Sur le marxisme et le léninisme. Débat avec Charles Bettelheim et Robert Linhart

Il est d’usage de lire la continuité entre Marx et Lénine comme un repère intangible, par rapport auquel on mesure toutes les « déviations » du marxisme (stalinisme, gauchisme, social-démocratie). Dans ce débat passionnant paru en 1977, Robert Linhart et Charles Bettelheim proposaient, au sein du marxisme-léninisme, une critique décisive de ce type d’approche. Confrontés aux « ML » pour qui le « révisionnisme » commence avec Khrouchtchev, Linhart et Bettelheim développent le concept de « formation idéologique bolchevique », en tant qu’unité contradictoire de pratiques, d’idées, scindées entre des tendances bourgeoises (économisme, technicisme, bureaucratisme) et prolétariennes (démocratie ouvrière, intervention des masses dans la technique). À la lumière des idées de Mao Tsé-Toung et de la révolution culturelle, c’est une autre histoire de l’Union soviétique et de ses vicissitudes qui peut s’écrire. En ce sens, tout concept du marxisme peut faire l’objet d’une récupération par la bourgeoisie, et l’idéologie prolétarienne doit en permanence être remise au travail, au contact des masses et des situations concrètes. Cette conversation établit bel et bien que le marxisme est une pensée ouverte sur le réel et le présent, qui menace à tout moment d’une involution réactionnaire et qui mérite, sans interruption, de réfléchir à ce qui saura lui donner une inflexion authentiquement révolutionnaire.

[Guide de lecture] La logistique

La logistique fait aujourd’hui partie des enjeux cruciaux tant dans l’analyse du capitalisme et de sa restructuration mondiale que des résistances à lui opposer. La centralité des chaînes de production, d’approvisionnement, de commercialisation, ont transformé l’organisation du travail à l’échelle du monde, et imposent un modèle de production et de distribution basé sur la flexibilité et un monitoring constant des interactions entre les nœuds du réseau. Ce guide de lecture présente une littérature très riche sur la question, puisqu’il s’agit de donner à lire autant sur les reconfigurations en jeu que sur leurs causes profondes dans les crises et la logique du capital. Charmaine Chua offre également un aperçu saisissant des débats stratégiques sur le rôle que peuvent avoir les infrastructures dans une transition communiste.

[Guide de lecture] Le marxisme au Japon

Le Japon est certainement le pays non-occidental où le marxisme a connu au XXe siècle l’épanouissement théorique le plus saisissant, en milieu universitaire d’abord mais aussi en dehors. Pourtant, le marxisme japonais, « insularisé », reste au mieux rangé dans le cabinet des curiosités. Gavin Walker nous offre ici un aperçu synoptique sur son histoire, aussi ancienne et riche que méconnue, qui a vu se succéder reformulation de la « question nationale », débats sur la nature du capitalisme japonais et les voies de la révolution, théories et pratiques du soulèvement dans les campagnes et de la lutte armée, ou encore approches subjectives versus structurelles du capital. Se nourrissant d’un dialogue ininterrompu avec Le Capital de Marx, longtemps en prise immédiate avec les politiques du Komintern, puis de la Chine maoïste, le marxisme japonais n’était pas non plus sans entretenir des affinités avec les courants hétérodoxes de la tradition marxiste européenne. Ici comme ailleurs, un tel décentrement vient bousculer le grand partage entre le marxisme orthodoxe (soviétique) et le marxisme occidental, ouvrant d’autres espaces de pensée et d’action.

Que peut la psychanalyse aujourd’hui ? Entretien avec David Pavón-Cuéllar

La psychanalyse semble de nos jours enterrée tant par le dédain militant que par les postures conservatrices de certains psychanalystes. La découverte freudienne et l’héritage lacanien sont-ils pour autant voués à défendre les rôles sociaux patriarcaux, à proclamer une indifférence à la politique, voire à jeter la révolution aux oubliettes de l’histoire ? Dans cet entretien, David Pavón-Cuéllar fait l’hypothèse du contraire. Contre l’uniformisation générale des subjectivités promue par le capital, la psychiatrie, les formes d’oppression, la psychanalyse est le lieu où un autre discours peut être tenu, où peut se dire la singularité de chacun. Pour Pavón-Cuéllar le communisme a pour premier fondement notre solitude commune, le fait que la différence soit universelle et se dresse contre toute uniformisation. Avec clarté, depuis la perspective située du Sud global, il souligne l’urgence d’une psychanalyse émancipatrice, et la situe du côté des affinités ontologiques entre Freud et Marx, de la critique de la psychologie, de la possibilité d’une mystique féministe révolutionnaire, d’une révolution tant sociale que poétique. « Qu’il n’y ait pas de réponse définitive à la question ne veut pas dire du tout qu’il n’y ait pas de réponses. Il y a même trop de réponses, précisément parce qu’il n’y a pas de réponse définitive. Autrement dit, on a plus d’une raison de faire la révolution. Des raisons, on en a trop, en fait. »