[Guide de lecture] Althusser : mode d’emploi

L’oeuvre d’Althusser n’a pas souffert d’être tombée aux oubliettes ou d’avoir été ignorée : elle a pâti du contraire, d’être une pensée « bien connue ». Or comme le disait Hegel, « ce qui est bien connu est en général, pour cette raison qu’il est bien connu, non connu ». Tout le monde croît avoir compris Althusser sans l’avoir lu, si bien que le philosophe français représente soit l’épouvantail d’un marxisme froid et scientiste, soit un monument embarrassant de la pensée des années 1960. Pour les militants, il semble souvent incongru qu’on prête encore attention à une figure si controversée et si canonisée à la fois. Face à cette confusion, Panagiotis Sotiris, militant revendiqué du courant « althussérien » de la gauche grecque, propose un véritable mode d’emploi pour pénétrer le travail d’Althusser. Éclairant les différents aspects de sa pensée, il en détaille principalement trois « moments » : une redéfinition de la pratique marxiste de la philosophie, un renouveau profond de la pensée de l’idéologie et, last but not least, une refonte stratégique du mouvement communiste, mettant l’accent sur la dictature du prolétariat et la nécessité de travailler à une politique à distance de l’État.

Lénine au-delà de Lénine

Dans la première de ses 33 Leçons sur Lénine, prononcées en 1972-1973, Negri se confronte au léninisme dans la période qui précède de peu la dissolution de Potere Operaio dans « l’aire de l’autonomie » et avant l’affirmation définitive de l’avènement de la figure de l’ouvrier-social. Un grand nombre des thèses centrales de la pensée opéraïste sont ici explicitées : l’articulation composition technique/politique de la classe, la centralité ouvrière dans le développement du capital, la discontinuité et la matérialité de la classe. Mais c’est surtout un rapport original à Lénine qui est déployé. Negri se revendique d’un « léninisme de méthode » dans la lignée de Lukács. Il s’agit néanmoins de rompre avec toute fétichisation de Lénine qui viserait à importer dans le temps présent le contenu effectif de la politique léniniste, à savoir les modalités organisationnelles, les choix tactiques ou encore le rapport entre le parti et la classe. La vérité de Lénine n’est pas intemporelle mais correspond à l’adéquation de sa politique à la composition historiquement située de la classe dont il a assumé la direction. Restituer à Lénine sa grandeur c’est remettre cette grandeur à sa place, derrière nous, dans la Russie de 1917 : Lénine au-delà de Lénine…

Politiques d’Italo Calvino. Le marxisme singulier des Leçons américaines

Italo Calvino est un auteur mondialement connu du XXe siècle. Pour beaucoup, il est avant tout une figure combinant écriture ludique, exercices oulipiens et fabulation existentielle. Dans cet article, Gabriele Pedullà montre que l’engagement communiste et l’environnement intellectuel marxiste de Calvino ont considérablement marqué son écriture. L’ouvrage posthume Les Leçons américaines est un texte de théorie littéraire qui, à ce titre, condense les diverses préoccupations du romancier. C’est un ouvrage aride, composé à partir de couples de notions, selon un principe qui fait largement écho à l’oeuvre des structuralistes (Barthes, Levi-Strauss). S’en tenir là, ce serait oublier que Calvino est un intellectuel formé et rompu à la dialectique de Croce et Gramsci. Pedullà démontre bien que Calvino faisait ici une tentative de repenser la dialectique, non plus comme une logique universelle à même de surmonter tout conflit, mais justement comme une méthode pour débusquer les oppositions, les contradictions qui travaillent un réel pourtant saturé par le triomphe de l’homogène et du consensus. Ainsi, les Leçons américaines s’avèrent être un manuel de survie littéraire à l’heure du néolibéralisme victorieux.