Marx et les limites du capitalisme : relire le « fragment sur les machines »

Il est courant de lire que dans le « fragment sur les machines » issu des Grundrisse, Marx aurait annoncé le triomphe du travail immatériel et la fin de la société industrielle. Dans cette optique, l’exploitation et la résistance ne se jouent plus au sein du travail salarié, mais à travers les capacités affectives, communicationnelles et cognitives des individus. Riccardo Bellofiore et Massimiliano Tomba retracent ici la généalogie de cette interprétation, de Bordiga à Negri en passant par Panzieri, Tronti et Virno. Bellofiore et Tomba proposent une lecture alternative du fameux « fragment », fidèle au premier opéraïsme mais opposée à sa postérité autonomiste: Marx analyse une contradiction entre d’une part l’extension des marchés et des besoins sociaux, et d’autre part l’impératif d’exploiter la force de travail. En d’autres termes, le travail vivant et le travail exploité coexistent toujours, et constituent l’antagonisme irréductible du capitalisme.

L’usine nostalgique

La fin des années 1970 a été un moment de rupture et de reconfiguration historique de grande ampleur : l’après-Mai 68 et la recomposition du champ politique qui l’accompagne – avec pour horizon la décomposition du gauchisme. Dans le champ intellectuel, une certaine sociologie des classes populaires prenait le pas sur un marxisme en crise. Dans ce texte de 1980 issu de la revue-collectif Les révoltes logiques, Jacques Rancière invite à repenser le nouage entre pratique et savoir militant, à l’aune de ce retournement du marxisme en sociologie. Dans ce mouvement, Rancière lance déjà son attaque contre Bourdieu et trouve quelques ressources dans l’opéraïsme pour penser le déclin de la figure ouvrière traditionnelle et l’émergence d’une nouvelle forme d’antagonisme.

Théorie et enquête. Rencontre avec la revue Viewpoint

Viewpoint Magazine est une revue de théorie marxiste en ligne basée aux États-Unis, initiée dans le cadre des débats autour des mouvements Occupy. Il s’agit d’une publication ouverte sur les nouvelles formes de radicalités et portée théoriquement sur les traditions révolutionnaires extraparlementaires, ultra-gauche et opéraïstes. Viewpoint Mag propose régulièrement des livraisons thématiques, sollicitant des contributeurs contemporains mais aussi traduisant ou republiant des analyses plus anciennes du mouvement révolutionnaire – en particulier la séquence rouge des années 1960 et 1970 en Italie, France et Allemagne. Dans cet entretien, les deux initiateurs de la revue nous expliquent leur projet théorique et politique et les défis de la pensée marxiste aux États-Unis. Ils nous mettent en garde contre tout esprit défensif vis-à-vis des « pensées critiques » non marxistes, et invitent à réinventer la tradition marxiste à l’aune du présent.

L’hypothèse communiste et la question de l’organisation

Quelles leçons politiques, stratégiques et organisationnelles peut-on tirer de la discussion philosophique sur le communisme ? C’est à cette question que se propose ici de répondre Peter Thomas, en replaçant le débat sur « l’hypothèse communiste » dans la perspective des théorisations de la forme-parti qui, de Lukács à l’opéraïsme en passant par Gramsci, ont émergé du mouvement ouvrier. Loin de toute fétichisation ou de toute critique abstraite du parti, l’auteur milite en faveur du réinvestissement de la figure gramscienne du « prince moderne », susceptible à ses yeux de promouvoir et de consolider les diverses luttes qui travaillent le présent historique.

Enseignement supérieur et classes sociales : production et reproduction

À l’heure des offensives néolibérales contre l’enseignement supérieur, Panagiotis Sotiris revient sur le rôle politique des universités dans la reproduction des rapports de classes. Si la légitimité de la classe dominante est constamment reproduite à travers « l’État intégral », l’université joue un rôle déterminant dans cette reproduction. Loin des approches strictement sociologiques et structuralistes de l’enseignement supérieur, Panagiotis Sotiris montre – à partir d’un dialogue avec Althusser, Poulantzas, l’opéraïsme italien et Gramsci – que l’université est en première et en dernière instance, un appareil d’hégémonie.

Althusser et l’opéraïsme. Notes pour l’étude d’une « rencontre manquée »

L’althussérisme et l’opéraïsme de Tronti représentent deux des tendances les plus marquantes du marxisme des années 1960. Pourtant, malgré certaines similarités, ces deux expériences théoriques se sont mutuellement ignorées, et il aura fallu attendre les élaborations postopéraïstes de Negri pour qu’elles commencent à dialoguer. C’est cependant sur un tout autre terrain que Fabrizio Carlino et Andrea Cavazzini esquissent ici un rapprochement entre Althusser et Tronti : celui du rapport entre la théorie et la pratique, dont la problématisation culmine dans la double thèse du primat des classes sur leur lutte et du caractère intrinsèquement politique de l’économie.

Marx Global – entretien avec Jan Hoff

Le livre de Jan Hoff « Marx Global » représente sans doute l’étude la plus complète des différentes interprétations de la critique marxienne de l’économie politique des années 1960 à aujourd’hui. Dans cet entretien, l’auteur présente les enjeux de ce travail, revient sur certaines grandes interprétations, et propose de décentrer notre rapport à Marx en mettant au premier plan des débats largement ignorés en Europe ou aux États-Unis.

Entre postopéraïsme et néoanarchie

Interrogeant les limites des présupposés politico-théoriques communs au post-opéraïsme et à l’anarchisme (puissance de l’imagination et de la « multitude », capitalisme cognitif, organisation des mouvements sur une base affinitaire), Carlo Formenti milite ici pour une réouverture de la discussion sur l’organisation politique, les stratégies de lutte et les scénarios de transition.

La « vie quotidienne » : une analyse féministe

Dans cet article issu d’une intervention au colloque Penser l’émancipation (Nanterre, février 2014), Simona de Simoni propose de mobiliser la catégorie de « vie quotidienne » dans une perspective féministe : envisagé sous l’angle des théories de la reproduction sociale et des revendications qu’elles ont pu alimenter (notamment celle du salaire domestique), le quotidien apparaît non seulement comme un espace de valorisation capitaliste, mais aussi comme un enjeu stratégique pour les luttes anticapitalistes et antisexistes contemporaines.

Crise et enquête

Asad Haider revient ici sur deux traditions théoriques et militantes, l’opéraïsme et le conseillisme, qu’il propose de faire dialoguer autour des thèmes de la crise et de la composition de la classe ouvrière. Il milite en faveur d’un réinvestissement de la pratique opéraïste de l’enquête, seule susceptible de dégager les conditions d’une recomposition antagonique du prolétariat.