[Guide de lecture] Aux marges de la révolution russe

Octobre 1917 est généralement envisagé comme un phénomène russe. Selon Eric Blanc, une telle focale s’avère trompeuse. Elle ne permet ni de saisir l’émergence, la théorie et la pratique du bolchevisme, ni de saisir la dynamique concrète ayant donné lieu à la révolution. Dans ce guide de lecture, Blanc annote de façon inédite un ensemble de références sur Octobre vu depuis les marges et les pays limitrophes : Géorgiens, Finlandais, Polonais, et bien d’autres sont à l’honneur et livrent un regard résolument décentré sur l’un des événements les plus décisifs du XXe siècle.

Vers un nouveau départ. Une alternative à la micro-secte

Pour une certaine doxa militante, « au commencement était le groupuscule » : le « parti révolutionnaire » serait d’abord une micro-secte qui évoluerait, au fil de la lutte des classes, vers un parti de masse. Comme le souligne Hal Draper ici, aucun parti de masse n’a suivi ce chemin et ni Marx ni Lénine n’ont jamais théorisé un tel développement. Cette « anatomie de la secte », exercice à la fois ludique et autocritique, est destiné à rétablir une vision plus juste de la politique révolutionnaire telle qu’elle a existé. Elle fut écrite à l’heure d’une ébullition groupusculaire au sein de la nouvelle gauche aux États-Unis, en 1971. Draper revient sur l’histoire des organisations auxquelles il a contribué et retrace les origines de l’involution sectaire du communisme et du trotskisme. Il propose en outre une autre perspective pour la politique révolutionnaire organisée : construire des « centres politiques ».

La politique antiraciste du Parti communiste des États-Unis dans les années 1930

Le marxisme et le mouvement ouvrier sont loin d’avoir toujours donné toute sa place à l’oppression raciale. La notion abstraite de « classe ouvrière » a souvent fait écran sur les rapports d’oppression réels qui traversent le prolétariat. Cette faiblesse a parfois été surmontée au prix d’un profond travail autocritique. C’est le cas du Parti communiste états-unien qui, confronté à une classe ouvrière racialement stratifiée, a développé une réflexion théorique et une pratique politique particulièrement novatrice sur la question raciale. Loren Balhorn retrace l’histoire qui a fait du mouvement ouvrier révolutionnaire américain un véritable laboratoire de la lutte de libération noire.

Communisme et nationalisme : une lettre inédite de Mirsaid Sultan Galiev

L’alliance entre bolchévisme et nationalismes opprimés n’a pas été sans heurts, sans contradictions. C’est ce dont témoigne une lettre inédite en français, datée du 8 septembre 1924 et adressée à la Commission centrale de contrôle du Parti communiste russe, du militant tatar bolchevik etthéoricien du communisme national musulman, Mirsaid Sultan Galiev (1892-1940). Fidèle allié du pouvoir soviétique depuis la révolution d’Octobre, Sultan Galiev avait été arrêté en 1923, a priori sur ordre de Staline, puis exclu du Parti. Il demande dans cette lettre sa réintégration, laquelle ne lui sera jamais accordée. Condamné à mort fin 1939, il est fusillé fin janvier 1940.

[AUDIO] Black communism : rencontre-débat avec Paul Heideman

À écouter : la rencontre « Black communism ». Paul Heideman revenait alors sur le Parti communiste aux États-Unis et sa politique antiraciste. Il nous racontait l’histoire étonnante d’un parti, constitué par des émigrés européens à peine arrivés sur le Nouveau continent, devenu en quelques années le premier parti de la cause noire, de Harlem à l’Alabama. Agrégeant artistes et intellectuels, de Billie Holiday à Duke Ellington en passant par W.E.B Dubois ou encore Richard Wright, le PC étatsunien fut aussi un laboratoire des luttes, à travers les ligues de chômeurs ou le syndicalisme interracial. Une immersion dans l’Amérique ségrégationniste et dans les résistances qui ont scandé son histoire.

L’idée du communisme musulman : à propos de Mirsaid Sultan Galiev (1892-1940)

À travers la figure du bolchévik tatar, Mirsaid Sultan Galiev, Matthieu Renault s’intéresse ici à une expérience peu connue : celle du « communisme national musulman » tel qu’il s’est développé en Russie soviétique, puis en URSS, de 1917 à la fin des années 1920. Une première version de cette contribution a été présentée à l’occasion du colloque Penser l’émancipation (Nanterre, février 2014).