Sur le marxisme et le léninisme. Débat avec Charles Bettelheim et Robert Linhart

Il est d’usage de lire la continuité entre Marx et Lénine comme un repère intangible, par rapport auquel on mesure toutes les « déviations » du marxisme (stalinisme, gauchisme, social-démocratie). Dans ce débat passionnant paru en 1977, Robert Linhart et Charles Bettelheim proposaient, au sein du marxisme-léninisme, une critique décisive de ce type d’approche. Confrontés aux « ML » pour qui le « révisionnisme » commence avec Khrouchtchev, Linhart et Bettelheim développent le concept de « formation idéologique bolchevique », en tant qu’unité contradictoire de pratiques, d’idées, scindées entre des tendances bourgeoises (économisme, technicisme, bureaucratisme) et prolétariennes (démocratie ouvrière, intervention des masses dans la technique). À la lumière des idées de Mao Tsé-Toung et de la révolution culturelle, c’est une autre histoire de l’Union soviétique et de ses vicissitudes qui peut s’écrire. En ce sens, tout concept du marxisme peut faire l’objet d’une récupération par la bourgeoisie, et l’idéologie prolétarienne doit en permanence être remise au travail, au contact des masses et des situations concrètes. Cette conversation établit bel et bien que le marxisme est une pensée ouverte sur le réel et le présent, qui menace à tout moment d’une involution réactionnaire et qui mérite, sans interruption, de réfléchir à ce qui saura lui donner une inflexion authentiquement révolutionnaire.

Pour une théorie concrète de la transition : pratique politique des bolcheviks au pouvoir

La NEP est le plus souvent envisagée comme un pis aller, un recul de la révolution soviétique. Pour toute une tradition, au contraire, il s’agit d’un moment de renouveau de la stratégie de transition vers le socialisme. Dans ce texte inédit datant de 1966, Robert Linhart faisait le bilan de cette séquence mouvementée. Plusieurs années avant les colossales Luttes de classes en URSS de Charles Bettelheim, Linhart faisait le constat que la NEP fut une période d’importantes luttes de classes, notamment sur le plan des politiques économiques. Au diapason des grands énoncés de la Révolution culturelle chinoise, Linhart présente le dernier combat de Lénine comme une tentative de révolution dans la révolution, révolution culturelle qui visait à renforcer la capacité politique ouvrière dans toutes les instances de contrôle, dans tous les rapports idéologiques. Linhart rappelle ainsi la centralité d’une authentique politique d’hégémonie, menée par les subalternes, dans la perspective d’une transformation révolutionnaire.