La dissolution des marges : sur les romans napolitains d’Elena Ferrante

La tétralogie d’Elena Ferrante fait partie des plus grands succès littéraires étrangers de ces dernières années. En mêlant l’intimité du récit de vie de deux femmes dans la société napolitaine de l’après-guerre à la grande histoire politique italienne, elle a su donner une épaisseur au drame de la fin du XXe siècle. Sara Farris donne ici une lecture de la saga comme récit de la conscience malheureuse de l’intelligentsia soixantehuitarde. En retournant le diagnostic sombre d’Adorno sur la vie mutilée, Farris souligne les accents existentiels et politiques de l’écriture de Ferrante. Elle montre combien la littérature est en mesure de donner la parole aux désirs ambigus et aux fantasmes contradictoires qui nouent les subjectivités à leur époque. L’entremêlement des récits rend palpable le caractère irréductible de nos défaillances et de nos désenchantements dans la construction d’un avenir meilleur, et l’importance de la nostalgie dans l’imaginaire d’un futur utopique.

[Guide de lecture] Critique littéraire marxiste

Il est notoire qu’au cours de sa longue histoire, le marxisme a produit des théories de la littérature et des critiques littéraires majeures. Dans ce guide de lecture, Daniel Hartley propose une introduction générale à ces approches, en soulignant en particulier l’importance de l’étude de la littérature mondiale. Si les études littéraires sont aussi chères aux marxistes, c’est parce que la littérature médiatise des formes de sensibilité et de subjectivité historiques, qu’elles sont une méditation sur les traces du passé au sein même du présent, et qu’elles anticipent sur des affects ou des exigences futures. Au-delà de sa capacité à refléter la réalité, la littérature est dès lors un puissant réservoir de rêves, d’aspirations ou de fantasmes inaccomplis, un sédiment de l’affrontement des classes, une cristallisation du développement inégal et de la conflictualité du genre, de la race et de l’éthnicité.

L’Internationale des romanciers

Aux côtés du grand récit moderniste se dessine une autre histoire de la littérature au XXe siècle : de la « littérature prolétarienne » au « roman mondial » contemporain, une histoire transnationale des grands enjeux esthétiques qui ont traversé ce siècle se fait jour, donnant toute sa place à la question sociale et politique. De l’impact de la révolution d’Octobre 1917 aux mouvements de décolonisation, en passant par le premier réalisme socialiste et le réalisme magique sud-américain, c’est la trajectoire de cette « internationale des écrivains » que Michael Denning s’attache à reconstituer dans cet article, nous proposant par là une véritable contre-histoire populaire des formes culturelles.

Le marxisme et la littérature

Dans ce texte d’introduction à une anthologie des Grands textes du marxisme sur la littérature et l’art publiée en 1936, Jean Fréville incite à penser le champ de la création littéraire dans les rapports qu’il entretient avec les structures économiques de la société. Il insiste sur l’importance, pour les marxistes, de ne pas délaisser le champ de la création littéraire et artistique – dont il souligne le potentiel révolutionnaire en tant que terrain de l’avant-garde – mais également sur la nécessité d’adopter une analyse critique de ces mêmes disciplines. Car, comme le rappelle Fréville, tant que la classe dominante possédera les moyens de production, elle conservera le monopole de la culture.

Raymond Williams dialogue avec The New Left Review : le théâtre comme laboratoire

Raymond Williams n’a pas toujours été marxiste. Son évolution est souvent difficile à saisir, entre ses essais critiques des années 1950 sur le théâtre et ses travaux pionniers des études culturelles. Dans cet entretien de 1979, la New Left Review interroge Williams sur son premier grand texte, Drama, from Ibsen to Eliot, pour mesurer la distance parcourue. Face à des contradicteurs bien informés et intransigeants, Williams défend coûte que coûte la pertinence de ses premières approches. Il en conserve une attention constante pour le langage, le décor, les choix d’expression verbale, c’est-à-dire la mise en forme d’une expérience collective. L’art dramatique se révèle être un laboratoire pour la pensée émancipatrice, en posant le problème des multiples strates de la sensibilité, et de la tragédie moderne comme expérience historique de la défaite.

Une longue révolution : entretien avec Raymond Williams

Dans ce long entretien accordé à la rédaction de la New Left Review, Raymond Williams revient sur ses contributions fondamentales au marxisme en général et à la théorie de la culture en particulier. Qu’il s’agisse de penser le rapport entre pratiques artistiques et pratiques économiques, de reconstruire la « structure de sentiment » d’une époque ou de conceptualiser la manière dont les structures sociales s’articulent en une totalité, l’œuvre de Williams ne constitue pas seulement une interprétation pénétrante du présent historique : elle est une ressource précieuse pour sa transformation.

La politique du style : entretien avec Daniel Hartley

En quoi la littérature est-elle politique ? Pour Dan Hartley, ce n’est ni au niveau des idées véhiculées par un texte, ni à celui des engagements proclamés d’un auteur, que l’on peut répondre à cette question, mais bien au niveau du style. La « politique du style » désigne alors la manière dont une œuvre transforme le langage, intervient dans les contradictions sociales qui y sont inscrites et déplace les cadres idéologiques au travers desquels nous vivons notre expérience quotidienne. À la suite de Raymond Williams, dont il expose ici certaines des thèses centrales, Dan Hartley redonne ainsi à la littérature la place qui lui revient dans l’élaboration de projets contre-hégémoniques collectifs.