Révolutionnaires en haillons : entretien avec Nathaniel Mills
« Le Lumpenproletariat — cette lie d’individus déchus de tous les classes qui a son quartier dans les grandes villes — est, de tous les alliés possibles, le pire. Cette racaille est parfaitement vénale et tout à fait importune ». Voici, parmi d’autres occurrences du même registre, comment Marx et Engels dépeignaient le sous-prolétariat. Et c’est peu dire que dans l’histoire de la tradition marxiste, ce « prolétariat en haillons », dé-classé et supposément privé de conscience, n’a pas bonne presse. Il revient à la pensée noire radicale, en dialogue critique avec le « marxisme blanc », d’avoir rétabli le Lumpenproletariat en tant que sujet révolutionnaire en puissance, et parfois en acte. S’il est de coutume de se référer à cet égard aux écrits de Frantz Fanon ou des Black Panthers, Nathaniel Mills révèle qu’une telle « réhabilitation » puise à des racines plus profondes. Elle était déjà à l’œuvre pendant la Grande Dépression dans la littérature africaine-américaine, chez Richard Wright, Ralph Ellison ou encore Margaret Walker, qui imaginaient des modalités d’émancipation individuelle et collective dont ces figures abhorrées — vagabonds, gangsters, prostituéees et autres délinquants au sein de la communauté noire — constitueraient l’avant-garde.