En défense de la sauvagerie

La nature sauvage, objet d’aventure et de conquête, représente un fantasme classique de l’imaginaire réactionnaire. De la conquête de l’ouest aux « ténèbres » de Marlow, faire ses preuves dans un environnement hostile, forêt tropicale, désert, montagnes escarpées, est un véritable tropisme colonial et viriliste. Andreas Malm fait ici le constat qu’avec la catastrophe écologique, cet imaginaire est bien de retour, sous les avatars conservateurs du « survivalisme ». Mais Malm propose de tracer une autre tradition, émancipatrice, ayant mis à l’honneur cette « nature sauvage ». En effet, pour les esclaves marrons, de Jamaïque ou de Saint Domingue, c’est la « naturalité » des forêts que les planteurs n’avaient pas su apprivoiser qui fut le meilleur moyen de défense de leurs communautés. Malm propose une exploration fascinante de cet environnementalisme des pauvres, des communes marrones ayant traversé les siècles en Jamaïque aux territoires libérés de la forêt biélorusse par les partisans juifs.

Le mythe de l’anthropocène

Andreas Malm revient ici sur les usages – et mésusages – du concept d’anthropocène dont il expose les contradictions et les apories. En partant de la catégorie d’espèce humaine pour qualifier l’époque géologique actuelle, les partisans de l’anthropocène proposent une lecture faussée du réchauffement climatique. La spécificité historique du développement capitaliste fondé sur l’énergie fossile se retrouve diluée dans le récit mythique d’une humanité abstraite jouant avec le feu depuis des millénaires.

La nature du capital : un entretien avec Jason W. Moore

L’écologie politique affirme généralement vouloir protéger ou sauvegarder la nature. Pour Jason W. Moore, un tel objectif repose sur une opposition abstraite entre « la Nature » et « la Société », dont on retrouve les traces dans l’hypothèse récente de l’anthropocène, ou dans l’idée qu’il y aurait, à côté des crises économiques et politiques, une crise environnementale. Pour Moore, il n’y a qu’une seule crise : celle du capitalisme, qui dépend vitalement pour son accumulation de l’extraction de ressources, de l’appropriation d’énergie non payée et de l’exploitation des corps, c’est-­à-­dire de tout ce qu’on range habituellement sous la catégorie de « Nature ». Il nous faut donc intégrer le capitalisme dans la nature, et la nature dans le capitalisme, afin de faire émerger les objectifs communs aux luttes anticapitalistes, écologistes, féministes et antiracistes.

« Mères porteuses » et marchandisation des tissus organiques : une bioéconomie mondialisée

Avec la mondialisation néolibérale, la production d’ovocytes ou de tissu fœtal par l’organisme serait-il devenu un travail ? C’est ce que défendent plusieurs anthropologues, dont Kevin Floyd discute ici l’hypothèse centrale : la reproduction biologique serait désormais assimilable au travail gratuit réalisé par les femmes dans la sphère domestique, ou au travail générant de la valeur dans les industries du sexe ou du « care ». Floyd relève ici les mérites d’une telle analyse, tout en proposant une autre lecture : considérer la sur-exploitation des femmes à travers le « mode biomédical de reproduction » comme une accumulation par dépossession, une expropriation financiarisée du matériel biologique féminin.

La nature n’existe pas

La nature n’est pas un terrain neutre, mais le nœud de conflits sociaux irréductibles. L’ouvrage de Razmig Keucheyan, « La nature est un champ de bataille », s’attache à déconstruire le discours de l’écologie politique dominante. Il y analyse en outre la place de l’écologie dans la réorganisation actuelle du capitalisme. En considérant l’environnement comme un lieu traversé par divers rapports de domination, Razmig Keucheyan s’attache à élaborer un concept de nature réinvesti par certaines problématiques issues de la théorie marxiste. Et c’est précisément cette perspective que se propose d’examiner Paul Guillibert dans cet article, en interrogeant le concept de nature ici mobilisé.

Décoloniser la nature

La séparation entre nature et société n’est pas seulement une erreur théorique, c’est aussi l’instrument de la domination occidentale. Revisitant les débats de l’histoire environnementale du colonialisme, Paul Guillibert retrace les jalons d’une analyse marxiste de l’impérialisme écologique. Il examine ici deux vecteurs de la prédation occidentale : la domestication des écologies non européennes et la préservation environnementale dans les colonies.