Langages en révolution : problèmes de linguistique soviétique

On considère souvent que le marxisme, focalisé qu’il est sur les rapports économiques, n’a rien d’intéressant à dire sur le langage. Dans cet article issu d’une intervention au colloque Penser l’émancipation, Juliette Farjat rappelle au contraire combien fut riche la réflexion marxiste sur le langage. Revenant sur les débats linguistiques occasionnés par la révolution d’octobre, elle montre que le langage doit à la fois être conçu comme l’instrument et comme l’objet de la transformation révolutionnaire de la société. Car si la langue exprime l’ensemble des oppressions que vise à dépasser la révolution, elle est aussi le medium dans lequel se constitue le sujet révolutionnaire.

Les marqueurs grammaticaux sont des marqueurs de pouvoir : grammaire de l’interpellation

Prolongeant ses études sur le langage d’un point de vue marxiste, Jean-Jacques Lecercle propose ici d’approfondir la théorie de l’interpellation. À partir d’Althusser et de son célèbre article sur les appareils idéologiques d’État, le concept d’interpellation popularisé par Judith Butler est censé décrire la façon dont l’idéologie fait de nous des sujets parlants, des sujets situés dans le social et positionnés dans le discours comme sujets d’énonciation. Pour Lecercle, l’interpellation, le fait d’être désigné par la langue parlée ou écrite, suppose une grammaire de l’oppression et de la résistance, une dialectique sémantique et syntaxique qui articule la soumission à l’ordre établi, les formes de reconnaissance sociale et les expressions d’une négation de l’ordre établi. Lecercle conclut cette exposition magistrale par une théorie du style comme jeu incessant d’interpellation et de contre-interpellation. « Le style, c’est la lutte des classes dans la grammaire. »

Langage, culture et politique en Russie révolutionnaire : entretien avec Craig Brandist

Le bolchévisme a aussi été une politique culturelle. Celle-ci s’est avérée nécessaire du fait de la multiplicité de couches sociales, de nationalités opprimées et de populations semi-illettrées qu’il s’agissait d’unifier. Dans cet entretien fascinant, Craig Brandist développe l’ensemble des enjeux autour du lien entre hégémonie prolétarienne et politique de la culture et des langages. Du mouvement proletkult aux expérimentations de la jeune république soviétique avec le théâtre pour transformer la vie quotidienne, des impératifs éducatifs immédiats aux productions d’avant-garde, le bolchévisme a représenté le terrain fertile pour que puisse éclore une grande variété d’initiatives révolutionnaires sur le terrain de l’art et de la culture. Brandist nous initie également aux grandes questions polémiques d’hier et d’aujourd’hui, entre la réception soviétique du structuralisme et la dilution du concept gramscien d’hégémonie dans les élaborations postmodernes. Qu’il s’agisse de lutter contre le colonialisme linguistique ou de développer des contre-institutions de masse, la culture est bel et bien affaire de lutte des classes.

Le marxisme a besoin d’une philosophie du langage

Une philosophie marxiste du langage est possible et nécessaire. Dans ce texte, Jean-Jacques Lecercle exprime de façon concise les traits principaux d’une telle philosophie. Son acte fondateur, pensé avec Gramsci, consiste à rompre avec une vision intemporelle, héritée de Saussure, pour laquelle le langage n’est qu’un système clos. Le langage est inséparable de phénomènes extra-langagiers, des rituels et des pratiques inscrites dans des appareils idéologiques d’État. Tirer profit de cette complexité du langage, de son caractère historique, c’est concevoir toute lutte de classe comme lutte dans l’élément du langage, comme processus d’interpellation et de contre-interpellation. C’est concevoir le langage comme praxis.

Penser le langage en conjoncture. Entretien avec Jean-Jacques Lecercle

Le langage est souvent séparé de son histoire. Pourtant, toutes les langues cristallisent des usages et des règles passés, présents et futurs ; elles sont aussi le produit de rapports de force, un agencement de locuteurs embarqués dans les luttes de leur époque, du monde matériel, d’écrits littéraires, juridiques, politiques. Jean-Jacques Lecercle revient ici sur les penseurs qui permettent de penser le langage en conjoncture à partir du marxisme : Gramsci, Deleuze et Guattari, Althusser, Raymond Williams. De la pratique politique à la littérature, intervenir dans une idéologie c’est, indissociablement, intervenir dans une conjoncture linguistique.