[Guide de lecture] Approches marxistes du crime

La criminologie est presque par définition la science de l’ennemi. Née à l’interface de la physiognomonie et d’une sociologie conservatrice, la criminologie a fait partie intégrante des dispositifs disciplinaires et savants, à l’encontre des plus pauvres et des marginaux. Ce guide de lecture donne à voir un corpus étendu, très méconnu en français, de la criminologie critique et marxiste. Ces approches entendent tant comprendre les ressorts de classe et de race des illégalismes que l’interpénétration entre le crime organisé et la classe dominante, mais aussi la coproduction institutionnelle des délits et de leur répression pénale, ou encore la délinquance des puissants. C’est donc un corpus à s’approprier d’urgence que nous décrit ici Grégory Salle, dans une époque où l’incarcération de masse et les illégalismes jouent un rôle structurant pour le capitalisme tardif.

Économie politique de l’impérialisme : comprendre la surexploitation

Longtemps, on a pensé que la surexploitation des pays du Sud s’explique parce que les salaires y sont plus bas, et que les firmes du Nord s’approprient tous les profits issus de cette exploitation. Le défi pour l’économie marxiste était donc : comment expliquer cette persistance des bas salaires ? Pourquoi la mondialisation n’a-t-elle pas rendu les salaires plus homogènes à l’échelle du monde ? Ce texte de Pierre-Philippe Rey, paru en 1977, reste d’une actualité brûlante. L’auteur y souligne que le mode de production capitaliste n’est pas tout à fait universel. Encore aujourd’hui, la paysannerie demeure en bien des endroits du Sud imparfaitement intégrée au marché. Il subsiste des formes combinées d’agriculture industrielle, paysanne, tribale, d’où une actualité brûlante de la réforme agraire, de l’Afrique du Sud au Brésil. Rey montre que la surexploitation est le fruit de ce que la force de travail paysanne se reproduit à l’extérieur du champ de la valeur. Ce travail non validé par la forme marchande est donc un apport « gratuit » pour le capital impérialiste. Il s’en suit que mettre fin au sous-développement implique la crise des centres economiques mondiaux. Sous ce regard, la politique de destruction et de recolonisation par l’impérialisme se comprend aisément.

Front démocratique de libération de la Palestine – Sur Septembre noir (1970)

Dans ce texte daté de novembre 1970, le Front démocratique de libération de la Palestine, organisation maoïste fondée l’année précédente, apporte des précisions sur la répression brutale des combattants palestiniens en Jordanie, connue sous le nom de Septembre noir. Il tente de réfuter les arguments qui font endosser à la gauche palestinienne les causes de cette crise et amorce son autocritique, invitant les autres composantes de l’OLP de l’époque à débattre publiquement du problème. Ce document est un témoignage indispensable des débats stratégiques de la révolution palestinienne avant les événements de septembre 1970. Par ailleurs, les auteurs appuient leur analyse de la révolution et de la contre-révolution sur la composition de classe des campagnes – en Jordanie et en Cisjordanie – et sur le rapport des forces au sein de l’armée jordanienne. Ce bilan, écrit à chaud, est une des plus riches contributions sur la stratégie révolutionnaire palestinienne, et donne à voir l’interpénétration entre lutte nationale, libération arabe et luttes des classes à l’échelle du Moyen-Orient.

Le mode de vie impérial. Entretien avec Ulrich Brand

Dans cet entretien Ulrich Brand, co-auteur avec Markus Wissen de l’ouvrage récemment paru Mode de vie impérial – À propos de l’exploitation de l’humain et de la nature à l’époque du capitalisme global (2017), relève un des plus grands défis de la théorie marxiste, à savoir la médiation entre la critique de la vie quotidienne et les structures du capitalisme à l’âge du réchauffement climatique. Loin de la posture moralisatrice écolo-bourgeoise qui juge les individus, Brand indique que le développement inégal du capitalisme à l’échelle globale met en œuvre une intégration différenciée autour de l’automobile. C’est ainsi qu’apparaît le concept de mode de vie impérial, qui va de pair avec d’autres apports théoriques comme la crise socio-écologique et les tensions éco-impérialistes, ainsi qu’avec la critique du capitalisme vert. Au cours de cet entretien, Brand engage le débat avec d’autres penseurs marxistes écologistes contemporains comme Andreas Malm et John Bellamy Foster, et brosse également un tableau instructif sur l’état actuel du marxisme dans l’espace germanophone.