[Guide de lecture] Marxisme et cinéma

Le cinéma a été un lieu d’investissement constant pour les marxistes, depuis sa naissance au début du XXe siècle. Le cinéma a ceci de singulier qu’il est un véritable système de production, à ses origines extrêmement coûteux ; il a revêtu très rapidement le statut d’industrie artistique et culturelle. Tout au long de son histoire, les marxistes ont considéré le cinéma comme un puissant véhicule idéologique, structurellement marqué par la classe dominante du fait de ses conditions de production. En même temps, depuis l’émergence du cinéma soviétique, le cinéma a aussi été un terrain d’expérimentation théorique et esthétique pour penser une autre manière de fabriquer et de faire parler les images. Dans ce guide de lecture monumental, Daniel Fairfax propose à la fois de recenser 9 périodes de pensée marxiste sur le cinéma, mais aussi de donner à voir, pour chacun de ces moments, une série de films qui en sont représentatifs. Par là, Fairfax rend palpable le rapport constant entre théoriques et pratiques marxistes du cinéma.

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« De tous les arts, le cinéma est pour nous le plus important » aurait déclaré Lénine. Invention de la bourgeoisie moderne, le cinéma est le seul art dont la genèse est contemporaine de celle du capitalisme. C’est peut-être aussi celui qui a, tout au long du xxe et du xxie siècle, entretenu la relation la plus complexe, la plus stimulante et, finalement, la plus fructueuse au point de vue conceptuel avec la théorie marxiste.

De surcroît, l’affirmation du marxisme historique selon laquelle il existe une relation mutuelle entre théorie et pratique trouve une application concrète dans la culture filmique marxiste. En effet, la théorisation du cinéma dans le cadre de l’esthétique marxiste est toujours allée de pair avec l’activité cinématographique. Dans de nombreux cas, les mêmes personnes ont été à la fois des praticiens de l’art et des théoriciens de leur propre activité. Le cinéma marxiste s’est donc montré, dans la théorie comme dans la pratique, interventionniste par nature. Suivant le décret de Marx dans la onzième des Thèses sur Feuerbach, ses partisans ne se sont pas contentés d’une simple description de la société capitaliste contemporaine et du rôle du cinéma dans sa reproduction idéologique. Ils ont à l’inverse, pour la plupart, cherché à utiliser le film et l’analyse filmique pour transformer le monde en vue d’une société sans classe.

Cependant, comment faire ce cinéma a été la question centrale du débat chez les marxistes et les autres partisans d’un cinéma radicalement anticapitaliste, en reproduisant l’une des plus anciennes catégories de l’esthétique classique : la distinction forme/fond. Certains souhaitaient en priorité transmettre un message politique au public le plus large possible par le truchement de la forme filmique conventionnelle. D’autres, en revanche, ont adopté une approche plus expérimentale, insistant sur l’importance du développement de nouvelles structures formelles pour marquer une rupture plus complète avec le cinéma bourgeois, suivant ainsi la maxime brechtienne : « Lénine ne disait pas seulement autre chose que Bismarck, il le disait autrement. ». Les deux perspectives ont, il faut le dire, des points faibles potentiels : la première peut conduire à reconstituer la nature politiquement régressive du cinéma traditionnel tandis que la seconde court perpétuellement le risque de réduire à néant le potentiel d’un discours politique intelligible et de s’aliéner les spectateurs. Les meilleures œuvres — celles d’Eisenstein, Vertov, Godard et Marker, entre autres — trouvent un équilibre entre ces deux pôles. Comme le voulait Hegel, la forme y devient, de fait, fond.

Créer de nouvelles formes cinématographiques n’en suppose pas moins une analyse idéologique des normes préexistantes du cinéma commercial, dont l’incarnation suprême est l’industrie cinématographique hollywoodienne qui domine le monde. Comme l’observaient Jean-Louis Comolli et Jean Narboni, rédacteurs aux Cahiers du cinéma, le cinéma est un art qui, par rapport à d’autres, est particulièrement déterminé par l’idéologie dominante d’une société donnée, de deux manières. D’abord, les films étaient traditionnellement extrêmement coûteux à produire, ce qui signifiait que la libre expérimentation artistique qui a marqué l’histoire de la musique, de la littérature et de la peinture a été bien plus difficile à entreprendre dans le monde du cinéma, qui exige généralement un public nombreux pour être viable financièrement. Ensuite, en tant que média fondé de manière prépondérante sur l’image photographique, le film a tendance à renforcer l’idéologie existante en créant chez le spectateur la sensation sans égal que les images à l’écran reflètent la réalité qu’elles prétendent représenter. Pour de nombreux marxistes, ce réalisme est l’un des outils les plus puissants en vue de la création d’un cinéma révolutionnaire. Une autre mouvance de la théorie filmique marxiste considère toutefois que le cinéma repose sur une illusion fondamentale, basée davantage sur les codes visuels développés par la bourgeoisie moderne (qui découlent de la peinture de la Renaissance) que sur une relation naturelle avec la perception de la réalité.

L’histoire, vieille de plusieurs décennies, de la confrontation du matérialisme historique et du cinéma a été marquée de nombreux débats de ce type. Peut-être d’ailleurs est-il temps, en cette année 2017, de parler d’un siècle de cinéma marxiste. Déjà en 1896, le romancier et socialiste russe Maxime Gorki assistait à sa première séance de cinéma et évoquait cette expérience, dans une formule restée célèbre, comme une entrée dans « le royaume des ombre ». Pourtant, pendant les vingt premières années de son existence, la relation du cinéma et du marxisme fut floue et ténue. Ce n’est qu’à la fin des années 1910 que leurs liens se concrétisèrent, pour deux raisons principales. La première est que le cinéma, avec l’arrivée du long-métrage et les avancées stylistiques de personnalités comme D. W. Griffth et Abel Gance, devenait alors un art. La seconde est qu’à la même époque, la révolution d’Octobre en Russie vit l’avènement du premier État prolétaire. Sous la direction de Lénine et des bolcheviks, l’industrie cinématographique d’une nation se retrouva entre les mains d’un mouvement politique marxiste déclaré. La décennie qui suivit la fin de la guerre civile russe en 1921 fut celle d’un foisonnement sans précédent d’expérimentions artistiques et de tentatives théoriques d’appréhender le cinéma en URSS, où des personnalités telles que Sergueï Eisenstein, Dziga Vertov et Vsevolod Poudovkine jouèrent un rôle déterminant.

Le siècle qui s’est écoulé depuis la révolution russe a été celui d’un entrelacement continu entre praxis et cinéma marxiste qui continue encore aujourd’hui, même si l’intensité de cette relation a fluctué, avec des périodes d’optimisme révolutionnaire (les années 1920, les années 1960) souvent suivies par des vagues réactionnaires et répressives. De notre point de vue, on peut distinguer, de manière chronologique et géographique, neuf configurations du cinéma marxiste.

1. Le cinéma soviétique

Comme le suggère la citation de Lénine qui ouvre ce guide de lecture, les bolcheviks ont immédiatement accordé une place de premier plan au cinéma, d’abord comme outil éducatif et de propagande, puis comme moyen d’expression artistique. Cependant, au cours de la guerre civile, les efforts pour créer un cinéma soviétique furent entravés par les graves pénuries de matériel, notamment de pellicule. Certains cinéastes de cette époque, comme Lev Koulechov, réalisèrent même des « films » sans pellicule, ébauchant des scènes avec acteurs et caméras sans pouvoir enregistrer leur performance. Lorsqu’il put à nouveau se procurer de la pellicule, Koulechov réalisa ses fameuses expériences avec le comédien Ivan Mosjoukine et inaugura une esthétique filmique fondée sur le montage, où les liens entre les plans avaient plus d’importance que le contenu des plans eux-mêmes. À la même époque, Vertov et ses camarades « kinoki » développaient une approche radicale des actualités filmées (appelée « Kino-pravda »), qui aboutira à des chefs-d’œuvre expérimentaux dans les années 1920 avec La Sixième Partie du monde (1926) et L’Homme à la Caméra (1929). Mais le véritable tournant du cinéma soviétique se produisit lorsqu’Eisenstein abandonna le théâtre pour la réalisation, d’abord avec La Grève (1924) avant de rencontrer un succès mondial avec Le Cuirassé Potemkine (1925). Eisenstein fut même engagé pour recréer les événements de 1917 à l’occasion du dixième anniversaire de la révolution mais, en dépit des immenses moyens engagés, Octobre (1927) fut gâché par les troubles politiques de l’époque. Dans un prélude à la future répression des années 1930, les images du film montrant le rôle de Trotski dans la prise du pouvoir durent être supprimées après que celui-ci fut écarté par la fraction stalinienne du parti.

Eisenstein a endossé la double casquette de cinéaste et de théoricien du film plus qu’aucune autre figure de l’histoire du cinéma. Dans plusieurs articles, traduits en français et rassemblés dans les recueils Le film : sa forme/son sens, il développe une conception du cinéma qui souligne l’analogie entre le montage et une conception dialectique du monde, et relie le cinéma à d’autres arts, comme la musique polyphonique, la peinture de la Renaissance et même la calligraphie japonaise. Eisenstein prône une forme de « montage intellectuel » capable de produire un raisonnement abstrait à l’instar de la langue écrite, comme en attestent certaines séquences d’Octobre et de La Ligne générale (1929). Mais il se montra souvent trop ambitieux par rapport à ses possibilités pratiques et sa tentative d’appliquer systématiquement ses idées à un projet d’adaptation du Capital de Marx se solda par un échec décourageant.

À la même époque, Eisenstein s’engageait dans de féroces polémiques avec ses pairs, dont Poudovkine – qui, dans des films comme La Mère (1926) et Tempête sur l’Asie (1928), adoptait une approche plus traditionnelle du montage – et Vertov. Bien que ce dernier partageât beaucoup des idées d’Eisenstein, il voulait marquer une rupture plus nette avec le cinéma de fiction et préconisait un « ratio de films léninistes » qui mettraient en avant le documentaire et les œuvres « scientifiques ». Parmi les cinéastes qui ont à la fois marqué l’histoire révolutionnaire de l’URSS et réalisé de grandes avancées dans le langage visuel du cinéma, on citera Alexandre Dovjenko (Arsenal [1929], La Terre [1930]), Grigori Kozintsev et Léonid Trauberg (La Nouvelle Babylone, [1927]), Boris Barnet (Okraïna, [1933]) et Alexandre Medvedkine (Le Bonheur, [1934]). Mais au milieu des années 1930, le mouvement d’avant-garde qui animait le cinéma soviétique se retrouva attaqué sur deux fronts. Sur le plan de l’industrie, l’avènement du film parlant en URSS fit obstacle aux esthétiques plus expérimentales, fondées sur le montage, et favorisa des œuvres dramatiques plus conventionnelles. Sur le plan politique, la concentration des pouvoirs par Staline eut pour conséquence de faire du « réalisme socialiste » la doctrine artistique officielle, où des films héroïques tels que Tchapaïev (1934) avaient les faveurs du parti tandis que les pionniers du film muet étaient vigoureusement condamnés pour « formalisme ». Leur travail faisait l’objet d’un contrôle strict : Staline lui-même était connu pour « suggérer » des modifications au scénario. Même si aucun des grands cinéastes du début de l’ère soviétique ne trouva la mort dans les purges, la menace des représailles planait en permanence sur eux et des figures telles qu’Eisenstein, Vertov et Dovjenko eurent toutes les peines du monde à poursuivre leurs carrières. Après la mort de Staline, l’industrie cinématographique soviétique connut plusieurs vagues de libéralisation et de répression, mais la plupart des réalisateurs qui occupèrent le devant de la scène dans l’URSS d’après-guerre, dont Andreï Tarkovski, Alexeï German et Sergueï Parjanov, ne partageaient pas les vues révolutionnaires de leurs prédécesseurs.

À lire :

Jacques Aumont, Montage Eisenstein, Albatros, 1979, rééd. Images Modernes, 2005.

Sergueï Eisenstein, Le Film : sa forme/son sens, Christian Bourgois, 1976.

Jay Leyda, Kino: histoire du cinéma russe et soviétique, L’Age d’homme, 1976.

Vsevolod Poudovkine, Film Technique, ed. Ivor Montagu, George Newnes, 1929.

Georges Sadoul, Dziga Vertov, Champ Libre, 1971.

Dziga Vertov, Articles, journaux, projets, UGE, 1972.

À voir :

Okraïna, réal. Boris Barnet, 1933

Arsenal, réal. Alexandre Dovjenko, 1929.

La Terre, réal. Alexandre Dovjenko, 1930.

La Grève, réal. Sergueï Eisenstein, 1924.

Le Cuirassé Potemkine, réal. Sergueï Eisenstein, 1925.

Octobre, réal. Sergueï Eisenstein, 1927.

La Ligne générale
, réal. Sergueï Eisenstein, 1929.

Alexandre Nevski
, réal. Sergueï Eisenstein, 1940.

Ivan le Terrible, Parties I et II, réal. Sergueï Eisenstein, 1944-1958.

La Nouvelle Babylone, réal. Grigori Kozintsev et Léonid Trauberg, 1929.

Les Aventures extraordinaires de Mr West au pays des bolcheviks, réal. Lev Koulechov, 1924.

Le Bonheur (Les Accapareurs), réal. Alexandre Medvedkine, 1934.

La Mère, réal. Vsevolod Poudovkine, 1925.

Tempête sur l’Asie, réal. Vsevolod Poudovkine, 1929.

Tchapaïev, réal. Gueorgui Vasilyev et Sergueï Vasilyev, 1934.

La Sixième Partie du monde, réal. Dziga Vertov, 1926.

L’Homme à la caméra, réal. Dziga Vertov, 1929.

La Symphonie du Donbass, réal. Dziga Vertov, 1931.

2. Le cinéma de Weimar et la théorie critique allemande

Avant la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique était le seul pays gouverné par un parti marxiste. Cependant l’Allemagne possédait un puissant mouvement ouvrier avant que l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933 ne mette fin à toute opposition politique ouverte. Cette puissance venait avant tout du nombre de ses adhérents. Après tout, le Parti social-démocrate et le Parti communiste aligné sur le Kominterm comptaient chacun des centaines de milliers de membres et des mouvements révolutionnaires menacèrent à plusieurs reprises de renverser l’appareil d’État entre 1919 et 1923. Elle tenait aussi à son hégémonie culturelle au sein du prolétariat allemand. Le mouvement ouvrier avait développé une contre-société très avancée, possédant ses propres journaux, ses clubs sportifs, ses activités pédagogiques et ses associations de théâtre. Le cinéma, en partie en raison des ressources nécessaires à la production d’un film, était le parent pauvre de cette tendance culturelle. Ce n’est qu’à la fin des années 1920, avec la création de Prometheus Film par le communiste Willi Münzenberg, que l’Allemagne se mit à produire des films d’orientation marxiste cherchant à souligner la réalité sociale des travailleurs pauvres, avec des œuvres notables telles que L’Enfer des pauvres de Piel Jutzi (1929), De l’autre côté de la rue de Léo Mittler (1929) et Ventres glacés de Slatan Dudow et Bertolt Brecht (1932). Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttman (1931) doit beaucoup à Vertov au point de vue visuel, mais est dépourvue de l’analyse politique de son équivalent soviétique. Quant à G. W. Pabst, il adapta la pièce marquante de Brecht L’Opéra de quat’sous à l’écran (1931), mais le film déplut tant au dramaturge qu’il intenta un procès à la société de production.

Outre les films cités plus haut, l’œuvre de Fritz Lang est célèbre pour sa perspective antifasciste, même si le cinéaste se tenait à l’écart des formes plus manifestes d’engagement politique. Si son adaptation des Nibelungen (1924) devint partie intégrante de la mythologie nazie et Metropolis (1927) était frontalement opposés à une solution révolutionnaire à l’oppression politique, M le maudit (1931) et Le Testament du docteur Mabuse (1933) témoignent de la paranoïa et de la démagogie manipulatrice qui régnaient dans une Allemagne glissant vers le nazisme. Exilé à Hollywood après avoir refusé la proposition de Goebbels de superviser l’industrie cinématographique de l’Allemagne nazie, Lang poursuivit son projet antifasciste avec des œuvres telles que Chasse à l’homme (1941) et Espions sur la Tamise (1944). En 1943, il collabora même avec Brecht pour un film de propagande de guerre, Les Bourreaux meurent aussi, qui est consacré à la résistance tchèque.

C’est cependant sur le plan de la théorie que les liens entre marxisme et cinéma étaient les plus forts en Allemagne, avant comme après la Seconde Guerre mondiale. Ce sont notamment des personnalités associées à l’école de Francfort, qui mêlait Marx et Weber, qui se trouvèrent entraînées dans d’intenses débats sur le rôle idéologique du cinéma dans le capitalisme moderne. Dans De Caligari à Hitler, Siegfried Kracauer a analysé sur le plan sociologique des films de l’époque de Weimar tels que Le Cabinet du docteur Caligari (Rober Wiene, 1920), Nosferatu le vampire (F. W. Murnau, 1921) et L’Ange bleu (Josef von Sternberg, 1930, adapté du roman de Heinrich Mann Professor Unrat), comme symptomatiques d’une nation psychologiquement prédisposée à la domination nazie. Walter Benjamin, amoureux du cinéma de Chaplin pour des films tels que Les Temps modernes (1935), signala dans des textes comme « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction technique » la dimension intrinsèquement modernisatrice et émancipatrice du film. En revanche, Theodor Adorno se montrait bien plus dubitatif quant aux mérites révolutionnaires du cinéma, en partie du fait de son scepticisme généralisé à l’égard de la culture « basse », et voyait dans les rires du public devant les films de Chaplin un « sadisme bourgeois ». La Dialectique de la Raison (coécrite avec Max Horkheimer) éreintait « l’industrie culturelle » dont « l’usine à rêves » d’Hollywood est l’incarnation suprême. Dans Minima Moralia, Adorno écrit sèchement : « De chaque visite au cinéma, malgré la plus grande vigilance, je sors plus stupide et moralement dégradé. » Adorno apprit néanmoins à mieux apprécier le cinéma dans les années 1960 sous l’influence de son disciple Alexander Kluge et évoque Antonioni et le nouveau cinéma allemand en termes mélioratifs dans « Filmtransparente ». Pourtant, son dernier grand œuvre inachevé, Théorie esthétique, évite soigneusement tout commentaire poussé sur le cinéma en tant qu’art.

Le Hongrois Georg Lukács, seul rival sérieux d’Adorno pour le titre de principal théoricien de l’esthétique marxiste au xxe siècle, n’est guère connu pour son point de vue sur le cinéma. Il s’y est pourtant longuement intéressé, de son texte « Thoughts On an Aesthetic for the Cinema » à sa réflexion sur le film dans Eigenart des Ästhetischen. Lukács était connu pour son aversion pour le naturalisme en littérature, mais une étude récente de Ian Aitken montre que sa théorie filmique nuance cette posture, car elle propose une théorie et une pratique cinématographique qu’on ne peut décrire autrement que comme naturaliste. Son ami de Budapest Belà Balazs, critique et réalisateur, a développé un point de vue similaire dans L’Homme visible et l’ouvrage posthume Le Cinéma, bien que ses liens avec le marxisme aient été nettement plus distendus.

À lire :

Theodor Adorno, « Filmtransparente », Die Zeit, le 18 novembre, 1966 (disponible ici : http://www.zeit.de/1966/47/filmtransparente/komplettansicht).

Theodor Adorno, Théorie esthétique, Klincksieck, 1974 (rééd. 2011).

Theodor Adorno et Max Horkheimer, La Dialectique de la Raison, Gallimard, 1974.

Belà Balazs, L’Homme visible et l’esprit du cinéma, Circé, 2010.

—, Le Cinéma : nature et évolution d’un art nouveau, Payot, 2011.

Walter Benjamin, « L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », dernière version 1939, in Œuvres III, Gallimard, 2000.

Bertolt Brecht, Sur le cinéma, L’Arche, 1970.

Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand, L’Âge d’Homme, 1973.

—, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, Flammarion, 2010.

György Lukács, “Pensées sur une esthétique du cinéma », in Daniel Banda et José Moure (dir.), Le cinéma : naissance d’un art 1895-1920, Flammarion, 2008.

—, Die Eigenart des Ästhetischen, Luchterhand, 1962.

À voir :

Les Temps modernes, réal. Charles Chaplin, 1935.

Ventres glacés, réal. Slatan Dudow, 1932.

L’Enfer des pauvres, réal. Piel Jutzi, 1929.

Metropolis, réal. Fritz Lang, 1927.

M le maudit, réal. Fritz Lang, 1931.

Le Testament du docteur Mabuse
, réal. Fritz Lang, 1933.

Chasse à l’homme, réal. Fritz Lang, 1941.

Les Bourreaux meurent aussi, réal. Fritz Lang, 1943.

Espions sur la Tamise, réal. Fritz Lang, 1944.

De l’Autre Côté de la rue, réal. Leo Mittler, 1929.

Nosferatu le vampire, réal. F.W. Murnau, 1921.

Berlin : Symphonie d’une ville, réal. Walter Ruttman, 1931.

L’Ange bleu, réal. Josef von Sternberg, 1930.

Le Cabinet du docteur Caligari, réal. Robert Wiene, 1920.

3. Le néoréalisme italien

Avant la libération de 1944, le cinéma italien était entièrement sous le contrôle de l’État fasciste : Vittorio Mussolini, le fils du Duce, était responsable des studios Cinecittà. Vittorio, qui se targuait de bien connaître le cinéma, appliqua un régime relativement tolérant et autorisa même Luchino Visconti à produire Les Amants diaboliques, adapté du roman de James M. Cain, en 1943. Ce film est aujourd’hui considéré comme la première œuvre du courant néoréaliste, qui domina le cinéma italien d’après-guerre. Il se distinguait de l’esthétique hollywoodienne par son recours au tournage en extérieur et aux acteurs amateurs, son intérêt pour les questions sociales et son style visuel fondé sur de longs plans-séquences et la profondeur de champ. Visconti, aristocrate marxiste influencé par le cinéaste français Jean Renoir (qui réalisa dans les années 1930 des films en faveur du Front populaire, comme La Marseillaise [1938] et La Vie est à nous [1936]), revint en 1949 avec La Terre tremble, une œuvre épique qui dépeint la vie de pêcheurs siciliens en proie à de graves difficultés économiques. La même année, Giuseppe De Santis, scénariste de Visconti et membre du Parti communiste italien (PCI), sortait Riz amer (1949), centré sur le harassant labeur des cultivateurs de riz dans la vallée du Pô. Ces films sont restés dans l’ombre d’œuvres de renaissance nationale plus médiatisées, dont la composition idéologique reflète la brève période d’union nationale entre communistes, socialistes et chrétiens-démocrates juste après la guerre. Rome, ville ouverte de Rossellini (1945), qui montre un partisan communiste et un prêtre catholique joindre leurs forces contre l’occupant nazi, fut suivi par Païsa (1945), un portrait épisodique du mouvement de résistance nationale, plus radical sur le plan narratif. Le scénariste marxiste Cesare Zavattini fut le porte-parole le plus éloquent des objectifs esthétiques et politiques du néoréalisme, déclarant « qu’il ne devait y avoir aucun écart entre la vie et ce que l’on voit à l’écran » et que le film néoréaliste idéal devait montrer un homme au coin d’une rue à qui rien n’arrive pendant quatre-vingt dix minutes. Il collabora avec le réalisateur Vittorio De Sica sur Le Voleur de bicyclette (1948) et Umberto D. (1952), deux films qui évoquent la pauvreté et la précarité économiques du peuple italien au lendemain de la guerre. Guido Aristarco, critique à la revue Cinema inspiré par Lukács, fut l’un des chantres les plus ardents du néoréalisme et ses idées eurent une influence durable sur la culture cinématographique italienne.

Les effets du boom économique des années 1950 vinrent cependant atténuer l’influence culturelle du mouvement néoréaliste. Au fur et à mesure de la décennie, le cinéma italien s’intéressa davantage à l’existence aliénante des classes moyennes en pleine ascension, comme dans La Dolce Vita (Federico Fellini, 1960) et L’Avventura (Michelangelo Antonioni, 1960). Visconti, de son côté, adopta une approche plus historique, représentant l’obsolescence de la vieille noblesse régnante dans des œuvres fastueuses telles que Senso (1954), Le Guépard (1963) et Mort à Venise (1971). À la même époque, Pier Paolo Pasolini, le plus célèbre intellectuel marxiste du pays, embrassait la carrière de cinéaste : il réalisa une douzaine de longs-métrages, ainsi que de nombreux courts et documentaires avant son assassinat en 1975. Après ses portraits du sous-prolétariat romain dans Accattone (1961) et Mamma Roma (1962) et la farce politique Des Oiseaux, petits et gros (1966), Pasolini choisit des sujets plus folkloriques, reprenant des récits antiques dans Œdipe roi (1967), Médée (1969) et Le Décaméron (1971), avant de transposer la brutalité des 120 journées de Sodome de Sade dans les derniers jours du régime fasciste italien dans Salò (1975). Outre des essais et des poèmes, Pasolini a aussi développé une théorie du cinéma influencée par la sémiologie, opposant le « cinéma de prose » de l’ère classique au « cinéma de poésie » du modernisme d’après-guerre, à travers différents écrits rassemblés dans l’ouvrage L’Expérience hérétique (1972). Inspirées d’Antonio Gramsci, à qui le cinéaste dédie le poème « Les Cendres de Gramsci », les interventions de Pasolini dans l’arène politique étaient provocatrices : exclu du PCI à la fin des années 1940 parce qu’il est ouvertement homosexuel, il s’est opposé au mouvement étudiant de 1968 et rangé publiquement aux côtés de la police « prolétarienne » contre la jeunesse bourgeoise révoltée. S’éloignant de la téléologie historique du marxisme orthodoxe, Pasolini a alors affronté la modernité capitaliste jusqu’à se passionner pour les cultures préindustrielles, notamment celles d’Afrique et du Moyen-Orient, préoccupation de plus en visible dans ses derniers films.

Plus proches de la nouvelle gauche au point de vue générationnel et politique, prenant exemple sur Godard plutôt que sur leurs aînés italiens, les jeunes cinéastes tels que Bernardo Bertolucci (Prima della rivoluzione, 1964), Marco Bellochio (La Chine est proche, 1967), Carmelo Bene (Capprici, 1969), et les frères Taviani (Sous le signe du scorpion, 1970) ont puisé dans les frustrations politiques de la jeunesse italienne de 1960, et ce jusqu’à la fin des années 1970. Mais dans les années 1980, l’effondrement de l’industrie cinématographique italienne, la montée en puissance des chaînes privées de Berlusconi et la dissolution du PCI ont porté un coup sévère au cinéma de gauche en Italie, ne laissant subsister que des comédies « rétro » comme Aprile (Nanni Moretti, 1998).

À lire :

Adrian Apra (dir.), Roberto Rossellini : la télévision comme utopie, Cahiers du cinéma, 2001.

Guido Aristarco, Marx, le cinéma et la critique de film, Minard, 1972.

Tag Gallagher, Les aventures de Roberto Rossellini : essai biographique, Léo Scheer, 2006.

Hervé Joubert-Laurencin, Pasolini : portrait du poète en cinéaste, Cahiers du cinéma, 1995.

Luchino Visconti, Visconti, dir. Marianne Schneider et Lothar Schirmer, Actes Sud, 2009.

Pier Paolo Pasolini, L’expérience hérétique, langue et cinéma, Payot, 1976.

—, Écrits sur le cinéma : petits dialogues avec les films, dir. Hervé Joubert-Laurencin, Cahiers du cinéma, 2000.

Roberto Rossellini, Le cinéma révélé, dir. Alain Bergala, Flammarion, 1988.

Cesare Zavattini, Cesare Zavattini, dir. Jean A. Gili et Aldo Bernardini, Centre Pompidou, 1990.

À voir :

L’Avventura, Michelangelo Antonioni, 1960.

La Chine est proche
, réal. Marco Bellocchio, 1967.

Capricci
, réal. Carmelo Bene, 1969.

Prima della rivoluzione
, réal. Bernardo Bertolucci, 1964.

Riz amer
, réal. Giuseppe de Santis, 1949.

Le Voleur de bicyclette, réal. Vittorio de Sica, 1948.

Umberto D, réal. Vittorio de Sica, 1952.

La Dolce Vita, réal. Federico Fellini, 1960.

Aprile, réal. Nanni Moretti, 1998.

Accattone, réal. Pier Paolo Pasolini, 1961.

Mamma Roma
, réal. Pier Paolo Pasolini, 1962.

Des Oiseaux, petits et gros, réal. Pier Paolo Pasolini, 1966.

Œdipe roi, réal. Pier Paolo Pasolini, 1967.

Médée, réal. Pier Paolo Pasolini, 1969.

Le Décaméron
, réal. Pier Paolo Pasolini, 1971.

Salò, réal. Pier Paolo Pasolini, 1975.

La Marseillaise, réal. Jean Renoir, 1938.

La Vie est à nous
, réal. Jean Renoir, 1936.

Rome, ville ouverte, réal. Roberto Rossellini, 1944.

Païsa, réal. Roberto Rossellini, 1945.

Sous le signe du scorpion, réal. Paolo and Vittorio Taviani, 1970.

Les Amants diaboliques, réal. Luchino Visconti, 1943.

La Terre tremble
, réal. Luchino Visconti, 1948.

Senso, réal. Luchino Visconti, 1954.

Le Guépard, réal. Luchino Visconti, 1963.

Mort à Venise, réal. Luchino Visconti, 1971.

4. Le cinéma français d’après-guerre

Le cinéma français n’a pas connu, après la Seconde Guerre mondiale, le même renouveau que le cinéma italien, la brève montée du fascisme ayant laissé la culture cinématographique du pays presque intacte. La préoccupation première du secteur était alors les quotas d’importation de films américains : communistes comme gaullistes souhaitaient empêcher que le « Coca-Cola » des films hollywoodiens ne supplante le « vin de Bordeaux » du cinéma français. Des personnalités de la vieille garde du Parti communiste français (PCF), telles que Louis Daquin et Léon Moussinac, se concentrèrent sur cette bataille industrielle, laissant la diversité politique d’Hollywood dans leur angle mort à l’époque où les procès des « Hollywood Ten » mettaient Edward Dmytryk, Dalton Trumbo et beaucoup d’autres sur liste noire. Sur le plan théorique, la principale figure marxiste de l’époque était Georges Sadoul, à qui sa connaissance encyclopédique du cinéma permit d’entreprendre la rédaction d’une somme historique exhaustive en six volumes. Il affronta dans de nombreuses polémiques son contemporain André Bazin, chrétien de gauche progressiste, à qui l’on doit la notion du cinéma comme « réalisme ontologique ». Ce concept fut critiqué pour son idéalisme philosophique mais donna plus tard lieu à des applications matérialistes fructueuses chez ses disciples.

En dépit de son hégémonie culturelle dans les milieux intellectuels français d’après-guerre, la gauche communiste fut généralement empêchée d’exercer une quelconque influence sur le cinéma commercial français. Les cinéastes de gauche parvinrent à travailler dans des genres plus marginaux, comme le court-métrage ou le documentaire. Chris Marker et Alain Resnais collaborèrent sur les courts documentaires que sont Les statues meurent aussi (1953) et Nuit et brouillard (1955). Marker poursuivit sa carrière par un corpus particulièrement politisé qui comprend Lettre de Sibérie (1957), La Jetée (1962) et Le Joli Mai (1963). Malgré la censure sévère alors exercée par l’État sur les films traitant des colonies françaises, les tendances anticolonialistes du film Les statues meurent aussi se retrouvent également dans l’œuvre de René Vautier (Afrique 50 [1950] et Le Glas [1964]) et, dans une veine plus ethnographique, de Jean Rouch (Les Maîtres fous [1955] et Moi, un noir [1960]).

Ces cinéastes étaient tous, à des degrés divers, sous l’influence du concept « d’art engagé » prôné par le philosophe existentialiste Jean-Paul Sartre dans Qu’est-ce que la littérature ?. Ce modèle d’esthétique politique, qui domina les années 1950, privilégiait l’intervention active dans les questions politiques actuelles. Bien qu’il ait intitulé sa revue Les Temps modernes en référence au film de Chaplin, Sartre partageait l’antipathie du PCF envers le cinéma américain et reprochait publiquement à Citizen Kane d’être « basé sur une conception erronée du cinéma ». La contribution du philosophe au septième art ne se borne cependant pas à la critique  puisqu’il a rédigé les scénarios de deux films (outre les nombreux films et téléfilms que d’autres tireront de son œuvre littéraire), Les jeux sont faits (Jean Delannoy, 1947) et Im Räderwerk (Erwin Piscator, 1956).

Dans les années 1960, l’influence de Sartre diminua au profit de la sémiologie aux accents marxistes de Roland Barthes. Dans Mythologies (1957), Barthes analysait le cinéma commercial comme l’un des nombreux produits de consommation conçus pour inculquer des messages idéologiques au peuple sans qu’il s’en doute. Son examen détaillé d’une couverture de Paris-Match, représentant un jeune soldat africain saluant le drapeau français, démontre comment la fonction communicatrice des images peut se situer aussi bien au niveau du signifiant (comment un contenu donné est montré) que du signifié (qu’est-ce qui est montré). Barthes se montrera par la suite plus sensible aux possibilités formelles radicales du cinéma (comme en attestent les textes « Le troisième sens » et « Diderot Brecht Eisenstein ») et vouait un respect indéfectible à l’œuvre d’Eisenstein. Il a adopté à nouveau une posture plus suspicieuse à la fin de sa vie, déclarant dans son touchant dernier livre, La Chambre claire, « j’aimais la photo contre le cinéma ».

Le début des années 1960 fut aussi marqué par la naissance de la Nouvelle Vague, une génération de jeunes cinéastes qui renversa les structures existantes de l’industrie cinématographique française avec ses premiers films, parmi lesquels Les 400 coups (François Truffaut, 1958), À bout de souffle (Jean-Luc Godard, 1960) et Paris nous appartient (Jacques Rivette, 1962), au fond socialement audacieux et à la forme terriblement inventive, annonciatrice de l’explosion politique à venir. À l’origine, le noyau de la Nouvelle Vague, associée aux Cahiers du cinéma (bien plus réceptifs aux films américains que leurs contemporains communistes), allait du dandysme apolitique au conservatisme de droite. Mais à mesure que la société française des années 1960 se radicalisait, les pairs de Rivette et Godard penchèrent de plus en plus vers l’extrême gauche.

À lire :

Roland Barthes, Mythologies, Seuil, 1957.

—, « Le troisième sens », Cahiers du cinéma n° 222, juillet 1970.

—, « Diderot Brecht Eisenstein », Revue d’esthétique vol. 26 n° 2-4, 1973.

—, La Chambre claire : notes sur la photographie, Gallimard/Seuil/Cahiers du cinéma, 1980.

André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ?, Cerf, 1976.

Jean-Luc Godard, Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, éd. De l’Étoile, 1985.

Michel Marie, La Nouvelle Vague, Nathan, 1997.

Jacques Rivette, « De l’abjection », Cahiers du cinéma n° 120, juin 1961.

Georges Sadoul, Histoire du cinéma mondial, Flammarion, 1990.

Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, Gallimard, 1948.

À voir :

Les jeux sont faits, réal. Jean Delannoy, 1947.

À bout de souffle, réal. Jean-Luc Godard, 1960.

Les Carabiniers, réal. Jean-Luc Godard, 1963.

Lettre de Sibérie, réal. Chris Marker, 1957.

La Jetée, réal. Chris Marker, 1962.

Le Joli Mai, réal. Chris Marker, 1963.

Les statues meurent aussi, réal. Chris Marker et Alain Resnais, 1953.

Im Räderwerk, réal. Erwin Piscator, 1956.

Nuit et Brouillard
, réal. Alain Resnais, 1954.

La guerre est finie
, réal. Alain Resnais, 1965.

Paris nous appartient, réal. Jacques Rivette, 1962.

Les Maîtres fous, réal. Jean Rouch, 1954.

Moi, un noir, réal. Jean Rouch, 1960.

Les 400 coups, réal. François Truffaut

Afrique 50, réal. René Vautier, 1950

Le Glas, René Vautier, 1964

Citizen Kane, Orson Welles, 1941.

5. Le cinéma de Mai 68

On s’imagine souvent la révolte de Mai 68 comme un soulèvement soudain et imprévu. Mais pour les cinéphiles, les signes avant-coureurs des événements étaient nombreux et évidents. Dès 1958, les enfants récalcitrants des 400 coups de Truffaut étaient houspillés par leur maître en ces termes : « Ah, elle va être belle la France dans 10 ans ! ». En 1967, l’œuvre de Godard montrait des signes tangibles de la radicalisation politique qui s’apprêtait à déferler sur le pays : La Chinoise suit une cellule d’étudiants maoïstes à Paris et Week-end annonce « la fin du cinéma », une promesse d’abandonner les films commerciaux que Godard tiendra tout au long des dix années suivantes.

Les luttes contre la censure, comme l’interdiction de l’adaptation de La Religieuse de Diderot par Rivette (1965), creusèrent l’écart entre le monde du cinéma et le gouvernement gaulliste, bien qu’André Malraux, naguère héros de la gauche grâce à des livres comme L’Espoir (1938), soit devenu ministre de la culture. Lorsque Malraux consentit au renvoi du directeur de la cinémathèque Henri Langlois en février 1968, l’injustice de cette décision poussa l’industrie cinématographique dans la rue pour réclamer sa réintégration. Ces violentes manifestations furent les précurseuses des troubles à venir. Au mois de mai, le secteur se mit en grève et se réunit en « États généraux du cinéma » afin de planifier la refonte radicale de la culture filmique du pays. Malgré des propositions utopiques, comme supprimer les tarifs d’entrée des séances et faire reposer entièrement le financement des films sur l’État, cette assemblée n’eut guère d’effet sur les pratiques du secteur une fois l’ordre rétabli au mois de juin.

Cependant, les cinq années qui suivirent Mai 68 ont été marquées par un renouveau du cinéma militant et de la théorie filmique marxiste dont l’ampleur et la radicalité ne sont comparables qu’avec le cinéma soviétique des années 1920 qui était d’ailleurs un modèle pour les cinéphiles soixante-huitards. Les essais de cinéma marxiste prirent différentes formes, qui reflétaient et engendraient dans le même temps les débats critiques de l’époque. Raillés par certains pour commettre des « fictions de gauche », Costa-Gavras (Z [1969] et L’Aveu [1970]) et Marin Karmitz (Camarades [1970] et Coup pour coup [1972]) cherchaient à mettre leur savoir politique à la portée du plus large public possible, mais leur travail souffrait du recours à des récits et des techniques de genre douteuses au point de vue politique (par exemple les aspects thriller de Z). D’autres cinéastes rejetaient tout recours à la fiction et préféraient se consacrer au documentaire militant pour servir directement les mouvements d’extrême gauche. Bien que ces films aient été le plus souvent le fait de collectifs anonymes que d’auteurs reconnus, certains groupes ont bénéficié de la participation de réalisateurs bien établis. Marker et Godard ont ainsi réalisé ainsi des ciné-tracts (des films muets de trois minutes distribués par la librairie Maspero) pendant Mai 68. Marker fit également partie du collectif SLON et du Groupe Medvedkine, qui réalisèrent, entre autres, À bientôt, j’espère (1968) et Classe de lutte (1969).

Les productions des groupes de réalisateurs militants qui pullulèrent après 68 étaient de qualité très variable. Dans le pire des cas, elles alliaient messages politiques tendancieux et qualité technique médiocre, mais parfois le « cinéma-vérité » donnait lieu à des œuvres extraordinaires, comme Oser lutter oser vaincre (un film-pamphlet sur la grève des usines Renault de Flins) et La reprise du travail aux usines Wonder (un plan-séquence de dix minutes montrant une ouvrière qui, en proie à l’émotion, refuse de rentrer à l’usine de piles Wonder). Pris dans leur ensemble, de tels films offrent une vision sans égal des tensions politiques en France à la veille de Mai 68.

Comme dans les années 1920, la pratique filmique marxiste se doubla de tentatives de théoriser le cinéma grâce au matérialisme historique, et les débats post-68 furent tout aussi houleux qu’alors. Après avoir flirté avec la droite au début des années 1960, les Cahiers du cinéma déclarèrent en 1969 être une revue marxiste-léniniste dans un éditorial de Comolli et Narboni intitulé « Cinéma/idéologie/critique » qui proclamait que « tout film est politique ». Puisant leur inspiration chez Althusser, Lacan et Derrida, les rédacteurs des Cahiers élaborèrent un système complexe de classification des films, les catégorisant en fonction de leur « déconstruction » plus ou moins complète des « systèmes de représentation » dominants. Les Cahiers défendaient les films de Godard, Garrel et Marguerite Duras, mais analysaient aussi des classiques (comme Cœurs brûlés [1930] de von Sternberg et Vers sa destinée [1938] de John Ford), établissant une histoire marxiste de la technique cinématographique (« Technique et idéologie » de Comolli) et inaugurant la lecture psychanalytique de l’appareil filmique (« La suture » de Jean-Pierre Oudart, « La réalité de la dénotation » de Pascal Bonitzer). Les Cahiers furent rejoints dans cette vaste entreprise par la plus jeune revue Cinéthique, dont les rédacteurs Gérard Leblanc et Jean-Paul Fargier rejetaient plus énergiquement encore le cinéma classique et n’étaient pas loin d’affirmer que le cinéma lui-même était « idéaliste » par nature. Les deux revues étaient lourdement influencées par Tel Quel, une revue littéraire marxiste dirigée par Philippe Sollers, Julia Kristeva et Jean-Louis Baudry, et par La Nouvelle Critique, un magazine culturel publié par le PCF. Au centre de ces débats, on trouvait le travail clivant de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, qui faisaient un usage austère de l’esthétique brechtienne dans Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer ou Peut-être qu’un jour Rome se permettra de choisir à son tour (1969) et Leçons d’histoire (1972).

Enfin, le travail de Guy Debord et des autres situationnistes représente une branche du marxisme qui était à la fois très avancée sur le plan théorique (comme on peut le constater dans le texte phare de Debord La Société du spectacle) et radicalement opposée à littéralement tout le cinéma existant, à l’exception des œuvres situationnistes elles-mêmes, dont la version filmée de La Société du spectacle (qui utilise abondamment des séquences d’autres films) et des films ayant recours à la stratégie du détournement, comme le film d’arts martiaux La dialectique peut-elle casser des briques ? (1973).

À lire :

Louis Althusser, Pour Marx, La Découverte, 1996.

—, « Idéologie et appareils idéologiques d’État », in Althusser, Lénine et la philosophie, Maspero, 1972.

Jean-Louis Baudry, « Cinéma : effets idéologiques produits par l’appareil de base », Cinéthique n° 7-8, 1970.

« La Rédaction », « Young Mr Lincoln de John Ford », Cahiers du cinéma n° 223, août 1970.

Jean-Louis Comolli, « Technique et idéologie » in Comolli, Cinéma contre spectacle, Verdier, 2009.

Jean-Louis Comolli et Jean Narboni, « Cinéma/Idéologie/Critique » Cahiers du cinéma n° 216, octobre 1969.

Guy Debord, La Société du spectacle, Gallimard, 1992.

Julia Kristeva, Sémèiotiké : recherches pour une sémanalyse, Seuil, 1969.

Sebastien Layerle, Le cinéma militant et mai 68, Nouveau monde, 2008.

Jacques Lacan, Les Quatres concepts fondamentaux de la psychanalyse Le séminaire livre XI, Le Seuil, 1973).

Pierre Macherey, Pour une théorie de la production littéraire, Maspero, 1966 [réed. 2014].

Jean-Pierre Oudart, « La Suture », Cahiers du cinéma n° 211 et n° 212, avril-mai 1969.

Marcelin Pleynet et Jean Thibaudeau, « Économique – idéologique – formel », Cinéthique n° 3, 1971.

À voir :

Z, réal. Costa-Gavras, 1969.

L’Aveu
, réal. Costa-Gavras, 1970.

La Société du spectacle, réal. Guy Debord, 1973.

Le Révélateur, réal. Philippe Garrel, 1968.

Actua 1, réal. Philippe Garrel, 1968.

Les Amants réguliers, réal. Philippe Garrel, 2005.

La Chinoise, réal. Jean-Luc Godard, 1967.

Week-end, réal. Jean-Luc Godard, 1967.

British Sounds, réal. Jean-Luc Godard, 1969.

Vent d’est, réal. Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, 1969.

Pravda, réal. Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, 1969.

Luttes en Italie, réal. Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, 1969.

Tout va bien, réal. Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, 1972.

Ici et ailleurs, réal. Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, 1975.

Camarades, réal. Marin Karmitz, 1970.

Coup pour coup, réal. Marin Karmitz, 1972.

La Reprise du travail aux usines Wonder, réal. Hervé Le Roux et Jaques Willemont, 1968.

L’Espoir, réal. André Malraux, 1938.

À bientôt, j’espère, réal. Chris Marker et al., 1968.

Classe de lutte, réal. Chris Marker et al., 1969.

La Bataille d’Alger, réal. Gillo Pontecorvo, 1965.

Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot
, réal. Jacques Rivette, 1965.

L’Amour fou, réal. Jacques Rivette, 1968.

Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer ou Peut-être qu’un jour Rome se permettra de choisir à son tour, réal. Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1969.

Leçons d’histoire, réal. Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1972.

Oser lutter oser vaincre, réal. Jean-Pierre Thorn, 1968.

La dialectique peut-elle casser des briques ?, réal. René Viénet, 1973.

Ciné-tracts, anon., 1968.

6. Le tiers-cinéma

Le cinéma marxiste n’est pas un phénomène exclusivement européen. Dans les années 1960, le cinéma politique radical se répandit en Amérique latine, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie et dans le bloc de l’Est. À l’heure où la vague des mouvements indépendantistes anticoloniaux dans le tiers-monde semblait sur le point de se métamorphoser en une révolution anti-impérialiste généralisée, les cinéastes de ces pays s’efforcèrent de développer des cultures cinématographiques nationales hors de l’influence occidentale. Le résumé le plus lucide de cette posture, qu’on pourrait considérer comme un manifeste du tiers-cinéma radical, est l’article « Towards a Third Cinema » de Fernado Solanas et Octavio Getino, publié dans la revue anti-impérialiste Tricontinental en 1969. Cherchant à se distinguer non seulement du cinéma commercial d’Hollywood (le « premier » cinéma), mais aussi du cinéma d’auteur européen (le « deuxième » cinéma), Solanas et Getino prônaient un cinéma interventionniste, ayant recours à des techniques de guérilla et distribué par des canaux d’activistes. Cette stratégie se situait dans la droite ligne des insurrections politiques qu’ils soutenaient, puisque les deux réalisateurs étaient des péronistes de gauche. En guise de pendant à leur texte, Solanas et Getino réalisèrent L’Heure des brasiers (1968), un documentaire militant de quatre heures sur les luttes politiques en Amérique latine. Solanas partit en exil après le coup d’État de 1976. À son retour en Argentine, il réalisa le film de fiction Le Sud (1988) sur l’expérience des prisonniers politiques pendant la dictature militaire.

Ailleurs en Amérique latine, Jorge Sanjines tâchait d’appliquer les principes du tiers-cinéma à la situation bolivienne dans des films comme Le Sang du condor (1969) et L’Ennemi principal (1974). Les cinéastes cubains exploraient quant à eux des manières de contribuer à la construction socialiste du pays sous Fidel Castro. Tomás Gutiérrez Alea réalisa une peinture à la Antonioni de la bourgeoisie aliénée et préconisait, aux côtés de Julio García Espinosa, un « cinéma imparfait » répondant aux conditions économiques du tiers-monde. De son côté, Santiago Álvarez développait une esthétique du montage expérimentale à partir de séquences d’autres films dans Now (1964) et 79 printemps (1969). Pendant ce temps, le Chilien Patricio Guzmán s’efforçait d’absorber la répression brutale du gouvernement Allende dans son monumental documentaire en trois parties La Bataille du Chili (1975-1979). Mais le plus éminent des cinéastes d’Amérique latine des années 1960 et 1970 est sans conteste Glauber Rocha, une figure clé du mouvement du Cinema Novo au Brésil. Rocha, qui définissait son travail comme une « esthétique de la faim », une métaphore de la pauvreté des sociétés du tiers-monde, développa un style onirique et mystique qui mêlait anti-impérialisme et éléments du folklore brésilien. Cette stratégie très visible se retrouve dans des films tels que Le Dieu noir et le Diable blond (1964), Terre en transe (1967) et Antonio das Mortes (1969).

Dans d’autres parties du monde, les mouvements nationaux d’éveil cinématographique se déroulèrent sous l’influence culturelle de l’Union soviétique. Au Sénégal, Ousmane Sembène, formé à Moscou, interrogeait le colonialisme français et la vie quotidienne de son pays dans La Noire de… (1966) et Ceddo (1977), tandis qu’en Inde, le réalisateur bengali et communiste Ritwik Ghatak adaptait l’esthétique néoréaliste aux conditions locales dans L’Étoile cachée (1960) et Une rivière nommée Titas (1973). Bien que le Japon ne soit aucunement un pays du tiers-monde et eût développé son propre cinéma sans interruption depuis l’époque du muet, ses cinéastes étaient également aux prises avec la domination culturelle de l’Occident, mais aussi avec l’héritage fasciste de leur pays. Contrairement à la génération précédente de réalisateurs japonais, qui se montraient moins politique, les figures de la nouvelle vague comme Masahiro Shinoda (Double suicide à Amijima, 1969) et Yoshishige Yoshida (Éros + Massacre, 1969) joignaient l’audace stylistique à une sévère remise en cause de la société japonaise. Cette combinaison atteindra son paroxysme dans l’œuvre de Nagisa Ōshima, notamment dans les films Nuit et brouillard du Japon (1960), La Pendaison (1968) et La Cérémonie (1971). Cependant, le cinéma politique le plus fascinant du Japon est peut-être l’œuvre de deux cinéastes, Kōji Wakamatsu et Masao Adachi, qui passèrent du cinéma érotique (« pinku eiga ») – avec des films tels que Va va vierge pour la deuxième fois (1969) – à l’Armée rouge japonaise (un groupe terroriste de gauche) et aux films d’agit-prop tels qu’Armée Rouge/FPLP : déclaration de guerre mondiale (1971). Cet engagement politique eut des conséquences à long terme sur le duo : Adachi ne put réaliser aucun film pendant plus de trente ans car il était en exil au Liban tandis que Wakamatsu revint bien plus tard à ce sujet dans l’éprouvant film United Red Army (2008).

À l’instar de nombreuses autres régions du monde, les pays d’Europe de l’Est connurent une nouvelle vague cinématographique dans les années 1960. Elle fut bien différente toutefois puisque soumise à la houlette de partis communistes alignés sur l’Union soviétique. Le soutien populaire à ces régimes fut toujours faible et s’éroda rapidement après l’écrasement du Printemps de Prague en 1968. De nombreux cinéastes de la nouvelle vague est-européenne étaient des dissidents opposés au communisme qui finirent par émigrer à l’Ouest (Roman Polanski, Milos Forman, Jerzy Skolimowski). D’autres se reconnaissaient dans la gauche radicale, mais n’en subirent pas moins les foudres de la censure. À la suite de l’invasion de la Tchécoslovaquie, l’éminemment subversif Les Petites Marguerites (1966) de Věra Chytilová fut interdit et la réalisatrice ne retrouva le droit de faire des films qu’en 1976. Dusan Makavejev rencontra des conditions plus clémentes en Yougoslavie mais son anarchique Wilhelm Reich : Les Mystères de l’organisme fut également interdit. Le Hongrois Miklós Jancsó fut sans doute le plus lucide de ces réalisateurs sur le plan théorique. Ses premières œuvres sont consacrées à une exploration multiple de l’histoire hongroise, présentée dans un style visuel reposant sur de longs plans sinueux et une action hautement chorégraphiée, comme on peut le voir dans Les Sans-Espoir (1966), Rouges et Blancs (1967) et Ah ! Ça ira (1969).

À lire :

Masao Adachi, Le bus de la révolution passera bientôt près de chez toi : écrits sur le cinéma, la guérilla et l’avant-garde, 1963-2010, dir. Nicole Brenez et Go Hirasawa, Rouge Profond, 2012.

Julio Garcia Espinosa, « Pour un cinéma imparfait », Cine cubano n° 140, 1969, (disponible ici : https://citylightscinema.wordpress.com/2013/01/19/pour-un-cinema-imparfait-texte-de-julio-garcia-espinosa/).

Nagisa Oshima, Écrits (1956-1978). Dissolution et jaillissement, Cahiers du Cinéma/Gallimard, 1980.

Sylvie Pierre, Glauber Rocha, Cahiers du Cinéma, 1987.

Glauber Rocha, « Esthétique de la violence », in Positif n° 32, février 1966, (disponible ici : http://lemagazine.jeudepaume.org/2012/11/les-manifestes-de-glauber-rocha/).

—, Le siècle du cinéma, dir. Cyril Beghin et Mateus Araújo Silva, Yellow Now, 2006.

Jorge Sanjines, « Entretien avec Jorge Sanjines », Cahiers du cinéma n° 253, octobre-novembre 1974.

Fernando Solanas et Octavio Getino, « L’heure des brasiers : vers un troisième cinéma ». Cinéma politique n° 3, octobre 1975, pp. 4-23, (disponible ici : http://collections.cinematheque.qc.ca/wp-content/uploads/2015/06/Solanas_Cin%C3%A9ma-politique_2_eq.pdf).

À voir :

Now, réal. Santiago Alvarez, 1964.

79 printemps, réal. Santiago Alvarez, 1969.

Les Petites Marguerites, réal. Vera Chytilová, 1966.

L’Étoile cachée
, réal. Ritwik Ghattak, 1960.

Une rivière nommée Titas, réal. Ritwik Ghattak, 1973.

La Bataille du Chili
, réal. Patricio Guzman 1975-1979.

Les Sans-Espoir
, réal. Miklos Jancsó, 1966.

Rouges et Blancs, réal. Miklos Jancsó, 1967.

Ah ! Ça ira, réal. Miklos Jancsó, 1969.

Wilhelm Reich : Les Mystères de l’organisme, réal. Dusan Makavajev, 1971.

Nuit et brouillard au Japon, réal. Nagisa Oshima, 1960.

La Pendaison, réal. Nagisa Oshima, 1968.

La Cérémonie, réal. Nagisa Oshima, 1971.

Le Dieu noir et le Diable blond, réal. Glauber Rocha, 1964.

La Terre en transe, réal. Glauber Rocha, 1967.

Antonio das Mortes, réal. Glauber Rocha, 1969.

Le Sang du condor, réal. Jorge Sanjines, 1969.

L’Ennemi principal
, réal. Jorge Sanjines, 1974.

La Noire de…, réal. Ousmane Sembene, 1966.

Ceddo, réal. Ousmane Sembene, 1977.

Double Suicide à Amijima, réal. Masahiro Shinoda, 1969.

Le Sud, réal. Fernando Solanas, 1988.

L’Heure des brasiers, réal. Fernando Solanas et Octavio Getino, 1968.

Va Va vierge pour la deuxième fois, réal. Koji Wakamatsu, 1969.

United Red Army, réal. Koji Wakamatsu, 2008.

Armée Rouge/FPLP : déclaration de guerre mondiale, réal. Koji Wakamatsu et Masao Adachi, 1971.

Éros + Massacre, réal. Yoshishige Yoshida, 1969.

7. La Screen theory au Royaume-Uni et aux États-Unis

En France, la vague de cinéma révolutionnaire née de Mai 68 était globalement retombée en 1973. Althusser dira d’ailleurs plus tard du cortège funèbre de Pierre Overney, militant maoïste assassiné en mars 1972, « ce qu’on enterre […] c’est le gauchisme ». Les projets de développement d’une théorie filmique marxiste s’étaient également essoufflés : les Cahiers du Cinéma revinrent à la critique cinématographique classique après que leur tentative de former un « front culturel révolutionnaire » se fut soldée par un fiasco et Cinéthique parut de plus en plus sporadiquement jusqu’à disparaître complètement dans les années 1980. Si cette branche de la théorie filmique trouva un second souffle, ce fut dans un contexte culturel très différent : celui des études filmiques naissantes au Royaume-Uni et aux États-Unis. C’est d’abord la revue cinématographique Screen qui importa les idées des Cahiers et de Cinéthique dans le monde anglophone. Cette revue publiait des traductions des textes-clés de ses homologues français ainsi que des articles originaux de ses propres rédacteurs. Ces derniers s’intéressaient davantage à la relation entre film et public que leurs aînés et accordaient du même coup une place considérable au travail de Brecht. Bien qu’il se montrât critique de cette période par la suite, Colin MacCabe fut d’abord un ardent défenseur de ce qu’on appellera plus tard la « Screen theory ». Christopher Williams et Ben Brewster (qui fut le traducteur d’Althusser en anglais) jouèrent également un rôle important dans la revue. Stephen Heath, qui avait écrit pour Tel Quel et était bien plus au fait que ses collègues des derniers développements de la théorie critique française (en particulier la psychanalyse lacanienne) traduit dans Screen certains des textes les plus élaborés sur le plan théorique de Tel Quel, parmi lesquels « Narrative Space » (qui comprend des analyses approfondies de Soupçons de Hitchcock ainsi que de La Pendaison) et une longue analyse formelle de La Soif du mal.

Peter Wollen, dont les liens avec Screen étaient plus ténus, développa son concept d’un « contre-cinéma » en se penchant sur les films de la période marxiste de Godard (« Godard and Counter-Cinema: Vent d’est ») et postula plus tard l’existence de deux avant-gardes distinctes dans les années 1970. Selon lui, le grand modernisme de Godard et Straub et Huillet se distinguait de l’œuvre avant-gardiste des cinéastes expérimentaux britanniques et américains tels que Steve Dowskin, Michael Snow et Stan Brakhage, qui manifestaient davantage d’intérêt pour la matérialité de la pellicule elle-même et rejetaient totalement la transitivité narrative. Wollen réalisa également des films avec la théoricienne féministe Laura Mulvey ; on peut aujourd’hui voir des œuvres telles que Penthesilea: Queen of the Amazons (1974) et Riddles of the Sphinx (1977) comme une médiation dialectique entre les deux pôles qu’il percevait dans le cinéma d’avant-garde. Cependant, dans le contexte britannique, le mouvement cinématographique radical le plus important de la période fut la coopérative London Co-Op, qui soutint le travail de cinéastes « structuralistes-matérialistes » comme Peter Gidal, connu pour avoir vigoureusement défendu sa conception du cinéma dans « The Anti-Narrative » et d’autres textes emphatiques. Ces films mis à part, la production cinématographique de cette vague d’activité théorique fut nettement plus pauvre qu’en France et eut encore plus de mal à toucher un large public. Le cinéma socialiste fut alors principalement représenté au Royaume-Uni par le kitchen sink relais de Karel Reisz (Samedi soir, dimanche matin, 1960) et Ken Loach (Kes, 1969). L’exception la plus notable, venant d’une génération plus ancienne de militants culturels marxistes, fut l’émission révolutionnaire Ways of Seeing (1972) de John Berger, qui cherchait à réaliser pour le grand public de la BBC un compte-rendu marxiste des évolutions historiques de l’art bourgeois.

Le travail de Mulvey pour Screen représente l’un des héritages les plus fructueux au point de vue théorique de la revue : son article « Visual Pleasure and Narrative Cinema » de 1975, qui postule l’existence d’un regard masculin (male gaze) gouvernant le système formel des films hollywoodiens, est aujourd’hui considéré comme un texte fondateur de la théorie filmique féministe, qui prospéra après cette publication. Alors que Mulvey s’efforçait de marier études de genre, psychanalyse et esthétique marxiste dans ses recherches, ses successeuses (parmi lesquelles Kaja Silverman, Teresa de Lauretiis et Constance Penley) prirent un tournant nettement plus culturel, préférant suivre des théoriciennes comme Hélène Cixous, Luce Irigaray et Monique Wittig plutôt que de faire le lien avec des théories plus larges d’oppression sociale et d’exploitation économique.

Cependant, Screen n’avait en aucun cas le monopole de la théorie filmique marxiste anglo-saxonne. En Amérique du Nord, la critique cinématographique émanant de la contre-culture d’extrême gauche de la fin des années 1960 donna naissance à des magazines de cinéma radicaux, tels que Jump Cut, Wide Angle et Ciné-tracts, ainsi qu’à des textes plus épars de James Roy MacBean, Brian Henderson et d’autres. Ces critiques n’avaient pas souvent le même degré de nuance théorique que Screen ou les Cahiers du Cinéma, mais compensaient par une défense bruyante des films marginalisés et par une approche de l’engagement politique plus directement militante. De même, l’institutionnalisation des études filmiques en tant que discipline indépendante dans les universités américaines conduisit d’autres penseurs du même milieu politico-intellectuel, comme Philp Rosen ou Bill Nichols, à choisir une approche bien plus rigoureuse de la théorie filmique marxiste. Cependant elle en perdit souvent tout enracinement dans les luttes politiques du moment. La prédominance de la Screen theory et de ses variantes dans les études filmiques devait inévitablement donner lieu à un retour de bâton. Celui-ci prit notamment la forme d’attaques de néo-formalistes comme David Bordwell et Noël Caroll sur la « grande théorie ». En 1988, même ceux qui appréciaient l’héritage laissé par ce que l’on appelait alors le « modernisme politique », comme D. N. Rodowick, durent admettre que cette approche était en crise et que l’œuvre des années 1970 donnait lieu chez eux à un sentiment mêlé de « fierté et d’embarras ».

À lire :

David Bordwell and Noël Carroll (dir.), Post-Theory, University of Wisconsin Press, 1995.

Rochelle Fack, Stephen Dwoskin, la grande mannequin cherche et trouve sa peau, Éditions de l’Œil, 2015.

Peter Gidal, Materialist Film, Routledge, 1988.

Stephen Heath, Questions of Cinema, Indiana University Press, 1981.

James Roy Macbean, Film and Revolution, Indiana University Press, 1975.

Colin MacCabe, « Realism and Cinema : Notes on Some Brechtian Theses », Screen vol. 15 n° 2, 1974.

—, Godard: Images, Sounds, Politics, BFI, 1980.

Laura Mulvey, “Plaisir visuel et cinéma narratif”, Screen vol. 16 n° 3, 1975 (disponible ici : http://www.debordements.fr/Plaisir-visuel-et-cinema-narratif).

D.N. Rodowick, The Crisis of Political Modernism, University of California Press, 1988.

Peter Wollen, « Godard and Counter-cinema : Vent d’est », in Philip Rosen (dir.), Narrative, Apparatus, Ideology, Columbia University Press, 1986.

—, « The Two Avant-Gardes », Studio International n° 978, 1975.

À voir :

Ways of Seeing, réal. John Berger, 1972 (série télévisée).

Dog Star Man, réal. Stan Brakhage, 1961-1964.

Condition of Illusion, réal. Peter Gidal, 1975.

Kes, réal. Ken Loach, 1969.

Samedi soir, dimanche matin, réal. Karel Reisz, 1960.

Wavelength, réal. Michael Snow, 1967.

La Soif du mal, réal. Orson Welles, 1958.

Penthesilea: Queen of the Amazons, réal. Peter Wollen et Laura Mulvey, 1974.

Riddles of the Sphinx
, réal. Peter Wollen and Laura Mulvey, 1977.

8. Cinéma et théorie postmodernes

Les années 1980 et 1990 ne furent pas tendres envers les cinéastes et théoriciens du cinéma marxistes. Dans le cadre d’une réaction politique globale, qui écrasa les mouvements ouvriers et instaura un modèle économique néolibéral, une large part de la gauche intellectuelle occidentale abandonna le marxisme pour diverses variantes du postmodernisme. Cette tendance alla en s’accentuant après la chute du bloc soviétique à la fin des années 1980. De nombreux théoriciens qui louaient la venue de l’ère postmoderne avaient une relation complexe avec l’héritage du matérialisme historique, lui niant sa validité tout en portant les traces de son influence. Jean-François Lyotard, qui déclara la fin des « grands récits » dans La Condition postmoderne, développa également une variante idiosyncrasique d’esthétique filmique qu’il nommait « acinéma ». De son côté, Gilles Deleuze employait les concepts bergsoniens de durée et de mouvement pour redéfinir notre conception historique du cinéma dans son diptyque magistral Cinéma 1 et Cinéma 2, qui voit dans la transition du film classique au film moderniste un passage de l’« image-mouvement » à l’« image-temps », surdéterminé historiquement par la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale et des camps.

Paul Virilio (Guerre et cinéma) et Jean Baudrillard (La Guerre du Golfe n’a pas eu lieu) adoptèrent une posture théorique quasi debordienne sur le rôle social des images. Pour eux, la relation traditionnelle entre fondement économique et superstructure idéologique avait été inversée : c’était désormais l’économie qui servait les besoins du spectacle, alors que les simulacres de relations sociales avaient pris la place des relations réelles. Le critique cinématographique Serge Daney, qui avait été rédacteur aux Cahiers du Cinéma dans sa période marxiste, adopta un point de vue semblable dans de nombreux articles écrit pour Libération jusqu’à sa mort en 1992. Non seulement le cinéma avait succombé au « maniérisme », où le point de référence d’un nouveau film était d’autres films, mais l’époque contemporaine était marquée par le triomphe de ce que Daney appelait « le visuel », c’est-à-dire le vaste et amorphe paysage médiatique de la télévision, de la publicité et de la propagande. Celui-ci avait supplanté le cinéma, le reléguant à une place marginale dans les sociétés capitalistes développées.

Pour une description de la culture postmoderne qui reste proche du cadre marxiste traditionnel au point de vue conceptuel, nous pouvons nous tourner vers le travail de l’infatigable Fredric Jameson, qui fut pratiquement le dernier bastion de la théorie filmique marxiste dans les années 1980. Déjà, dans les années 1970, il avait cherché à introduire une dialectique dans la distinction rigide entre culture élevée et basse dans l’esthétique marxiste de l’école de Francfort, soulignant dans « Reification and Utopia in Mass Culture » le potentiel utopiste involontaire de films tels que Les Dents de la mer (1975) ou Le Parrain (1972-1974), par ailleurs régressifs sur le plan idéologique. Dans les années 1980, Jameson, après avoir embrassé les idées du trotskiste belge Ernest Mandel qui considérait que le capitalisme était entré au cours de la seconde moitié du xxe siècle dans une nouvelle phase marquée par la suprématie du capital financier déraciné géographiquement, s’éleva contre les affirmations les plus grandiloquentes du postmodernisme, arguant plutôt qu’il représentait la « logique culturelle » du « capitalisme tardif ». Le cinéma était partie intégrante de l’argumentation de Jameson. Dans The Geopolitical Aesthetic, il développe des analyses de films allant de À cause d’un assassinat (Alan Pakula, 1976) au Terroriste (Edward Yang, 1986) en passant par Mababangong Bangungot (Kidlat Tahimik, 1977) afin de démontrer les méthodes disparates dont ils font preuve pour représenter les complexités sociales de la mondialisation contemporaine.

À lire:

Jean Baudrillard, La guerre du Golfe n’a pas eu lieu, Galilée, 1991.

Serge Daney, Persévérance, P.O.L., 1994.

—, Devant la recrudescence des vols de sac à main, Aléas, 1992.

Gilles Deleuze, Cinéma 1. L’image-mouvement, Éditions de Minuit, 1983.

—, Cinéma 2. L’image-temps, Éditions de Minuit, 1985.

Fredric Jameson, « Réification et utopie dans la culture de masse », Études françaises vol. 19 n° 3, hiver 1983.

—, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, ENSBA, 2007.

—, La totalité comme complot : Conspiration et paranoïa dans l’imaginaire contemporain, Les Prairies Ordinaires, 2007.

Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne : rapport sur le savoir, Éditions de Minuit, 1979.

—, « L’acinéma », in Dominique Noguez (dir.), Cinéma : Théorie, lectures, Klincksieck, 1973.

Paul Virilio, Guerre et cinéma 1. Logique de la perception, Cahiers du cinéma, 1991.

À voir :

Le Parrain I et II, réal. Francis Ford Coppola, 1972-1974.

À cause d’un assassinat, réal. Alan Pakula, 1976.

Les Dents de la mer, réal. Steven Spielberg, 1975.

Mababangong Bangungot ou Perfumed Nightmare, réal. Kidlat Tahimik, 1977.

Le Terroriste, réal. Edward Yang, 1986.

9. Cinéma contemporain : une renaissance pour le marxisme ?

Le cadre marxiste althussérien de la théorie cinématographique, dominant dans les années 1960 et 1970, s’est largement essoufflé dans les années 1980, en partie à cause du destin tragique d’Althusser lui-même (interné en hôpital psychiatrique après avoir étranglé sa femme). Mais les héritiers de sa pensée, dont Slavoj Zizek, Jacques Rancière et Alain Badiou, ont apporté une contribution fondamentale au communisme pour en refaire une catégorie politique viable, notamment après la crise économique mondiale de 2008. Ils ont également participé au développement d’une perspective qui dépoussiérait les idées marxistes afin de comprendre le cinéma contemporain. L’œuvre philosophique de Zizek, qui mêle des influences lacaniennes et hégéliennes, est pleine d’allusions aux succès du box-office, mais consacre également des études à Hitchcock (l’anthologie Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Lacan sans jamais oser le demander à Hitchcock) et à Krzysztof Kieslowski, David Lynch et Andrei Tarkovski (Lacrimae rerum). Dans des ouvrages tels que La Fable cinématographique, Le Destin des images et Les Écarts du Cinéma, Rancière construit une esthétique filmique post-deleuzienne et évoque des « gestes de résistance » dans les films de Pedro Costa, Bela Tarr et d’autres. Cette posture s’inscrit dans un concept plus large de Rancière, le « partage du sensible » (une tentative de dépasser la dichotomie entre politique et esthétique), qui repose sur l’existence d’un « spectateur émancipé » qui soit réceptif à de telles œuvres. Avant lui, Alain Badiou défendait l’« autonomie du processus esthétique » dans un article des Cahiers marxistes-léninistes de 1965, où il affirmait que l’art « n’est pas le reflet du réel, puisqu’il est le réel de ce reflet ». Dans les années 1990, son « matérialisme platonicien » va insister sur l’indépendance de quatre « procédures de vérité » distinctes : politique, scientifique, romantique et esthétique. C’est dans cette optique que Badiou analyse les films de Godard, Manoel de Oliveira, P.T. Anderson et Clint Eastwood. Cependant, dans « Considérations sur l’état actuel du cinéma », il avance aussi l’idée décourageante que l’ère modernistes est « saturée » et que nous entrons dans une période « néoclassique » de l’histoire du cinéma.

En revanche, Jean-Louis Comolli propose une vision plus militante du cinéma contemporain dans Cinéma contre spectacle, où il reste fidèle à la radicalité qui l’animait à l’époque des Cahiers. Bien qu’il dise que « la sainte alliance du spectacle et de la marchandise annoncée et analysée par Guy Debord […] s’est aujourd’hui réalisée », il prône une résistance esthétique contre le statu quo, qu’il perçoit dans les films de Jia Zhang-ke, Abbas Kiarostami et Arnaud des Pallières, et retravaille le concept de Rancière dans ses appels à un spectateur critique. Comolli espère trouver un tel spectateur dans son travail documentaire, dont on retiendra notamment la série en dix épisodes Marseille contre Marseille (1989-2014) sur la politique française.

Si la théorie filmique marxiste est bien ressuscitée sous une apparence post-althussérienne, il faut néanmoins remarquer qu’elle est largement l’œuvre d’une génération née dans les années 1930 et 1940 et parvenue à l’âge adulte en 1968. Cette disparité générationnelle est également visible dans la pratique cinématographique. La vieille garde – où l’on retrouve Marker (Le Tombeau d’Alexandre [1995], Les Chats perchés [2004]), Godard (Notre Musique [2004], Film socialisme [2010]) et Straub et Huillet (Operai, contadini [2000], Kommunisten [2015]) – continue de produire au xxie siècle un cinéma audacieux sur le plan formel et radical sur le plan politique. Mais la relève des cinéastes sciemment marxistes est rare. Nous ne manquons pas de films critiques envers le capitalisme mondial, mais la plupart restent soit au niveau d’un fond sans forme (la série de documentaires politiques qui suivit le succès populaire de Michael Moore au début des années 2000), soit d’une forme sans fond (œuvres expérimentales sur le plan visuel, mais à qui manque l’analyse politique qui a fait la qualité des meilleurs films marxistes du xxe siècle, comme le travail d’Albert Serra ou d’Apichatpong Weerasethakul). Les deux faces de cette médaille ne parviennent pas à se rejoindre.

Les sempiternelles annonces d’une prétendue « mort du cinéma » ces vingt dernières années étaient erronées. Mais ce qui est effectivement passé de mode, c’est sans doute un certain modèle de cinéma politique dominant au xxe siècle, reposant sur un auteur prestigieux usant de l’accumulation de son capital culturel pour intervenir politiquement à travers son œuvre. Le capitalisme néolibéral a démantelé la sphère publique – le système interdépendant des festivals, des salles d’art et d’essai, des revues cinématographiques et des chaînes de télévision publiques – sur laquelle ces interventions reposaient. Mais il a aussi créé les conditions technologiques pour que des films soient produits et diffusés facilement et à bon marché. C’est peut-être bien dans la masse du cinéma numérique, diffusé sur des chaînes en ligne, que se jouera l’avenir du cinéma marxiste.

À lire :

Alain Badiou, « L’autonomie du processus esthétique », Cahiers Marxistes-Leninistes n° 12-13, 1966, (disponible ici : https://adlc.hypotheses.org/archives-du-seminaire-marx/cahiers-marxistes-leninistes/cahiers-marxistes-leninistes-n1213-viii).

—, Petit manuel d’inesthétique, Seuil, 1998.

—, « Considérations sur l’état actuel du cinéma et sur les moyens de penser cet état sans avoir à conclure que le cinéma est mort ou mourant », L’Art du cinéma n° 24, mars 1999, (disponible ici : http://www.artcinema.org/IMG/pdf/adc24.pdf).

Jean-Louis Comolli, Cinéma contre spectacle, Verdier, 2009.

Jacques Rancière, Le Partage du sensible, La Fabrique, 2000.

—, La fable cinématographique, Seuil, 2001.

—, Le Destin des images , La Fabrique, 2003.

—, Le Spectateur émancipé , La Fabrique, 2008.

—, Les Écarts du cinéma, La Fabrique, 2011.

Slavoj Zizek, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Lacan sans jamais oser le demander à Hitchcock, Capricci, 2010.

—, Lacrima rerum : cinq essais sur Kieslowski, Hitchcock, Tarkovski et Lynch, Éditions Amsterdam, 2005.

À voir :

Marseille contre Marseille, réal. Jean-Louis Comolli, 1989-2014.

Dans la chambre de Vanda, réal. Pedro Costa, 1999.

Le Tombeau d’Alexandre
, réal. Chris Marker, 1995.

Chats perchés, réal. Chris Marker, 2004.

Notre Musique, réal. Jean-Luc Godard, 2004.

Film socialisme, réal. Jean-Luc Godard, 2010.

The World, réal. Jia Zhang-ke, 2004.

Close-Up, réal. Abbas Kiarostami, 1991.

Fahrenheit 9/11, réal. Michael Moore, 2004.

Le Chant des oiseaux, réal. Albert Serra, 2008.

Operai, contadini, réal. Jean-Marie Straub and Danièle Huillet, 2000.

Kommunisten, réal. Jean-Marie Straub, 2015.

Le Cheval de Turin, réal. Bela Tarr, 2011.

Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, réal. Apitchatpong Weerasethakul, 2010.

 

Traduit de l’anglais par Charlotte Matoussowsky.

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Daniel Fairfax