Arvatov, l’art pour transformer la vie quotidienne. Entretien avec John Roberts et Alexei Penzin

Si le succès de l’avant garde soviétique est notable dans la tradition culturelle occidentale, il faut compter un grand nombre de figures oubliées des courants constructivistes ou productivistes. Arvatov et son livre Art et production en est un exemple patent. Dans cet entretien avec Sophie Coudray, Alexei Penzin et John Roberts montrent la valeur et la place décisive d’Arvatov dans l’élaboration du projet productiviste en Russie soviétique : l’ambition d’une transformation totale de la vie quotidienne. Largement inspiré du proletkult, Arvatov considérait la séparation de l’art avec la pratique sociale comme une aliénation du capitalisme. Lui et ses camarades cherchaient à expérimenter des formes esthétiques dans les usines, non sans difficultés, à se tourner vers le design, ou encore des missions plus éducatives. Penzin et Roberts dessinent un tableau renversant des contributions soviétiques les plus méconnues, et font valoir à de nouveaux frais l’actualité de 1917, y compris pour le monde de l’art.

Mettez un Lénine dans votre philosophie du langage

En dehors d’une tradition assez congrue, l’œuvre philosophique de Lénine est loin d’avoir bonne presse. Elle est au mieux ignorée, au pire jugée grossière et dépourvue d’intérêt. À rebours de ces mises à l’amende philosophiques, Jean-Jacques Lecercle propose une lecture laudative des traits léniniens les plus « scandaleux ». Avec sa clarté habituelle, Lecercle souligne l’importance d’une intervention partisane en philosophie, combinant fermeté sur les principes et souplesse de lecture et d’interprétation. Il délimite les grandes thèses philosophiques de Lénine et se propose brillamment de les illustrer dans son propre domaine de compétence, la philosophie du langage. En quelques lignes, il indique en quoi le matérialisme dialectique importe pour sortir de l’impasse de la linguistique de Chomsky, ou encore pour dépasser Saussure. Il démontre par là la fécondité d’une œuvre léninienne qui est vraie parce qu’elle est partisane.

Vers un front uni intégral. Quelques axes stratégiques pour un laboratoire du communisme

Comment penser l’organisation ? Qu’on le veuille ou non, cette question reste centrale dans les luttes actuelles, et nul doute qu’elle en est l’une des pierres d’achoppement. Là où Marx ne nous a légué en la matière qu’une aporie, et où le modèle léniniste ne semble plus avoir d’autre fonction que de cristalliser des oppositions figées, Panagiotis Sotiris s’attache ici à ressaisir l’organisation à la lumière des conditions de formation d’une « intellectualité de masse ». Puisant ses racines chez Lukács, relancé au cours des dernières décennies, par Badiou et Rancière notamment, c’est néanmoins chez Gramsci que ce problème aura trouvé son expression la plus complète. Car la dialectique gramscienne ne vise pas seulement à se prémunir de la sclérose bureaucratique et à la dépossession des masses, mais aussi à défendre une conception du parti comme « laboratoire intellectuel » intégrant une multiplicité de pratiques et de collectifs ; un parti envisagé comme le lieu de production d’une pluralité de savoirs et, sur leur base, d’expérimentation de stratégies et de tactiques révolutionnaires hétérogènes. À l’État intégral comme arme de la bourgeoisie, Gramsci nous invite à opposer ce que Sotiris nomme un Front Uni intégral, seul à même d’assurer l’autonomie des classes subalternes, l’affirmation de leur pouvoir d’auto-organisation, sans lesquelles elles ne sauraient prétendre à l’hégémonie. Loin d’être derrière nous, cette tâche demeure plus que jamais la nôtre.

Black marxism : pour une politique de l’inimaginable

La politique a été communément définie comme un « art du possible ». Or il se trouve que c’est principalement notre imaginaire qui est à même de circonscrire le champ du possible. Dès lors, comment surmonter l’épuisement et l’écrasement de nos imaginations, à l’heure où il est plus facile de se figurer la fin de l’humanité que la fin du capitalisme ? Dans ce texte éclairant, Minkah Makalani propose un repérage des idées majeures du Black marxism en remarquant que cette tradition a ceci d’unique qu’elle a pour horizon un avenir « inimaginable ». En prenant pour témoin Frantz Fanon, C.L.R. James et Amilcar Cabral, Makalani montre qu’il est possible d’intervenir en conjoncture en repoussant les limites de l’imaginaire politique. En d’autres termes, Makalani esquisse un tableau de la tradition noire radicale comme une invention de l’inconnu, comme un art de l’impossible.