Les classes sociales en Algérie. Au-delà de Bourdieu et Sayad

L’œuvre de Bourdieu et Sayad sur l’Algérie est souvent lue aujourd’hui comme un acte fondateur de l’entreprise bourdieusienne en sociologie. Dans ce texte de 1969, René Gallissot évaluait le principal mérite de ces études : faire entrer les classes sociales dans la sociologie du Maghreb, dans un moment théorique où l’on niait la lutte des classes dans les anciennes sociétés colonisées. Dans son examen critique, Gallissot met cependant en évidence les limites de la conceptualisation des classes chez Bourdieu et Sayad : focalisée sur des aspects culturels, elle rend compte de comportements et de hiérarchies statutaires entre groupes sociaux sans déterminer les frontières entre les classes dans les rapports de production. Cette omission rend les deux auteurs moins attentifs à « l’armée industrielle de réserve » théorisée par Marx. Cette lecture minutieuse offre une critique saisissante et pionnière de Bourdieu, à même de nourrir une approche marxiste de l’héritage bourdieusien.

Génération algérienne : entretien avec René Gallissot

René Gallissot est de ceux dont l’engagement théorique a été total. Militant anticolonialiste dans les années 1960, son travail n’a cessé de réinterroger le marxisme à partir de l’expérience fondatrice de l’Algérie coloniale. Dans cet entretien, il revient sur cet itinéraire et la pluralité des chemins qu’ouvre une enquête sur la politique marxiste et le monde non occidental. Sa relecture du nationalisme révèle aussi bien l’impensé national chez Marx et Lénine que la nationalisation du mouvement ouvrier. De l’histoire sociale de l’Algérie au développement du marxisme dans le monde arabe, en passant par les limites des approches marxistes classiques du racisme en France, l’œuvre de Gallissot invite à une critique radicale de toute étatisation de la pensée émancipatrice.