La trajectoire théorique et politique de Mario Tronti

L’opéraïsme a acquis une renommée internationale pour son rôle fondateur dans l’émergence d’un marxisme autonome, acteur théorique majeur des conflictualités sociales en Italie à la fin du XXe siècle. Pour autant, le pionnier de cette approche, Mario Tronti, n’a pas suivi le chemin tumultueux des partisans autonomes de l’insurrection. Issu du parti communiste, la fin de l’expérience de Classe operaia a signifié pour lui un retour dans le giron du parti. Souvent décrite comme un reniement, la trajectoire intellectuelle de Tronti est ici restituée dans sa plénitude par Davide Gallo Lassere. Loin d’être une régression théorique, le tournant de l’autonomie du politique a été pour Tronti un prolongement de l’élaboration opéraïste sur le terrain des institutions. Convaincu du bien-fondé d’une pratique prolétaire du gouvernement, Tronti a proposé dans ces années crépusculaires une relecture stimulante des pensées conservatrices des institutions (de Weber à Schmitt). Sans prendre parti, Lassere propose de lire un Tronti encore inconnu en français, qui offre une contribution riche sur le devenir de la classe ouvrière et sur la question brûlante d’une realpolitik communiste.

L’usine nostalgique

La fin des années 1970 a été un moment de rupture et de reconfiguration historique de grande ampleur : l’après-Mai 68 et la recomposition du champ politique qui l’accompagne – avec pour horizon la décomposition du gauchisme. Dans le champ intellectuel, une certaine sociologie des classes populaires prenait le pas sur un marxisme en crise. Dans ce texte de 1980 issu de la revue-collectif Les révoltes logiques, Jacques Rancière invite à repenser le nouage entre pratique et savoir militant, à l’aune de ce retournement du marxisme en sociologie. Dans ce mouvement, Rancière lance déjà son attaque contre Bourdieu et trouve quelques ressources dans l’opéraïsme pour penser le déclin de la figure ouvrière traditionnelle et l’émergence d’une nouvelle forme d’antagonisme.

Théorie et enquête. Rencontre avec la revue Viewpoint

Viewpoint Magazine est une revue de théorie marxiste en ligne basée aux États-Unis, initiée dans le cadre des débats autour des mouvements Occupy. Il s’agit d’une publication ouverte sur les nouvelles formes de radicalités et portée théoriquement sur les traditions révolutionnaires extraparlementaires, ultra-gauche et opéraïstes. Viewpoint Mag propose régulièrement des livraisons thématiques, sollicitant des contributeurs contemporains mais aussi traduisant ou republiant des analyses plus anciennes du mouvement révolutionnaire – en particulier la séquence rouge des années 1960 et 1970 en Italie, France et Allemagne. Dans cet entretien, les deux initiateurs de la revue nous expliquent leur projet théorique et politique et les défis de la pensée marxiste aux États-Unis. Ils nous mettent en garde contre tout esprit défensif vis-à-vis des « pensées critiques » non marxistes, et invitent à réinventer la tradition marxiste à l’aune du présent.

Radical America (1967-1987) : redécouvrir une tradition révolutionnaire. Entretien avec Paul Buhle

Radical America a pris naissance en 1967 à l’initiative de Paul Buhle. Cette revue d’histoire radicale a mené des enquêtes approfondies et novatrices sur les luttes sociales de l’époque (des luttes de libération noires aux mouvements féministes), fait retour sur l’histoire sociale et politique américaine et a fait connaître aux États-Unis des courants politiques émergents comme l’autonomie ouvrière italienne. Cet entretien avec Paul Buhle est l’occasion de revenir sur cette expérience importante de la nouvelle gauche étudiante des années 1960-1970, sur la conjoncture historique qui l’a vue naître, et sur ce que pourrait signifier un usage radical et révolutionnaire de l’histoire des luttes sociales. Radical America ou l’idée d’un « passé à réactiver », comme pour mieux insister sur les temporalités fondamentalement discordantes que mobilise la mémoire des mouvements politiques d’émancipation.

Althusser et l’opéraïsme. Notes pour l’étude d’une « rencontre manquée »

L’althussérisme et l’opéraïsme de Tronti représentent deux des tendances les plus marquantes du marxisme des années 1960. Pourtant, malgré certaines similarités, ces deux expériences théoriques se sont mutuellement ignorées, et il aura fallu attendre les élaborations postopéraïstes de Negri pour qu’elles commencent à dialoguer. C’est cependant sur un tout autre terrain que Fabrizio Carlino et Andrea Cavazzini esquissent ici un rapprochement entre Althusser et Tronti : celui du rapport entre la théorie et la pratique, dont la problématisation culmine dans la double thèse du primat des classes sur leur lutte et du caractère intrinsèquement politique de l’économie.

Althusser, un optimisme communiste. Entretien avec Panagiotis Sotiris

Althusser avait confiance dans le potentiel des masses populaires. Il a mis ses espoirs dans les nouvelles formes politiques qui se développaient en marge du parti communiste et tout le développement de sa philosophie est à l’image de cette préoccupation. Telle est la thèse contre-intuitive soutenue dans cet entretien par le philosophe et dirigeant anticapitaliste grec Panagiotis Sotiris, revisitant le rapport théorie-pratique, la question de l’hégémonie, le rôle des Universités ou encore le statut marxiste de la philosophie. Au-delà des clichés qui pèsent sur l’althussérisme (philosophie de l’ordre, scientisme), Panagiotis Sotiris propose un Althusser actuel, un théoricien de la politique et de la philosophie pour un renouveau du communisme organisé.

Crise et enquête

Asad Haider revient ici sur deux traditions théoriques et militantes, l’opéraïsme et le conseillisme, qu’il propose de faire dialoguer autour des thèmes de la crise et de la composition de la classe ouvrière. Il milite en faveur d’un réinvestissement de la pratique opéraïste de l’enquête, seule susceptible de dégager les conditions d’une recomposition antagonique du prolétariat.