Praxis et théorie critique. Entretien avec Andrew Feenberg

En 2016 paraissait en français l’ouvrage séminal d’Andrew Feenberg, Philosophie de la praxis (Lux). Face à toute une tradition de lectures d’Adorno et Marcuse qui en émoussent le tranchant politique, cette traduction constitue un événement éditorial. Dans cet entretien, Feenberg précise son itinéraire théorique depuis la première parution du livre en 1981, et en détaille les enjeux critiques. La Théorie critique s’avère être un puissant instrument de contestation des instruments de contrôle et de discipline des populations, de l’usine aux nouvelles technologies. Déplaçant les lignes tout en restant fidèle à la lettre de Lukács, Marcuse et Adorno, il esquisse des passerelles entre la réification et Foucault, ou encore les science studies pour réarmer les mouvements sociaux contemporains.

Marcuse et l’esthétisation de la technologie

Comment transformer la rationalité technologique de vecteur de domination en instrument de libération ? Telle est, nous montre Andrew Feenberg, la question à laquelle se sera attaché à répondre Marcuse dans les années 1960 dans une tentative profondément originale de résurrection critique de la conception classique de la techne, nullement réductible, comme certains l’ont soutenu, à un nouvel avatar d’optimisme technologique. À une période de relâchement des liens entre théorie et pratique révolutionnaires, c’est dans une approche esthétique réconciliant raison et imagination, art et technique, que cette figure de proue de la Nouvelle Gauche qu’était Marcuse identifia les promesses d’une politique de la technologie gouvernée par des valeurs d’émancipation.

Technique et capitalisme : entretien avec Andrew Feenberg

La critique de la technique oppose souvent une technophilie béate et apolitique à une technophobie tendanciellement réactionnaire. Dans cet entretien, Andrew Feenberg propose de dépasser cette alternative inopérante. S’appuyant sur la « philosophie de la praxis » élaborée par Lukács, Marcuse et Adorno à la suite de Marx, il replace la « question de la technique » dans son contexte social et historique : c’est seulement du point de vue des luttes (luttes contre l’accès inégalitaire au savoir technique, contre ses effets néfastes sur la société ou pour un usage libre et collectif de ses possibilités), que peut s’élaborer une connaissance adéquate des systèmes techniques.