcer d’incarner au sein même de sa pratique et de sa pensée artistiques la célèbre formule de Frederick Douglass qu’il affectionnait tant : « S’il n’y a pas de lutte, il n’y a pas de progrès. Le pouvoir n’accorde rien sans qu’on ne l’exige. Il ne l’a jamais fait et ne le fera jamais75 ».

Vidéos avec Paul Robeson :

Here I Stand (1999), documentaire sur Paul Robeson : https://www.youtube.com/watch?v=BUki-v-NvoE

Robeson en Othello à Broadway : https://www.youtube.com/watch?v=xgGTkaovWzw

Sanders of the River (1935, Zoltan Korda) : https://www.youtube.com/watch?v=LWUK0E_GNYQ

Robeson interprète Ol’Man River dans Showboat : https://www.youtube.com/watch?v=eh9WayN7R-s

Concert de Robeson à Moscou en 1949 : https://www.youtube.com/watch?v=Z1DADRBIcB0c

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  1. Paul Robeson, « The Fourteenth Amendment: « The Sleeping Giant of the American Constitution » » [1919] in Paul Robeson Speak : Writings, Speeches, Interviews, 1918-1974 (dir. Philip S. Foner), New York, Citadel Press Books, 1978, pp. 53-62. []
  2. Françoise Alexander, « Othello joué par un Blanc : le théâtre français est-il raciste ? », Le Monde, 16 octobre 2015. []
  3. Voir Lindsey R. Swindall, The Politics of Paul Robeson’s Othello, Jackson, University Press of Mississippi, 2011, p. 11-25. []
  4. « Mr. Robeson on Othello », The Observer, 18 mai 1930, cité in ibid., p. 29. []
  5. Paul Robeson, in The Era, 21 mai 1930, cité in ibid., p. 31. []
  6. Ibid., p. 33 []
  7. « Paul Robeson’s Othello », Morning Post, 21 mai 1930, cité in ibid., p. 33 ; « Interview with William Lundell », Paul Robeson Collection, cité in ibid., p. 33. []
  8. Paul Robeson, « I Want to be African » [1934] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 90. []
  9. Paul Robeson, « Negroes—Don’t Ape the Whites » [1935] in ibid., p. 91, 93. []
  10. Paul Robeson, « I Want Negro Culture » [1935] in ibid., p. 100. []
  11. Ibid. []
  12. « Paul Robeson Talks of His Possibilities » [1924] in ibid., p. 67. []
  13. « Interview in PM and Paul Robeson’s Reply » [1943] in ibid., p. 145. []
  14. Paul Robeson, « Some Reflections on Othello and the Nature of Our Time » [1945] in ibid., p. 163. []
  15. Ibid. []
  16. Paul Robeson, « Negroes—Don’t Ape the Whites », op. cit., p. 92-93 []
  17. Ibid., p. 93. []
  18. « « I Am at Home, » Says Robeson at Reception in Soviet Union » [1935] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 94. []
  19. Voir notamment Paul Robeson, Here I Stand, Boston, Beacon Press, 1988 [1958], p. 39. []
  20. Ibid., p. 30. []
  21. Paul Robeson, « How I discovered Africa » [1953] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 352. []
  22. Sergueï M. Eisenstein, Selected Works, Vol. 1: Writings, 1922–34, cité in Charles Fordsick et Christian Høgsbjerg, « Sergei Eisenstein and the Haitian Revolution: ‘The Confrontation Between Black and White Explodes Into Red’ », History Workshop Journal, 78 (1), automne 2014, http://hwj.oxfordjournals.org/content/78/1/157.full#xref-fn-40-1, consulté le 4 décembre 2015. Les informations fournies ici sur le projet d’Eisenstein sur la révolution haïtienne sont empruntés à cet article. []
  23. Voir Christian Høgsbjerg, « Introduction » in C. L. R. James, Toussaint Louverture: The Story of the Only Successful Slave Revolt in History, Durham, Duke University Press, 2013, p. 20. []
  24. « Paul Robeson and the Theatre » [1926] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 72. []
  25. Wendell Phillips, Toussaint L’Ouverture, Port-au-Prince, Éditions Fardin, 1983 [1861]. []
  26. Paul Robeson, Here I Stand, op. cit., p. 25. []
  27. Sergueï Eisenstein, cité in Charles Fordsick et Christian Høgsbjerg, « Sergei Eisenstein and the Haitian Revolution », op. cit. []
  28. « U.S.S.R.—The Land for Me » [1936] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 107. []
  29. « Paul Robeson Tells Us Why » [1938] in ibid., p. 123. []
  30. « Paul Robeson in Spain » [1938] in ibid., p. 126. []
  31. « A Great Negro Artist Puts His Genius to Work for His People » [1939] in ibid., p. 130. []
  32. « Hollywood’s « Old Plantation Tradition » is « Offensive to My People »[1942] in ibid., p. 142. []
  33. « Paul Robeson in Spain », op. cit., p. 126 []
  34. C. L. R. James, Les Jacobins noirs : Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue, Paris, Éditions Amsterdam, 2008. []
  35. Voir Matthieu Renault, C. L. R. James : La vie révolutionnaire d’un « Platon noir », Paris, La Découverte, 2016, p. 67-70. []
  36. Edna Robinson, « Toussaint Louverture; The Story of the Only Successful Slave Revolt in History », Nelson Leader, 27 mars 1936, reproduit in C. L. R. James, Toussaint Louverture, op. cit., p. 181-182. []
  37. G. M., The Keys (The official organ of the league of coloured peoples), Vol. 3, n° 4, avril-juin 1936, reproduit in ibid., p. 185-186. []
  38. C. L. R. James, Special Delivery: The Letters of C. L. R. James to Constance Webb, 1939‐1948 (dir. Anna Grimshaw), Cambridge, Blackwell Publishers, 1996, lettre du 14 juin 1944, p. 123-124. []
  39. C. L. R. James, « Paul Robeson. Black star » [1970], in C. L. R. James, Spheres of Existence: Selected Writings, Londres, Allison & Busby, 1980, p. 256, 261‐262. []
  40. Paul Robeson, Here I Stand, op. cit., p. 15. []
  41. « The Sources of the Negro Spirituals » [1927] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 73-74. []
  42. « Paul Robeson Told Me » [1939] in ibid., p. 131. []
  43. Paul Robeson, « Songs of My People » [1949] in ibid., p. 212. []
  44. Ibid. []
  45. Ibid., p. 215-217. []
  46. W. E. B. Du Bois, Les Âmes du peuple noir (trad. Magali Bessonne), Paris, Éditions rue d’Ulm/Presses de l’École normale supérieure, 2004 [1903], p. 238, 244, 247. []
  47. Paul Robeson, « The Legacy of W. E. B. Du Bois » [1965] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 475. []
  48. Paul Robeson, « Set Him Free to Labor On—A Tribute to W. E. B. Du Bois » in ibid., p. 268. []
  49. Paul Robeson, « Songs of My People », op. cit., p. 213. []
  50. « Robeson Spurns Music He « Doesn’t Understand » » [1933] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 85. []
  51. Paul Robeson, Here I Stand, op. cit., p. 48. []
  52. Paul Robeson, « Songs of My People », op. cit., p. 211. []
  53. « Paul Robeson Told Me », op. cit., p. 131. []
  54. Paul Robeson, « When I Sing » [1937] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 115. []
  55. Paul Robeson, « Soviet Culture » [1941] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 13 []
  56. Paul Robeson, « Negroes—Don’t Ape the Whites », op. cit., p. 92. []
  57. Paul Robeson, « The Related Sound of Music » [1973] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 443. []
  58. Paul Robeson, « Songs of My People », op. cit., p. 211. []
  59. « Paul Robeson Told Me », op. cit., p. 131. []
  60. Paul Robeson, « Some Aspects of Afro-American Music » [1956] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 437. []
  61. Paul Robeson, « The Related Sounds of Music » [1957] in ibid., p. 443-448 []
  62. Paul Robeson, « A Universal Body of Folk Music – A Technical Argument by the Author » in Here I Stand, op. cit., p. 115-117. []
  63. Paul Robeson, « I, Too, American » [1949] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 191. []
  64. Paul Robeson, « Negroes Should Join the CIO » [1940] in ibid., p. 135. []
  65. C. L. R. James, « Pourquoi les Noirs doivent-ils s’opposer à la guerre » [1939] in Sur la question noire. La question noire aux États-Unis, 1935‐1967, Paris, Syllepse, 2012. []
  66. Paul Robeson, « Ho Chi Minh is the Toussaint L’Ouverture of Indochina » [1954] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 377-379. []
  67. Paul Robeson, « My Answer » [1949] in ibid., p. 224. []
  68. « Excerpts from Testimony before the Tenney Committee » in ibid., p. 178-181. []
  69. Paul Robeson, cité in Lindsey R. Swindall, The Politics of Paul Robeson’s Othello, op. cit., p. 129. []
  70. Paul Robeson, Here I Stand, op. cit., p. 40. []
  71. W. E. B. Du Bois, cité in Lloyd L. Brow, « Preface » [1971] in ibid., p. xxvi. []
  72. Paul Robeson, « Greetings to Bandung » [1955] in Paul Robeson Speaks, op. cit., p. 398-400. []
  73. Paul Robeson, Here I Stand, op. cit., p. 67. []
  74. Ibid., p. 59. []
  75. Frederick Douglass, cité in ibid., p. 89. []
Matthieu Renault