Frantz Fanon et les géographies marxistes de la violence

Dans les Damnés de la terre, une polémique célèbre est lancée par Frantz Fanon contre Engels et sa théorie de la violence. Les commentateurs ont tiré de cet échange une opposition irréductible entre un subjectivisme fanonien et un objectivisme marxiste. Contre cette lecture schématique, Matthieu Renault propose ici de retracer les itinéraires non occidentaux des théories de la violence. Il éclaire ainsi les métamorphoses du marxisme au regard de la guerre révolutionnaire, tout en mettant en évidence la centralité de Freud dans l’économie fanonienne de la violence. « L’enjeu, bien au-delà de la présente tentative, est celui de la formation d’une pensée globale de la violence émancipatrice, seule à même de répondre aux défis posés par la globalisation effective des formes de violence institutionnelle. »

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Les analyses qui suivent partent du constat de la dissociation presque complète entre deux champs de problématisation au sein de ce qu’il est convenu d’appeler les Fanon studies. On a d’un côté de nombreuses interprétations de la théorie de la violence de Fanon ; elles tendent à mettre l’accent sur la nature structurelle de la violence coloniale et sur les dimensions existentielles, subjectives et psychologiques-cliniques de la violence anticoloniale, sur son pouvoir purificateur-désintoxicateur, et sur les limites de ce pouvoir. On a, de l’autre côté, des réflexions sur les rapports complexes de Fanon au marxisme ; elles tournent autour des thèmes de l’aliénation, de la corruption des bourgeoisies nationales, des rapports entre « race » et « classe », etc. tout en interrogeant, et parfois en condamnant, l’eurocentrisme de la tradition marxiste. Mais, étrangement, si l’on excepte les quelques références à la critique par Fanon des positions d’Engels, sur lesquelles nous allons revenir, la question de ses relations à la pensée marxiste de la violence a été amplement ignorée, comme si elle était nulle et non avenue. Nous tâcherons de montrer que ce n’est nullement le cas.

Au-delà de telles considérations exégétiques, ces investigations se veulent être une contribution à une étude des géographies de la violence, à la fois de sa pratique et de sa théorisation, de leurs circulations et de leurs transformations révolutionnaires. À partir de Fanon, il s’agira, en débat avec les thèses de Balibar dans son essai « Gewalt. Violence et pouvoir dans la théorie marxiste »1, de remettre en question la division (pas la différence bien sûr) à la fois chronologique et spatiale, entre le « cycle anti-capitaliste » (européen) des pensées de la violence révolutionnaire et leur « cycle anti-impérialiste » (extra-européen), pour problématiser les échanges et les « mélanges » entre l’ Occident et le monde non occidental, déplaçant sans cesse leurs frontières, qui ont tramé l’histoire des théorisations marxistes de la violence depuis leurs origines. L’enjeu, bien au-delà de la présente tentative, est celui de la formation d’une pensée globale de la violence émancipatrice, seule à même de répondre aux défis posés par la globalisation effective des formes de violence institutionnelle.

D’Engels à Robinson : distendre le marxisme

C’est par l’examen de la lecture par Fanon, dans Les Damnés de la terre (1961), des thèses classiques d’Engels sur la violence, premier essai de systématisation de la position marxiste sur la question, que doit débuter cette exploration. Fanon avait visiblement pris connaissance de l’Anti-Dühring (1875) et de la brochure posthume Le rôle de la violence de l’histoire [qui en reproduisait les chapitres « théoriques » en leur adjoignant un essai inachevé d’Engels sur la politique bismarckienne2] par l’intermédiaire de Rehda Malek, alors directeur de l’organe de presse du Front de libération nationale algérien, El Moudjahid 3. Son attention put également être éveillée par la discussion de l’Anti-Dühring que Sartre venait de mener dans sa Critique de la raison dialectique [19604], bien qu’à cet égard Fanon n’emprunte guère aux thèses de son aîné. Dans le premier chapitre des Damnés de la terre, « De la violence », il cite ce long passage de l’Anti-Dühring :

De même que Robinson a pu se procurer une épée, nous pouvons tout aussi bien admettre que Vendredi apparaît un beau matin avec un revolver chargé à la main, et alors tout le rapport de « violence » se renverse : Vendredi commande et Robinson est forcé de trimer. […] Donc, le revolver triomphe de l’épée et même l’amateur d’axiomes le plus puéril concevra sans doute que la violence n’est pas un simple acte de volonté, mais exige pour sa mise en œuvre des conditions préalables très réelles, notamment des instruments, dont le plus parfait l’emporte sur le moins parfait ; qu’en outre ces instruments doivent être produits, ce qui signifie aussi que le producteur d’instruments de violence plus parfaits, grossièrement parlant des armes, l’emporte sur le producteur des moins parfaits et qu’en un mot la victoire de la violence repose sur la production d’armes, et celles-ci à son tour sur la production en général, donc… sur la « puissance économique », sur l’État économique, sur les moyens matériels qui sont à la disposition de la violence5.

Engels s’oppose à Dühring et à ceux qui, inversant l’ordre des déterminations entre infrastructure et superstructure, font de la « violence politique immédiate » « l’élément historique fondamental » et donc des « situations politiques » la cause des « phénomènes économiques ». Il va alors s’attacher à défendre la thèse inverse, à savoir que « la violence n’est que le moyen, tandis que l’avantage économique est le but6 ». L’analyse d’Engels est marquée par l’ambiguïté, l’ « unité de contraires » comme le dit Balibar, que recouvre le terme allemand Gewalt, pouvant désigner à la fois la violence, au sens « propre » que lui donne le français et d’autres langues, et le pouvoir, « l’antithèse du droit ou de la justice et leur réalisation ou leur prise en charge par une institution (généralement l’État)7 ». La « violence » dont Engels explicite ici la genèse est avant tout la violence fondatrice puis conservatrice du pouvoir étatique. Discutant du perfectionnement continuel du navire de guerre, cette « usine flottante », il évoque ainsi « la violence elle-même, c’est-à-dire l’État8 ». Mais Engels thématise également le renversement de la « violence intérieure de l’État » en violence révolutionnaire, ce qui advient inévitablement lorsque cette violence étatique entre en opposition « avec [l’]évolution économique », à laquelle elle est vouée à succomber : «  la violence joue encore dans l’histoire un autre rôle, un rôle révolutionnaire ; […] selon les paroles de Marx, elle [est] l’accoucheuse de toute société qui en porte une nouvelle dans ses flancs9. »

Ces positions, élevées au rang de doxa dans le champ de la pensée marxiste, sont, dit Fanon, plus ou moins spontanément celles d’une majorité des « intellectuels colonisés » et « dirigeants des partis nationalistes ». Mais en situation coloniale, où la maturation des forces productives « indigènes » est gelée et où le « travail » est privé de toute fonction émancipatrice, l’adoption de ces thèses ne mène à rien d’autre qu’à la reconnaissance de la toute-puissance du pouvoir-violence colonial :

Quand on leur dit : il faut agir, ils voient des bombes se déverser sur leur têtes, des blindés s’avancer le long des chemins, la mitraille, la police… et ils restent assis. Leur incapacité à triompher par la violence n’a pas besoin d’être démontrée, ils l’assument dans leur vie quotidienne et dans leurs manœuvres. Ils en sont restés à la position puérile qu’Engels adoptait dans sa célèbre polémique avec cette montagne de puérilité qu’était M. Dühring10.

Bien que les « instruments » et leur « répartition » soient « toujours importants dans le domaine de la violence », écrit Fanon, « il se trouve que, dans ce domaine, la libération des territoires coloniaux apporte un éclairage nouveau11 ». Or, et c’est là quelque chose qui n’a guère été noté, Fanon suggère que ce type de conflit armé qu’est la lutte anticoloniale ne désigne pas un phénomène entièrement nouveau et dont la scène, le champ de bataille, se limiterait au seul monde non occidental. En effet, l’exemple dont il se saisit d’abord est celui de la guerre d’indépendance espagnole (1808-1814), cette « authentique guerre coloniale » au cours de laquelle l’armée napoléonienne fut « contrainte de reculer » : « Face aux moyens énormes des troupes napoléoniennes, les Espagnols qu’animait une foi nationale inébranlable, découvrirent cette fameuse guérilla que, vingt-cinq ans plus tôt, les miliciens américains avaient expérimentée contre les troupes anglaises12 ». Déjà Engels soulignait qu’au cours de la guerre d’indépendance des États-Unis – guerre anticoloniale paradoxale au sens où elle avait opposé les colons eux-mêmes à la « mère-patrie » – les armées britanniques avaient eu à faire, de manière inédite, et avaient succombé à des « bandes de rebelles », à des « adversaires invisibles et insaisissables », dans une lutte préfigurant la « levée en masse de toute la nation » qui allait caractériser la Révolution française13. Fanon, quant à lui, fait des guerres d’indépendance américaine et espagnole les « ancêtres » des guerres de guérilla du XXe siècle en contexte colonial et semi-colonial. Ces dernières s’offrent de ce point de vue comme une « extension » géographique de formes de conflit qui ont eu cours, par le passé, à l’intérieur des frontières du monde occidental et dont la véritable nature est révélée a posteriori, par leur actualisation et leur généralisation dans la lutte anti-impérialiste14.

Les lecteurs de Fanon ont généralement jugé que tout était dit de sa position à l’égard de la théorisation engelsienne-marxiste de la violence dans les extraits que nous venons de citer, les seuls qu’il lui consacre explicitement. Les rapports Fanon-Engels n’ont guère suscité d’analyses ; lorsque la question a été soulevée, elle a rapidement été expédiée, ce qui se justifierait par le fait que ces rapports se limitent visiblement à un franc rejet, illustré par le retournement par Fanon contre Engels de l’accusation de « puérilité » que le même Engels avait adressée à Dühring. Dans What Fanon Said, Lewis R. Gordon soutient ainsi que l’auteur des Damnés de la terre, en digne représentant de la « pensée noire radicale », est soucieux de prendre le contre-pied de la « rationalisation » excessive de la violence opérée par un Engels imposant une « science fermée » à des phénomènes toujours « remplis de contingences », à un monde humain fondamentalement « débraillé15 ». Fanon, écrit de même Alice Cherki, « se montre réservé » à l’endroit des arguments d’Engels, car « [i]l trouve ces textes trop éloignés de l’expérience qualitative qu’un individu fait de la violence16 ». De manière plus critique, mais au fond similaire, Balibar évoque le « subjectivisme extrême » du discours fanonien de la violence17. Or, un tel subjectivisme, en vertu duquel une « foi nationale inébranlable » peut l’emporter sur la plus puissante des artilleries, s’opposerait terme à terme aux thèses d’Engels, et à l’objectivisme (« économiciste ») caractérisant, sinon l’intégralité de son essai sur la violence, du moins ses arguments les plus saillants et l’interprétation standard qui en était faite. En résumé, penser les rapports Fanon-Engels reviendrait nécessairement à penser « Fanon ou Engels », et plus encore « Fanon contre Engels » et vice-versa. Le débat serait clos, bien qu’il ne laisse pas d’étonner qu’on ne soit nullement demandé si, le cas échéant, Fanon, en dépit du sarcasme dont il fait preuve à l’égard de Dühring non moins que d’Engels, ne retrouverait pas malgré tout une conception de la « violence politique immédiate » en tant que constitutive du pouvoir (économique) colonial, hypothèse que bien des passages des Damnés de la terre pourraient étayer.

Si cette hypothèse nous paraît néanmoins devoir être écartée, c’est précisément parce que la thèse du subjectivisme de Fanon (peut-être faudrait-il plutôt dire de son anti-objectivisme) n’épuise pas la question de ses rapports à la théorie engelsienne de la violence. On remarquera que Fanon ne dénie pas l’importance de la question « instrumentale » de la distribution des armes, et surtout qu’il parle des luttes anticoloniales comme apportant « un éclairage nouveau ». Dire cela est tout autre chose que soutenir que la théorisation marxiste de la violence est obsolète et doit être écartée d’un revers de main pour parvenir à penser la spécificité de la violence coloniale et anticoloniale. Afin de comprendre ce qu’entend ici Fanon, il faut se reporter à un passage de « De la violence » qui se situe en amont de la référence à Engels. Traitant des relations entre domination de classe et domination raciale, Fanon affirme : « les analyses marxistes doivent toujours être légèrement distendues chaque fois qu’on aborde le problème colonial18. » « Distendre » doit être ici pris littéralement, comme un effort pour étendre la surface d’un corps en détendant les liens qui unissent ses parties. Distendre le marxisme, c’est le porter au-delà des frontières de l’Europe, son lieu de naissance, et opérer les déplacements théoriques que ce décentrement exige. C’est, en l’occurrence, prendre acte du fait que la lutte des classes en métropole a pour corollaire la reproduction de la guerre des races dans les colonies : « Aux colonies, écrit Fanon, l’infrastructure économique est aussi une superstructure. La cause est conséquence : on est riche parce que blanc, blanc parce que riche19. » Fanon s’inscrit dans la lignée des théoriciens marxistes-socialistes non européens qui, au XXe siècle, et en lien plus ou moins étroit avec des revendications de « nationalisation du marxisme », se sont efforcés d’arracher ce dernier à sa matrice européenne pour œuvrer à son « indigénisation » (José Carlos Mariátegui), à sa « traduction » (C.L.R. James) ou encore à sa « distillation » (Jacques Roumain en Haïti).

Il est alors légitime de penser que l’impératif fanonien de distension vaut tout aussi bien pour la pensée marxiste de la violence, aux variations géopolitiques (des métropoles aux colonies) des pratiques de la violence devant répondre des variations sur les théories de la violence elles-mêmes. Plus particulièrement, on peut penser qu’en ce domaine également s’applique la loi coloniale de la réversibilité-circularité des « causes » infrastructurelles et des « conséquences » superstructurelles, en sorte que Fanon aurait tout à fait pu écrire : « Aux colonies, on est riche parce que violent, violent parce que riche » – la différence avec la question raciale étant toutefois que là où le colonisé ne pouvait désirer « changer de peau » qu’en se livrant à une identification aliénante au colon (devenir blanc), il pourra bel et bien renverser la violence du pouvoir colonial, sans jouer son jeu, en lui opposant la contre-violence révolutionnaire des damnés. C’est pourquoi la critique par Fanon des thèses d’Engels ne le conduit nullement à éliminer le fait économique (les « fins alimentaires » poursuivies au moyen de la violence) et à faire retour à la violence politique fondamentale de Dühring. C’est de manière tout à fait cohérente qu’il renvoie dos à dos les deux auteurs en voyant dans la puérilité de l’un le pur reflet de la puérilité de l’autre ; car déplacé en contexte colonial, et dans ce contexte précisément, le conflit qui les oppose se trouve soudainement privé de sens.

Enfin, que la thèse du « subjectivisme extrême » de Fanon exige d’être nuancée est démontrée par le fait qu’immédiatement après avoir mis l’accent sur le rôle de la « foi nationale » dans l’issue de la guerre coloniale, il précise : « Mais la guérilla du colonisé ne serait rien comme instrument de violence opposé à d’autres instruments de violence, si elle n’était pas un élément nouveau dans le processus global de la compétition entre trusts et monopoles », autrement dit dans ce qui est un processus économique-« objectif » par excellence. Et Fanon de souligner que « l’accumulation du capital » et l’extrême violence qui l’a accompagnée dans les premières phases de colonisation-conquête a peu à peu cédé la place à une logique de transformation des colonies en « marchés », ce qui exigeait d’écarter autant que faire se pouvait la « solution militaire », sinon la violence, dans la mesure où « une domination de type esclavagiste n’est économiquement pas rentable pour la bourgeoisie » : « La fraction monopoliste de la bourgeoisie métropolitaine ne soutient pas un gouvernement dont la politique est uniquement celle de l’épée », une politique à la Robinson. C’est à l’intérieur de ce contexte mondial de « guerre impitoyable [entre] les groupes financiers » que s’inscrivent, sans reste, les luttes de libération nationale, Fanon allant jusqu’à affirmer qu’il existe « une complicité objective du capitalisme avec les forces violentes qui éclatent dans le territoire colonial20. »

Il ne suffit pourtant pas de soutenir que la pensée fanonienne de la violence serait le produit d’un déplacement dans les colonies, d’une transformation après-coup, d’une théorie « originelle », et à prétention universelle, forgée en Occident à partir de l’exemple offert par l’histoire du capitalisme européen. Il est vrai qu’Engels lui-même avait pour ambition de dresser une théorie générale de la violence fondée sur les principes du matérialisme historique et applicable, au prix de menues adaptations, à tous les épisodes de l’histoire ; ainsi la seconde partie de la brochure Le Rôle de la violence dans l’histoire, débutait par ces mots : « Appliquons maintenant notre théorie à l’histoire contemporaine de l’Allemagne et à sa pratique de la violence par le sang et le fer21. »

Il n’en faut pas moins remarquer que ce qu’après Dühring, Engels, et à sa suite la tradition marxiste, prennent pour le symbole même de la violence, comme sa scène primitive, est l’asservissement de Vendredi par Robinson dans le roman de Daniel Defoe, Robinson Crusoé (1719). Peu importe que dans Robinson Crusoé, la « rencontre » entre Robinson et celui qu’il va bientôt baptiser Vendredi ne relève pas de la violence brute dépeinte par Dühring et Engels ; si Robinson fait preuve de violence, c’est d’abord contre les sauvages qui menacent la vie de Vendredi et qu’il abat froidement, geste qui lui vaut la « reconnaissance » éternelle de son serviteur – ce qui n’empêche pas Robinson, dans un premier temps, de nourrir envers lui des suspicions et de le tenir en étroite bride22. Ce qui importe ici est que cette scène est par excellence une scène coloniale, adjectif pouvant caractériser le roman tout entier qui joue sur une série d’oppositions binaires entre Robinson, le civilisé, et le monde sauvage (hommes-cannibales et bêtes féroces mêlés) auquel il est livré. Avant de s’échouer sur « son » île déserte, Robinson, après déjà diverses « robinsonnades », avait été propriétaire d’une plantation au Brésil ; et c’est pour se procurer des esclaves en Afrique (un trafic dont ses voyages passés lui avait enseigné les bénéfices) qu’avec d’autres colons, il s’était lancé dans l’expédition malheureuse qui avait conduit à son naufrage. Après avoir partiellement surmonté l’affliction née de son extrême solitude, il s’était mis à songer « avec une sorte de plaisir secret » que « tout cela était mon bien, et que j’étais Roi et Seigneur absolu de cette terre, que j’y avais droit de possession, et que je pouvais la transmettre comme si je l’avais eue en héritage, aussi incontestablement qu’un lord d’Angleterre son manoir23. » Puis, ayant découvert que l’île était régulièrement visitée par des sauvages-cannibales, il avait vaincu la terrible angoisse que ceux-ci lui inspiraient, étant convaincu des avantages qu’il y aurait pour lui à faire de l’un d’eux son « esclave », « un serviteur, peut-être un camarade ou un ami24 ». S’étant attaché les services de Vendredi, Robinson prend alors soin de l’éloigner de la pratique du cannibalisme ; il lui apprend l’anglais et, comme tout bon missionnaire, œuvre à sa conversion au christianisme.

Robinson Crusoé n’est cependant pas un roman de la conquête coloniale et de l’accumulation primitive du capital, avec leur lot de violences extrêmes. Comme l’a justement fait remarquer Deleuze dans son article de jeunesse « Causes et raisons des îles désertes », le roman de Defoe ne fait que « dépeindre la recomposition de la vie bourgeoise à partir d’un capital », déjà acquis, le capital que renferme le navire échoué d’où Robinson tire les moyens fondamentaux de sa subsistance sur l’île, y compris les instruments de la violence (quotidienne, conservatrice et non instauratrice du pouvoir) qui lui permettent non seulement de chasser les animaux sauvages, mais aussi d’assurer sa défense contre les hommes-sauvages : « Tout est tiré du bateau, dit Deleuze, rien n’est inventé, tout est appliqué péniblement sur l’île » ; Robinson n’est qu’un « propriétaire moralisateur » et Vendredi un être « docile au travail, heureux d’être esclave » que « tout lecteur sain rêverait de […] voir enfin manger Robinson25 ». À quoi on peut ajouter que les péripéties qui précèdent l’établissement forcé de Robinson sur l’île montrent bien comment le goût de l’aventure et l’ « esprit du capitalisme » (que lui enseigne son père au début du roman) s’opposent en lui pour mieux en venir à s’identifier. Robinson Crusoé est à bien des égard le roman de la reproduction de l’existence bourgeoise au sein même d’un état de nature. On sait que Rousseau, dans Émile ou de l’éducation, fait de Robinson Crusoé le livre de chevet de son jeune élève. Or, l’interprétation que fait à son tour Dühring des rapports Robinson-Crusoé est marquée, comme le note Balibar, de « tonalités rousseauistes26 ». Mais dorénavant, en vertu d’un singulier renversement dont hérite Engels, la relation qui unit les deux protagonistes est établie en origine, fût-elle mythique, des rapports sociaux en tant que rapports de violence, qu’on juge ceux-ci constitutifs ou constitués par une supériorité économique préalable.

Dans une conférence sur le concept de « volonté générale », prononcée à Montréal dans les années 1960, C.L.R. James, évoquant l’Émile d’un Rousseau soucieux de poser des « principes d’éducation en harmonie avec ses idées sur le libre développement de l’individu », affirme sans plus de précisions : « Ici, Rousseau me rappelle beaucoup Fanon27 » ; affirmation énigmatique, mais dont on peut se risquer à proposer une interprétation. Dans Les Damnés de la terre, Fanon aurait voulu poser les fondements d’une pédagogie de l’émancipation décoloniale à partir d’un état de nature. Mais cet état (colonial) de nature n’a plus rien à voir avec un état d’innocente harmonie. Il ressemble davantage à l’état hobbesien de « guerre de tous contre tous » où règne la violence nue ; à cette différence près – majeure – qu’il n’est pas un état pré-social auquel l’institution de l’État est appelé à mettre fin (ce à quoi, il est vrai, il ne se limitait pas chez Hobbes, mais qui restait néanmoins sa forme primordiale) ; c’est, au contraire, un pur produit de l’État-pouvoir colonial en tant que celui-ci recrée sans cesse de l’état de nature : « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence28 ». En définitive, la relocalisation par Fanon des théories de la violence forgées en Europe peut être conçue comme un retour aux sources (coloniales) qui, à travers les figures de Robinson et Vendredi, avaient implicitement nourri leur genèse.

De la guerre : Fanon avec Mao

Si, du point de vue d’une géographie des théories de la violence, la relation de Fanon au marxisme ne se limite pas à une translation directe de l’Occident au monde colonial, à l’Algérie en particulier, c’est aussi parce qu’elle est tributaire d’une série de médiations composant un itinéraire complexe. La Révolution de 1917 constitue une étape capitale de ce processus de « circulation internationale ». Il est nécessaire de prendre la pleine mesure des effets induits par ce déplacement de la pensée de la violence vers l’Est, aux marges de l’Occident capitaliste, dans une Russie que d’aucuns considéraient comme une semi-colonie de l’Europe de l’Ouest ; il n’y a qu’à lire à cet égard le premier chapitre de l’Histoire de la Révolution russe de Trotski qui, débattant ailleurs de la question noire aux États-Unis, affirme à propos de la Russie pré-révolutionnaire : « Nous étions les Noirs de l’Europe29. »

Toutes choses égales par ailleurs, on peut entendre chez Fanon des échos à ce que Balibar désigne comme la politique de la violence mise en œuvre par Lénine, qui, à travers le célèbre mot d’ordre de « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » s’attachait à « définir une pratique politique dans des conditions de violence, qui retourne celle-ci en quelque sorte contre elle-même30 ». Car ce que problématise Fanon dans Les Damnés de la terre est loin d’être seulement la conversion du colonisé à la violence, c’est aussi, dans un second temps, la nécessité de la conversion de cette violence, son incorporation (non sa négation) à une lutte politique devant mener à son propre « dépérissement », et sans laquelle il ne saurait y avoir de véritable décolonisation des corps et des esprits. Changez les termes et les paroles suivantes de Lénine dans L’État et la révolution auraient pu être celles de Fanon : « L’État est l’organisation spéciale d’un pouvoir, c’est l’organisation de la violence destinée à mater une certaine classe. Quelle est la classe que le prolétariat doit mater ? Évidemment la seule classe des exploiteurs, c’est-à-dire la bourgeoisie31. »

L’impetus révolutionnaire n’allait pas tarder à se déplacer encore un peu plus vers l’ « Orient », en Chine tout particulièrement, dans un contexte pour le coup objectivement semi-colonial. Or, la pensée de Mao constitue une forme archétypique de traduction-nationalisation du marxisme. Ainsi que l’a souligné Arif Dirlik, « l’une des grandes forces de Mao en tant que dirigeant a été sa capacité à traduire le marxisme dans un idiome chinois ». Héritant d’un marxisme qui, transplanté dans les conditions de la Russie révolutionnaire, avait déjà été « “déterritorialisé” de son terreau dans l’histoire européenne », Mao s’efforça de « rendre le marxisme chinois », c’est-à-dire, à la fois, « de transformer la Chine à travers les principes du marxisme » et de « transformer le marxisme pour répondre aux exigences liées aux circonstances historiques spécifiques de la Chine ». Le communisme chinois a été la première grande incarnation du mouvement de « mondialisation », et partant de « dispersion », du marxisme ; et Mao avait compris que pour celles-ci ne reproduisent pas les mécanismes hégémoniques propres au système capitaliste-impérialiste, il fallait se prémunir de tout « universalisme abstrait », et œuvrer à une vernacularisation du marxisme32. De manière analogue, Žižek conçoit la pensée de Mao comme le fruit d’un geste capital de « déplacement », comme une « appropriation de la théorie [marxiste] dans un univers différent », une « transposition qui affecte la substance de la théorie elle-même33 ». Mao lui-même, dans son essai de 1940 sur La Démocratie nouvelle, s’est attaché à expliciter cette opération de « sinisation » du marxisme en usant d’une métaphore de la digestion qui allait être invoquée à outrance au cours de la Révolution culturelle :

La Chine doit assimiler dans une large mesure la culture progressiste des pays étrangers, en faire la matière de sa nourriture culturelle, car ce travail, dans le passé, a été très insuffisant. […] Cependant, toutes les choses qui viennent de l’étranger doivent être traitées comme nos aliments ; ceux-ci sont mastiqués dans la bouche et élaborés dans l’estomac et l’intestin, et, sous l’action de la salive et des sucs digestifs, les aliments sont séparés en deux parties : le chyle qui est absorbé et les résidus qui sont à éliminer – ainsi seulement, nous en tirerons profit ; nous ne devons jamais les avaler d’un seul trait ou les assimiler sans discernement. […] De même, dans l’application du marxisme en Chine, les communistes doivent unir pleinement et de façon appropriée la vérité universelle du marxisme et la pratique concrète de la révolution chinoise34.

Selon Dirlik, la centralité du concept de « contradiction » chez Mao est elle-même un produit de sa reformulation du marxisme à la lumière de l’expérience historique de la Chine, sa conception de la dialectique héritant non seulement de Hegel et Marx, mais aussi du bouddhisme35. Mais c’est dans le champ de la théorie de la guerre révolutionnaire que s’exprime le plus profondément, chez Mao et d’autres communistes chinois, cette exigence de déplacement : « il n’est pas étonnant, poursuit Dirlik, que les premiers appels à traduire le marxisme dans le langage des masses aient coïncidé avec l’apparition d’une stratégie révolutionnaire de guérilla36. »

On peut se reporter à cet égard à l’essai de 1936 « Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine », où Mao affirme d’entrée  : « Nous faisons actuellement la guerre ; notre guerre est une guerre révolutionnaire et celle-ci est menée en Chine, c’est-à-dire dans un pays semi-colonial et féodal. C’est pourquoi nous devons étudier non seulement les lois de la guerre en général, mais également les lois spécifiques de la guerre révolutionnaire et les lois spécifiques particulières de la guerre révolutionnaire en Chine37. » Appliquer aveuglément les lois générales de la guerre, et mêmes celles de la guerre révolutionnaire telles que les a révélées la guerre civile en Russie, reviendrait à « se rogner le pied pour l’adapter à la chaussure », alors que la tâche est de trouver, de confectionner, chaussure à son pied. Il faut s’interdire de « transposer mécaniquement » les lois de la guerre car celles-ci « varient en fonction des conditions de la guerre, selon le temps, le lieu et le caractère de la guerre ». Ces « particularités » historiques, géographiques et nationales, sont irréductibles38. Mao montre donc que les transformations des méthodes de guerre ne dépendent pas seulement de l’évolution technique-économique de l’industrie de production des armes, comme le soutenait ce grand amateur de stratégie militaire qu’était Engels, mais aussi des différences chrono-topologiques entre les terrains où se déroulent les guerres. Chez Mao, le modèle de la guerre de mouvement, nourrissant la stratégie de guérilla, en vient jusqu’à informer l’idée de déplacement des savoirs de la guerre eux-mêmes.

Dirlik, qui s’est livré ailleurs à de sévères critiques des postcolonial studies 39, ne s’accorderait certainement pas avec la thèse suivante, mais, toutes choses égales par ailleurs, on peut identifier dans l’effort de « digestion » du marxisme de Mao une préfiguration de l’impératif postcolonial de décentrement des théories nées sur le continent européen, de « provincialisation » en un sens qui ne se réduit nullement au relativisme. Plus encore peut-on aller jusqu’à suggérer qu’une généalogie de la pensée postcoloniale devrait débuter avec l’exemple paradigmatique des circulations et transformations, suivant une longue chaîne de traductions successives, de la théorie et de la pratique « voyageuses » de la guerre révolutionnaire dans le contexte des luttes anti-impérialistes du XXe siècle, de la Russie révolutionnaire à la Guinée (Cabral) et au Ghana (Nkrumah), en passant par la Chine (Mao) et le Vietnam (Giáp), sans oublier bien sûr l’Amérique latine (Che Guevara, Castro).

C’est à cette histoire qu’appartient également la lutte de libération nationale algérienne, à laquelle l’armée française opposa ce qu’elle nommait elle-même une « guerre contre-révolutionnaire ». On pourrait penser que Fanon était bien éloigné de telles préoccupations militaires, mais, outre le fait que sa bibliothèque contient un exemplaire du recueil de Mao sur La Guerre révolutionnaire (1956), incluant l’essai auquel nous nous sommes référés40, il était très bien informé des progrès de l’Armée de libération nationale algérienne (ALN) dont il côtoya de près les membres lors de leur retraite forcée à la frontière algéro-tunisienne – où il donna des conférences, notamment sur la Critique de la raison dialectique de Sartre. Qui plus est, à l’été 1960, à l’occasion d’un séjour au Ghana en tant qu’ambassadeur du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA), Fanon fit une mission d’exploration à la frontière entre l’Algérie et le Mali dans la perspective d’ouvrir un font trans-saharien permettant d’assurer le ravitaillement des wilayas en armes – à propos duquel il donne dans son journal de bord une série d’ « indications techniques »41. L’année précédente, « [d]ans le cadre de la solidarité africaine, Fanon avait avancé une proposition concrète : accueillir dans les camps de l’ALN onze cadre angolais, afin de les former à la lutte subversive et armée42 », projet qui avorta finalement. Tout cela tend à indiquer que nonobstant ses accents spontanéistes, la pensée fanonienne de la violence est indissociable d’une pensée de la guerre, c’est-à-dire de la lutte armée organisée. Que celle-ci soit largement passée sous silence dans les interprétations contemporaines de ses écrits est sans doute un symptôme d’un désir, ignoré de lui comme de bien d’autres penseurs anticoloniaux, de concevoir la violence insurrectionnelle en dehors de toute référence au phénomène militaire.

Dans cette perspective, la thèse « anti-ghandienne » de Fanon selon laquelle la contre-violence du colonisé est le seul et unique moyen d’abolir la violence structurelle du monde colonial, peut être lue comme une reprise de l’adage de Mao : « La guerre, ce monstre qui fait s’entre-tuer les hommes, finira par être éliminée […]. Mais pour supprimer la guerre, il n’y a qu’un seul moyen : opposer la guerre à la guerre, opposer la guerre révolutionnaire à la guerre contre-révolutionnaire43. » ; ou, pour le dire autrement : « Si tu veux qu’il n’y ait plus de fusils, prends donc ton fusil44. » Qui plus est, Fanon, on l’a vu, n’hésite pas dans Les Damnés de la terre à invoquer l’exemple de la forme-guérilla. Ainsi, après avoir évoqué l’Armée de libération nationale angolaise, écrit-il :

Dans la guérilla en effet, la lutte n’est plus où l’on est mais où l’on va. […] Les tribus se mettent en branle, les groupes se déplacent, changeant de terrain. […] Aucune position stratégique n’est privilégiée. L’ennemi s’imagine nous poursuivre mais nous nous arrangeons toujours pour être sur ses arrières, le frappant au moment même où il nous croit anéantis. Désormais, c’est nous qui le poursuivons. Avec toute sa technique et sa puissance de feu, l’ennemi donne l’impression de patauger et de s’enliser. Nous chantons, nous chantons45.

Si le schème spatial-dynamique de la guérilla en vient chez Fanon à jouer un rôle clé, c’est dans la mesure où il nourrit une conception plus large de la violence qu’on peut qualifier de topologique. Dans les Damnés de la terre, Fanon, cela est bien connu de ses lecteurs, montre que la violence de l’occupant s’incarne, s’étale au grand jour à même la surface de l’espace colonial. Le monde colonial, dit-il en songeant avant tout à la ville d’Alger et à l’apartheid en Afrique du Sud, est un « monde compartimenté », un « monde coupé en deux » : « si nous pénétrons dans l’intimité de cette compartimentation, nous aurons au moins le bénéfice de mettre en évidence quelques-unes des lignes de force qu’elle comporte. Cette approche du monde colonial, de son arrangement, de sa disposition géographique, va nous permettre de délimiter les arêtes à partir desquelles se réorganisera la société décolonisée46. »

Le monde colonial est gouverné par une logique binaire : d’un côté, la propreté, le rassasiement, la santé et la vie ; de l’autre, la saleté, la promiscuité, la faim, la maladie et la mort. Une « ligne de partage » sépare ces deux espaces mutuellement exclusifs, régis par une « logique aristotélicienne ». C’est une frontière épaisse, qui constitue en elle-même un lieu, occupé par « les casernes et les postes de police » : c’est le lieu d’une violence sans fard. Si, « [d]ans les pays capitalistes, entre l’exploité et le pouvoir s’interposent une multitude de professeurs de morale, de conseillers, de “désorientateurs” », lesquels œuvrent à détendre les conflits en créant « autour de l’exploité une atmosphère de soumission et d’inhibition qui allège considérablement la tâche des forces de l’ordre », si, autrement dit, les formations idéologiques y servent à tempérer la violence tout en assurant la domination, dans les colonies, le seul contact possible entre les deux zones, la zone de l’opulence et la zone de la misère, est de nature répressive : il repose sur l’usage de la force brute, ou du moins sur sa menace permanente47. C’est aussi pour cela, parce qu’elles se matérialisent toutes deux spatialement, visiblement et immédiatement, que dans les colonies infrastructure économique et superstructure « violente » en viennent à se confondre.

Mais il y a un autre sens encore en lequel on peut parler d’une topologie de la violence chez Fanon. Le déplacement qu’opère ce dernier de la théorie marxiste de la violence est aussi un déplacement (non une substitution) depuis le domaine de l’économie « matérielle » vers celui d’une économie psychique d’inspiration freudienne et reichienne. La théorie fanonienne de la violence repose sur une topique de la circulation et de la répartition des énergies psycho-corporelles au sein du champ (de forces) colonial. Le colonisé, répète [puisant visiblement dans L’analyse caractérielle de Reich et dans sa conception de la « cuirasse musculaire »48] accumule dans son corps la violence coloniale omniprésente : « cette violence du régime colonial n’est pas seulement vécue sur le plan de l’âme, mais aussi sur celui des muscles, du sang49 ». Fanon ne cesse de convoquer un tel langage musculaire : « dans ses muscles, le colonisé est en attente » ; « il entretient un tonus musculaire de tous les instants » ; il y a « une agressivité sédimentée dans [s]es muscles », bloquée dans son corps, en continuelle charge50.

Mais au-delà d’un certain seuil, ces énergies violentes doivent nécessairement être déchargées. Son agressivité, le colonisé « va d’abord la manifester contre les siens », la diriger vers ses semblables ; d’où la criminalité endogène régnant au sein de la société colonisée ; une criminalité que le colon, armé de son savoir scientifique et de ses dispositifs juridiques, conçoit comme la manifestation d’une tare raciale, alors, assure Fanon, qu’elle n’est rien d’autre qu’un effet de la violence coloniale. D’autres voies de dérivation, de « canalisation », de « transformation », d’« escamotage » de la violence sont empruntées par le colonisé : retour de la religion, réactivation des mythes ou encore rituels de danse et de possession dans lesquels « l’agressivité la plus aiguë, la violence la plus immédiate est détournée51 ». Mais cette inévitable décharge de violence laisse la source de cette même violence intacte, et par conséquent assure la conservation de la quantité de violence circulant dans le champ colonial. Ce n’est qu’à partir du moment où le colonisé s’engage dans la lutte de libération nationale, à partir du moment où il retourne, réoriente la violence contre elle-même, contre son origine, c’est-à-dire contre le colon, que se dégage l’horizon, fût-il lointain, d’une fin de la violence.

Analysant l’économie psycho-politique de la violence, les lois de distribution, de circulation et de stase, de charge et de décharge des énergies violentes en situation coloniale, Fanon se donne pour objet ce que Hardt et Negri, dans Commonwealth, désignent adéquatement comme un « système thermodynamique » de la violence52. Puisant ses racines dans la pensée psychanalytique et psychiatrique, tout en faisant écho à la mécanique hobbesienne des corps et à la conception de la violence dans l’état de nature qui en dérive, cette théorie énergético-politique peut également, à titre heuristique, être interprétée comme le produit d’une singulière réécriture des thèses de Mao sur la guerre révolutionnaire, conçue, écrit Balibar, « selon un modèle stratégique dans lequel n’interviennent que des agencements de “forces” et de “masses” évoluant dans l’espace et dans le temps53. » Quoi qu’il en soit, l’opposition tracée par le même Balibar entre l’ « objectivisme », et l’on pourrait même dire « l’objectivisme extrême » de Mao, d’une part, et le « subjectivisme extrême » de Fanon, d’autre part (clivage sans médiation qui aurait caractérisé le « cycle anti-impérialiste » des théorisations marxistes de la violence) exige d’être remise en cause. Car s’opère chez Fanon une coïncidence des opposés : d’un côté, une conception de la violence anticoloniale mettant au premier plan l’expérience vécue, subjective, de la violence et ses effets cathartiques, sans jamais ignorer ses inévitables séquelles traumatiques ; de l’autre, un discours faisant de la violence une force (au sens littéral) autonome, sans auteur, dont il s’agit d’analyser les variations d’intensité, les circulations, les déplacements d’un corps à et contre un autre corps et, in fine, leurs corrélations avec la circulation du capital (économique) dans le cadre de l’affrontement entre puissances impérialistes.

Il est dès lors moins surprenant que les écrits de Fanon ait pu exercer une nette influence sur un révolutionnaire que Balibar désigne comme un autre grand penseur « objectiviste » de la violence anti-impérialiste, Che Guevara. Ce dernier avait médité Les Damnés de la terre, et c’est lui qui avait demandé à ce que le livre, déjà traduit en espagnol, soit distribué à Cuba. Si l’on en croit Michael Löwy, Guevara emprunta à Fanon sa critique radicale de la corruption des bourgeoisies nationales, et la lecture des Damnés de la terre lui permit de renforcer ses propres thèses sur l’unité anti-impérialiste du tiers-monde, sur le rôle révolutionnaire de la paysannerie et sur la valeur émancipatrice de la lutte armée et de la violence des opprimés54. Löwy émet en outre l’hypothèse que la lecture de Fanon a pu être décisive dans le projet de Guevara de s’engager dans la lutte armée en Afrique, un continent qu’il en vint à considérer comme le centre du combat contre les toutes les formes d’exploitation (« impérialisme, colonialisme et néo-colonialisme ») ainsi qu’il le confia dans un entretien accordé fin 1964 lors d’un séjour à Alger à la veuve de Fanon, Josie, pour la revue Révolution africaine 55. Ce projet participait d’une stratégie d’exportation de la révolution cubaine qui avait d’abord été expérimentée, « localement », en République dominicaine, au Nicaragua et au Panama. Mais on comprend que dans le cas de l’Afrique, cette stratégie relevait de bien autre chose que d’un simple « transfert », dans la mesure où une telle exportation reposait en partie sur une importation préalable à Cuba des thèses de Fanon sur la libération de l’Afrique.

Conclusion : Itinéraire du fanonisme

Dans son essai de 1970, Sur la violence, Hannah Arendt revient de manière critique sur les thèses de Fanon, déclarant que l’auteur des Damnés de la terre s’inscrit dans la lignée de ceux qui « pensent la violence comme l’élément essentiel de la force vitale », se livrant de ce fait à de dangereuses « justifications biologiques de la violence56 ». Fanon, en particulier, aurait été « fortement influencé par Sorel » dont les Réflexions sur la violence procédaient d’un « amalgame entre le marxisme et la philosophie de la vie de Bergson57. » Cette thèse d’une influence sorélienne a plus tard suscité une véritable levée de boucliers au sein des Fanon studies, d’autant plus que Sartre, dans sa préface aux Damnés de la terre, s’était attaché à forclore par avance tout débat : « si vous écartez les bavardages fascistes de Sorel, vous trouverez que Fanon est le premier depuis Engels à remettre en lumière l’accoucheuse de l’histoire58. »

Bien que rien ne prouve que Fanon ait lu Sorel (on peut même fortement en douter) et qu’Arendt ne voie pas que pour lui, l’achèvement du processus de décolonisation exige la conversion de la contre-violence spontanée en lutte politique organisée, force est de reconnaître qu’elle met le doigt sur ce qu’on ne peut manquer de désigner comme un vitalisme fanonien, puisant ses racines dans une certaine littérature psychiatrique nourrie de philosophie bergsonienne59. Pour Fanon, la contre-violence anticoloniale est d’abord une réaction vitale à une situation dans laquelle la vie du colonisé, gouvernée par le seul besoin, s’identifie à la survie, n’est rien d’autre qu’une « mort incomplète60 », une mort-dans-la-vie. En ce sens, la lutte anticoloniale ne peut débuter que comme lutte pour l’existence au sens le plus littéral. En outre, si l’on peinerait à trouver chez Fanon une conception d’inspiration sorélienne du « mythe » de la violence, les deux auteurs n’en partagent pas moins un même axiome politique-guerrier de la scission. La scission des classes, assure Sorel, « est la base de tout le socialisme ». La violence prolétarienne a le pouvoir d’accuser « la division de la société en deux armées antagonistes ». La grève générale, forme archétypique de la violence, réveille les « passions guerrières » ; grâce à elle, « la société est bien divisée en deux camps, et seulement en deux, sur un champ de bataille61 ». Il est vrai que pour Fanon, le partage binaire colonisateur/colonisé est avant tout une réalité produite par le colonialisme lui-même. Il n’en reste pas moins que sa conception du manichéisme racial-colonial est partie intégrante d’une stratégie de lutte, une stratégie guerrière ; elle est appel à rompre tout commerce avec l’ennemi, à se refuser à tout compromis, autrement dit à pousser les antagonismes à l’extrême pour démontrer qu’il n’existe pas d’autre issue pour mettre fin à la violence que la violence elle-même.

La critique qu’Arendt adresse à Fanon, et à son préfacier Sartre, exige néanmoins d’être resituée historiquement et géographiquement. Pour ouvrir son essai, Arendt elle-même affirme : « À l’origine de ces réflexions se trouvent les événements et les discussions de ces toutes dernières années, tels qu’ils apparaissent dans la perspective d’ensemble du XXe siècle, devenu en vérité, ainsi que l’avait prévu Lénine, un siècle fait de cette violence que l’on considère habituellement comme leur dénominateur commun62. » Mais l’essai d’Arendt, qui enseigne alors à la New School for Social Research à New York, s’inscrit de manière plus décisive encore dans un contexte immédiat marqué par l’émergence de la New Left et du Black Power et par un déplacement significatif des formes de radicalisation politique sur les campus universitaires nord-américains. Arendt a ces mots qui lui ont valu des accusations de racisme :

En Amérique, le mouvement étudiant s’est fortement radicalisé chaque fois que la police est intervenue avec brutalité au cours de manifestations essentiellement non-violentes […]. En réalité, on n’a vu se produire de véritable scènes de violence qu’après l’apparition sur les campus du mouvement du Black Power. Les étudiants noirs, dont la grande majorité étaient admis sans posséder le niveau de qualification normal et s’intéressaient avant tout à la défense des intérêts du groupe, se sont organisés et se sont considérés comme les représentants qualifiés des intérêts d’un groupe, la communauté noire. […] Ils faisaient montre de moins de témérité que les les révoltés blancs, mais dès l’origine il devint évident […] qu’avec eux la violence n’était pas simplement une question de pure rhétorique et de théorie63.

La lecture que fait Arendt de Fanon se révèle ainsi médiatisée par sa compréhension, ou si l’on préfère son incompréhension, du choix de la violence opéré par une frange des mouvements noirs américains de l’époque  ; on pense bien sûr ici aux Black Panthers (et à leur discipline toute militaire) qui avaient deux livres de chevet dont on saisit à présent mieux la complémentarité : le Petit livre rouge de Mao et Les Damnés de la terre de Fanon, auquel l’organisation empruntait, outre sa pensée de la violence, sa conception du potentiel révolutionnaire du lumpenproletariat : « Fanon montrait clairement que si vous ne l’organisiez pas, si l’organisation ne repose pas sur lui, si elle ne prend pas pour base le maquereau, le truand, le chômeur et l’opprimé, le frère qui attaque les banques et qui n’a aucune conscience politique – c’est cela le Lumpenproletariat –, si vous vous désintéressez de ces types, c’est le pouvoir qui va les prendre en main, contre vous64. » Le Fanon d’Arendt est autrement dit un Fanon dont les thèses sur la violence ont déjà fait l’objet d’un processus de traduction (africaine-américaine).

Dès le tournant des années 1960, la pensée de Fanon, sa théorie de la violence notamment, issue de complexes circulations révolutionnaires ainsi que nous avons tâché de le montrer, avait à son tour entamé un « voyage transcontinental », au cours duquel elle allait faire l’objet de nombreuses appropriations théoriques et pratiques, qui ne se limitèrent nullement aux enceintes des universités. Retracer cet itinéraire exigerait une étude à part entière, mais nul doute qu’il faudrait en passer, pour la première phase, non seulement par l’Amérique latine avec Che Guevara et les États-Unis avec les Black Panthers, mais aussi par l’Afrique du sud avec Steve Biko, l’Iran avec Ali Shariati65, le Japon et bien d’autres pays encore. Il faudrait ensuite s’intéresser de près aux modalités de l’appropriation progressive des thèses de Fanon sur la violence au sein des mouvements palestiniens et pro-palestiniens, de même que par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), exemple qui permettrait d’examiner sous un jour nouveau les rapports entre marxisme et « fanonisme » et leurs mutations contemporaines. Cette exploration pourrait s’achever, provisoirement, par le récent « retour » de Fanon en France, où ses écrits exercent une influence grandissante au sein desdits mouvements de l’immigration. La question qui devrait être alors posée est celle de l’actualité ou de l’inactualité de la pensée de Fanon dans un contexte, celui des mobilisations de la première moitié de l’année 2016 contre la « loi travail », où se sont multipliés les répressions policières « indiscriminées » dont on oublie trop souvent qu’elle ont été éprouvées de longue date, et le restent quasi quotidiennement dans les quartiers populaires… de manière tout à fait discriminée.

Cet article est une version retravaillée d’une communication à la journée d’étude « Les impensés de la violence : approches pluridisciplinaires », Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 3 juin 2016.

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  1. Étienne Balibar, « Gewalt. Violence et pouvoir dans la théorie marxiste », in Violence et civilité. Wellek Library Lectures et autres essais de philosophie politique, Paris, Galilée, 2010, p. 251-304. []
  2. Sur l’histoire de la brochure Le Rôle de la violence dans l’histoire, voir Ibid., p. 255-256. []
  3. Alice Cherki, Frantz Fanon. Portrait, Paris, Le Seuil, 2000, p. 155. []
  4. Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, tome 1, Théorie des ensembles pratiques, 1960, p. 221. []
  5. Friedrich Engels, Le Rôle de la violence dans l’histoire, Paris, Éditions sociales, 1969, p. 16-17, cité in Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1991, p. 94-95. []
  6. Friedrich Engels, Le Rôle de la violence dans l’histoire, op. cit., p. 7-9. []
  7. Étienne Balibar, « Gewalt. Violence et pouvoir dans la théorie marxiste », op. cit., p. 256. []
  8. Ibid., p. 25. []
  9. Friedrich Engels, Le Rôle de la violence dans l’histoire, op. cit.,p. 37-38. []
  10. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 94. []
  11. Ibid., p. 95. Il y a une autre raison, plus marginale, au scepticisme affiché par Fanon à l’égard des thèses d’Engels. La critique qu’il lui adresse n’est pas étrangère à sa « fidélité » à une certaine conception hégélienne du rapport de maîtrise et de servitude, selon laquelle rendre compte de la genèse de la relation inégale d’exploitation implique de supposer une situation originelle d’égalité entre ses protagonistes – là où Engels affirme qu’« avant que l’esclavage soit possible, il faut déjà qu’un certain niveau dans la production ait été atteint et qu’un certain degré d’inégalité soit intervenu dans la répartition » (Friedrich Engels, Le Rôle de la violence dans l’histoire, op. cit., p. 10). Cela n’implique nullement que Fanon suive Hegel lorsque celui-ci en déduit que l’individu qui est devenu esclave est nécessairement pour une part responsable de son propre esclavage. []
  12. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 95-96. []
  13. Friedrich Engels, Le Rôle de la violence dans l’histoire, op. cit., p. 10. []
  14. On peut s’étonner que Fanon ne fasse pas mention, ni ici ni ailleurs, d’une autre guerre appartenant à la même séquence historique et qui, elle, avait été une lutte anticoloniale au sens le plus propre du terme, à savoir la Révolution haïtienne (1791-1804). Cela est particulièrement troublant lorsqu’on lit la sous-section du septième chapitre de Peau noire, masques blancs (1952), « Le nègre et Hegel ». Fanon y soutient que le Noir-esclave (français) ne s’est jamais engagé dans une « lutte ouverte », une « lutte à mort » contre son maître blanc et que la liberté dont il jouit au présent est une fausse liberté, une liberté aliénante, car c’est une liberté octroyée par l’autre (en vertu des décrets d’abolition de l’esclavage) et non conquise par soi ; c’est un pur don : « Le Blanc est un maître qui a permis à ses esclaves de manger à sa table » (Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Le Seuil, 1971, p. 175-180). Cela est d’autant plus étonnant que Fanon possédait un exemplaire de la traduction française, publiée en 1949, de l’ouvrage de C.L.R. James, Les Jacobins noirs. Toussaint-Louverture et la Révolution de Saint-Domingue (voir Frantz Fanon, Écrits sur l’aliénation et la liberté, Oeuvres II (dir. Jean Khalfa et Robert J.C. Young, Paris, La Découverte, 2015, « La bibliothèque de Frantz Fanon », p. 608). Le fait est, de manière plus générale, que Fanon, en cela « victime consentante » d’une historiographie blanche-coloniale, n’aura guère porté d’attention à la longue histoire des luttes noires-panafricaines en contexte esclavagiste et post-esclavagiste. []
  15. Lewis R. Gordon, What Fanon Said. An Introduction to his Life and Thought, New York, Fordham University Press, 2015, p. 116. []
  16. Alice Cherki, Frantz Fanon. Portrait, op. cit., p. 155. []
  17. Étienne Balibar, « Gewalt. Violence et pouvoir dans la théorie marxiste », op. cit., p. 299. []
  18. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 70. []
  19. Ibid. []
  20. Ibid., p. 96-97. Nous soulignons. []
  21. Friedrich Engels, Le Rôle de la violence dans l’histoire, op. cit., p. 41. []
  22. Daniel Defoe, Robinson Crusoé, Paris, Le Livre de Poche, 2003, p. 256. []
  23. Ibid., p. 146. []
  24. Ibid., p. 255. []
  25. Gilles Deleuze, « Causes et raisons des îles désertes », in L’Île déserte. Textes et entretiens, 1953-1974, Paris, Les Éditions de minuit, 2002, p. 15. []
  26. Étienne Balibar, « Gewalt. Violence et pouvoir dans la théorie marxiste », op. cit., p. 262. []
  27. C.L.R. James, « Rousseau and the Idea of General Will », in You Don’t Play with Revolution. The Montreal Lectures of C. L. R. James (dir. David Austin), Édimbourg, AK Press, 2009, p. 110, 116. []
  28. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 92. []
  29. Léon Trotski, Question juive, Question noire, Paris, Syllepse, 2011, p. 160. On suppose généralement que Fanon est resté largement étranger à la tradition marxiste-léniniste, et « pré-léniniste », mais on sait dorénavant que sa bibliothèque était richement nourrie en matière de littérature marxiste. Certes, ainsi que le note Jean Khalfa, « [i]l est fort probable que Fanon, en tant que journaliste [pour El Moudjahid] et Josie [sa femme], elle-même journaliste à Alger, aient reçu automatiquement un grand nombre [de brochures de propagande ou d’éditions de classiques du marxisme], comme ce fut le cas pour une bonne partie de l’intelligentsia en Europe et en Afrique jusque dans les années 1970. » Bien que « pour la plupart elle ne semblent pas avoir été lues », certaines néanmoins l’ont été « avec soin » et, nous l’avons nous-mêmes constaté, elles portent de nombreuses marques manuscrites ; c’est le cas en particulier des Questions fondamentales du marxisme de Plekhanov et de La Faillite de la Deuxième Internationale de Lénine, dont Fanon semble s’être intéressé à la virulente critique du chauvinisme (Frantz Fanon », Écrits sur l’aliénation et la liberté, op. cit., Présentation de « La bibliothèque de Frantz Fanon » par Jean Khalfa, p. 587-588). Alice Cherki nous apprend également qu’en 1957, Fanon « découvre, fasciné, les retranscriptions des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste […]. Fanon passe des nuits entières en leur compagnie » (Alice Cherki, Frantz Fanon. Portrait, op. cit., p. 135). On peut contester le choix de Khalfa de reléguer l’ensemble de cette littérature marxiste, y compris les œuvres de Marx et Engels, dans une partie « annexe » de la liste des livres composant la bibliothèque de Fanon, le risque étant de laisser penser qu’il n’y a pas eu d’appropriation personnelle, donc significative, de la pensée marxiste par Fanon. []
  30. Étienne Balibar, « Gewalt. Violence et pouvoir dans la théorie marxiste », op. cit., p. 290. []
  31. Vladimir I. Lénine, L’État et la révolution, Paris, La Fabrique, 2012, p. 77. Voir aussi Rustam Singh, « Violence in the Leninist Revolution », Economic and Political Weekly, vol. 25, n° 52, p. 2843-2856. []
  32. Arif Dirlik, « Mao Zedong and “Chinese Marxism” » in Companion Encyclopedia of Asian Philosophy (dir. Brian Carr et Indira Mahalingam), Londres et New York, Routledge, 1997, p. 593, 596-597, 613. []
  33. Slavoj Žižek, Introduction à Mao Zedong, De la pratique et de la contradiction, Paris : La Fabrique, 2007, p. 11. []
  34. Mao Tsé-Toung, La Démocratie nouvelle, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1965 : http://communisme-bolchevisme.net/download/Mao_Tsetoung_La_democratie_nouvelle.pdf. []
  35. Arif Dirlik, « Mao Zedong and “Chinese Marxism” », op. cit., p. 603, 611. []
  36. Ibid., p. 612. []
  37. Mao Tsé-Toung, « Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine (décembre 1936) », in Écrits militaires de Mao Tse-Toung, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1968, p. 83-84. []
  38. Ibid., p. 85-86. []
  39. Voir Arif Dirlik, The Postcolonial Aura. Third World Criticism in the Age of Global Capitalism, Boulder, Westview Press, 1997. []
  40. La bibliothèque de Fanon contient de nombreuses autres brochures de Mao, mais leurs dates de publication, égales ou postérieures à 1960 (Fanon meurt en 1961) laissent penser qu’elles appartenaient à sa femme, Josie [voir Frantz Fanon, Écrits sur l’aliénation et la liberté, op. cit., « La bibliothèque de Frantz Fanon », p. 637-639] []
  41. Frantz Fanon, « Cette Afrique à venir », in Pour la révolution africaine. Écrits politiques, Paris, La Découverte et Syros, 2001, p. 203-216. []
  42. Alice Cherki, Frantz Fanon. Portrait, op. cit., p. 210, n. 12. []
  43. Mao Tsé-Toung, « Problèmes stratégiques de la guerre révolutionnaire en Chine », op. cit., p. 87. []
  44. Mao Zedong cité in Gérard Bensussan, Georges Labica, G. (dir.) Dictionnaire critique du marxisme, Paris, PUF, 1999, « Violence », p. 1206. []
  45. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 173. []
  46. Ibid., p. 68. []
  47. Ibid. []
  48. Wilhelm Reich, L’Analyse caractérielle, Paris, Payot, 1971. []
  49. Frantz Fanon, L’An V de la Révolution algérienne, Paris, La Découverte & Syros, 2001, Annexe : « Pourquoi nous employons la violence (discours prononcé à la Conférence d’Accra, avril 1960) », p. 176. []
  50. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., p. 83-84. []
  51. Ibid., p. 85-88. []
  52. Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, Cambridge, Belkknap Press of Harvard University Press, 2009, p. 29. []
  53. Étienne Balibar, « Gewalt. Violence et pouvoir dans la théorie marxiste », op. cit., p. 299. []
  54. Michael Löwy, The Marxism of Che Guevara. Philosophy, Economics, Revolutionary Warfare, Lanham et Plymouth, Rowman & Littlefield Publishers, 2ème édition, cop. 1973, p. 73. []
  55. Daniel James, Che Guevara. A Biography, New York, Cooper Square Press, 2001, p. 156. []
  56. Hannah Arendt, « Sur la violence » in Du mensonge à la violence, Paris, Pocket, 1994, p. 173-174. []
  57. Ibid., p. 170. []
  58. Jean-Paul Sartre, Préface à Les Damnés de la terre, op. cit., p. 44. []
  59. Voir notamment Constantin von Monakow et Raoul Mourgue, Introduction biologique à l’étude de la neurologie et de la psychopathologie, Intégration et désintégration de la fonction, Paris, F. Alcan, 1928. []
  60. Frantz Fanon, L’an V de la Révolution algérienne, op. cit., p. 115. []
  61. Georges Sorel, Réflexions sur la violence, Paris, M. Rivière et Cie, 1972, p. 161, 197, 237. []
  62. Hannah Arendt, « Sur la violence », op. cit., p. 105. []
  63. Ibid., p. 123-124. Traduction modifiée : la traduction de Guy Durand indique « panthères noires » là où Arendt écrit « Black Power ». []
  64. Bobby Seale, À l’affût. Histoire du Parti des Panthères noires et de Huey Newton, Paris, Gallimard, 1972, p. 37. []
  65. Notons à ce propos que la figure de Shariati pourrait servir de medium à la « reconstitution » du dialogue, qui n’a jamais eu lieu, entre Fanon et Foucault. Fanon a correspondu avec Shariati qui a traduit en persan une anthologie de ses écrits et a largement contribué à faire connaître sa pensée au sein des milieux intellectuels et révolutionnaires iraniens dans l’émigration. Quant à Foucault, sa compréhension et son attrait pour la Révolution iranienne ont largement été guidés par sa découverte et sa méditation de la pensée de Shariati (voir Janet Afary et Kevin B. Anderson, Foucault and the Iranian Revolution. Gender and the Seductions of Islamism, Chicago, University of Chicago Press, 2005). []
Matthieu Renault