Sur la violence révolutionnaire

Aujourd’hui comme hier, les luttes d’émancipation sont sommées d’exorciser leur prétendue « violence ». Au cœur des années 2000, à l’heure de l’altermondialisme et des mouvements antiguerre, l’agenda dominant entendait imposer la non-violence comme mot d’ordre : contre les résistances palestinienne et irakienne, contre les black blocs. Dans ce texte de 2003, le philosophe Georges Labica se saisissait de cette conjoncture pour rappeler un fait massif : la période était déjà sous le signe de la guerre globale et d’une mondialisation conquérante. La violence est du côté du système ; pour les opprimés et les exploités, elle est une réponse stratégique. « Les endormissements, les résignations, et les soumissions n’auront qu’un temps. Les conditions sont d’ores et déjà réunies pour qu’éclatent, aux endroits les plus inattendus, soulèvements de masse, insurrections, révoltes sanglantes ou actes “terroristes” que les bonnes consciences vilipenderont de leurs cris d’orfraies. »

Le marxisme entre science et utopie

La vulgate marxiste oppose, selon la formule, socialisme utopique et socialisme scientifique. L’utopie n’aurait rien à faire avec la science ; les grands systèmes de Saint Simon, de Thomas More ou de Fourier auraient été à tout jamais dépassés par le marxisme. Pour Georges Labica, les choses ne sont pas si simples. Le rejet de l’utopie a été, pour Marx et Engels, leur façon de rompre avec la démarche surplombante de la gauche philosophique allemande. Elle convoque la raison historique contre les approches spéculatives. Mais les utopies résistent à l’empire de la science : leur portée anticipatrice a constamment nourri Marx et Engels. Et l’évacuation de l’utopie critique a aussi marqué l’avènement de la terrible utopie stalinienne, la pseudo-science ossifiée du marxisme-léninisme. L’utopie, le « non-encore-advenu », est décidément une part indissociable de la conception marxiste de l’histoire et de la politique.

L’Égypte : marxisme et spécificité

L’Islam dans les formations capitalistes périphériques est-il soluble dans le marxisme ? C’est ce qu’interroge Georges Labica dans cette recension détaillée de l’ouvrage d’Anouar Abdel-Malek « Idéologie et renaissance nationale ». À travers la reconstruction magistrale de l’histoire de l’idéologie nationale en Égypte par Abdel-Malek, toutes les ambiguïtés des sociétés postcoloniales à dominante musulmane sont mises au jour : l’incertitude entre la nation et la communauté religieuse, le rôle économique et militaire centralisé de l’État, la résistance unitaire à la colonisation. Au-delà d’une histoire intellectuelle de la renaissance égyptienne, de son échec et des origines du nassérisme, Labica engageait alors une discussion sur les intellectuels progressistes dans le monde arabe, leur déracinement et leur résilience. La confrontation avec Abdel-Malek révélait alors une voie de recherche féconde pour un marxisme résolument anti-eurocentrique.