Dessin animé et avant-garde. Entretien avec Esther Leslie

La théorie cinématographique marxiste constitue désormais un continent bien connu. Les approches marxistes de l’animation le sont moins. Pourtant, les grands classiques n’ont pas déserté ce champ : en témoignent les pages de Walter Benjamin sur Mickey Mouse dans Expérience et pauvreté, ou encore la critique de Dumbo par Siegfried Kracauer. Dans cet entretien avec Sophie Coudray, Esther Leslie revient sur l’itinéraire du dessin d’animation tant du côté des avant-gardes esthétiques révolutionnaires que celui des industries culturelles. Elle met au jour l’ambivalence du genre. Utopie pour les uns, l’animation offre (ou a offert par le passé) un territoire d’expérimentation formelle inédit. Pour les autres, l’animation constitue une domaine privilégié pour la rationalisation du travail cinématographique, dès l’instant qu’il est mis au service d’une industrie particulièrement coûteuse et prospère. Dans ce chassé-croisé entre avant-garde et capital, on peut dire que le second a pris le pas sur le premier, et Leslie donne de nombreux détails sur le conformisme de plus en plus évident des productions Disney. Par là, elle restitue aussi tout le potentiel subversif qui a été celui du cinéma d’animation, l’élan utopique qu’il a fallu effacer pour en faire un objet de consommation de masse.

Karl Marx, critique de la modernité bourgeoise

La critique du capitalisme se trouve régulièrement appauvrie, sous le poids du sociologisme, de l’économisme ou de tout académisme. Dans le droit fil du philosophe marxiste Bolívar Echeverría, l’économiste Andrés Barreda Marín propose un retour radical au moment critico-théorique de Marx, comme critique de la totalité des rapports sociaux. Contextualisant les apports marxiens, l’auteur les présente comme une méditation sur la défaite de l’expérience révolutionnaire, utopique, sur les errements de la critique romantique et sur les impasses du mouvement spéculatif hégélien. Il en sort un Marx qui n’est plus amputé de ses antécédents conspiratifs, blanquistes, ou poétiques mais qui émerge au contraire comme une autocritique révolutionnaire de la longue tradition en lutte contre la modernité bourgeoise.