Violence et exploitation dans le capitalisme historique : entretien avec Heide Gerstenberger

Nombre de théories marxistes envisagent l’État capitaliste sous le paradigme du contrat. L’échange marchand généralisé aurait remplacé la violence directe des puissants par des rapports de domination impersonnels, seulement médiatisés par des différences de revenu et par la contrainte du marché du travail. Dans cette perspective, la violence serait devenue essentiellement sociale ou économique, plutôt que directement politique. L’historienne Heide Gerstenberger s’oppose nettement à ce diagnostic : pour elle, il s’agit d’une généralisation excessive, qui s’appuie seulement sur un capitalisme domestiqué ; il ne saurait décrire l’essence même des rapports politiques prévalant sous le capitalisme. Dans cet entretien avec Benjamin Bürbaumer, elle déploie les articulations profondes entre rapports capitalistes et violence politique directe. Elle montre avec force qu’une lecture non-eurocentrée de l’histoire moderne implique de considérer la persistance du travail forcé sur la longue durée. Le capitalisme n’a pu se défaire, en certains lieux, de ses pratiques illibérales que sous la pression populaire ; ce qui indique, à l’heure de la mondialisation et de nouvelles servilités légales qui l’accompagnent, la tâche à l’ordre du jour.