Le genre dans les sociétés égalitaires

Comment expliquer l’oppression des femmes, et sa diffusion à travers le monde et les sociétés ? Poser cette question, c’est s’opposer au récit mythique selon lequel les femmes auraient été de tout temps et en tous lieux opprimées. Et en effet, cette hypothèse d’une universalité du sexisme prend racine dans un grand nombre de discours scientifiques ou pseudo-scientifiques, dans une partie de l’anthropologie et de la sociobiologie. Dans ce texte, Eleanor Leacock, anthropologue féministe, met en lumière les soubassements eurocentriques et sexistes de telles conceptions. Elle décrit une organisation sociale égalitaire dans les sociétés indigènes d’Amérique du Nord auxquelles les chercheurs étaient aveugles ou bien qui avaient été bouleversées par l’impérialisme occidental et l’émergence du commerce. À partir de ce récit, elle propose quelques pistes pour penser l’émergence historique de l’oppression des femmes d’un point de vue matérialiste.

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Introduction

Les représentations populaires des relations hommes-femmes dans les sociétés primitives se résument à l’image de l’« homme des cavernes » de la BD du New Yorker, une massue à la main et tirant sa femme par les cheveux. À un niveau plus élevé, supposé scientifique, les écrits de Robert Ardrey, Desmond Morris et d’autres renforcent cette image1. Derrière les éclats de rire que suscite un tel dessin et derrière toutes les images fabriquées à partir d’un bric à brac ethnographique détaché de tout contexte, le message reste essentiellement le même : les êtres humains ont toujours été agressifs et compétitifs, et les hommes, l’étant plus que les femmes, ont toujours été « dominants ». Le thème se répète avec des variations : notre nature « animale » ou « primitive » reflète la « loi de la jungle » selon laquelle la force fait le droit parce que la nature humaine fondamentalement brutale – c’est ainsi qu’on se la représente—subsiste sous le fin vernis de la civilisation, avec sa règle d’or « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent », et malgré la valeur que notre culture prétend conférer à la vie humaine et à l’individu. Quand cependant nous considérons les données de l’anthropologie sociale et physique, de l’archéologie et de la primatologie dans leur totalité plutôt qu’en fonction d’une sélection arbitraire, celles-ci nous racontent une toute autre histoire. La socialisation, la curiosité et l’esprit ludique, non la compétitivité affirmée et l’agressivité, ont permis à des créatures relativement petites et sans défense d’évoluer vers cet être humain qui, à travers le monde, a créé de multiples modes de vie. La socialisation, c’est-à-dire le puissant désir de se lier à ceux de sa propre espèce et un intérêt primordial pour eux, caractérise nos ancêtres primates. Combat et querelles ne sont pas fondamentaux, mais secondaires. L’humanité n’a pas évolué, comme le postulait Hobbes, depuis un ancêtre par nature agressif. Avec du recul, il est clair qu’elle ne pouvait pas évoluer ainsi. La base de cette évolution réussie fut la vie de groupe qui à la fois nécessitait et rendait possible les comportements coopératifs. De même, la coopération a mené au développement d’outils et ustensiles sophistiqués et à l’élaboration du langage, tout en étant dépendant de ceux-ci2.

On a beaucoup écrit sur le fait que nos ancêtres primates se tournaient vers la chasse comme complément à la cueillette de produits alimentaires d’origine végétale. On peut lire ici et là que le fait de tuer des animaux, à un stade primitif de l’histoire humaine, a donné naissance à des tendances agressives profondément ancrées. Cet argument paraît convaincant, d’autant plus qu’il peut être utilisé pour rationaliser les conduites de domination des politiciens ambitieux et des financiers puissants qui les soutiennent en imputant leurs actions à notre nature humaine. Les gens oublient que, chez les animaux, tuer des membres d’autres espèces ne conduit pas à tuer des membres de sa propre espèce et cette attitude est spécifiquement humaine. On doit se poser la question suivante : quelle signification a réellement le fait de tuer des animaux pour les peuples qui dépendent de la chasse pour vivre ?

Jusqu’à récemment, quelques peuples, non atteints par l’industrialisation, vivaient largement de la cueillette de végétaux sauvages et de la chasse. Ils valorisaient les talents de chasseur, mais l’agressivité telle que nous la connaissons dans nos sociétés était dépréciée. La chasse était un travail extrêmement pénible, parfois un défi excitant certainement, mais aussi une corvée. Les sentiments à l’égard des animaux tués, surtout les plus gros, ne ressemblaient pas à notre fierté égoïste de conquête. Ils révèlent au contraire des attitudes de gratitude et de respect. Des dieux animaux étaient habituellement honorés et dans les contes, hommes et animaux entretenaient des relations étroites ; ils se mariaient entre eux, s’engendraient les uns les autres, s’apprenaient mutuellement des choses et passaient des accords pour sceller leurs relations. Ces peuples coopéraient pour obtenir de la viande et partageaient les animaux qu’ils s’étaient procurés. Les arrangements sociaux des peuples chasseurs, depuis les Bushmen chasseurs-cueilleurs du désert du Kalahari en Afrique du Sud-Ouest jusqu’aux Eskimos chasseurs de mammifères marins, étaient similaires. Les sociétés qui vivaient de la cueillette et de la chasse (et de la pêche) étaient coopératives. Les individus partageaient la nourriture et pensaient de l’avidité et de l’égoïsme à peu près ce que nous pouvons penser des comportements de malades mentaux ou de criminels. Ils fabriquaient et estimaient leurs biens de valeur, mais autant pour les donner que pour les garder.

Les gens ne suivaient pas un leader unique, mais participaient à l’élaboration des décisions – des codes soulignaient l’importance de faire taire les animosités et de restreindre la jalousie et la colère. Parfois l’inimitié personnelle était ritualisée comme dans le duel au tambour des Eskimos dans lequel deux adversaires se lançaient des insultes en chansons l’un après l’autre. Les gens se critiquaient les uns et les autres par la plaisanterie ou la taquinerie, ce qui menait en général à des éclats de rire auxquels se joignait la personne critiquée elle-même. Quand des combats sérieux conduisaient quelqu’un à blesser ou à tuer une personne, on recherchait l’expiation plutôt que le châtiment. La guerre était rare, voire inconnue. Quand cela arrivait, elle prenait la forme de raids rapides et non de conflits organisés pour des territoires, des esclaves ou un tribut. Deux peuples chasseurs ont récemment été filmés et on a écrit à leur sujet : les doux et chaleureux chasseurs de singes Tasaday des Philippines et les inamicaux et sombres compétiteurs Iks du Kenya3. Ce sont les Tasaday, qui vivaient jusqu’à récemment leur propre vie librement, qui nous donnent la meilleure approximation de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, car les Iks ont été expulsés de leurs terrains de chasse et, totalement démoralisés, semblent se diriger vers un suicide collectif.

Propriété privée, stratification sociale, soumission politique et guerres institutionnelles avec des armées permanentes sont des inventions sociales qui ont évolué au cours de l’histoire humaine. Elles ne sont pas l’expression mécanique de quelque nature humaine innée. Autrement, la grande majorité d’entre nous aujourd’hui ne chercherait pas si ardemment à se procurer un niveau de vie sûr, un minimum satisfaisant et plaisant, mais se jetterait avec enthousiasme dans la compétition, l’agression et la violence permises et encouragées par notre structure sociale.

Les inégalités institutionnelles qui nous sont si familières, les hiérarchies dominantes, la menace constante de guerres à grande échelle sont apparues au quatrième millénaire avant J.C. pendant ce que l’on a appelé la révolution urbaine. Dans le long cours de l’histoire humaine, des sociétés égalitaires de chasseurs-cueilleurs et plus tard d’horticulteurs ont rituellement élaboré des formes variées de hiérarchie sociale et cérémonielle, tout en maintenant, pour autant que l’on puisse en juger, un droit égal aux moyens de subsistance élémentaires. Ensuite, fruit de l’ingéniosité et de l’inventivité humaines, la spécialisation du travail s’est graduellement développée et a éloigné une partie de la population de la production des aliments de base. Le troc s’est transformé en commerce et les négociants en intermédiaires marchands. Les chefs-prêtres manipulaient de plus en plus les marchandises qu’ils stockaient pour la redistribution et ce qui était jusqu’alors une hiérarchie rituelle se transforma en élitisme et en exploitation. L’accès égal à la terre devint plus restreint à mesure que les étendues libres se transformaient en champs privés, aménagés, irrigués, fertilisés, ou travaillés d’une manière ou d’une autre. Pour résumer, des systèmes de classes furent créés, quoique lentement et non sans résistance et tentatives pour préserver les habitudes de coopération. Des sociétés complètement stratifiées ont émergé d’abord en Asie du Sud-Ouest et en Afrique du Nord-Est, en Mésopotamie, en Égypte, à Jérusalem, en Perse. Dans l’hémisphère occidental, les sociétés urbaines stratifiées ont évolué de manière indépendante chez les ancêtres des Incas, Mayas et Aztèques. Durant les millénaires suivants, des centres urbains marchands aux formes politiques et sociales stratifiées et concurrentielles, se sont développées de façon répétée sur la base de sociétés qui s’étaient organisées autour de clans égalitaires, comme le montrent les reconstitutions de l’histoire ancienne en Afrique, Asie, Europe et dans le Nouveau Monde.

Presque 5 000 ans après l’émergence de villes en Asie et en Afrique, prit forme la transformation sociale suivante : la révolution industrielle. Inextricablement liée à l’expansion coloniale et impériale européenne, la révolution industrielle mit un terme à l’autonomie relative des innombrables traditions culturelles existant sur terre. Graduellement, les peuples de tous les continents se retrouvèrent insérés dans un système mondial unique de relations d’exploitation militaires, politiques et économiques. Un thème revient constamment dans les minutieuses reconstitutions ethno-historiques des divers modes de vie développés par différents peuples. Les données archéologiques, les récits des premiers explorateurs, missionnaires ou commerçants, comme le matériel ethnographique plus récent, révèlent que la coopération généralisée a, à maintes reprises, été minée par la concurrence généralisée. Heureusement, de plus en plus de personnes dans le Monde cherchent actuellement à créer de nouvelles formes de coopération. Il est en effet urgent d’y parvenir, sans quoi nous rendrons notre planète impropre à la vie.

Les femmes dans les sociétés sans classes

Qu’en est-il du statut social et du rôle des femmes dans les sociétés sans classes ? Quel éclairage nous apportent les données anthropologiques dans notre effort pour comprendre l’origine du statut inférieur des femmes aujourd’hui et les sources du changement ?

La maxime la plus couramment exprimée dans les écrits anthropologiques contemporains est sans équivoque : l’égalitarisme généralisée des sociétés non stratifiées ne s’applique qu’imparfaitement aux femmes. Les anthropologues s’accordent à dire que dans ces sociétés les femmes n’étaient aucunement opprimées de la façon dont elles l’étaient dans les sociétés patriarcales classiques du monde méditerranéen et d’Orient. Cependant, aux yeux de la plupart des anthropologues qui écrivent sur le sujet, les femmes ont toujours été, à un degré ou à un autre, subordonnées aux hommes. D’où ce genre d’affirmations : « C’est une vérité sociologique commune que dans toutes les sociétés l’autorité appartient aux hommes et non aux femmes » ; «  Les hommes tendent généralement à dominer les femmes » ; « La subordination des femmes se produit avec une remarquable constance dans une grande variété de cultures » ; « Les hommes ont toujours dominé les femmes politiquement et économiquement » ; «  Quelle que soit la structure sociale, les hommes ont toujours l’ascendant sur les femmes »4. On admet que l’institution largement répandue de la matrilinéarité – reconnaissance de la descendance par les femmes – renforçait le statut des femmes, mais on soutient aussi que la matrilinéarité substituait simplement à l’autorité des maris et des pères celle des oncles maternels et des frères aînés. Une égalité des sexes très rudimentaire est généralement admise en ce qui concerne nos ancêtres, mais on soutient néanmoins que les hommes avaient un statut légèrement plus élevé. « Les activités masculines font toujours l’objet d’un plus grand intérêt culturel et bénéficient de plus de prestige… Les femmes ne peuvent exercer une influence hors de leur famille qu’indirectement, à travers l’influence qu’elles exercent sur leurs parents ». Par conséquent, quelle que soit l’importance que revêt le travail féminin dans l’économie domestique, il ne suscite pas l’estime publique accordée au travail masculin. On prétend que le rôle des femmes est toujours « privé », celui des hommes « public ». Le travail féminin est limité au cadre domestique, il concerne les domaines familial et privé de la société. Les rôles dans la sphère publique sont l’apanage des hommes et la sphère publique est le lieu du pouvoir et du prestige. En effet, quelle que soit la nature du travail féminin, ou sa valeur économique, il n’est jamais considéré comme source d’attraction, d’enthousiasme ou de prestige5.  Les études contemporaines sur les femmes dans l’histoire et la société promettent d’imposer la révision de telles conceptions. La thèse selon laquelle une étape d’organisation économique et sociale égalitaire – le communisme primitif – a précédé l’émergence de la stratification dans l’histoire humaine n’a que récemment été largement acceptée par les anthropologues. Il n’y a pas si longtemps on se moquait d’une telle idée, qualifiée de « naïveté du XIXe siècle ». Une analyse approfondie révèle l’influence dont jouissaient les femmes dans de telles sociétés et la très large autonomie avec laquelle elles exerçaient leurs fonctions. On peut donc espérer qu’au cours de la prochaine décennie, la description stéréotypée, reposant sur le cliché de la domination masculine, du rôle des femmes dans de telles sociétés sera discréditée.

Quatre distorsions principales perpétuent la confusion au sujet des femmes dans les sociétés sans classes. Premièrement, les sociétés qui n’appartiennent pas à la tradition spécifique de l’Europe ou de l’Orient sont communément regroupées dans une catégorie unique et désignées comme « primitives ». Pourtant, des sociétés stratifiées et urbanisées avaient déjà émergé ou étaient en train d’émerger dans de nombreuses parties du monde à l’époque de l’expansion européenne. Seules quelques sociétés dites « primitives » conservaient des institutions pleinement égalitaires à cette époque. Par conséquent, les considérations générales sur le statut des femmes dans les sociétés primitives reflètent les larges variations qui existaient dans le monde et détournent l’attention de l’analyse du statut des femmes dans les sociétés réellement égalitaires.

Deuxièmement, les cultures analysées par les anthropologues ne sont pas autonomes, mais existent dans le contexte d’un monde colonial. Les généralisations sur les cultures tribales sont trop souvent construites à partir des rapports ethnographiques du XXe siècle sans prendre en compte le colonialisme, l’impérialisme et leurs effets à l’échelle mondiale. Les sociétés que les anciens parmi les Indiens américains décrivaient aux premiers anthropologues ne dépeignent pas non plus la vie aborigène d’une manière invariable. Le commerce avec les européens, la conquête et la résistance, le travail et dans certains cas l’esclavage, les mariages mixtes et le travail des missionnaires ont créé des problèmes avec lesquels les indigènes américains se débattent depuis 400 ans ou plus. Depuis deux, trois ou quatre cents ans (selon les régions), les populations africaines ont, bon gré mal gré, été impliquées directement ou indirectement, dans le développement de l’Europe capitaliste et d’un ordre impérialiste mondial. Ils commerçaient et faisaient de la politique ; ils allaient travailler sur les plantations et dans les mines pour payer des taxes récemment imposées, on leur envoyait des missionnaires ou ils devenaient eux-mêmes missionnaires. ; ils étaient conquis, réduits en esclavage, ou soumis d’une manière ou d’une autre ; et ils résistaient, combattaient pour l’indépendance politique. Les pratiques patriarcales et les comportements importés par les Européens qui imposèrent un contrôle impérialiste accélérèrent le déclin du statut des femmes de plusieurs manières. Les positions publiques de prestige et d’influence furent réservées aux hommes, informellement d’abord par les émissaires et commerçants européens, officiellement ensuite par les administrateurs. Le droit des femmes à la terre fut érodé ou totalement aboli. Les liens économiques réciproques entre les clans et les lignages furent sapés, et les femmes et les enfants devinrent dépendants des seuls chefs de famille, nécessairement hommes, qui apportaient les revenus. Enfin, les missionnaires vantaient les idéaux européens et exhortaient les femmes à obéir et à être fidèles sexuellement toute leur vie à un seul homme.

Le troisième obstacle à une analyse transculturelle objective du rôle des femmes est le biais que des travaux comme le nôtre cherchent à dépasser. Les anthropologues étaient en général des hommes qui interrogeaient d’autres hommes et considéraient que les données recueillies de cette manière étaient suffisantes pour comprendre une société. Les femmes anthropologues ont en général fait de même et c’est seulement récemment que certaines d’entre elles ont commencé, en tant que femmes, à examiner les distorsions qui ont résulté de cette approche. Comme l’a récemment déclaré un groupe de femmes anthropologues : l’anthropologie, à son stade actuel de développement, manque d’une théorie des femmes suffisamment complexe pour rendre compte de l’essentiel de ce que nous faisons. Nos collègues, masculins pour la plupart, se sont contentés de décrire le comportement des femmes tels que les hommes voudraient qu’ils soient. Un nombre important de questions essentielles n’ont jamais été posées – le fait que des anthropologues hommes discutent le bout de gras avec leurs informateurs hommes a eu pour résultat une vision des femmes qui procède directement de normes masculines. Cet état de choses provient en partie du manque de différenciation sémantique pour exprimer ce que les femmes font et sont. Mais au-delà, cela implique la surprenante incapacité de certains anthropologues à comprendre que les femmes sont non moins des êtres humains que les hommes6.

La quatrième difficulté pour parvenir à une représentation claire du rôle et du fonctionnement des sexes dans les sociétés avant la formation des classes découle de l’approche ethnocentriste de l’organisation sociale. Il y a deux hypothèses trompeuses extrêmement répandues : 1) Les dyades homme-femme sont présentes au cœur des unités socio-économiques de tous les types de sociétés et gèrent les enfants à charge de la même manière que dans les sociétés occidentales. 2) L’action sociale est partout divisée entre une sphère masculine, publique, officielle et essentielle d’un point de vue politique, et une sphère féminine informelle, tout comme dans nos sociétés. Là où les données sont fragmentaires, l’ethnographe peut toujours expédier la discussion à propos des activités féminines avec un paragraphe ou deux sur la production et la préparation de la nourriture, les soins aux enfants, le foyer. De monographie en monographie, de telles allusions reviennent avec un manque de rigueur et de manière peu explicite, bien que la réduction des femmes à ces seules activités puisse être démentie par la lecture attentive, entre les lignes, de ces monographies elles-mêmes. La pratique perpétue le savoir conventionnel qui se reflète dans les généralisations désinvoltes à propos de « l’importance ordinaire des hommes »7.

Étant donné ces problèmes, est-il possible de déterminer avec une quelconque certitude ce qu’était le rôle des femmes dans les sociétés égalitaires ? La réponse est oui ; les fondements d’une définition adéquate du rôle des femmes d’un point de vue transculturel sont jetés à présent que des anthropologues (principalement, mais pas exclusivement, des femmes) se mettent à collecter des données nouvelles sur la participation des femmes dans différentes sortes de sociétés et à réexaminer les références éparses aux femmes dans les anciennes données. L’image qui en ressort rejoint, selon moi, les grandes lignes de l’analyse de Friedrich Engels dans son ouvrage à présent classique L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État : l’égalitarisme initial des sociétés humaines incluait les femmes et leur statut par rapport aux hommes a décliné quand elles ont perdu leur autonomie économique. Le travail des femmes dans le contexte du groupe ou du collectif villageois était tout d’abord public. Il se transforma en service privé dans les limites de la famille nucléaire dans le cadre du processus de spécialisation du travail et d’accroissement des échanges commerciaux. Les femmes comme les hommes perdirent le contrôle direct sur la nourriture et sur les autres marchandises qu’ils produisaient et les classes sociales émergèrent. Ce processus fut lent et, à en juger parce que nous savons des organisations de femmes en Afrique de l’Ouest et de l’hostilité patente entre les sexes en Mélanésie et ailleurs, les femmes se liguèrent apparemment pour résister de diverses manières.

En Europe, aucune enclave de sociétés de cueillette ou horticole ne survécut à la révolution urbaine et industrielle pour continuer de témoigner du mode de vie égalitaire. Pour de telles cultures, nous n’avons que des traces archéologiques. Cependant, des écrits historiques indiquent la présence de deux courants différant largement dans l’histoire sociale tardive de l’Europe. 1) Celui du monde méditerranéen où le patriarcat classique de l’ancien Moyen-Orient est parvenu à rejeter dans l’oubli la participation publique officielle des femmes en matière sociale, politique et religieuse. 2) Et celui de la périphérie du Nord de l’Europe, décrite par Tacite, où les femmes, loin d’être les égales des hommes, conservaient néanmoins un statut relativement supérieur à celui des femmes dans les cultures méditerranéennes, statut qui persista assez longtemps pour exercer un effet sur la société médiévale des premiers temps. Tacite note que « les Bretons ne font pas de distinction de sexe quand ils nomment leurs chefs » et sa référence à la « vénération » des dirigeantes femmes parmi les Germains est intéressante. Il la décrit comme « dénuée de flatterie servile et de toute prétention à faire des femmes des déesses », ce qui suggère un réel respect plutôt que le schéma intéressé consistant à placer les femmes sur un piédestal pour prouver qu’elles appartiennent à une classe supérieure8.

Les traditions patriarcales méditerranéennes et les traditions nordiques, suggérant l’existence passée de mœurs plus égalitaires, étaient bien sûr tardives à l’échelle de l’histoire de l’humanité. Les vestiges archéologiques indiquent qu’elles furent précédées par des sociétés horticoles égalitaires, elle-même précédées par des sociétés fondées sur une combinaison de chasse, de pêche et de cueillette. Afin de faire des suppositions correctes sur le changement du rôle accordé aux femmes dans ces peuples européens anciens, il est nécessaire de décrire les sociétés de régions du monde où les formes égalitaires ne furent pas détruites aussi tôt.

Dans l’hémisphère occidental, l’urbanisation et la stratification se développèrent au Mexique et dans les Andes, mais à l’époque des voyages de Colomb elles n’avaient pas englobé les peuples reculés de ce qui forme maintenant le Canada et le nord des États-Unis. Nous pouvons donc nous référer à ces groupes pour comprendre comment fonctionnaient les sociétés égalitaires. Je prendrai l’exemple des chasseurs innus (Montagnais-Naskapi) de la péninsule du Labrador dans le Canada oriental et les villageois iroquois du nord de l’État de New York, car des écrivains d’autrefois ont fourni quelques indications sur la façon dont ces peuples vivaient au tout début de la colonisation, avant que leur vie ne soit totalement transformée. C’est le cas en particulier pour les Innus (Montagnais-Naskapi) dans la mesure où, durant l’hiver 1633-1634, un missionnaire jésuite, Paul Le Jeune vécut avec un groupe montagnais et rédigea pour ses supérieurs à Paris un récit détaillé de son expérience dans cette mission. Les lettres de Le Jeune constituent un inestimable recueil des mœurs et de l’éthique d’un peuple égalitaire, l’auteur faisant des références explicites au prestige et à l’autonomie dont jouissaient tous les individus, les femmes comme les hommes.


Les Innus (Montagnais Naskapi)

Les Montagnais-Naskapi vivaient presque entièrement de pêche et de chasse à l’époque précolombienne (c’est-à-dire durant l’ère précédant le voyage de Colomb en 1492 quand les Européens firent leur apparition en Amérique pour la première fois) La collecte de racines et de baies était minime. Les gens changeaient souvent de campement en hiver, mais pendant le court été, un nombre assez grand d’entre eux se rassemblaient au bord des lacs et des rivières, pour se rendre visite, se courtiser, confectionner leurs raquettes, leurs canoës et leurs vêtements pour l’hiver suivant. Quinze ou vingt personnes, plusieurs familles nucléaires, vivaient ensemble dans une hutte couverte de peau ou d’écorce. L’hiver, deux ou trois groupes de huttes voyageaient et campaient ensemble ou près les unes des autres. De temps en temps ils se joignaient aux autres pour de courtes périodes de festivités si la chasse était bonne ou pour s’aider mutuellement si elle était mauvaise.

La division du travail n’existait pas, excepté entre les sexes, et tous les adultes participaient à l’approvisionnement en nourriture et à la fabrication de l’équipement nécessaire à la vie dans le nord. En général, les femmes travaillaient le cuir et l’écorce, pendant que les hommes travaillaient le bois, chacun produisant les outils dont il avait besoin. Par exemple, les femmes coupaient des bandes de cuir et les tissaient sur le cadre des raquettes fabriquées par les hommes et elles recouvraient d’écorce de bouleau le cadre des canoës produits par les hommes. Les femmes enlevaient la peau du gibier et la raclaient pour les vêtements, les mocassins, et la couverture des huttes. Chacun participait à la construction des huttes ; les femmes allaient dans la forêt pour abattre des arbres et les hommes enlevaient la neige de l’endroit où la hutte allait être érigée.

Tous les membres du camp aptes physiquement, femmes, hommes et enfants assez âgés, participaient aux chasses collectives, quand les caribous migrateurs étaient dirigés vers des enclos ou au bord des rivières pour être tués à la lance depuis les canoës. Les hommes, à deux ou trois, chassaient en solitaire en forêt. Les femmes chassaient à l’occasion quand elles voulaient de la viande et que les hommes étaient partis, ou si elles avaient désirées se joindre à leurs maris lors d’une expédition. Les deux sexes se procuraient du petit gibier autour du camp, posant des pièges et des collets. La cuisine nécessitait également la participation des deux sexes. Les grands animaux étaient rôtis dans des trous recouverts de pierres brûlantes, ou coupés en gros morceaux pour être embrochés sur des bouts de bois tenus au-dessus du feu, ou encore bouillis dans des plats d’écorce dans lesquels des pierres brûlantes étaient placées. Avec l’apparition des pots de cuivre, un objet de commerce apprécié depuis le XVIe siècle jusqu’aujourd’hui, la viande pouvait être mijotée sur un feu ouvert sans que cela demande beaucoup de travail ou d’attention. Chaque jour, les femmes étaient chargées de cuisiner, mais les hommes aidaient à préparer la nourriture pour les fêtes ou cuisinaient pour eux-mêmes pendant les chasses.

Pratiquement tout le monde se mariait ; le divorce était facile et pouvait être obtenu par simple demande de l’un des partenaires. Une personne paresseuse ou malhonnête pouvait avoir du mal à garder une épouse, et un homme pouvait se rendre ridicule en faisant un travail habituellement fait par les femmes, démontrant ainsi qu’il était incapable de garder une épouse. Quelques hommes avaient plus d’une épouse, pratique déplorée par les missionnaires du XVIIe siècle. Le Jeune écrit : « Depuis que j’ai prêché parmi eux qu’un homme ne doit avoir qu’une seule épouse, je n’ai pas bien été reçu par les femmes ; en effet, comme elles sont plus nombreuses que les hommes, si un homme ne peut en épouser qu’une, les autres souffriront »9.

Les enfants pouvaient observer la quasi totalité du travail, des loisirs et de la vie religieuse qui se déroulaient autour d’eux. Leur formation était donc très informelle : ils jouaient, aidaient, écoutaient, et regardaient. Bien que le soin des enfants ait incombé aux mères, les pères n’étaient ni maladroits ni impatients avec les petits enfants. Le Jeune parle d’un homme apaisant un bébé malade avec ce qu’il appelle « l’amour d’une mère » conjugué à « la fermeté d’un père »10. Plus de trois siècles plus tard, j’ai observé la patience sans limite avec laquelle un homme restaient assis à bercer son enfant malade et agité et à lui chanter des chansons pendant des heures, pendant que sa femme était occupée à la tâche, longue et exigeante, du fumage d’une peau de cerf.

Le Jeune parle de la « patience » manifestée dans la vie quotidienne et souligne à quel point les gens s’entendent bien entre eux : « Vous ne voyez pas de disputes, de querelles, d’hostilité ou d’attitude de reproche parmi eux », déclare t-il, et les gens font leur travail sans « fourrer leur nez » dans les affaires des autres11. Pendant les étés 1950 et 1951, j’ai moi-même observé l’aisance avec laquelle se déroulaient les interactions quotidiennes et qui persistait en dépit du fait que la base économique de l’autonomie indienne se dégradait rapidement et qu’il y avait de plus en plus de raisons d’être inquiet. Non pas que tout le monde ait été en paix avec tout le monde : une femme dans un campement avait la réputation de toujours grommeler ; un homme dans un autre se saoulait chaque fois qu’il arrivait à se procurer de la mélasse ou du sucre pour fabriquer de la bière. Mais c’était très beau de voir le sens de la responsabilité de groupe maintenu à l’égard des enfants et le sens spontané de l’autonomie dans des relations qui n’étaient pas grevées par des siècles d’inculcation de comportements emprunts de déférence variant selon le sexe et le statut.

Comme on peut s’y attendre, il y avait un sentiment évident de contrainte en présence des Blancs. Cela n’avais pas été le cas à une époque antérieure. Le Jeune décrit les grivoiseries, les plaisanteries et moqueries, l’amour des paroles tranchantes et l’appétit vorace qui caractérisaient les périodes de relâchement des Montagnais-Naskapi au début du XVIIe siècle : « Ils n’ont ni douceur ni courtoisie dans leurs paroles », écrit-il, « et un Français ne pourrait adopter cet accent, ce ton et la brusquerie de leurs voix sans être en colère, et pourtant eux ne le sont pas »12. À son grand désarroi, les deux sexes prennent plaisir à adopter un langage qui a « l’odeur répugnante des égouts »13 et à des taquineries vulgaires, prises, à sa grande surprise, avec bonne humeur par les victimes elles-mêmes. Aujourd’hui, nous concevons le ridicule comme étant un important moyen de consolidation des mœurs du groupe dans une société dénuée de contrôles formels. Ainsi que Le Jeune l’a vu, leurs quolibets et leur sens de la dérision ne viennent pas de cœurs mauvais ou d’une infection de la bouche, mais d’un esprit qui dit ce qu’il pense de façon à se donner libre champ et qui recherche une satisfaction dans tout, même dans le sarcasme et la moquerie14. Certains observateurs ont dit au sujet des femmes Montagnais-Naskapi, comme au sujet d’autres femmes indiennes d’Amérique du Nord, qu’elles étaient quasiment des esclaves. Le dur travail qu’elles effectuaient et l’absence de formalités ritualisées à leur égard contrastaient trop nettement avec les idéaux de courtoisie envers les femmes de la famille bourgeoise française ou anglaise et étaient prise comme la preuve de leur statut social inférieur. Ceux qui connaissaient bien les Indiens voyaient les choses autrement : « Les femmes ont un grand pouvoir ici », disait Le Jeune qui exhortait les hommes à  s’affirmer : « Je lui ai dit qu’il était le maître et qu’en France, les femmes ne dirigent pas leurs maris »15. Un autre père jésuite déclarait : « le choix des plans, des projets, des hivernages, revient presque toujours à la maîtresse de maison »16.

Il est important de reconnaître que les décisions concernant les migrations n’étaient pas des affaires familiales privées mais des décisions de la communauté sur ce qui était la principale activité du groupe. Il n’y avait pas de chefs officiellement désignés ou de corps politiques ou économiques supérieurs auxquels déférer, que des ordres soient expressément donnés ou non. En fait, les Jésuites déploraient l’indépendance de la vie des Indiens : « Hélas, si quelqu’un arrêtait les migrations des sauvages et donnait l’autorité à l’un d’eux pour diriger les autres, nous les verrions rapidement convertis et civilisés »17 . Les tentatives pour établir l’autorité de chefs élus sur les groupes et des maris sur les épouses étaient un thème récurrent des lettres et rapports des Relations des jésuites du XVIIe siècle.

Les porte-paroles d’un groupe vis-à-vis des étrangers étaient des personnes respectées pour leur talent rhétorique. Leur influence était uniquement personnelle. Ils auraient été ridiculisés s’ils avaient essayé d’exercer un quelconque pouvoir au sein de leur groupe. Le Jeune écrivait que les indiens « ne peuvent supporter le moins du monde ceux qui semblent désireux d’exercer leur supériorité sur les autres ; ils placent toute la vertu dans une certaine douceur ou apathie »18. Des personnes expérimentées étaient généralement choisies pour mener les groupements de chasse, mais leurs responsabilités en tant que chefs temporaires cessaient en même temps que la période de chasse. Les chamans, pratiquants religieux qui communiquaient avec les divers dieux, n’avaient pas de pouvoir officiel, mais simplement une influence personnelle. Jadis, les femmes aussi bien que les hommes pouvaient devenir chamans. Un père jésuite essaya de s’opposer à une puissante femme chaman qui ralliait son peuple pour aller combattre les Iroquois. Elle sortit un couteau et menaça de le tuer s’il continuait de s’interposer.

Une absence d’autorité formelle était possible dans la mesure où les petits groupes qui vivaient ensemble et dépendaient les uns des autres partageaient aussi des intérêts communs en termes de survie du groupe et de bien-être. En outre, les individus pouvaient facilement abandonner un groupe pour en rejoindre un autre s’ils le désiraient, une flexibilité qui permettait à ceux qui ressentaient de l’animosité à l’égard d’autres membres du groupe de s’en aller avant qu’un trop grand malaise se manifeste ou qu’une perturbation se produise. La colère pouvait dégénérer en violence ou même mener au meurtre, mais elle pouvait être gérée par la séparation. Au pire alors, l’animosité personnelle fonctionnait à distance. La maladie était parfois attribuée à la manipulation de forces surnaturelles par un ennemi personnel.

Le type de pouvoir sur autrui qui est familier à notre société ne gouvernait pas les sociétés égalitaires. Mais parce que nous avons des difficultés à interpréter comment de telles sociétés fonctionnaient réellement, nous projetons en général sur celles-ci notre propre ordre social, une erreur qui est particulièrement courante quand on parle du statut des femmes. Comme cela été noté, en négligeant de collecter des données adéquates sur les femmes ou d’interpréter les données existantes depuis un point de vue féminin, les anthropologues peuvent eux aussi déformer nonchalamment le véritable état de choses. Les récits comme celui fourni par Le Jeune restent rares ; la plupart du temps, il faut lire entre les lignes des compte rendus ethnographiques pour avoir des indications sur le rôle des femmes. Une fois que nous le faisons, les déclarations sur les hommes brutaux qui, parmi les peuples chasseurs, traitaient les femmes de la pire des manières, apparaissent pour ce qu’elles sont : une mythologie contemporaine.

[…]

Les Iroquois (Ho-de-no-sau-nee) ou « Le Peuple de la Longue Maison »

Le Peuple de la Longue Maison, communément appelé Iroquois, inclut d’ouest en est, dans l’État de New York, les Nun-da-wa-ono ou Peuple des Grandes Collines (Seneca), les Gwe-u-gweh-o-no ou Peuples de la Terre Boueuse (Cayuga), les O-non-da-ga-o-no ou Peuple sur les Collines (Onondaga), les O-na-yote-ka-o-no, ou Peuple du Granit (Oneida), les Ga-ne-a-go-o-no ou Peuple possesseur du Silex (Mohawk), et, plus tard, au sud des Oneida, les Dus-ga-o-weh-o-no ou Porteurs de Chemises (Tuscarora). Récemment, un groupe de Mohawks en compagnie de membres d’autres nations indiennes, a émigré vers un ancien territoire Mohawk dans la région de l’Eagle Lake, le Parc national des Adirondacks. Ils désirent, selon leurs propres termes, revenir « au système coopératif de nos ancêtres » et recréer un « gouvernement du peuple » avec une large participation de la communauté à la prise de décisions. Ces pionniers contemporains viennent de zones rurales aussi bien qu’urbaines, mais ils diffèrent d’autres mouvements coopératifs en raison principalement du sens qu’ils ont de leur histoire et de leurs anciennes traditions.

À l’époque de l’intrusion européenne, au XVIe siècle, les Iroquois vivaient dans des villages de 2 000 habitants et plus et travaillaient comme jardiniers ou chasseurs. Les femmes cultivaient la terre, utilisant des bâtons à fouir et des houes avec une lame d’omoplate de cerf. Elles cultivaient une quinzaine de variétés de maïs, pas moins de soixante sortes de haricots et huit types de courge. Elles cueillaient aussi des fruits sauvages, des noix, des racines, et des feuilles comestibles ou médicinales. Les hommes chassaient le cerf, l’ours, le petit gibier, ils pêchaient et attrapaient des oiseaux en utilisant toute une variété de collets, de pièges, de filets, ainsi que des arcs et des flèches. Les deux sexes travaillaient ensemble à la construction de grandes maisons couvertes de plaques d’écorce et habitées par environ vingt-cinq familles auxquelles elles servaient de résidence quasi permanente. Ces longues maisons avaient un vestibule à chaque extrémité pour le stockage et une rangée de cheminées au centre. Les familles qui vivaient en face l’une de l’autre utilisaient le même feu et des séparations délimitaient les coins de couchage de chaque famille.

Au cours des XVIe et XVIIe siècles, les Iroquois s’investirent fortement dans le commerce de fourrures et, une fois qu’ils eurent épuisés le stock de castors sur leur terre natale, jouèrent le rôle d’intermédiaires dans le commerce avec les peuples voisins ou combattirent ces derniers pour étendre leur propre sphère d’activité. Ils devinrent les ennemis des Montagnais (Innus) et, pendant la période de rivalité entre les Français et les Anglais pour le contrôle des terres américaines, qui culmina au dix-huitième siècle, les Iroquois s’allièrent aux Anglais et les Montagnais aux Français.

Au dix-neuvième siècle, lorsque l’anthropologue Lewis Henry Morgan écrivit League of the Ho-De-No-Sau-Nee or Iroquois, publié en 1861, la vie dans les longues maisons n’était plus qu’un lointain souvenir, bien que la longue maison restât un symbole fort du Conseil de la Confédération qui, lui, fonctionnait toujours. Des changements fondamentaux s’étaient produits dans la société iroquoise depuis le XVIe siècle, suite au commerce des fourrures, à l’état de guerre engendrée par les pouvoirs coloniaux concurrents et à la perte des territoires indiens au bénéfice de ces pouvoirs. La Confédération des six tribus agit comme une puissante force unificatrice et les pouvoirs officiels du Conseil s’accrurent pour faire face de façon efficace aux rivalités politiques et économiques et aux pressions des Néerlandais, Français et Britanniques. Dans le même temps, toutefois, le commerce de fourrures permit à des entrepreneurs indépendants économiquement de se désengager de leurs responsabilités envers leur peuple. Ceci eut pour effet de saper le communisme, jusqu’ici incontesté, pratiqué par les familles partageant une longue maison, processus encouragé par les enseignements des missionnaires et les politiques gouvernementales. Les descriptions de la société iroquoise, et en particulier de la place des femmes abondent donc en contradictions du fait que des gens ayant différents points de vue et différentes sources d’informations émettent des jugements à différents moments.

Personne ne remet cependant en cause le fait que les femmes, à une certaine époque, ont eu un statut relativement élevé dans la société iroquoise. Les Iroquois prenaient en compte la descendance matrilinéaire, pratique commune parmi les peuples d’horticulteurs, et les droits d’usufruit sur les terres du clan se transmettaient de mère en fille. En général, un homme venait habiter dans la famille de son épouse à son mariage et il pouvait être renvoyé chez lui s’il lui déplaisait. Les matrones de la longue maison contrôlaient la répartition de la nourriture et des autres marchandises qui assuraient le bien-être du groupe ; elles nommaient et pouvaient révoquer les sachems ou chefs qui représentaient chaque tribu au Conseil de la Confédération ; et elles « avaient leur mot à dire sur toutes les questions » portées à la connaissance du Conseil du clan19. Femmes et hommes en nombre égal occupaient les fonctions de Gardiens de la Foi, personnes d’influence qui admonestaient les autres pour leurs infractions morales et les renvoyaient parfois devant le Conseil à des fins de dénonciation publique. En cas de meurtre d’une femme, la compensation perçue par sa parenté était deux fois plus importante que dans le cas du meurtre d’un homme. Un missionnaire du début du dix-huitième siècle, Lafitau, écrivant à propos des femmes chez les Iroquois ou chez les Hurons qui leur étaient similaires, ou peut-être chez les deux à la fois, disait que : « Toute l’autorité réelle est entre leurs mains… Elles sont les âmes des Conseils, les arbitres de la paix et de la guerre »20. Plus d’un siècle plus tard, le révérend Wright, missionnaire chez les Seneca, affirmait que, au sein des clans comme partout ailleurs, les femmes constituent la grande puissance. Elles n’hésitaient pas, quand la situation l’exigeait, à « abattre les cornes », comme on le disait techniquement, de la tête d’un chef pour le renvoyer au rang de guerrier21. Pourtant, dans son livre The Inevitability of Patriarchy, Steven Goldberg fait par trois fois référence à l’affirmation de Lewis Henry Morgan selon laquelle « les Indiens considéraient les femmes comme inférieures, dépendantes et asservies aux hommes et, par éducation et habitude, celles-ci se considéraient elles-mêmes ainsi »22. Morgan écrivait également que l’influence des femmes n’atteignait pas les affaires de la gens (clan), de la fratrie (groupe de clans) ou de la tribu, mais s’arrêtaient aux portes du foyer. Cette vision concorde assez bien avec l’idée selon laquelle la femme iroquoise vivait une vie de corvées et de subordination générale à son mari qu’elle acceptait avec entrain comme étant le lot de son sexe23. Mais comment ces affirmations peuvent-elles s’accorder avec les descriptions qui précèdent sur le statut élevé dont bénéficie les femmes chez les Iroquois ?

Une partie de la réponse se trouve dans le changement intervenu lorsque le contrôle des femmes sur la longue maison fut remplacé par une dépendance à l’égard du mari apportant les revenus dans le contexte de la famille nucléaire individuelle. À l’époque de Morgan, il n’y avait même plus de souvenirs d’institutions comme celle des dortoirs, où les adolescentes vivaient et faisaient la cour à leurs amoureux, qui sont évoqués de façon désapprobatrice dans les récits du XVIe et du début du XVIIe siècles. La chasteté avait depuis été enjointe aux femmes non mariées, ainsi que la règle du deux poids, deux mesures et le fouet en public pour les femmes adultères.

Une part des divergences entre les études sur le statut des femmes chez les Iroquois réside dans l’incapacité à comprendre la pleine signification du contrôle des femmes sur le foyer. À l’époque moderne, parler du rang élevé des femmes dans la famille, de leur prestige et influence dans les conseils d’hommes n’impliquerait rien de plus que l’idée usuelle qu’elles tiennent les rennes du pouvoir dans l’ombre et manipulent leur famille pour acquérir un certain contrôle sur leur vie dans une société fondamentalement patriarcale. Dans le cas des Iroquois, toutefois, le fait que les communautés étaient constituées des foyers familiaux signifiait que le pouvoir de décision des femmes sur la production et la distribution de nourriture et d’autres produits leur conféraient un contrôle étendu sur l’économie du groupe lui-même. De telles décisions n’avaient pas le caractère privé qu’elles ont dans nos sociétés où la production et la distribution de quelque importance sont assurées par des entreprises et où le pouvoir réside dans des institutions immenses et complexes se situant bien au-dessus de la communauté.

Les décisions du Conseil ne reposaient pas sur le type de pouvoir exercé dans un État moderne, mais exprimait plutôt le consensus du groupe dans les affaires liées aux relations entre villages et aux politiques envers les groupes extérieurs. Dans un article sur la situation des femmes chez les Iroquois, Judith Brown donne un exemple du pouvoir pratique inhérent à leur rôle économique : elles pouvaient choisir de soutenir ou s’opposer à un projet d’expédition guerrière en acceptant, ou en refusant, de fournir l’approvisionnement nécessaire. Les sociétés telles celle des Iroquois étaient–elles donc matriarcales ? La réponse est oui, si le terme signifie que les femmes détenaient l’autorité publique dans des domaines essentiels de la vie du groupe. La réponse est non si le terme renvoie à une image renversée du patriarcat judéo-chrétien et oriental où le pouvoir détenu par les hommes (ou une femme à l’occasion) au sommet de structures hiérarchiques se reflète dans le « petit » pouvoir que les hommes exercent sur leurs épouses au sein de la famille.

Dans la société iroquoise précoloniale, il était nécessaire que la production et la distribution de nourriture soient régulées par et parmi les centaines de villageois qui habitaient ensemble. Cette obligation a dû quelque peu atténuer l’autonomie personnelle qui caractérisait la vie des Innus (Montagnais-Naskapi). Néanmoins, la société iroquoise restait fondamentalement communautaire et égalitaire. Chacun participait, en fonction de ses intérêts, aux activités artistiques, rituelles et plus généralement culturelles qu’une vie organisée rend possible. Les personnes de prestige et d’influence vivaient, travaillaient et mangeaient avec tout le monde. Dans le pire des cas, les prisonniers de guerre qui étaient adoptés par un clan pouvaient avoir à exécuter les corvées les plus fatigantes pendant un moment, mais ils partageaient leurs repas et habitations avec les autres et, avec le temps, pouvaient acquérir une situation respectable dans le groupe. Dans on ouvrage classique, Ancient Society, Morgan écrit :

Tous les membres d’une « gens » iroquoise étaient des personnes libres et étaient dans l’obligation de défendre la liberté les uns des autres ; ils étaient égaux en privilèges et en droits individuels, les chefs et sachems ne revendiquaient aucune supériorité. Cela peut expliquer le sens d’indépendance et de dignité personnelle qui est universellement considéré comme un attribut du caractère indien24.

Cependant, Morgan se réfère à la « gens » iroquoise comme à une fraternité ; bien qu’il reconnaisse le statut élevé des femmes dans une telle société, il ne perçoit pas l’entière signification de la « sororité » qui était parallèle.

[…]

[Dans la majeure partie du monde], la situation des femmes est passée d’un statut originaire d’égalité et d’autonomie à un statut moindre, puis à une condition d’oppression. Quelle est la cause de cette évolution ?

L’idée que les instincts humains de domination, et en particulier l’agressivité masculine, ont déterminé le cours de l’histoire humaine est le fil conducteur de la plupart des réponses données à cette question. Les formulations précises varient, mais les arguments sont de manière générale les suivants : les populations humaines s‘accroissent périodiquement jusqu’à atteindre les limites de leur environnement naturel, à la mesure des capacités techniques dont elles disposent. Ceci engendre la concurrence pour l’acquisition des ressources et la guerre. Comme les moyens techniques de production de nourriture et autres biens de première nécessité s’améliorent, la population s’accroît, en même temps que la concurrence pour les terres. La guerre se fait plus fréquente, ce qui permet aux hommes les plus agressifs et les plus ambitieux d’acquérir des biens en surplus et d’imposer leur domination sur les autres hommes de leur groupe et sur les femmes, ainsi que sur les autres groupes. Du point de vue de l’histoire récente, cette affirmation peut sembler assez raisonnable. Néanmoins, dans la perspective de l’histoire culturelle dans sa totalité, l’argument se révèle exagérément simplificateur au point de constituer une grave distorsion ; il ne fonctionne pas réellement.

La transformation de la société égalitaire

Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, tout ce que l’on sait au sujet de la vie de subsistance indique que les chasseurs-cueilleurs n’étaient pas engagés dans une lutte incessante les uns contre les autres au moment où ils arrachaient la nourriture à une nature avare et faisaient face au problème de la croissance continue de la population jusqu’à la limite de ses ressources. La société humaine a évolué du fait de l’application de l’ingéniosité et de l’expression de la sociabilité, et non simplement du désir de domination. Dotés de compétences et de connaissance, les premiers humains savaient utiliser une très grande variété de plantes et d’animaux et, au fur et à mesure qu’ils apprenaient à se servir de ressources nouvelles, se déplaçaient vers des environnements nouveaux. Les sociétés de subsistance méprisaient et évitaient apparemment de sa battre, et de telles sociétés ont persisté bien plus longtemps que les sociétés guerrières qui leur ont succédé. Tout indique que chez les chasseurs-cueilleurs le temps réservé aux loisirs était abondant, pour le simple plaisir de discuter, plaisanter et raconter des histoires, ainsi que pour les activités artistiques et rituelles. Le Jeune se plaignait, à propos des Montagnais, que « leur vie se passe à manger, à rire, à se moquer les uns des autres et de toutes les personnes qu’ils connaissent »25.

En outre, la taille et la composition des groupes étaient apparemment maintenues à un niveau conforme aux limites des ressources environnementales. Tous les indices suggèrent qu’il y avait une limitation consciente de la taille de la population dans les sociétés égalitaires. De nombreux moyens, plus ou moins efficaces, étaient employés : périodes d’abstinence, lactation prolongée, herbes pour la contraception ou l’avortement, tentatives d’avortement mécanique, et en dernier ressort, infanticide. Les nouveaux-nés dont la naissance suivait de trop près celle de leurs frères ou sœurs, et qui surchargeaient donc leur mère et par conséquent le groupe entier, n’avaient pas le droit de vivre. Les Jésuites observaient que les familles montagnaises n’avaient que deux ou trois, et rarement plus de quatre, enfants, par contraste avec les familles étendues des Français26.

La transformation des sociétés égalitaires en sociétés bâties sur l’inégalité et la stratification n’a pas été due à une combinaison psycho-biologique de tendances à la domination et de pression démographique. Un processus social profond – le partage –déclencha plutôt le changement, car le partage se transforma en troc, qui à son tour évolua vers le commerce généralisé et la spécialisation du travail qui menèrent finalement à l’invention du pouvoir et de la possession de richesses par un seul individu. L’échange de ressources entre différentes zones est aussi vieux que l’humanité. Dans les sites anciens, on retrouve des coquillages à des kilomètres du rivage de l’océan. Du silex, de l’obsidienne et d’autres pierres convoitées ont voyagé bien loin de leur localisation d’origine. Des choses aussi rares que l’ambre, si belle et si fascinante, sont passées de main en main à de grandes distances de leur source. Au cours de l’histoire humaine, la vie de village, dont la stabilité grandissante a été rendue possible soit par l’agriculture soit par un approvisionnement saisonnier exceptionnellement fiable (comme la migration du saumon qui alimentait les villageois de la côte de Colombie Britannique), nécessitait des échanges de plus en plus réguliers – à l’intérieur des groupes et entre eux. La spécialisation devint à son tour usuelle dans la production de marchandises à échanger contre des objets de luxe et des aliments et outils spécifiques. Le processus enrichit la vie et favorisa le développement des compétences. Résultat non attendu, il transforma finalement la structure entière des relations humaines depuis l’égalité des groupes communautaires jusqu’à l’exploitation dans les sociétés économiquement différenciées.

Les réseaux de relations d’échange étaient à l’origine égalitaires dans leur forme, le profit n’entrait pas en ligne de compte. Néanmoins, la production et la détention de marchandises en vue d’échanges ultérieurs ont créé de nouvelles situations et de nouveaux intérêts particuliers qui ont séparé les obligations de certains individus de celles du groupe dans son ensemble. Le rôle d’intermédiaire économique s’est développé et a dissocié le processus d’échange des relations réciproques qui avaient lié les groupes entre eux. De manière concomitante, ceux qui étaient dotés d’un statut religieux ou de chef, gardiens traditionnels de la production redistribuée selon les besoins, retirèrent un nouveau pouvoir de la manipulation de stocks de marchandises impossibles à se procurer localement et particulièrement désirables. Comme le soulignait Engels dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, les germes de la différence entre les classes furent semées quand les individus commencèrent à perdre le contrôle direct sur la distribution et la consommation des marchandises qu’ils avaient produites. Simultanément, le fondement de l’oppression des femmes se mettait en place, dans la mesure où le groupe communal familial était miné par des liens économiques et politiques conflictuels. En lieu et place de ce groupe, apparurent les unités familiales nucléaires au sein desquelles la responsabilité d’élever les générations futures furent placée sur les épaules des seuls parents, et à travers lesquelles le rôle public des femmes (et par conséquent leur reconnaissance) se transforma en service privée (d’où la perte de l’estime publique).

Les analyses contemporaines des composantes structurelles du statut des femmes révèlent le rôle critique joué par le degré de contrôle sur les marchandises et les ressources dont elles disposent. Dans un article comparant la situation des femmes dans douze sociétés, Peggy Sanday écrivait que « la condition de l’autorité politique des femmes est un certain degré de pouvoir économique, c’est-à-dire de possession ou de contrôle des ressources stratégiques »27. L’importance du contrôle sur les ressources est illustrée par la comparaison faite par Judith Brown entre la société Iroquoise ancienne et les Bemba de Zambie au dix-neuvième siècle. Chez ces derniers, les femmes ne contrôlaient plus leur production et avaient un statut relativement inférieur. Chez les Iroquois, écrit Brown, la distribution de la nourriture par les femmes renforçait leur propre prestige. Chez les Bemba, elle reflétait le prestige du chef de famille homme. Dans la société Bemba, l’inégalité et les unités familiales nucléaires avaient remplacé les groupes communautaires, et le droit d’un homme au produit de son travail était « dépendant des revendications prioritaires de certains parents plus âgés et, en dernière instance, du chef lui-même. »28. Les chefs détenaient et distribuaient la nourriture pour renforcer leur propre pouvoir social et économique.

Karen Sacks compare quatre sociétés africaines, les chasseurs-cueilleurs Mbuti du Zaïre, les horticulteurs Lovedu, les pasteurs et agriculteurs Pondo d’Afrique du Sud et la société stratifiée des Ganda de l’Ouganda Elle montre le déclin relatif du statut des femmes au moment où les sociétés quittent « la production sociale collective par les femmes, par opposition à celle par les hommes : égalité chez les Mbuti et les Lovedu, inégalité chez les Pondo, absence chez les Ganda ». Les différences persistent en dépit des effets, directs et indirects, du colonialisme. Là où les femmes étaient commerçantes et marchandes, comme dans de nombreuses sociétés ouest-africaines, elles conservaient une autonomie économique et un statut relatif plus importants que lorsque le commerce était mené par les hommes. Les Ibo du Nigeria fournissent un exemple extrêmement bien documenté de femmes marchandes. Quand leur statut se trouva menacé par les liens économiques externes – négociés par les hommes –, qui s’étendirent rapidement après la Première Guerre mondiale, elles protestèrent publiquement, se livrèrent à des émeutes et manifestèrent d’abord en 1919, puis à nouveau en 1925 et 1929. Les organisations de femmes chez les Ibo purent donc être étudiées en détail alors qu’ailleurs nous n’avons que des indices de leur existence. Les femmes siégeaient ensemble dans des réunions publiques et, à travers leurs organisations, établissaient « leurs propres lois pour les femmes de la ville indépendamment des hommes »29, régulaient les marchés, protégeaient les intérêts des femmes, et négociaient les affaires judiciaires dans lesquelles hommes et femmes étaient impliqués. Leurs protestations soulignent la relation étroite entre leur position économique et leurs droits personnels vis-à-vis des hommes. Les cas examinés concernaient à la fois les nouvelles taxes proposées par les Britanniques et la menace contre le droit traditionnel des femmes à avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes que leurs maris30.

Les systèmes économiques et sociaux africains furent détruits ou détournés au service de l’administration coloniale. Mais l’histoire orale et les récits anciens révèlent de nombreux parallèles avec les sociétés-États qui virent le jour dans le monde méditerranéen. En Afrique de l’Ouest comme en Méditerranée, la spécialisation du travail et de la production de marchandises était liée au commerce dans le lointain et aux royaumes qui émergeaient et disparaissaient selon la disponibilité géographique des routes et des ressources et d’autres accidents de l’histoire. Dans ces deux zones, il y eut un renforcement à long terme des classes économiques et un déclin du statut des femmes, s’accompagnant de conflits relatifs à la lignée, aux droits sur la terre, à la famille et aux obligations familiales. C’est à cette date que remontent les premières références manuscrites aux femmes dans l’histoire européenne.

Traduit de l’anglais par Jean-Alain Thomas

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  1. Robert Ardrey, African Genesis: A Personal Investigation into the Animal Origins and Nature of Man, Atheneum, New York, 1961, et The Social Contract, Atheneum, New York, 1970 ; Desmond Morris, The Naked Ape, Dell, New York, 1966. []
  2. Pour un résumé de ces évolutions et plus d’informations, voir l’introduction de Eleanor Leacock à « The Part Played by Labor in the Transition from Ape to Man » in Frederick Engels, The Origin of the Family, Private Property and the State, éd. Eleanor Leacock, International Publishers, New York, 1972. Si l’humanité était par nature disposée au combat, nous serions aujourd’hui tous pleinement engagés avec grand plaisir dans la mêlée. Or, malgré notre socialisation concurrentielle, la plupart d’entre nous s’efforcent de trouver une niche raisonnablement paisible où prendre un peu de plaisir dans la vie. []
  3. Cohn Tumbull, The Mountain People, Simon & Schuster, New York, 1972. []
  4. T. 0. Beidelman, The Kaguru: A Matrilineal People of East Africa, Holt, Rinehart & Winstor, New York, 1971, p. 43; Walter Goldschmidt, Man’s Way: A Preface to the Understanding of Human Society, Holt, Rinehart & Winston, New York, 1959, p. 164; Marvin Harris, « Women’s Fib », Natural History (Été 1972) et Culture, Man, and Nature. An Introduction to General Anthropology, Crowell, New York, 1971, p. 328 ; F. E. Evans-Pritchard, The Position of Women in Primitive Societies and Other Essays in Social Anthropology, Faber & Faber, Londres, 1965, p. 54. []
  5. Dorothy Hammond et Alta Jablow, Women: Their Economic Role in Traditional Societies, Addison-Wesley Module in Anthropology, n° 35, Reading, Mass. 1973, pp. 3, 8, 26, 27. []
  6. Ellen Lewin, Jane F. Collier, Michelle Z. Rosaldo et Janet S. Fjellman, « Power Strategies and Sex Roles », communication présentée à la 70ème Conférence annuelle de l’American Anthropological Association, New York, 1971, pp. 1-2. []
  7. John Honigman, World of Man, Harper & Row, New York, 1959, p. 302. []
  8. Tacitus, The Agricola and the Germania, Penguin, New York, 1971 ; pp. 66, 108. []
  9. R. G. Thwaites (éd.), The Jesuit Relations and Allied Documents, vol.12, Burrows Brothers, Cleveland, 1906, p. 165. []
  10. Ibid., vol. 11, p. 105. []
  11. Ibid., vol. 6, p. 233. []
  12. Ibid., vol. 6, p. 235. []
  13. Ibid., vol. 6, p. 253. []
  14. Ibid., vol. 6, p. 247. []
  15. Ibid., vol. 5, p. 181 ; vol 6, p. 255. []
  16. Ibid., vol. 68, p. 93. []
  17. Ibid., vol. 12, p. 169 []
  18. Ibid., vol. 16, p. 165. []
  19. Pour un exposé synthétique sur le statut des femmes iroquoises, voir Judith K. Brown, « Iroquois Women: An Ethnohistoric Note » in Toward an Anthropology of Women, éd. Rayna R. Reiter, Monthly Review Press, New York, 1975. []
  20. Ibid., p.238. []
  21. Lewis Henry Morgan, Ancient Society, éd. Eleanor Leacock, Peter Smith, Gloucester, Mass., 1974, p. 464. []
  22. Lewis Henry Morgan, League of the Ho-De-No-Sau-Nee or Iroquois, vol. I, Human Relations Area Files, New Haven, 1954, p. 315 ; Steven Goldberg, The Inevitability of Patriarchy, Wm. Morrow, New York, 1973, pp. 40, 58, 241. []
  23. Lewis Henry Morgan, Houses and House-Life of the American Aborigines, University of Chicago Press, Chicago, 1965, p. 128. []
  24. Morgan, Ancient Society, pp. 85-86. []
  25. Thwaites, vol. 52, p. 49. []
  26. Ibid., vol. 52, p. 49. []
  27. Peggy R. Sanday, « Female Status in the Public Domain », Women, Culture, and Society, éd. Michelle Zimbalist Rosaldo et Louise Lamphere, Stanford University Press, Stanford, 1974, p. 193.
    []
  28. Cité par Brown à partir de Audrey I. Richards, Land, Labour and Diet in Northern Rhodesia, Oxford University Press, Londres, 1939, pp. 188-189. []
  29. Karen Sacks, « Engels Revisited: Women, the Organization of Production, and Private Property », Rosaldo and Lamphere, Women, Culture and Society, p. 215. []
  30. G. T. Basden, Among the Ibos of Nigeria, Barnes & Noble, New York, 1966, p. 95. Voir également G. T. Basden, Niger Ibos, Seeley, Service, Londres, 1938 et C. K. Meek, Law and Authority in a Nigerian Tribe, Oxford University Press, Londres, 1937. []
Eleanor B. Leacock