La poétique transitive d’Allan Sekula : métonymie et métaphore dans Lottery of the Sea, Ship of Fools et The Dockers’ Museum

Photographe, cinéaste et théoricien de l’art, Allan Sekula n’a eu de cesse dans ses œuvres d’interroger le langage pictural du capitalisme et les problèmes de représentation soulevées par les processus de réification de l’expérience sociale. Déployant une approche matérialiste de l’image artistique en tant qu’insérée dans le tissu des rapports économiques et politiques, il a pris pour objet de ses créations The Lottery of the Sea, Ships of Fools et The Docker’s Museum l’industrie maritime comme prototype du marché mondial. Dans cet essai, Gail Day analyse les politiques de la métaphore et de la métonymie à travers lesquels Sekula s’attache à ramener la logique « sous-marine » du capitalisme à la « surface de la conscience ».

Brecht et la politique du cinéma réflexif

Le cinéma doit-il bouleverser les formes pour être émancipateur ? C’est la question que posait Dana B. Polan en réaction à une vague de critique cinéma inspirée par le marxisme qui faisait renaître les partis pris modernistes au nom de la subversion radicale. Polan prend pour cible une série d’auteurs canoniques de cette vague de critique radicale en cinéma (Burch, Baudry, Oudart…) et en littérature (Tel Quel) pour en montrer les limites et, en dernière instance, le formalisme. L’auteur s’empare du fait que cet éloge de la subversion formelle se réclame de Brecht pour opposer sa propre lecture du dramaturge communiste. Publiée pour la première fois en 1974, cette polémique nous donne les termes d’une importante discorde autour du cinéma militant et expérimental et fournit quelques éléments pour continuer de penser les matériaux et la fonction des formes esthétiques.

La politique de Straub-Huillet

Cinéastes, communistes révolutionnaires, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (décédée en 2006) combinent les paradoxes. Encensés par une critique exigeante, leurs films restent les moutons noirs d’un cinéma dit d’« auteur » et sont boudés par les circuits de distribution ; inscrit dans un héritage marxiste, leur travail a été plus volontiers discutée par Deleuze que par le « marxisme français ». Ces paradoxes sont le fruit d’un cinéma sans compromis, d’un militantisme explicite mais très loin des canons du « cinéma politique ». La politique de Straub-Huillet se joue dans une approche du cinéma, du travail sur les textes et les images, dans le refus de toute forme de « neutralité » artistique vis-à-vis du monde. Daniel Fairfax propose ici une introduction à leur œuvre, pour découvrir et redécouvrir un projet cinématographique combinant une poétique intransigeante avec une attention dialectique à l’espace et l’histoire.

Genèse d’un repas, ou l’économie mondiale dans une boîte de thon

En 1978, Luc Moullet réalisait un film qui tend à représenter les rapports de production à l’échelle mondialisée. Aujourd’hui, à l’heure où la théorie sociale est animée par l’enjeu de la totalité et sa représentation, l’article d’Audrey Evrard décrypte ce film, Genèse d’un repas, pour en détailler l’apport essentiel : sa mise en scène novatrice des rapports néocoloniaux dans les chaînes globales de marchandises, la stratification raciale entre travailleurs du Nord et du Sud. Entre critique du consumérisme occidental et du racisme en milieu ouvrier, Genèse d’un repas est au plus proche d’une pratique de « cartographie cognitive » appelée de ses vœux par Fredric Jameson.

L’imaginaire colonisé. Rencontre entre Heiner Müller et Harun Farocki

Un échange entre deux figures de l’esthétique émancipatrice : Heiner Müller et Harun Farocki. De Brecht à Godard, de Fantasia au cinéma est-allemand, le dramaturge et le cinéaste s’interrogent sur le statut de l’image à l’aube des années 1980, sur les possibilités du théâtre et l’avenir du cinéma occidental. Comment échapper au simulacre, à la prolifération des images comme substitut à une expérience réelle ? D’une certaine manière, Müller et Farocki nous invitent à réfléchir sur le sens actuel de l’allégorie, sa capacité à totaliser l’expérience historique ou à la rendre inintelligible.

Le montage comme résonance : Chris Marker et l’image dialectique

Comment rendre intelligible dans l’espace cinématographique la temporalité heurtée et contradictoire de l’histoire des luttes de classe ? Par le montage, répond ici Daniel Fairfax, qui propose d’interpréter la structure du « Fond de l’air est rouge » de Marker à la lumière des concepts d’ « image dialectique » (Benjamin) et de « montage à distance » (Pelechian).

Harun Farocki (1944 – 2014) ou la dialectique dans les images

Harun Farocki, décédé en juillet 2014, a été une figure du cinéma expérimental contemporain. Résolument marxiste, il n’a cessé de réfléchir au pouvoir des images et à la manière de déjouer les récits qu’elles soutiennent. Thomas Voltzenlogel revient ici sur l’itinéraire de ce cinéaste. Face aux écueils d’une critique des médias prisonnière du pédagogisme, Farocki propose un autre rapport au spectateur. Plutôt que dénoncer l’emprise de la société du spectacle, il en propose un montage et un commentaire non directif, ouvrant un espace de pensée sur ce que les images disent, les unes avec les autres, sur les rapports sociaux, la guerre, la production. Un travail méconnu à découvrir.