Lire Lire le Capital

Lire le Capital est un texte à la fois fascinant et irritant. Fruit d’une conjoncture intellectuelle exceptionnelle en France et d’une élaboration collective (entre Althusser et ses élèves), ce livre condense les problèmes et les avancées du premier moment théorique important de Louis Althusser. Dans cette préface à l’édition hongroise du livre, Étienne Balibar donne à voir les tensions qui ont affleuré dans l’écriture du texte et dans ses vies ultérieures, tant chez Althusser lui-même que chez ses collaborateurs d’alors. De Macherey à Lecourt en passant par Michel Pêcheux ou Rancière, Balibar synthétise ici la pluralité de trajectoires qui s’écrivent à partir de cet ouvrage, mais aussi la singularité propre d’un tel livre, portée par son caractère collectif, les influences des étudiants d’Althusser. Balibar offre une conclusion magistrale sur le rapport entre théorie et pratique, montrant qu’un détour par la théorie est peut-être la seule démarche pour nous prémunir d’un activisme sans objet.

[Guide de lecture] Althussérisme

Le cercle restreint autour d’Althusser est trop souvent présenté comme un simple appendice de la pensée du philosophe. À l’inverse, quand des « althussériens » majeurs ont suivi leur propre parcours intellectuel, leur lien à l’althussérisme a été plus ou moins distendu, que l’on pense à Balibar, Badiou ou Rancière. Par ailleurs, au-delà du premier cercle, l’althussérisme a eu un impact bien plus diffus. Panagiotis Sotiris fournit ici quelques clés de lecture pour rendre plus palpable le programme de recherche de l’althussérisme. Celui-ci tient en deux exigences : inventer une nouvelle pratique de la politique et un matérialisme de la rencontre. Entre théorie sociale, épistémologie, théorie du discours et économie politique, l’althussérisme est une perspective qui donne toute son ampleur à la conjoncture, au primat de la lutte des classes et de la stratégie, aux situations aléatoires et à la contingence des rapports de force.

[Guide de lecture] Althusser : mode d’emploi

L’oeuvre d’Althusser n’a pas souffert d’être tombée aux oubliettes ou d’avoir été ignorée : elle a pâti du contraire, d’être une pensée « bien connue ». Or comme le disait Hegel, « ce qui est bien connu est en général, pour cette raison qu’il est bien connu, non connu ». Tout le monde croît avoir compris Althusser sans l’avoir lu, si bien que le philosophe français représente soit l’épouvantail d’un marxisme froid et scientiste, soit un monument embarrassant de la pensée des années 1960. Pour les militants, il semble souvent incongru qu’on prête encore attention à une figure si controversée et si canonisée à la fois. Face à cette confusion, Panagiotis Sotiris, militant revendiqué du courant « althussérien » de la gauche grecque, propose un véritable mode d’emploi pour pénétrer le travail d’Althusser. Éclairant les différents aspects de sa pensée, il en détaille principalement trois « moments » : une redéfinition de la pratique marxiste de la philosophie, un renouveau profond de la pensée de l’idéologie et, last but not least, une refonte stratégique du mouvement communiste, mettant l’accent sur la dictature du prolétariat et la nécessité de travailler à une politique à distance de l’État.

Le Lénine d’Althusser

Lénine a bien une place fondatrice dans la trajectoire intellectuelle d’Althusser. Si les lecteurs du philosophe marxiste ont longtemps considéré que Lénine n’était rien d’autre qu’un prête-nom, Warren Montag tente ici au contraire de montrer le caractère inaugural des interventions d’Althusser sur Lénine. Par une lecture serrée de « Contradiction et surdétermination », Montag récapitule la dignité philosophique qu’Althusser est allé chercher dans la pensée politique de Lénine. Ces éléments de philosophie contenus dans des textes non philosophiques allaient s’inscrire au cœur de la lecture althussérienne de Spinoza, Machiavel, Rousseau : la rencontre de flux et de courants hétérogènes, la contradiction considérée comme multiple et complexe, le renouveau de la pensée dialectique des rapports de forces.

Philosophie et révolution. Althusser sans le théoricisme : entretien avec G. M. Goshgarian

Beaucoup n’ont retenu d’Althusser que deux images d’Épinal : celle d’un penseur abstrait attaché à une « Science » détachée des luttes de classes ou celle du « dernier Althusser » postmoderne voire mysticiste. Ce sont là des lecteurs pressés, comme nous le montre ici G. M. Goshgarian, spécialiste international de l’œuvre d’Althusser. Pour Goshgarian, les textes et leur chronologie y révèlent une constante : la centralité de la dictature du prolétariat. Ainsi, il faut relire tout ce corpus à l’aune des anni mirabiles de 1976-1978, celles où Althusser donne cohérence à une « nouvelle pratique de la philosophie » qui démasque les philosophies traditionnelles – philosophies d’État – et repense le marxisme comme « science de cette rencontre toujours aléatoire qu’est la lutte des classes ». Véritable tour d’horizon de la production althussérienne, cet entretien invite en outre à lire Être marxiste en philosophie, ouvrage inédit et majeur à paraître le 18 mars 2015.

Un texte inédit de Louis Althusser – Conférence sur la dictature du prolétariat à Barcelone

« Le communisme est notre unique stratégie […], non seulement il commande aujourd’hui, mais il commence aujourd’hui. Mieux : il a déjà commencé. » Par ces mots, prononcés en 1976, Louis Althusser défendait la dictature du prolétariat. Le 22e congrès du PCF venait en effet d’en abandonner le concept. Amorçant une réflexion sur le long terme, Althusser revient, à l’occasion de cette conférence, jusque là inédite en français, sur le sens du syntagme « dictature du prolétariat ». Il en révèle les sous-entendus, les malentendus et en propose, discrètement, une nouvelle lecture, dans laquelle le dépérissement de l’État « commence quand des organisations issues des masses s’emparent de certaines fonctions du nouvel État : dès son installation, ou même avant. […] Où ? Quand ? Il suffit d’ouvrir les yeux. Que sont donc les organisations communistes de lutte de classe sinon déjà du communisme ? Et que sont donc ces initiatives populaires qu’on voit naître ici et là, en Espagne, en Italie ou ailleurs dans les usines, dans les quartiers, dans les écoles, dans les asiles, sinon déjà du communisme? »