Il faut à tout ce monde un grand coup de fouet. Mouvements sociaux et crise politique dans l’Europe médiévale

L’histoire est un champ de bataille, c’est aussi le cas au Moyen Ầge. Grèves de loyers et de taxes, hérésies communistes, libération sexuelle et luttes des femmes pour le contrôle des naissances, telles sont les aventures méconnues des pauvres et des prolétaires en Europe entre le XIIe et le XVe siècle. Dans ce premier chapitre de « Caliban et la sorcière », publié en exclusivité avec l’aimable autorisation des éditions Entremonde, Silvia Federici fait le récit de ces révoltes antiféodales, et de la contre-révolution aux origines du patriarcat moderne. La sortie de cet ouvrage féministe majeur est prévue pour juin 2014.

C.L.R. James : vers un matérialisme postcolonial

La critique de l’eurocentrisme est à renouveler. Pour certains, appliquer les concepts du marxisme au-delà des frontières de l’Europe est une condition suffisante pour réviser les attaches européennes de la théorie sociale. Pour d’autres, provincialiser l’Europe nécessite de renoncer à toute conceptualisation unitaire du capitalisme et des conflits qui se déploient en son sein. Matthieu Renault propose de changer les termes de ce débat en insistant sur l’originalité et l’importance du travail théorique de CLR James. Le marxisme caribéen de James offre une clé essentielle de la critique de l’eurocentrisme, que Matthieu Renault choisit d’examiner au prisme des notions de civilisation et de traduction.

Difficultés dans la théorisation marxiste de la race

La race pose problème au marxisme : comment éviter de réduire le racisme à un « dommage collatéral » de l’oppression économique ? Comment éviter de formuler des hypothèses historiques trop contraignantes sur ses origines et sa portée ? E. San Juan Jr. propose ici, dans un texte séminal publié pour la première fois en 1989, de confronter ces problèmes à partir du concept d’hégémonie et de conjoncture. La race et les luttes antiracistes se conçoivent dès lors comme des résultats singuliers de stratégies hégémoniques.

Historical Materialism, un espace de recherche marxiste – entretien avec Sebastian Budgen

Historical Materialism est l’un des espaces majeurs du marxisme contemporain. Depuis sa naissance en 1997, cette revue théorique a publié des articles et numéros de référence, développé une collection d’ouvrages chez Brill et initié des conférences annuelles à Londres, New York, Toronto, Sydney et Delhi. Sachant associer exigence et ouverture, classicisme et renouveau, Historical Materialism est désormais incontournable dans la recherche marxiste contemporaine. Sebastian Budgen, l’un de ses membres fondateurs, revient sur cette histoire, ses tournants et les choix qui l’ont scandée.

Althusser, un optimisme communiste. Entretien avec Panagiotis Sotiris

Althusser avait confiance dans le potentiel des masses populaires. Il a mis ses espoirs dans les nouvelles formes politiques qui se développaient en marge du parti communiste et tout le développement de sa philosophie est à l’image de cette préoccupation. Telle est la thèse contre-intuitive soutenue dans cet entretien par le philosophe et dirigeant anticapitaliste grec Panagiotis Sotiris, revisitant le rapport théorie-pratique, la question de l’hégémonie, le rôle des Universités ou encore le statut marxiste de la philosophie. Au-delà des clichés qui pèsent sur l’althussérisme (philosophie de l’ordre, scientisme), Panagiotis Sotiris propose un Althusser actuel, un théoricien de la politique et de la philosophie pour un renouveau du communisme organisé.

Décoloniser la nature

La séparation entre nature et société n’est pas seulement une erreur théorique, c’est aussi l’instrument de la domination occidentale. Revisitant les débats de l’histoire environnementale du colonialisme, Paul Guillibert retrace les jalons d’une analyse marxiste de l’impérialisme écologique. Il examine ici deux vecteurs de la prédation occidentale : la domestication des écologies non européennes et la préservation environnementale dans les colonies.

Reproduction et lutte féministe dans la nouvelle division internationale du travail

Silvia Federici propose ici de réorienter l’agenda féministe dans les pays du Nord. En pointant les limites d’une approche exclusivement fondée sur les droits des femmes ou la prévention des violences sexistes, elle invite à remettre au centre de l’attention les effets de la nouvelle division internationale du travail. Loin de se résumer à une relocalisation des industries au Sud, cette nouvelle division du travail impose aux femmes des pays du Sud de réaliser une partie croissante du travail reproductif nécessaire des pays du Nord. En pointant cette hiérarchie mondiale, Federici souligne combien le mouvement féministe contemporain ne pourra faire l’impasse sur les nouvelles divisions parmi les femmes s’il entend rester un mouvement émancipateur.

Entre postopéraïsme et néoanarchie

Interrogeant les limites des présupposés politico-théoriques communs au post-opéraïsme et à l’anarchisme (puissance de l’imagination et de la « multitude », capitalisme cognitif, organisation des mouvements sur une base affinitaire), Carlo Formenti milite ici pour une réouverture de la discussion sur l’organisation politique, les stratégies de lutte et les scénarios de transition.

Transition et tragédie

La transition a mauvaise presse. Si le communisme est à nouveau prononçable, ce n’est plus le nom du passage vers une société sans classes et sans État, mais seulement celui du projet générique de l’émancipation. Alberto Toscano revient sur la difficulté actuelle à penser la transition, après les catastrophes du 20e siècle et à la veille de catastrophes annoncées. Il est temps de penser la transition sous la forme tragique qui est la sienne. C’est là la grande leçon à tirer de l’expérience communiste si l’on veut conserver un sens pratique à l’émancipation. Une première version de cette contribution a été présentée à l’occasion du colloque Penser l’émancipation (Nanterre, février 2014).

Putes, corps désirants et émancipations

L’« épanouissement sexuel » est désormais un attribut incontournable pour celles qui prétendent accéder à des droits sociaux et politiques. Tel est le constat que Morgane Merteuil établit pour comprendre les nouveaux discours de criminalisation des travailleuses du sexe. S’appuyant sur une communication de Joan Scott, elle examine la façon dont le « désir » réel ou supposé des prostituées est devenu une arme aux mains des franges répressives. Celles et ceux qui militent aujourd’hui pour « l’abolition de la prostitution » se révèlent être les relais d’un libéralisme inavoué.