Le féminisme et la gauche aux États-Unis

Les enjeux féministes souffrent toujours d’une marginalisation certaine dans les différents secteurs de la gauche. Pourtant, comme le rappellent ici Johanna Brenner et Nancy Holmstrom, le féminisme a largement contribué à transformer les objectifs et les formes d’organisations des mouvements d’émancipation. De l’écoféminisme au womanisme, en passant par les groupes de lesbiennes radicales contre la guerre ou les communautés de spiritualité féminine, les militantes féministes ont apporté avec leur engagement de nouvelles méthodes de fonctionnement (groupes affinitaires, consensus, caucus, discussions par rounds, etc.) qui ont profondément remis en cause les modèles traditionnels d’organisation. Leur présence croissante dans les organisations, y compris dans les organes de direction, incarne ainsi un potentiel capable de réduire l’écart entre des groupes politiques souvent perçus comme étant tournés vers eux-mêmes, partant des expériences des travailleurs, hommes, de classe moyenne, et les intérêts des femmes, y compris non-blanches, de la classe ouvrière.

Sur le travail sexuel : une perspective féministe révolutionnaire

Sur le travail sexuel, l’abolitionnisme mobilise une série d’arguments cherchant à fonder l’idée d’une violence intrinsèque de la prostitution. Face à une question souvent abordée d’un point de vue moral, Johanna Brenner prend ici au sérieux tous les travaux qui prennent le soin d’évaluer la violence physique et psychologique qui accompagne la vente de services sexuels, ainsi que l’impact des législations sur les conditions de travail des prostituées. Dans cette diversité de données, aux implications parfois contradictoires, une chose demeure certaine pour Brenner : la décriminalisation est la seule hypothèse légale permettant de renforcer l’auto-organisation et le pouvoir de négociation de prostituées. C’est dès lors le seul régime légal endossable par une politique féministe révolutionnaire.

Repenser l’oppression des femmes

L’oppression des femmes pourrait n’être ni le résultat du « patriarcat » ni dans l’intérêt fondamental du capitalisme. C’est le présupposé qu’avancent Brenner et Ramas, ainsi que la cible de leur puissante critique, Michèle Barrett. Pour cette dernière, l’oppression des femmes est le produit d’une idéologie bourgeoise, façonnant la subjectivité des classes populaires et favorisant la division salariale entre hommes et femmes. Pour Brenner et Ramas, cette explication ne tient pas la route. Mais il faut faire un détour pour expliquer l’oppression des femmes : comprendre comment la reproduction biologique et le travail industriel ont dégradé le rapport de force entre hommes et femmes au bénéfice des premiers. Le défi théorique de l’oppression des femmes nécessite une réponse dialectique, aux antipodes du fonctionnalisme. Une telle approche permet d’identifier l’État-providence et le combat pour la socialisation du soin aux personnes dépendantes comme le nœud du problème et, dès lors, du combat féministe.