Chester Himes, Ralph Ellison, Richard Wright : communisme et expériences vécues de la race – un entretien avec Catherine Bergin

Les rapports entre les militants et écrivains africains-américains et le Parti Communiste constituent aujourd’hui un enjeu majeur de l’historiographie de la gauche aux États-Unis. Dans cet entretien, mené par Selim Nadi, Catherine Bergin interroge leur évolution durant l’entre-deux guerres tout en soulignant l’importance de l’étude de la littérature noire des années 1940 et 1950 pour saisir la place occupée par le communisme dans l’imaginaire africain-américain. À partir de romans de Richard Wright, Chester Himes et Ralph Ellison, Bergin analyse les représentations des subjectivités noires dans leurs relations à l’identité communiste. Elle propose ainsi de complexifier l’interprétation dominante de cette littérature en l’arrachant à la grille de lecture de la Guerre froide et en démontrant que la littérature permet de traiter la question raciale « d’une manière unique ».

Panafricanisme et communisme : entretien avec Hakim Adi

À côté de l’histoire dominante des parti communistes européens, centrée sur la classe ouvrière métropolitaine, il est possible de retracer la trajectoire souterraine de ces militants communistes et panafricains, minoritaires dans leurs partis, mais activement soutenus par Moscou dans l’entre-deux-guerres. Il s’agit d’une époque où les jeunes partis communistes sont dominés par des Blancs, des métropolitains, ou par des colons aux colonies. Pour combattre l’opportunisme, le chauvinisme implicite ou explicite de ces militants, l’Internationale communiste a procédé à la structuration d’une série d’organisations transnationales, chargées de coordonner l’activité révolutionnaire autour de la « question noire » : Afrique du Sud, colonies d’Afrique noire, ségrégation aux États-Unis, etc. Hakim Adi raconte ici cette histoire inédite, celle d’une rencontre originale entre le communisme, le nationalisme noir et le panafricanisme.

Pouvoir politique et races sociales

La race est le nœud qui lie le pouvoir d’État au grand capital. C’est cette analyse que propose ici Houria Bouteldja, à l’occasion d’un discours prononcé au « Procès de l’antiracisme politique » (25 mai 2016). Face aux attaques multiples dont le Parti des indigènes de la république a été la cible, parmi tout un spectre de mouvements de l’immigration et antiracistes présents à ce meeting, Boutledja déployait sa ligne de défense. Briser le système raciste suppose une politique d’alliance entre l’antiracisme politique et les franges radicalisées du mouvement social. Pour indiquer la centralité de la race au sein même des préoccupations du mouvement Nuit debout, Bouteldja propose un détour par l’histoire longue du capital et de l’État-nation. Elle retrace le nouage racial entre valorisation géopolitique et valorisation capitaliste. Et elle invite tous et chacun à participer au combat des descendants de colonisés pour défaire ce nœud, et donner aux luttes contre le néolibéralisme un contenu anti-étatiste et anti-impérialiste bien plus conséquent.

Marxisme et théorie de la race : état des lieux

Les théories critiques de la race sont parfois perçues comme un élément étranger au marxisme, importées des Cultural Studies ou participant de la décomposition d’une perspective matérialiste dans la théorie. Contre ce préjugé, David Roediger dresse ici l’histoire longue ainsi que le bilan des études critique de la race : des réflexions pionnières de Du Bois aux recherches menées dans le sillage de la Nouvelle gauche sur l’histoire de la blanchité par Roediger, Ignatiev ou Allen, c’est un marxisme particulièrement original, ouvert sur d’autres formes de savoir telles que la psychanalyse et toujours fondé sur l’expérience des luttes de classe qui se révèle ainsi.

Politique des parias. Sur la racialisation de la classe ouvrière anglaise

Depuis l’étude magistrale d’E.P. Thompson sur la formation de la classe ouvrière anglaise, on ne peut plus faire une histoire marxiste du prolétariat sans comprendre les étapes qui l’ont mené à sa propre formation culturelle, politique, communautaire. La racialisation de la classe ouvrière est longtemps restée l’un des points aveugles d’une telle approche – un aspect pourtant essentiel de la « formation de classe ». Dans son livre sur le racisme, les classes et les « parias racialisés », Satnam Virdee tente de combler cette lacune en reconstruisant le fil perdu de la race et de l’antiracisme dans la formation des classes ouvrières. Il s’avère que, de l’antisémitisme d’hier à l’islamophobie d’aujourd’hui, les parias racialisés au sein du prolétariat sont appelés à jouer un rôle déterminant dans la mise au jour et la lutte contre le racisme inscrit au sein du mouvement ouvrier.

La politique antiraciste du Parti communiste des États-Unis dans les années 1930

Le marxisme et le mouvement ouvrier sont loin d’avoir toujours donné toute sa place à l’oppression raciale. La notion abstraite de « classe ouvrière » a souvent fait écran sur les rapports d’oppression réels qui traversent le prolétariat. Cette faiblesse a parfois été surmontée au prix d’un profond travail autocritique. C’est le cas du Parti communiste états-unien qui, confronté à une classe ouvrière racialement stratifiée, a développé une réflexion théorique et une pratique politique particulièrement novatrice sur la question raciale. Loren Balhorn retrace l’histoire qui a fait du mouvement ouvrier révolutionnaire américain un véritable laboratoire de la lutte de libération noire.

De l’aristocratie ouvrière à l’Union sacrée : Du Bois sur les origines coloniales de 1914

L’impérialisme et la colonisation sont les racines de la Première guerre mondiale. Alors que l’on commémore les cent ans de la guerre de 1914, Alberto Toscano revient sur l’interprétation qu’en offrit, dans les années 1910, W.E.B. Du Bois, marxiste noir américain. Pour ce dernier, la Première guerre mondiale ramène sur le territoire européen un conflit que les grandes puissances impérialistes européennes se livraient sur le territoire de l’Afrique depuis plusieurs décennies. Revenant sur les notions centrales de W.E.B. Du Bois de « salaire de la blancheur » et de « ligne de couleur », Toscano montre ainsi la difficulté stratégique qu’a posé la guerre pour les Noirs américains, et en particulier pour Du Bois : puisque la ligne de couleur traverse autant les mouvements ouvriers des pays du centre que le monde capitaliste lui-même, la question du ralliement à l’effort de guerre supposait de répondre à la double exigence de lutter contre l’impérialisme américain et contre le racisme du mouvement ouvrier.

Femmes noires et communisme : mettre fin à une omission

Ce texte, paru dans l’organe théorique du Parti communiste américain en 1949, est une contribution pionnière sur la triple oppression dont les femmes noires sont la cible en tant que femmes, en tant que noires et en tant que travailleuses. Claudia Jones, alors jeune cadre du parti, y montre comment cette oppression se cristallise non seulement sur le marché du travail, mais aussi dans les organisations du mouvement ouvrier et au sein du mouvement féministe. Dénonçant l’incapacité des progressistes à reconnaître l’expérience de luttes accumulée par les femmes noires au cours de leur histoire, elle appelle les révolutionnaires à faire de l’antiracisme une priorité stratégique et organisationnelle.

[AUDIO] Black communism : rencontre-débat avec Paul Heideman

À écouter : la rencontre « Black communism ». Paul Heideman revenait alors sur le Parti communiste aux États-Unis et sa politique antiraciste. Il nous racontait l’histoire étonnante d’un parti, constitué par des émigrés européens à peine arrivés sur le Nouveau continent, devenu en quelques années le premier parti de la cause noire, de Harlem à l’Alabama. Agrégeant artistes et intellectuels, de Billie Holiday à Duke Ellington en passant par W.E.B Dubois ou encore Richard Wright, le PC étatsunien fut aussi un laboratoire des luttes, à travers les ligues de chômeurs ou le syndicalisme interracial. Une immersion dans l’Amérique ségrégationniste et dans les résistances qui ont scandé son histoire.

Difficultés dans la théorisation marxiste de la race

La race pose problème au marxisme : comment éviter de réduire le racisme à un « dommage collatéral » de l’oppression économique ? Comment éviter de formuler des hypothèses historiques trop contraignantes sur ses origines et sa portée ? E. San Juan Jr. propose ici, dans un texte séminal publié pour la première fois en 1989, de confronter ces problèmes à partir du concept d’hégémonie et de conjoncture. La race et les luttes antiracistes se conçoivent dès lors comme des résultats singuliers de stratégies hégémoniques.