[Guide de lecture] La lutte armée en France et en Europe

Le plus souvent, on aborde l’histoire de la lutte armée en France et en Europe par la fin, c’est-à-dire par l’enfermement de ses principaux protagonistes. Cette histoire se trouve alors réduite à un épisode marginal, aussi bref que malheureux, que les portraits des membres d’Action Directe ou de la RAF diffusés par la presse suffiraient à la fois à expliquer et à enterrer. À rebours de cette conception journalistique de l’histoire, Aurélien Dubuisson situe ici l’émergence des groupes armés dans l’explosion subversive de Mai 68 et dans la multiplicité des trajectoires militantes qui y convergèrent. De l’importation de la littérature sud-américaine de guérilla à la constitution européenne d’un front armé transnational en passant par la traduction occidentale du maoïsme et par le développement de tactiques d’autodéfense dans l’aire de l’Autonomie, il dresse la cartographie d’un Kampfplatz prolétarien dont ni les condamnations morales, ni la fétichisation romantique ne sauraient épuiser la richesse.

La trajectoire théorique et politique de Mario Tronti

L’opéraïsme a acquis une renommée internationale pour son rôle fondateur dans l’émergence d’un marxisme autonome, acteur théorique majeur des conflictualités sociales en Italie à la fin du XXe siècle. Pour autant, le pionnier de cette approche, Mario Tronti, n’a pas suivi le chemin tumultueux des partisans autonomes de l’insurrection. Issu du parti communiste, la fin de l’expérience de Classe operaia a signifié pour lui un retour dans le giron du parti. Souvent décrite comme un reniement, la trajectoire intellectuelle de Tronti est ici restituée dans sa plénitude par Davide Gallo Lassere. Loin d’être une régression théorique, le tournant de l’autonomie du politique a été pour Tronti un prolongement de l’élaboration opéraïste sur le terrain des institutions. Convaincu du bien-fondé d’une pratique prolétaire du gouvernement, Tronti a proposé dans ces années crépusculaires une relecture stimulante des pensées conservatrices des institutions (de Weber à Schmitt). Sans prendre parti, Lassere propose de lire un Tronti encore inconnu en français, qui offre une contribution riche sur le devenir de la classe ouvrière et sur la question brûlante d’une realpolitik communiste.

11 Thèses sur le communisme possible

Le communisme est avant tout un processus. C’est en pleine fidélité à cet enseignement de Marx que le collectif C17, réunissant tant la recherche militante que des acteurs et actrices du mouvement social en Italie, a engagé une réflexion sur la recomposition politique et stratégique du communisme aujourd’hui. Ce texte, issu des traditions les plus actives de l’autonomie ouvrière et du postopéraïsme, constitue une courte contribution, extrêmement dense, pour penser le moment actuel. Tirant les conséquences de la reconfiguration de l’État, du capital, et des classes subalternes, le collectif réfléchit aux conditions d’une organisation révolutionnaire aujourd’hui : capitalisme de plateformes et précariat généralisé, actualité du double-pouvoir, multiplicité des formes de vie subalternes. Loin de proposer un cadre ou un programme définitifs (même s’il se risque y compris à la réflexion programmatique), ce texte invite à multiplier nos initiatives de combat, de débat entre révolutionnaires, d’enquête et de recherche militantes.

[Guide de lecture] Opéraïsmes

Parce qu’il a su relier l’exigence théorique et l’intervention pratique, l’autonomie des luttes et les perspectives stratégiques, l’opéraïsme fait aujourd’hui l’objet d’un vif intérêt dans différents secteurs de la gauche radicale. Pourtant, le faible nombre de traductions disponibles comme la richesse de cette tradition hétérodoxe du marxisme italien contribuent à en gêner l’appropriation créative. On réduit encore trop souvent l’opéraïsme à un courant homogène, que l’évocation de quelques grands noms (Mario Tronti, Toni Negri) ou l’invocation de quelques concepts clés (composition de classe, refus du travail) suffiraient à cerner. Par contraste, c’est à la diversité interne de l’expérience opéraïste qu’entendent ici rendre justice Julien Allavena et Davide Gallo Lassere. De la scission des Quaderni rossi aux débats que suscita l’émergence de nouvelles figures de la lutte des classes dans les années 1970, en passant par l’enquête ouvrière et la lecture de Marx, c’est une ligne de conduite intellectuelle et politique en perpétuel renouvellement qu’ils donnent à voir dans ce guide de lecture, qu’en complèteront bientôt deux autres consacrés à l’autonomie et au post-opéraïsme.

Action directe – Quelques éléments tactiques

L’héritage théorique d’Action directe semble avoir été enterré par la répression. Nous republions ici l’un des plus éloquents témoignages de l’élaboration d’AD, à travers un texte aujourd’hui introuvable, paru en 2001, qui fait le bilan de presque trois décennies de pratique révolutionnaire autonome, dont le spectre s’étend du maoïsme de la gauche prolétarienne jusqu’à l’opéraïsme, des luttes immigrées autonomes jusqu’aux fronts anti-impérialistes et pro-palestiniens. Alors tous les quatre incarcérés, ces anciens militants d’AD proposaient une analyse de classe de la période. Selon les auteurs, le capitalisme mondialisé a généralisé la condition prolétarienne ; le sujet révolutionnaire contemporain est désormais le prolétaire précaire de tous les continents ; le lieu décisif de l’action révolutionnaire n’est désormais plus l’État-nation, mais des « zones géostratégiques », tels que l’Europe ou le Moyen-Orient. La nouvelle période qui s’ouvre doit dès lors laisser place à une nouvelle forme d’organisation, le front révolutionnaire de classe, capable d’articuler comités de base, coordinations, détachements offensifs, et autres avant-gardes. Ce texte fait partie des chaînons manquants de la tradition marxiste autonome – il en restitue toute l’acuité stratégique.

Quelle condition ouvrière aujourd’hui ?

Y a-t-il encore un sens aujourd’hui à parler de « condition ouvrière » ? À cette question, les membres du collectif Infoaut répondent oui, plus que jamais, à condition de ne plus considérer l’industrie comme un secteur de l’économie capitaliste parmi d’autres, mais comme une modalité organisationnelle qui les traverse tous. Aujourd’hui comme hier, le propre de l’industrie est de confisquer à l’ouvrier la puissance de travail qu’il est (et non seulement la force de travail qu’il a) et, partant, d’organiser son activité dans ses moindres détails, de chercher à la « coder » dans sa totalité ; d’où la reproduction incessante, sous des formes en permanence renouvelées, du rapport antagonique entre le capital et les ouvriers eux-mêmes (et pas seulement entre le capital et le travail). Aujourd’hui comme hier, c’est la technologie capitaliste qui rend possible une telle subordination via l’incorporation toujours plus massive du travail vivant dans les machines ; un « rapport machinique » qui révèle la puissance du capital, mais qui laisse aussi entrevoir ses failles, ses points de rupture.

Lénine au-delà de Lénine

Dans la première de ses 33 Leçons sur Lénine, prononcées en 1972-1973, Negri se confronte au léninisme dans la période qui précède de peu la dissolution de Potere Operaio dans « l’aire de l’autonomie » et avant l’affirmation définitive de l’avènement de la figure de l’ouvrier-social. Un grand nombre des thèses centrales de la pensée opéraïste sont ici explicitées : l’articulation composition technique/politique de la classe, la centralité ouvrière dans le développement du capital, la discontinuité et la matérialité de la classe. Mais c’est surtout un rapport original à Lénine qui est déployé. Negri se revendique d’un « léninisme de méthode » dans la lignée de Lukács. Il s’agit néanmoins de rompre avec toute fétichisation de Lénine qui viserait à importer dans le temps présent le contenu effectif de la politique léniniste, à savoir les modalités organisationnelles, les choix tactiques ou encore le rapport entre le parti et la classe. La vérité de Lénine n’est pas intemporelle mais correspond à l’adéquation de sa politique à la composition historiquement située de la classe dont il a assumé la direction. Restituer à Lénine sa grandeur c’est remettre cette grandeur à sa place, derrière nous, dans la Russie de 1917 : Lénine au-delà de Lénine…

Retour sur l’Autonomie ouvrière italienne : entretien avec Sergio Bianchi

La maison d’éditions DeriveApprodi mène depuis sa création un important travail d’archive et de mise en récit de la séquence insurrectionnelle dans l’Italie des années 1970. Sergio Bianchi, son directeur éditorial, a été un acteur de cette histoire, l’une des périodes les plus fascinantes et les plus discutées de par le monde de l’histoire de la politique communiste et ouvrière dans l’Europe de la fin du XXe siècle. Au-delà des figures les plus connues qui ont survécu à la défaite de l’autonomie ouvrière, comme Toni Negri, nous avons proposé à Sergio Bianchi de nous parler de cet épisode, de l’importance et de la difficulté d’en faire l’histoire. L’autonomie s’incarne ainsi dans des trajectoires ouvrières, des questionnements sur la lutte armée et la violence, une rupture franche avec le mouvement ouvrier officiel et des théorisations de plus en plus audacieuses pour faire face à la crise du marxisme.

Radical America (1967-1987) : redécouvrir une tradition révolutionnaire. Entretien avec Paul Buhle

Radical America a pris naissance en 1967 à l’initiative de Paul Buhle. Cette revue d’histoire radicale a mené des enquêtes approfondies et novatrices sur les luttes sociales de l’époque (des luttes de libération noires aux mouvements féministes), fait retour sur l’histoire sociale et politique américaine et a fait connaître aux États-Unis des courants politiques émergents comme l’autonomie ouvrière italienne. Cet entretien avec Paul Buhle est l’occasion de revenir sur cette expérience importante de la nouvelle gauche étudiante des années 1960-1970, sur la conjoncture historique qui l’a vue naître, et sur ce que pourrait signifier un usage radical et révolutionnaire de l’histoire des luttes sociales. Radical America ou l’idée d’un « passé à réactiver », comme pour mieux insister sur les temporalités fondamentalement discordantes que mobilise la mémoire des mouvements politiques d’émancipation.

Brûler, habiter, penser. À propos de À nos amis du Comité Invisible

Dans À nos amis, le Comité invisible a tenté de produire un diagnostic global sur les traits marquants de « l’époque », c’est-à-dire sur les formes inédites de pouvoir qui structurent notre monde, les impasses des mouvements sociaux contemporains, la nécessité de briser la machine sociale. Pour Alberto Toscano, ce diagnostic souffre d’une faiblesse majeure : il repose sur une métaphysique de la « vie » qui enferme la réflexion du Comité invisible dans une éthique et empêche d’examiner à fond les perspectives ouvertes par le texte.