[Guide de lecture] Pour une historiographie du capitalisme marchand

Dans les débats sur l’histoire du capitalisme, il est de plus en plus répandu de déconsidérer le rôle des riches marchands dans l’émergence d’une accumulation du capital à grande échelle. Souligner l’importance des échanges serait s’inscrire dans une sociologie éclectique de l’économie moderne. Pourtant, le concept de « capitalisme commercial » (ou « marchand ») appartient à une riche tradition au sein du marxisme. Largement développé par les historiens soviétiques avant que ne tombe la longue nuit stalinienne, le concept de capitalisme marchand permet de penser la pluralité des trajectoires économiques et le développement inégal, à l’échelle de plusieurs siècles. Banaji propose ici quelques repères de lecture annotés de la question ; elle s’avère d’une importance cruciale à l’heure où la petite production marchande, ou encore le travail domestique, sont intégrés aux circuits mondialisés de la production capitaliste. De la société des Indes orientales à Uber et Unilever, le prolétariat d’aujourd’hui a peut-être des airs de famille avec les multitudes bigarrées et rebelles de la Renaissance et l’âge classique.

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Chez Marx, le plus long passage traitant du capital marchand se situe dans la partie 4 du Livre III du Capital (aux pages 260-318)1. Il faut commencer par dire que Marx considère le capital commercial (l’une des deux formes que prend la catégorie de capital marchand) seulement comme une modalité de la circulation du capital industriel. Les marchands ne sont que des « agents » du capital industriel. La figure du marchand n’a pour seul rôle que d’acheter et des vendre les marchandises qui constituent les marchandises-capital des différentes industries.

Si les marxistes considèrent comme valable la « définition » du capital marchand fournie par Marx (dans Le Capital, livre III, p. 361) pour écrire l’histoire du capitalisme, ils et elles obtiendront de maigres résultats – et il s’avère en effet que l’historiographie marxiste du capitalisme a largement stagné sous le poids de débats stériles à propos de la « transition », des « systèmes-mondes », etc. Les meilleurs passages du chapitre 20 se trouvent aux pages 315-317 et traitent des différentes formes de transition, à l’aube du capitalisme. En dehors du Livre III, on trouve quelques extraits isolés dans les Grundrisse, les Théories sur la plus-value et le Livre II du Capital, mais ils sont très peu nombreux. On peut souligner les passages suivants : Grundrisse, p. 289-290 (sur le mercantilisme), p. 469-472 (sur le putting-out system, la production de masse et ses liens avec les capitales du commerce mondial comme Venise)2, le Capital Livre II, p. 210 (à propos des industries artisanales contrôlées par des marchands en Russie)3. La façon dont Marx fait l’histoire du capital marchand dans le chapitre 20 du Livre III est largement faussée, remplie de considérations qui mériteraient (on s’en doute) d’être sérieusement révisées.

Le « supplément » ajouté par Engels au Livre III en mai 1885, quelques temps avant de mourir, comporte des pages fascinantes sur l’évolution du capital marchand (les « corporations marchandes ») au Moyen-Âge (p. 33-37), qui n’ont pas encore reçu l’attention qu’elles méritent. Engels avait lu l’étude monumentale du commerce au Levant de W. Heyd (1879) et avait utilisé ces données avec profit. Cet extrait s’inscrit dans une discussion plus large sur la loi de la valeur : Engels se demandait alors comment l’égalisation des taux de profit des capitaux engagés dans le commerce s’était manifestée historiquement et de quelle façon la formation des prix avait pris la forme moderne de la « production capitaliste de plus-value » dans le putting-out system 4.

L’un des problèmes théoriques majeurs du Livre III, c’est la fameuse question posée par Marx sur les « travailleurs du commerce ». Voir le Livre III, p. 281-283 (Marx parle justement de « difficulté », p. 283). Est-ce que les salariés qui travaillent dans le secteur du commerce produisent de la valeur et de la plus-value ? Le problème est le suivant : étant donné que le capital commercial ne produit pas de valeur et de plus-value, comment se fait-il que le capital variable dépensé en force de travail commerciale puisse produire de la valeur ? Et pourtant, Marx considère que le capital commercial doit être soumis à la loi d’égalisation des taux de profits.

Généralités

  • Pokrovsky, Mikhaïl 1931. History of Russia from the Earliest Times to the Rise of Commercial Capitalism, trans. and ed. J.D. Clarkson and M.R.M. Griffiths. London: Martin Lawrence.
  • Barber, John 1981. Soviet Historians in Crisis, 1928–1932. London: Macmillan.

Il y a notamment quelques remarques sur l’importance de Pokrovsky dans l’historiographie soviétique, et sur l’attaque menée par Staline contre lui à la fin des années 1920. Radek fait aussi partie de ceux qui ont considéré le « capitalisme marchand » comme une catégorie d’analyse valable.

  • Ormrod, David 1984. ‘R.H. Tawney and the Origins of Capitalism’. History Workshop, 18: 138–59.

Il s’agit d’une étude importante sur la complexité du travail de Tawney à propos du « capitalisme commercial ». C’est en particulier la dualité entre secteur marchand et secteur agricole, si aiguisée dans les débats marxistes d’après-guerre (Brenner, etc.), qui est remise en cause par l’approche qu’a Tawney de l’histoire économique britannique.

  • Mielants, Eric H. 2008, The Origins of Capitalism and the “Rise of the West”, Second edition, Philadelphia: Temple University Press.

C’est une introduction très utile qui affronte les visions purement eurocentriques des débuts du capitalisme. Il n’y a pas de discussion théorique.

  • Banaji, Jairus ‘Merchant Capitalism’, in Handbook of Marxism, eds. Sara Farris and Alberto Toscano (à paraître).

Ce texte est un grand plaidoyer en faveur du concept de « capital marchand », qui doit être considéré comme une forme sociale pleinement moderne et non selon la caractérisation habituelle comme forme « antédiluvienne », « primitive », « archaïque » de capital. Le chapitre propose une classification des quatre formes majeurs de ce régime d’accumulation du capital, au cours de plusieurs siècles, jusqu’au XIXe.

Antiquité

  • Picon, Maurice 2008, Production artisanale et manufacturière à l’époque romaine: À propos de L’Histoire brisée d’Aldo Schiavone’, in L’économie antique: Une économie de marché? , coordonné par Yves Roman & Julie Dalaison, Paris.

C’est une critique magistrale du livre d’Aldo Schiavone, et de son approche primitiviste de l’organisation économique romaine antique. Picon est issu des études de céramique. Tirant ses exemples des industries du verre et de la poterie, son usage des sources archéologiques a des effets dévastateurs.

Moyen-âge tardif / Renaissance

  • Cracco, Giorgio 1967, Societa e stato nel medioevo Veneziano (secoli xii–xiv), Florence: Olschki.

Marx décrivait les cités-État de Venise et Gênes comme des républiques urbaines dans lesquelles les marchands « [dominaient] plus complètement et plus sûrement l’État. » (Capital,Livre III, p. 311) Bien qu’elle ne soit pas écrite d’un point de vue explicitement marxiste, l’étude de Cracco s’intéresse au capitalisme à Venise entre le XIIe et le XIVe siècles. L’ouvrage décrit l’ampleur et le type de domination directe des grandi mercanti sur l’État vénitien. Cracco montre qu’à partir du XIIIe siècle, la concentration de capital marchand était suffisamment puissante pour briser liens de solidarité qui existaient auparavant parmi les classes du commerce maritime.

  • Ouerfelli, Mohamed 2008. Le Sucre. Production, commercialisation et usages dans le Méditerranée médievale, Boston: Brill.

Cet ouvrage rend superbement compte de l’industrie sucrière au Moyen-Âge. Il commence avec ses premières évolutions en Égypte (expansion sous les règnes fatimide et ayyubide), puis voyage avec rigueur d’un secteur à l’autre de la Méditerranée, selon un schéma qui va d’Est en Ouest – c’était là le mouvement objectif de l’industrie sucrière au cours des siècles. Ouerfelli rappelle constamment le rôle du capital marchand (en particulier italien) dans l’extension et l’organisation des marchés, l’investissement dans des raffineries du sucre, ou dans l’initiative d’internationaliser très tôt cette industrie.

  • Tognetti, Sergio 2002, Un’industria di lusso al servizio del grande commercio, Florence: Leo S. Olschki.

Il s’agit d’une étude de cas de l’industrie de la soie à Florence, qui fait usage de la documentation interne des firmes marchandes. Tognetti met en évidence la modernité de ces firmes en montrant l’ampleur des ressources sous leur commandement, leurs talents de gestion et leur connaissance profonde des marchés internationaux.

  • Braudel, Fernand 1949, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris : Armand Collin.

C’est probablement la plus lucide et vivante histoire économique du XVIe siècle jamais écrite. La deuxième partie constitue le cœur de l’argumentation économique du livre. Braudel montre à quel point les capitalistes pouvaient, sans grande difficulté, naviguer entre les secteurs clés de l’économie méditerranéenne (en dehors de l’agriculture elle-même) : entre le commerce, la finance et l’industrie.

  • Braudel, Fernand 1979, Civilisation matérielle et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, vol 2. Les jeux de l’échange, Paris, Armand Collin.

Beaucoup d’éléments intéressants, dans ce tome en particulier.

  • Noordegraaf, Leo 1997. ‘The New Draperies in the Northern Netherlands, 1500–1800’. In The New Draperies in the Low Countries and England, 1300–1800, ed N.B.Harte, 173–95. New York: Oxford University Press.

Une excellente intervention marxiste à propos du putting-out system et la transition vers des formes plus centralisées de production au sein du secteur textile hollandais.

  • Poni, Carlo 1976. ‘All’ origine del sistema di fabbrica: tecnologia e organizzazione produttiva dei mulini da seta nell’Italia settentrionale (sec. xvii–xviii)’. Rivista storica italiana, 88: 444–97.

Il s’agit d’une étude remarquable sur l’industrie typiquement bolognaise de production de soie (à base hydraulique) qui s’est diffusée dans tout le Nord de l’Italie au XVIIe siècle. Carlo Poni explique que ces lieux de production intensifs et mécanisés ont représenté une anticipation d’environ deux siècles des usines anglaises qui allaient proliférer au XIXe siècle. Il montre également que l’investissement dans ces usines ont été principalement le fait de grands marchands. C’est le travail le plus distinctement marxiste du Poni des années 1970, avec une attention considérable portée sur le contrôle et la discipline de travail.

  • Poni, Carlo 1997. ‘Fashion as flexible production: the strategies of the Lyons silk merchants in the eighteenth century’. In World of Possibilities: Flexibility and Mass Production in Western Industrialization, eds., C. F. Sabel and Jonathan Zeitlin, 37–78. Cambridge University Press and Maison des Sciences de l’Homme.

Une très bonne étude de cas sur les stratégies industrielles des industriels de la soie au XVIIIe siècle pour garder leur contrôle sur un secteur en pleine expansion. Les marchands qui dirigeaient et finançaient le marché lyonnais s’appuyaient sur une politique de changement frénétique des « modes annuelles ». Pour ce faire, les marchands travaillaient étroitement avec les designers (qui faisaient des allers-retours entre Paris et Lyon) et s’appuyaient sur la flexibilité offerte par le putting out system. On peut associer cette lecture à celle de W. Sewell, ‘The empire of fashion and the rise of capitalism in eighteenth-century France’, Past and Present 2010. Ce dernier texte est plus théorique, mais il s’avère dès lors profondément problématique, dans la mesure où il fait usage de catégories comme « sollicitation du désir » et « travail des consommateurs ».

  • Brenner, Robert 1993, Merchants and Revolution: Commercial Change, Political Conflict, and London’s Overseas Traders, 1550–1653, Cambridge: Cambridge University Press.

C’est le meilleur ouvrage de Robert Brenner, largement consacré aux divisions au sein des classes de marchands en Angleterre sous le règne d’Elizabeth et après. Mais il est frappant de constater la réticence qu’a Brenner de caractériser ces marchands comme des « capitalistes » tandis que l’aristocratie agraire est, bien évidemment, toujours associée à la classe capitaliste. Il existe une brillante recension de ce livre par Perry Anderson.

  • Dias, Manuel Nunes 1963, O Capitalismo monárquico Português, 1415–1549. Contribuição para o estudo das origens do capitalismo moderno, 2 vols., Coimbra: Faculdade de Létras da Universidade de Coimbra.

Envisage le Portugal comme l’une des pointes avancées du capitalisme européen, le premier État pleinement capitaliste, bien que de forme monarchique. Le Portugal a représenté un cas singulier de partenariat entre l’État et le capital (commercial) sous des aspects bien distincts des futures sociétés par actions françaises et britanniques qui allaient fleurir sur les marchés asiatiques.

  • Kriedte, Peter 1983 (orig. 1980), Peasants, Landlords and Merchant Capitalists: Europe and the World Economy 1500–1800, Oxford: Berg.

C’est l’une des premières études marxistes ayant réhabilité le concept de capitalisme marchand après la « purge » théorique stalinienne.

  • Xu, Dixin and Wu, Zhengming 2000, Chinese Capitalism, 1522–1840, New York: St. Martin’s Press.

Il y a des chapitres très intéressants sur les « gisements de capitalisme » dans divers secteurs industriels et commerciaux sous les dynasties Ming et Qing.

Mélanges

  • Goubert, Pierre 1960, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730. Contribution à l’histoire sociale de la France du XVIIe siècle, Paris: SEVPEN.

Goubert laisse la théorie de côté, mais son histoire de la France essentiellement rurale aux XVIIe et XVIIIe siècles touche à certaines questions liées au capitalisme de cette période, notamment sur la façon dont le putting-out system pouvait intégrer les campagnes dans des chaînes commerciales globales.

  • Dermigny, Louis 1970. ‘Le fonctionnement des Compagnies des Indes’. In Sociétés et compagnies de commerce en Orient et dans l’Océan indien, ed., M. Mollat., 443–66. SEVPEN: Paris.

Il s’agit d’un exposé rapide sur les compagnies des Indes orientales qui sont apparues au XVIIe siècle dans un contexte d’expansion des Européens sur les marchés asiatiques. Dermigny souligne le caractère capitaliste, mais aussi les différences notables entre les firmes françaises et anglaises.

  • Miller, Joseph C. 1988, Way of Death: Merchant Capitalism and the Angolan Slave Trade, 1730–1830, London: Currey.

C’est une étude détaillée du commerce d’esclaves portugais, et de la prise de contrôle de ce commerce par d’autres capitaux marchands par la suite. Le XVIIIe siècle a été un tournant dans le processus d’internationalisation du capital, et c’est dans ce cadre que Miller conduit son récit.

  • Lyashchenko, Peter Ivanovich 1998 (Russian orig. 1927), ‘The Development of the Russian Grain Economy during the Crisis of 1880–1890’, in Commercialization and Agriculture in Late Imperial Russia: Essays on Russian Economic History, edited and translated by Hari Vasudevan, Calcutta: K. P. Bagchi & Co.

Voilà un exemple éclatant de combien les marxistes russes étaient peu inhibés à utiliser la catégorie de « capitalisme commerçant » jusqu’à ce que ce concept soit évincé de la théorie marxiste dans les années 1920.

  • Beckert, Sven 2014, Empire of Cotton: A New History of Global Capitalism, London: Allen Lane.

C’est pratiquement le seul ouvrage (avec l’étude de Veyssarat sur l’industrie suisse du textile) qui montre combien les capitalistes marchands ont joué un rôle crucial dans l’expansion du capitalisme industriel dans les secteurs concernés par cette étude, c’est-à-dire les textiles liés au coton. Beckert précise qu’il préfère utiliser le concept de « capitalisme de guerre » plutôt que celui de « capitalisme marchand », dans la mesure où la violence a été omniprésente dans l’expansion internationale de cette branche industrielle. C’est un concept probablement confus si on le traite comme un objet théorique plutôt que comme une forme de description historique.

Débats sur la nature du capitalisme britannique

  • Ingham, Geoffrey 1984, Capitalism Divided? The City and Industry in British Social Development, London: Macmillan.

Voilà un bon exemple de la façon dont certains chercheurs, situés en dehors de la tradition explicitement marxiste, ont pu remplir l’énorme vide laissé par Anderson et Nairn dans le débat des années 1960 sur la nature du capitalisme britannique. Ingham défend l’idée la City de Londres a joué un rôle considérable dans les dynamiques commerciales et dans le renforcement du capitalisme britannique en tant que tel.

  • Ingham, Geoffrey 1988, ‘Commercial Capitalism and British Development’, New Left Review, 1/172: 45ff.

C’est une bonne réponse de Ingham à la recension bêtement dogmatique de Barratt-Brown sur son propre livre.

Capital et production domestique

  • Bernstein, Henry 1977. ‘Notes on Capital and Peasantry’. Review of African Political Economy, 4 (10): 60–73.

Un article fondateur et, à la manière des articles de Mike Cowen, le fruit du débat entre marxistes des années 1970 sur le changement agraire. Bernstein défend que « la paysannerie doit être envisagée à travers ses rapports au capital et à l’État, c’est-à-dire au sein des rapports capitalistes de production médiés par les formes de production domestiques, qui sont les lieux d’une lutte entre les producteurs et le capital/État pour l’appropriation et le contrôle [des moyens de production]. » En d’autres termes, capital et État ont tous deux un intérêt majeur à maintenir la production domestique comme élément-clé de l’accumulation du capital, pas seulement à détruire la paysannerie. Cet article souligne également deux passages de Chayanov [économiste agraire soviétique NDLR] qui ont permis d’établir ce modèle d’accumulation.

  • Cowen, Michael 1981. ‘Commodity Production in Kenya’s Central Province’. In Rural Development in Tropical Africa, eds J. Heyer, P. Roberts and G. Williams, 121–42. London: Macmillan.

Ce texte fait partie des tentatives majeures de mettre en œuvre de façon « créative » les catégories marxistes pour comprendre l’intégration de la production domestique dans les processus élargis de l’accumulation capitaliste. Cowen soutient que, dans des pays comme le Kenya, la finance internationale (par exemple les agences d’aide financière du gouvernement britannique) a stabilisé le secteur domestique et contrebalancé l’influence du capitalisme indigène.

  • Banaji, Jairus 2016. ‘Merchant capitalism, peasant households and industrial accumulation: integration of a model’. Journal of Agrarian Change, Vol. 16 No. 3, July 2016, pp. 410–431.

Cet article fait partie d’un tout récent hommage à Henry Bernstein, et commence par résumer les enjeux du papier séminal de ce dernier (dont j’ai traité précédemment), puis élabore sur cette base une taxonomie plus générale des façons dont le capital en vient à dominer le secteur agraire (producteurs domestiques), en utilisant le concept de Chayanov d’une « concentration capitaliste verticale ». Le passage le plus significatif est mon étude de ce que j’appelle les « produce trades », qui ont été les fers de lance du capitalisme commercial français et britannique au XIXe siècle.

  • Shenton, Robert W. 1986, The Development of Capitalism in Northern Nigeria, London: James Currey.

Ce texte figure parmi la poignée d’études marxistes sérieuses sur l’importance du capital marchand. Le chapitre 5 s’appelle « Concentration et centralisation du capital ». Shenton y explique que la « concentration et la centralisation étaient les deux seules façons d’assurer la survie commerciale », c’est-à-dire la survie dans la bataille concurrentielle entre les grandes firmes mercantiles qui contrôlaient le marché d’Afrique de l’Ouest et les routes maritimes afférentes.

Sur la subordination du capital commercial au capital industriel

  • Porter, Glenn and Livesay, Harold C. 1971. Merchants and Manufacturers: Studies in the Changing Structure of Nineteenth-Century Marketing. Baltimore, MD: The Johns Hopkins University Press.

Cette étude montre que la subordination du capital commercial au capital industriel n’est qu’un phénomène tardif, survenu en grande partie au XIXe siècle (c’est-à-dire plus tardivement que ne le supposait Marx), à l’heure où les grandes firmes ont commencé une intégration verticale pour prendre le contrôle de leurs propres ventes et marketing, brisant l’assise du « middleman ».

Le capital marchand au XXe siècle

  • Chen, Han-Seng 1939. Industrial Capital and Chinese Peasants: A Study of the Livelihood of Chinese Tobacco Cultivators. Shanghai: Kelly and Walsh.

C’est probablement la première étude de cas un peu substantielle sur les fermiers sous contrats. Elle montre que le capital marchand chinois (les compradores) étaient intégrés à des chaînes de valeur contrôlées par de grandes firmes industrielles, ici par le géant du tabac BAT. La domination sur les prix était, selon Chen, le mécanisme essentiel par lequel le capital industriel exploitait directement le travail des paysans chinois.

  • Becker, Susan 1998. ‘The German Metal Traders before 1914’. In The Multinational Traders, ed G. Jones, 66–85. London: Routledge.
  • Becker, Susan 2002. ‘Multinationalität hat verschiedene Gesichter’. Formen internationaler Unternehmenstätigkeit der Société anonyme des mines et des fonderies de zinc de la Vieille Montagne und der Metallgesellschaft vor 1914. Stuttgart: Franz Steiner.

Ces deux ouvrages de Susan Becker soulignent l’importance de l’intégration verticale dans les stratégies commerciales des producteurs allemands de métal non ferreux, dans leur lutte pour les parts de marchés au sein du secteur. Le fait que la Metallgesellschaft ait intégré les firmes en amont de la chaîne, les mines et les fonderies à l’échelle mondiale, n’en ont pas fait une firme « industrielle » (une forme de capital industriel), selon Becker. Selon la même inspiration que l’étude de Fieldhouse sur l’UAC (voir plus bas), c’est ici la définition la plus aboutie d’une forme avancée et purement moderne de capitalisme commercial.

  • Fieldhouse, David Kenneth 1994. Merchant Capital and Economic Decolonization: The United Africa Company, 1929–1987. Oxford:Clarendon Press.

Il s’agit d’une étude détaillée et limpide de l’United Africa Company, l’aile marchande d’Unilever. C’est très utile en tant qu’histoire commerciale de l’une des plus importantes firmes commerciales (faites bien attention au titre du livre!)

  • Harriss-White, Barbara 2008. Rural Commercial Capital: Agricultural Markets in West Bengal. New Delhi: Oxford University Press.

C’est l’une des seules études de cas sur le mode de contrôle des capitalistes commerciaux, sur la production et l’échange agraire en Inde. Son intérêt réside notamment du fait que l’auteur a réalisé un terrain dans un État (local) gouverné à l’époque par le CPI(M) (Parti communiste d’Inde – Marxiste). Une conséquence assez évidente de son analyse est qu’une grande partie du développement agro-industriel au Bengal s’est basé sur des accords entre le capital marchand et le gouvernement de gauche.

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  1. La pagination indiquée est celle de la traduction du Livre III du Capital en un tome publiée par Cohen-Solal et Badia aux Éditions sociales en 1977. []
  2. La pagination indiquée est celle de la traduction des Grundrisse en un tome publiée par Lefebvre aux Éditions sociales en 2011. []
  3. La pagination indiquée est celle de la traduction du Livre II du Capital en un tome publiée par Cogniot, Cohen-Solal et Badia aux Éditions sociales en 1976. []
  4. À l’aube du capitalisme, en Europe, dès le XVIe siècle, des négociants proposaient à des paysans, dans les saisons à faible activité agricole, de leur fournir des matières premières qu’ils transformeraient, à leur domicile, en produits manufacturés. On parle aussi de système domestique. []
Jairus Banaji