Le théâtre de Jean Genet : entretien avec Olivier Neveux

Il y a dix ans, Olivier Neveux publiait Théâtres en luttes : le théâtre militant en France des années 1960 à aujourd’hui. Depuis lors, il n’a eu cesse de scruter les rapports intimes qu’entretiennent théâtre et politique, sans jamais subordonner l’analyse de l’un aux impératifs présupposés de l’autre. Son dernier ouvrage, Le Théâtre de Jean Genet (2016) est en est la preuve par excellence. Pour Neveux, Genet est l’ « autre » du théâtre militant, celui qui n’établit de liens entre les champs artistique et politique qu’en creusant continuellement leur écart, celui qui se serait profondément moqué de toutes nos injonctions bienséantes, d’autant plus inoffensives qu’elles sont ostentatoires, à la critique, au réalisme, à l’engagement dans l’art. De Les Bonnes à Les Paravents en passant par Les Nègres, le Genet dramaturge ne s’est jamais battu pour des causes – qu’il pouvait soutenir par ailleurs –, pour émanciper qui que ce soit, il a lutté contre les formes du pouvoir et ses représentants, contre les patrons, les Blancs, les impérialistes, contre la France même, qui faisaient l’objet de sa détestation plutôt que de dénonciations, certainement pas d’indignation. Poète de l’infamie, Genet nous invite à redécouvrir la puissance politique d’un imaginaire libéré de toute entrave.

« L’art défie la nécessité de toute transition. » Entretien avec Olivier Neveux

Aujourd’hui, au théâtre, tout est politique. Metteurs en scène, financeurs, théâtres et politiques publiques se prévalent toujours davantage du thème de l’engagement, de la conscience critique et de la nécessité de « choquer » nos âmes ramollies par la quotidienneté. Pour Olivier Neveux, derrière cette nouvelle idéologie esthétique se cache en réalité un véritable retournement de la tradition politique du théâtre : remettre le spectateur à sa place d’ignorant, de complice du système ou lui rappeler la vacuité de son imaginaire. Cette « conjoncture sensible » pose aux militants révolutionnaires une série de questions embarrassantes : quel bilan tirer du théâtre politique d’émancipation ? que faire de l’ambition didactique de Brecht, du réalisme, ou encore de l’élan utopique de Bloch ? Dans cet entretien, Olivier Neveux propose une série d’hypothèses pour nous orienter dans ce présent mouvant et paradoxal : refuser l’injonction à un art d’édification critique, chercher les voies d’un art bienveillant avec les spectateurs, favoriser une expérience singulière et hétérogène pour ouvrir les possibles, briser notre enfermement sensible. Aujourd’hui peut-être que l’art, à la différence de la politique, invite à se projeter dès maintenant dans un régime anarchiste.