Le travail du sexe contre le travail

Pour certains et certaines, reconnaître le travail sexuel comme un travail est une démarche libérale, homogène à la marchandisation des corps. À l’encontre de cette idée fausse, Morgane Merteuil propose d’examiner le travail sexuel comme une dimension du travail de reproduction de la force de travail, et reconstitue les liens qui unissent la production capitaliste, l’exploitation du travail salarié et l’oppression des femmes. Elle démontre que la lutte des travailleuses du sexe est un puissant levier pour remettre en cause le travail dans son ensemble, et que la répression du travail du sexe n’est rien d’autre qu’un instrument de la domination de classe, de la division internationale (raciste) du travail et du stigmate de pute qui nourrit le patriarcat.

La nature n’existe pas

La nature n’est pas un terrain neutre, mais le nœud de conflits sociaux irréductibles. L’ouvrage de Razmig Keucheyan, « La nature est un champ de bataille », s’attache à déconstruire le discours de l’écologie politique dominante. Il y analyse en outre la place de l’écologie dans la réorganisation actuelle du capitalisme. En considérant l’environnement comme un lieu traversé par divers rapports de domination, Razmig Keucheyan s’attache à élaborer un concept de nature réinvesti par certaines problématiques issues de la théorie marxiste. Et c’est précisément cette perspective que se propose d’examiner Paul Guillibert dans cet article, en interrogeant le concept de nature ici mobilisé.

De l’aristocratie ouvrière à l’Union sacrée : Du Bois sur les origines coloniales de 1914

L’impérialisme et la colonisation sont les racines de la Première guerre mondiale. Alors que l’on commémore les cent ans de la guerre de 1914, Alberto Toscano revient sur l’interprétation qu’en offrit, dans les années 1910, W.E.B. Du Bois, marxiste noir américain. Pour ce dernier, la Première guerre mondiale ramène sur le territoire européen un conflit que les grandes puissances impérialistes européennes se livraient sur le territoire de l’Afrique depuis plusieurs décennies. Revenant sur les notions centrales de W.E.B. Du Bois de « salaire de la blancheur » et de « ligne de couleur », Toscano montre ainsi la difficulté stratégique qu’a posé la guerre pour les Noirs américains, et en particulier pour Du Bois : puisque la ligne de couleur traverse autant les mouvements ouvriers des pays du centre que le monde capitaliste lui-même, la question du ralliement à l’effort de guerre supposait de répondre à la double exigence de lutter contre l’impérialisme américain et contre le racisme du mouvement ouvrier.

Théories marxistes du droit international : une introduction 

Dire que le droit international codifie l’oppression des pays dominés par les États du centre économique mondial est presque une banalité. Comprendre l’origine et la façon dont ce droit international s’est déployé est un projet d’une autre envergure. Robert Knox propose ici de mettre en lumière en quoi la théorie du droit international a longtemps été une lacune des élaborations marxistes sur l’impérialisme et indique comment surmonter ce point aveugle. Il éclaircit en outre les enjeux politiques sous-tendus par les débats autour du droit international, et notamment la question brûlante du rôle du droit dans la transformation sociale

Communisme et nationalisme : une lettre inédite de Mirsaid Sultan Galiev

L’alliance entre bolchévisme et nationalismes opprimés n’a pas été sans heurts, sans contradictions. C’est ce dont témoigne une lettre inédite en français, datée du 8 septembre 1924 et adressée à la Commission centrale de contrôle du Parti communiste russe, du militant tatar bolchevik etthéoricien du communisme national musulman, Mirsaid Sultan Galiev (1892-1940). Fidèle allié du pouvoir soviétique depuis la révolution d’Octobre, Sultan Galiev avait été arrêté en 1923, a priori sur ordre de Staline, puis exclu du Parti. Il demande dans cette lettre sa réintégration, laquelle ne lui sera jamais accordée. Condamné à mort fin 1939, il est fusillé fin janvier 1940.

Femmes noires et communisme : mettre fin à une omission

Ce texte, paru dans l’organe théorique du Parti communiste américain en 1949, est une contribution pionnière sur la triple oppression dont les femmes noires sont la cible en tant que femmes, en tant que noires et en tant que travailleuses. Claudia Jones, alors jeune cadre du parti, y montre comment cette oppression se cristallise non seulement sur le marché du travail, mais aussi dans les organisations du mouvement ouvrier et au sein du mouvement féministe. Dénonçant l’incapacité des progressistes à reconnaître l’expérience de luttes accumulée par les femmes noires au cours de leur histoire, elle appelle les révolutionnaires à faire de l’antiracisme une priorité stratégique et organisationnelle.

Nation, race et impérialisme dans la gauche allemande depuis la réunification

D’où viennent les Antideutsch ? Quelle a été la trajectoire de ce courant de la « gauche » allemande, célèbre pour son ralliement à Israël et son opposition à tout anti-impérialisme ? Selim Nadi revient sur le soutien accordé au cours des 20 dernières années par cette nébuleuse à différentes politiques nationalistes. À partir d’une analyse historique de la campagne « Nie Wieder Deutschland », de la seconde guerre du Golfe et de la guerre en ex-Yougoslavie, l’auteur retrace la généalogie du néo-nationalisme d’une partie de la gauche allemande.

Pour déracialiser, il faut penser la race (et la classe)

Il faut définitivement se débarrasser des approches des classes sociales qui passent outre les considérations sur la race. Eilzabeth Esch et David Roediger présentent diverses analyses de Bourdieu, Wacquant, Adolph Reed ou encore Darder et Torres, qui font volontairement l’impasse sur la race. Les auteurs proposent à l’inverse de relire plusieurs épisodes récents en Australie, en Afrique du Sud ou au Venezuela pour apprécier l’importance théorique et militante d’un antiracisme qui prenne en compte la race.

[AUDIO] Black communism : rencontre-débat avec Paul Heideman

À écouter : la rencontre « Black communism ». Paul Heideman revenait alors sur le Parti communiste aux États-Unis et sa politique antiraciste. Il nous racontait l’histoire étonnante d’un parti, constitué par des émigrés européens à peine arrivés sur le Nouveau continent, devenu en quelques années le premier parti de la cause noire, de Harlem à l’Alabama. Agrégeant artistes et intellectuels, de Billie Holiday à Duke Ellington en passant par W.E.B Dubois ou encore Richard Wright, le PC étatsunien fut aussi un laboratoire des luttes, à travers les ligues de chômeurs ou le syndicalisme interracial. Une immersion dans l’Amérique ségrégationniste et dans les résistances qui ont scandé son histoire.

Politiques sexuelles et besoins sociaux : pour un féminisme marxiste

Dans le sillage des études et des mouvements queer, les identités sexuelles n’ont jamais autant fait l’épreuve d’une attention et d’une élaboration critique. Il est désormais d’usage de critiquer un mouvement gay et lesbien mainstream, de débattre ou de chercher à élargir les coalitions lesbiennes, gay, bi, trans (LGBT), ou encore de proposer une refondation queer des politiques sexuelles. Rosemary Hennessy propose ici de s’appuyer sur l’approche marxiste des besoins sociaux pour reconceptualiser les liens entre identités et rapports sociaux. Elle fait l’hypothèse d’une refondation marxiste et féministe des politiques sexuelles, appuyé sur la pluralité et l’étendue des besoins réprimés par le capitalisme.