[Guide de lecture] Les théories marxistes de l’impérialisme

Si les discussions sur la mondialisation du tournant des années 2000 et les prises de position qu’imposent aujourd’hui la répression internationale de la révolution syrienne nous ont appris quelque chose, c’est qu’il est impossible de critiquer le capitalisme sans prendre en compte la forme concrète sous laquelle il existe à l’échelle mondiale : l’impérialisme. Dans ce guide de lecture, Claude Serfati revient sur les théories classiques de l’impérialisme développées par Lénine, Boukharine, Hilferding, Luxemburg et Trotsky comme sur les renouvellements dont ces théories ont récemment fait l’objet dans les travaux de David Harvey, Ellen Meiksins Wood, Leo Panitch et Sam Gindin ou William Robinson. Il montre à quel point, malgré leurs divergences, ces travaux partagent une même sous-estimation du rôle du militarisme dans la structure impériale de l’espace mondial. Un militarisme dont la fonction n’est pas simplement d’assurer la domination de tel ou tel pays dans le système des États, mais aussi de réprimer les mouvements sociaux anticapitalistes et anti-impérialistes qui se développent à l’intérieur de chacun de ces États. Dans cette perspective, le slogan zimmerwaldien « l’ennemi est dans notre pays » n’a sans doute rien perdu de son actualité.

Une brève histoire de l’impérialisme français

Aujourd’hui, le complexe militaro-industriel joue un rôle essentiel dans la morphologie du capitalisme français. La place de l’armée et de la sécurité dans la Ve République est par ailleurs connue pour être essentielle. On trace souvent une généalogie de cet état de fait dans la guerre d’Algérie et ses conséquences constitutionnelles. Il s’avère pourtant que cette position du militaire plonge ses racines dans tout le long XXe siècle, de la Commune de Paris à la guerre d’Algérie, en passant par les guerres de conquête coloniale. Appuyé sur une conceptualisation marxiste solide, Serfati trace, dans cet extrait de Le Militaire, une généalogie saisissante des dispositifs impérialistes français, à travers le rôle de la finance dans l’entreprise coloniale, mais aussi de l’impact de l’armée dans les rapports sociaux.

Pouvoir politique et races sociales

La race est le nœud qui lie le pouvoir d’État au grand capital. C’est cette analyse que propose ici Houria Bouteldja, à l’occasion d’un discours prononcé au « Procès de l’antiracisme politique » (25 mai 2016). Face aux attaques multiples dont le Parti des indigènes de la république a été la cible, parmi tout un spectre de mouvements de l’immigration et antiracistes présents à ce meeting, Boutledja déployait sa ligne de défense. Briser le système raciste suppose une politique d’alliance entre l’antiracisme politique et les franges radicalisées du mouvement social. Pour indiquer la centralité de la race au sein même des préoccupations du mouvement Nuit debout, Bouteldja propose un détour par l’histoire longue du capital et de l’État-nation. Elle retrace le nouage racial entre valorisation géopolitique et valorisation capitaliste. Et elle invite tous et chacun à participer au combat des descendants de colonisés pour défaire ce nœud, et donner aux luttes contre le néolibéralisme un contenu anti-étatiste et anti-impérialiste bien plus conséquent.

Qui s’intéresse encore à l’impérialisme français ? Entretien avec Claude Serfati

Souvent remis en cause, le concept d’impérialisme est essentiel à notre compréhension du monde. Loin d’être une lubie conspirationniste, ou encore un synonyme du colonialisme, il comporte des dimensions politique, économique et sociale. Pour Claude Serfati, il faut comprendre l’impérialisme comme l’expression politique des impératifs de l’accumulation du capital. À travers ce concept, il peint un tableau saisissant de la France d’aujourd’hui : une industrie exsangue et un faible potentiel d’expansion, compensées par une politique ultra-belliciste, néocoloniale, appuyée par de grands groupes stratégiques (armement, nucléaire, pétrole). Cette « économie politique de la Ve République », constitue une proposition théorique marxiste novatrice, qui permet d’articuler État et capital de façon résolument dialectique.

La théorie marxiste et les origines de la Première Guerre mondiale

En France pour son centenaire, la bataille de Verdun revient sur le devant de la scène. Dans ce contexte, les discours sur les origines de la Grande guerre se divisent en deux tendances : une explication géopolitique qui met en avant la responsabilité partagée de tous les belligérants, et une explication sociologique selon laquelle l’Allemagne est la coupable principale. Alexander Anievas entend dépasser cette aporie à l’aide de la théorie du développement inégal et combiné de Trotsky. Contrairement à la focalisation marxiste traditionnelle qui pense la lutte de classe et l’impérialisme dans les limites d’un mode de production relativement homogène, ce texte propose une explication solide des origines de la guerre à travers la nature entremêlée des processus socio-historiques de formation de classe et d’État.

Black like Mao. Chine rouge et révolution noire

La révolution noire a été une dimension incontournable de la politique radicale aux États-Unis dans la période d’après-guerre. Dans cette histoire, on retient avant tout l’impact du Black Panther Party, et l’on connaît bien son attrait pour la révolution chinoise et le maoïsme. Mais cette histoire ne s’arrête pas au BPP. L’intérêt pour le maoïsme plonge ses racines dans toute une politique noire radicale qui débute dès les années 1950. Dans cette grande étude datant de 1999, Robin Kelly et Betsy Esch mettent à jour toute une histoire méconnue du nationalisme noir radical, des groupes d’autodéfense armée de Robert Williams à la poésie révolutionnaire marxiste-léniniste d’Amiri Baraka. Ce large spectre nous renseigne sur un héritage crucial de l’internationalisme noir pour la politique d’émancipation.

[Audio] Rencontre-débat : « Décoloniser l’anarchisme » avec George Ciccariello-Maher

Il faut repenser l’anarchisme à partir du contexte non européen. C’est la conséquence que tire George Ciccariello-Maher de la cécité des mouvements libertaires occidentaux à l’égard des forces anti-étatiques en Amérique latine. Plutôt qu’un schéma doctrinal issu d’une tradition délimitée, il faut chercher l’anarchisme dans les pratiques d’insoumission et d’autodéfense populaires. C’était l’objet d’une conférence organisée par Période le 4 décembre dernier, ici disponible en téléchargement et en streaming.

Camarade prisonnier !

Lorsqu’il reçoit le « Booker Prize » en 1972 pour son grand roman « G », John Berger décide de partager la moitié du gain avec le « Black Panthers Party » afin de « retourner ce prix contre lui-même ». Un geste éminemment politique qui témoigne d’un engagement radical et jamais renié en faveur de l’émancipation. Écrivain, critique d’art et peintre, John Berger a construit une œuvre dans laquelle les modalités esthétiques et sensibles de l’égalité réfléchissent la nécessité historique du combat pour la libération de l’humanité. Ce qu’exprime admirablement ce texte, « Camarade prisonnier ! » véritable réquisitoire contre la mutilation de la vie et réflexion sur la domination du capital dont la figure carcérale en fournirait l’allégorie.

L’Égypte : marxisme et spécificité

L’Islam dans les formations capitalistes périphériques est-il soluble dans le marxisme ? C’est ce qu’interroge Georges Labica dans cette recension détaillée de l’ouvrage d’Anouar Abdel-Malek « Idéologie et renaissance nationale ». À travers la reconstruction magistrale de l’histoire de l’idéologie nationale en Égypte par Abdel-Malek, toutes les ambiguïtés des sociétés postcoloniales à dominante musulmane sont mises au jour : l’incertitude entre la nation et la communauté religieuse, le rôle économique et militaire centralisé de l’État, la résistance unitaire à la colonisation. Au-delà d’une histoire intellectuelle de la renaissance égyptienne, de son échec et des origines du nassérisme, Labica engageait alors une discussion sur les intellectuels progressistes dans le monde arabe, leur déracinement et leur résilience. La confrontation avec Abdel-Malek révélait alors une voie de recherche féconde pour un marxisme résolument anti-eurocentrique.

La politique antiraciste du Parti communiste des États-Unis dans les années 1930

Le marxisme et le mouvement ouvrier sont loin d’avoir toujours donné toute sa place à l’oppression raciale. La notion abstraite de « classe ouvrière » a souvent fait écran sur les rapports d’oppression réels qui traversent le prolétariat. Cette faiblesse a parfois été surmontée au prix d’un profond travail autocritique. C’est le cas du Parti communiste états-unien qui, confronté à une classe ouvrière racialement stratifiée, a développé une réflexion théorique et une pratique politique particulièrement novatrice sur la question raciale. Loren Balhorn retrace l’histoire qui a fait du mouvement ouvrier révolutionnaire américain un véritable laboratoire de la lutte de libération noire.